Le cumul des indemnités de licenciement au moment de la rupture du contrat de travail. état des lieux partagé entre admission et interdiction.par Sébastien Legrand MBALA WOURIA II Université Libre de Bruxelles - Master de spécialisation en droit social 2019 |
B. Interdiction de cumul des indemnités de protection spécifique reposant sur un même dommage, une mesure préjudiciable identique et une même causeEn matière d'interdiction de cumul des indemnités de protection, la cour du travail de Bruxelles a notamment jugé, que les indemnités de discrimination et les indemnités liées au harcèlement au travail résultant du dépôt d'une plainte, et bien qu'elles mobilisent deux législations différentes, entendent réparer le même dommage et ne sont par conséquent pas cumulables.103 102 X, « Harcèlement moral : quand commence la protection contre le licenciement en cas de dépôt de plainte ? » , commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 septembre 2011, R.G. n° 2010/AB/464, Terra laboris, 2011, p 1. Disponible sur : http://www.terralaboris.be/spip.php?article1029 103 Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 mai 2012, R.G. 2010/AB/1.189, Terra laboris, 2012. Disponible sur : http://www.terralaboris.be/spip.php?article1177 38 La cour du travail de Bruxelles, en s'appuyant sur un arrêt de la cour de cassation104, précise que la finalité des deux textes est la même, puisqu'il s'agit de dissuader l'employeur de licencier par mesure de représailles dès lors qu'une plainte a été introduite dans l'un ou l'autre cadre normatif. Selon celle-ci, le préjudice identique dans les deux cas, repose sur la perte de l'emploi et la décision de licenciement en violation de la loi. Suivant ce raisonnement, cette même juridiction sociale d'appel, dans un arrêt du 3 septembre 2014, a dit pour droit qu'une travailleuse ne pouvait pas cumuler deux indemnités de protection spécifique se rattachant à la non-discrimination liée au genre et à l'état de maternité105, la première n'ayant pas été démontrée à suffisance. La règle de l'exclusion du cumul entre les différentes indemnités forfaitaires de protection spécifique est solidement établie en droit positif. A titre d'illustration non exhaustive dans la législation sociale, l'article 5 de l'arrêté royal du 17 octobre 1994 relatif à la conversion du congé de maternité en congé de paternité, l'article 30ter, §4, alinéa 4 de la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail, l'article 11 de la C.C.T n° 80 du 27 novembre 2001, traitant respectivement des indemnités forfaitaires de protection liées à la conversion du congé de maternité en congé de paternité, au congé d'adoption et à la pause d'allaitement, prévoient que ces dernières ne peuvent pas être cumulées avec d'autres indemnités forfaitaires de protection spécifique. La logique à cette solution retenue par le législateur réside dans l'idée qu'on ne saurait admettre qu'un travailleur protégé contre le licenciement puisse percevoir cumulativement plusieurs indemnités forfaitaires de protection spécifique qui, bien que relevant de normes légales différentes, reposent en réalité sur la même cause, la même faute dommageable ou la même mesure préjudiciable : interdiction de cumul fondée sur l'identité de dommage. A contrario, le même raisonnement a été suivi par le tribunal du travail de Liège pour admettre le cumul de deux indemnités forfaitaires de protection spécifique lorsque celles-ci reposent sur des causes différentes indépendamment des législations mobilisées. Selon le tribunal, en l'espèce, « l'employeur ne renverse pas la présomption que le travailleur n'a pas été embauché à la fois en raison de son sexe et de son âge. La loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes (« loi genre ») et la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination (loi « antidiscrimination ») poursuivent des finalités différentes. Les indemnités spéciales qu'elles prévoient n'ont donc pas la même cause et peuvent être cumulées en cas de discrimination multiple ». 106 104 Cass., 12 juin 1989, J.T.T., 1989, I, p. 402. 105 Cour trav. Bruxelles (4ème ch.), 03/09/2014, J.T.T., 2015/23, n° 1227, pp 338 - 390. Disponible sur : https://www.stradalex.com/fr/sl_rev_utu/search/rev/b8b3f4e558b71d5c133fa2a2029469ba9512d8710721522fcf 5cde21904e1cce::1?docEtiq=jtt2015_23p388 106 L. FASTREZ, P. LOECKX et al., « Trib. trav. Liège (div. Dinant) (vac.) (2e ch.), n° 16/294/A, 11 août 2017 », Chr.D.S., 2018, nr. 5, pp. 242-245. Disponible sur : https://www-jurisquare be.ezproxy.ulb.ac.be/en/journal/sk/2018-5/trib-trav-liege-div-dinant-vac-2e-ch-n-16294a-11-aout-2017/index.html#page/242/search/cumul des indemnités de licenciement 39 Il en est de même pour le tribunal du travail de Bruxelles qui a jugé que « l'indemnité en application de la loi anti-discrimination du 10 mai 2007 peut être cumulée avec l'indemnité due en application de la loi du 19 mars 1991 portant un régime de licenciement particulier pour les délégués du personnel aux conseils d'entreprise et aux comités de sécurité, d'hygiène et d'embellissement des lieux de