Pourquoi la commission européenne a mis à l’agenda la proposition du pacte vert pour l’Europe en 2019?par Rose Kocak Institut des études européennes-Saint Louis UC Louvain - Master de spécialisation en analyse interdisciplinaire de la construction européenne 2020 |
5.7. Analyse des donnéesCette étape permet de dégager les éléments principaux permettant vérifier l'hypothèse: la COP 21 comme événement de focalisation, un consensus sur le problème du réchauffement climatique, une connaissance du fonctionnement de la société civile et les composantes de la fenêtre d'opportunité. Toutefois, malgré le consensus général sur le problème, des acteurs à l'intérieur du système institutionnel européen et des intérêts privés tentent de limiter la mise à l'agenda d'une politique environnementale à la hauteur du challenge qu'est le réchauffement climatique. Événement de focalisation Les évènements de focalisation, sont importants mais ils nécessitent un accompagnement sous la forme de perceptions préexistantes qu'ils renforcent selon Kingdon. La Cop 21 est mentionnée par tous les acteurs (politiques, scientifiques, observateurs) comme un moment fondateur pour la lutte contre le réchauffement climatique. Ce sommet a pour originalité d'être le premier accord contraignant en matière environnementale et d'établir un consensus entre la communauté politique et la communauté scientifique. Par la suite, nous observons que le PE appelle à respecter l'Accord de Paris, les académiques de l'université de Stanford établissent des paliers pour une politique environnementale réussie à partir du premier palier qu'est la COP21. Dans sa communication, la CE se félicite d'avoir bâti une large coalition de pays lors de l'Accord de Paris, d'être la première grande économie à y présenter sa contribution et elle prend des mesures visant au respect de cet accord. Elle y fera incessamment référence dans ses propositions environnementales postérieures. De plus, les mobilisations de la société civile appellent aussi au respect de cet Accord. Consensus sur le réchauffement climatique Les alternatives générées comme solutions au problème s'en sortent mieux s'ils rencontrent les tests d'acceptance politique selon Kingdon. Nous le voyons, il existe un consensus sur le problème du réchauffement climatique et sur la nécessité le solutionner dans toutes les institutions de l'UE bien que chacune soit composée de forces politiques différentes sur l'échiquier politique. Pareillement, un consensus est observé dans les opinions publiques 58 européennes, de même que dans les associations d'intérêt général et d'intérêts économiques et financiers. Il apparaît tout de même quelques limites au sein de L'UE: certains États-membres possèdent davantage une économie basée sur des industries polluantes et de ce fait, des pressions s'exercent sur le PVE, au contraire, d'autres sont plus ambitieux et poussent pour une accélération des politiques environnementales. Aussi, il existe une incohérence entre les différentes politiques publiques de la CE. Nous constatons un écart entre la rhétorique (PVE présenté comme ambitieux, adoption d'une position de leadership de la CE) et principe de réalité. Donc, dans l'espoir que le PVE soit adopté, la CE doit non seulement opter pour des propositions basées sur la science mais aussi prendre en considération d'autres paramètres afin de rendre son projet acceptable. Cela confirme le «Policy stream» de Kingdon qui, pour survivre, doit rencontrer des critères tels que la faisabilité technique, la capacité d'acceptation dans le «Policy community», le coût tolérable, l'anticipation du consentement public et une chance raisonnable de réceptivité parmi les preneurs de décision . 239 Nous constatons un consensus sur le «Problem stream» entre tous les acteurs mais les solutions proposées différentes. Tandis que la CE propose une politique englobant environnement/économie/social, d'autres acteurs des la société civile appellent à une décroissance, un respect de la limite des ressources naturelles. Nous constatons aussi un consensus sur les solutions financières dans le groupe TEG qui regroupe pourtant des acteurs diamétralement opposés: WWF, Bloomberg, Unilever etc. Nous constatons une augmentation des mobilisations internationales relayées par les médias et un rôle proéminent des réseaux sociaux car les acteurs les utilisent directement dans leur stratégie de communication et leurs appels à agir. Les groupes d'intérêts lancent leurs mobilisations par les réseaux sociaux et Greta Thunberg utilise son Twitter pour alerter et mobiliser ses «followers». Ce consensus actuel est primordial pour la mise à l'agenda du PVE. Nous l'avons vu, les alertes des scientifiques remontent à des décennies, pourtant, les décideurs ont mis du temps pour mettre le réchauffement climatique à l'agenda. 