1.2.6.2. LA THEORIE BANCAIRE DE JOSEPH SCHUMPETER
Alors qu'Adam Smith refuse de financer le capital
immobilisé en raison des risques d'insolvabilité, Joseph
Schumpeter adopte une position différente.
Si Adam Smith préconise aux banques de ne financer que
le capital circulant des entreprises en échanges de sûretés
réelles, Joseph Schumpeter, pour sa part, leur enjoint de financer le
capital immobilisé, mais à certaines conditions.
Selon Schumpeter, le rôle des banques est central et
décisif dans le phénomène d'évolution. Leur
fonction principale consiste à financer cette évolution.
Schumpeter considère que sans la banque l'évolution ne pourrait
exister. Elle crée le pouvoir d'achat nécessaire au financement
des investissements requis. Contrairement à Adam Smith, Joseph
Schumpeter pense que l'innovation ne peut être financée par
l'épargne : celle-ci serait soit insuffisante soit non disponible.
L'absence de disponibilité s'expliquerait par la dimension psychologique
des épargnants. Ceux-ci ne seront sans doute jamais prêts à
prendre le risque de la perdre, étant donné les efforts accomplis
pour la réunir. Le crédit fournit par le banquier à
l'entrepreneur n'est donc pas un prélèvement sur l'épargne
actuelle.
Il s'agit plutôt d' « une avance sur des revenus
qui n'existent pas encore et qui ne seront dégagés que lors de
l'exécution par l'entrepreneur de nouvelles combinaisons productives
»
(Karklins-Marchay, 2004). De même Figuera
écrit : « dans l'analyse du processus de
l'évolution économique, Schumpeter renverse la vision qui fut
celle d'Adam
10 Idem [II, 2, 311-312 et II, 2, 330]
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Smith et attribue au progrès technique une
priorité par rapport à l'accumulation ». En fournissant un
crédit à l'entrepreneur afin qu'il concrétise son
intuition économique, le banquier crée un pouvoir d'achat qui
permet à l'entrepreneur d'accéder aux biens utilisés par
le circuit normal de l'économie. Ainsi, le crédit permet
d'accéder à des biens normalement indisponibles : la
création de pouvoir d'achat par le banquier créé une place
à l'entrepreneur dans le processus économique. « La
création de monnaie détermine une augmentation du niveau des prix
et une compression du pouvoir d'achat existant, qui est la source pour le
financement des investissements nouveaux ». Il s'agit, selon l'expression
de Von Mises, d'une épargne forcée et concédée de
mauvaise grâce par le circuit11.
1.2.6.3. L'OPPOSITION D'HAYEK A KEYNES
Hayek critique la position intellectuelle de Keynes et, par
conséquence, de Schumpeter, en reconnaissant que si les politiques
préconisées sont efficaces à court terme, elles n'en ont
pas moins des effets néfastes sur l'économie à plus long
terme. Elles déséquilibrent de façon artificielle le
système productif. Si pour Keynes les crises économiques
proviennent d'une insuffisance d'investissement, il en va tout autrement pour
Hayek qui considère que c'est, au contraire, l'excès
d'investissement qui est à l'origine des crises.
Pour commencer, Hayek distingue deux catégories de
biens : les biens de consommation et les biens de production. Les biens de
production sont les moyens originels de production ou les produits
intermédiaires, appelés aussi biens d'investissement. Ceux-ci
peuvent être plus ou moins spécifiques à la production d'un
type de biens de consommation. Plus le système de production mobilise de
capital et plus le processus de production est long (Hayek, 1975).
Selon Hayek, la part de ressources que les agents ne
souhaitent pas consommer constitue l'enveloppe disponible pour
l'investissement. Seule cette épargne peut jouer le rôle
d'investissement. Si l'investissement dépasse l'épargne
préalable, ce qui est le cas dans le modèle
développé par Schumpeter, les signaux envoyés par les prix
aux agents sont faussés et ces derniers prennent des décisions
inadaptées à la situation réelle de l'économie. En
cas de surinvestissement, situation provoquée en général
par une baisse du taux d'intérêt en dessous de son taux naturel,
les agents économiques sont incités à allonger le
processus de production, c'est à dire, à consacrer plus de
capital à la production de biens de consommation.
Le surinvestissement implique la création d'une
épargne forcée, puisque nous nous trouvons en situation de vases
communicants (une variation de l'investissement entraine une variation de la
consommation) : l'augmentation des prix (inflation) induite par cet afflux
massif d'investissement réduit le pouvoir d'achat des agents
économiques au profit d'autres agents. « La crise n'est pas
causée par l'insuffisance de la demande effective mais par le
surinvestissement qui se transforme en excès de demande de consommation
par rapport aux moyens de la satisfaire » (Dostaler, 2001).
11Joseph Schumpeter, Théorie de
l'évolution économique [Chapitre 3, I, 152-153 et 3, I, 147].
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Les différents positionnements adoptés par les
chercheurs nous montrent que la question de l'attribution du crédit
à l'économie n'est pas une question neutre. Aujourd'hui encore
elle porte à controverse. Elle implique des positionnements en
matière de politiques économiques. Grosso modo, les auteurs se
séparent sur la durée que doit prendre le crédit ainsi que
sur l'objet du financement. Nous analyserons ultérieurement la pratique
de la microfinance à la lumière de ces différents
positionnements théoriques. En attendant, analysons les apports de la
théorie de la croissance endogène. Nous aurons ainsi une vision
plus claire des fonctions de l'intermédiation financière.
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