travail, ainsi que pour les candidats délégués du personnel, car ces deux indemnités couvrent un dommage distinct. »107 (Articles 16 et 17 loi du 19 mars 1991, article 18 loi du 10 mars 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination). Quant à la Cour du travail du Mons, celle-ci en rejetant le cumul de deux indemnités forfaitaires de protection spécifique, a jugé que « seuls les motifs invoqués in tempore non suspecto par l'employeur au moment du licenciement sont de nature à constituer des motifs étrangers permettant le licenciement. En cas de restructuration, l'employeur doit préciser les critères qui lui ont permis de distinguer les services visés par la restructuration, ainsi que les critères ayant permis de distinguer les agents touchés par la restructuration au sein de ces services. En licenciant une travailleuse pour des motifs dont il n'est pas établi qu'ils sont totalement étrangers à son état de grossesse, l'employeur procède à une discrimination fondée sur la grossesse et donc sur le genre. Cependant, pour prétendre au cumul de l'indemnité de protection de la travailleuse enceinte avec l'indemnité pour discrimination, la travailleuse devrait pouvoir identifier l'existence d'un second facteur de discrimination aggravant le dommage subi et non réparé spécifiquement par l'octroi de l'indemnité protectionnelle de la travailleuse enceinte. »108 Elle conclut donc son raisonnement, à l'absence de causes et de dommages distincts dans le chef de la travailleuse enceinte pour rejeter le cumul de l'indemnité de protection liée à l'état de grossesse et l'indemnité de protection contre la discrimination. Néanmoins, force est de constater que le cumul des indemnités forfaitaires de protection spécifique, sous condition de causes et de dommages distincts, a également été admis dans un arrêt du 20 février 2012 de la Cour de cassation. Celle-ci a effectivement a jugé « qu'il ne ressort pas des termes des articles 14, 16 et 17, §1er de la loi du 19 mars 1991 (...) que ces dispositions excluent le cumul de l'indemnité de protection du délégué et du candidat délégué du personnel avec toute autre indemnité due en vertu d'une convention collective de travail. Il ne résulte pas davantage des termes des articles 4 et 15 de la convention collective de travail du 9 novembre 1987 relative à la sécurité d'emploi, rendue obligatoire par l'arrêté royal du 30 mars 1988, que ces dispositions interdisent le cumul de l'indemnité qu'elles visent avec toute indemnité autre que celles qui sont prévues par la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail. L'indemnité de sécurité de l'emploi est octroyée en raison du non-respect des procédures prévues aux articles 4 et 5 de la convention collective de travail du 9 novembre 1987, qui ont pour but la sécurité de l'emploi dans les entreprises d'assurances. Elle tend à indemniser le dommage causé par le licenciement et protège ainsi des intérêts privés. 107 X, « Trib. trav. Bruxelles (4e ch.), n° 12/2763/A, 20 février 2014 », Chr.D.S., 2014, nr. 7, pp. 365-369. Disponible sur : https://www-jurisquare-be.ezproxy.ulb.ac.be/en/journal/sk/2014-7/trib-trav-bruxelles-4e-ch-n-122763a-20-fevrier-2014/index.html#page/365/search/cumul des indemnités de licenciement 108 X, « Cour trav. Mons (1 re ch.), 26/10/2018 », J.T.T., nr. 15, 2019, pp. 266-269. Disponible sur : https://www-jurisquare-be.ezproxy.ulb.ac.be/en/journal/jtt/2019-15/cour-trav-mons-1-re-ch-26102018/index.html#page/266/search/le cumul des indemnités de rupture 40 L'indemnité visée à l'article 16 de la loi du 19 mars 1991 sanctionne le non-respect de la procédure spéciale destinée à assurer que le licenciement du délégué ou du candidat délégué du personnel est justifié et à garantir ainsi, dans l'intérêt général, la liberté de ces travailleurs d'exercer leur mission ou de se porter candidat, partant, le bon fonctionnement des organes de concertation sociale. Ces deux indemnités peuvent être cumulées lorsque les conditions d'octroi de chacune d'elles sont réunies, et leur cumul ne constitue pas un avantage prohibé par l'article 2, § 4, de la loi du 19 mars 1991. »109 Suivant ce raisonnement de la Cour, dans l'optique de prétendre à un cumul, il convient de relever qu'à défaut d'interdiction expressément prévue, il faut vérifier si les deux indemnités de protection spécifique ont des causes distinctes qui réparent des préjudices distincts.110 C'est ainsi qu'il a été constaté que ne sont notamment pas cumulables avec les indemnités de protection spécifique des représentants des travailleurs : l'indemnité de protection en cas d'interruption de carrière, l'indemnité pour licenciement collectif, l'indemnité de protection relative au crédit-temps (C.C.T. n° 77bis), l'indemnité de protection liée au congé parental (article 15, § 3 de la C.C.T n° 64 instituant un droit au congé parental) et l'indemnité due en cas de licenciement d'un délégué syndical (article 20 de la C.C.T. n° 5 du 24 mai 1971 concernant le statut des délégations syndicales du personnel d''entreprise).111 |
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