239 KINGDON, J.W., Agendas, Alternatives, and Public Policies, Longman Classics in Political Science, Second ed., Pearson, 2010 , p.131. 59 Les intérêts économiques et financiers cherchent aussi des solutions sur base de calculs coûts/bénéfice du réchauffement climatique. Nous le constatons lors de la publication de communications et de rapports mais aussi dans la liste de bienfaiteurs qui financent certaines associations environnementales. Par ailleurs, l'émergence de la notion de développement durable dans l'action climatique peut être envisagée sous un jour nouveau, en tenant compte des multiples facettes de la durabilité. Ce phénomène participe aussi au consensus car il permet la mise à l'agenda de politiques publiques par les gouvernants. Aussi, nous observons que la CE se base sur des indicateurs fournis par des groupes d'experts, de l'AEE, d'Eurostat, de l'Eurobaromètre pour mesurer l'ampleur du problème et/ou bénéficier d'un feedback sur les politiques environnementales. Typologie du lobbying de la société civile Les frontières entre les différents acteurs sont poreuses (les académiques de l'université de Louvain produisent des rapports pour le compte de Greenpeace; TEG a pour membre Bloomberg, BNP Paribas, Unilever, Finance watch; Greta Thunberg lance des appels à la mobilisation, elle partage des données du GIEC ou des articles de journaux ou vice-versa); certaines associations sont mandatées par la CE et/ou reçoivent son support financier; les entreprises et les industries engagent des think tanks (difficulté de respecter la typologie); il existe une difficulté à identifier les cabinets d'avocats (pas de diffusion du noms de leurs clients) . 240 En définitive, la définition de Kingdon convient davantage: «les communautés de spécialistes, composées de personnes chargées de planifications et d'évaluations, d'académiques, d'analystes de groupes d'intérêts, travaillent dans et en dehors du gouvernement. Ils partagent une préoccupation dans un domaine politique et ils interagissent entre eux». Fenêtre d'opportunité 240 ALTER EU, Lobbying Law Firms [en ligne], https://www.alter-eu.org/sites/default/files/documents/Lawfirmsstudy31052016_0.pdf (consulté le 29 avril 2020). 60 Selon Kingdon, lorsque les Planètes sont alignées à un moment donné, une fenêtre d'opportunité s'ouvre pour une courte durée. Cela se produit à la rencontre de trois streams: 241 « Problem », « Politics », « Policy » ; un «Policy entrepreneur» couple ces streams. Nous l'avons observé, en 2018, le TEG a été chargé par la Commission Juncker de l'établissement d'une taxonomie dont le rapport est publié en mars 2020. Nous en déduisons que le projet du PVE, dans sa globalité, est à l'étude avant la nouvelle CE en 2019. Nous observons, premièrement, que le consensus international sur le «Problem stream», soit le réchauffement climatique, se matérialise aussi au niveau du «Political stream» européen, soit de toutes les institutions de l'UE; deuxièmement, que la société civile regroupant les intérêts économiques, financiers et des associations d'intérêt général oeuvrent pour proposer ses solutions au réchauffement climatique sous forme de lobbying auprès de la CE ou, au contraire, à la demande de la CE qui a besoin d'expertise; que le début de la nouvelle CE en 2019 est l'occasion pour elle de se saisir de ce projet en cours pour des raisons géopolitiques, d'étendre son pouvoir politique au sein de l'UE, de stimuler l'intégration européenne et d'asseoir la légitimité de l'UE dans un contexte de crises multiples. Donc, notre hypothèse «Le PVE aurait émergé à un moment donné où il y a eu une reconnaissance par les élites porteuses de projets d'une fenêtre d'opportunité visant à ce que l'Europe devienne le premier continent neutre pour le climat en 2050» se vérifie, les élites entendues comme les membres de la CE. |
|