1.2.3. Rôle de la qualité de l'eau
d'incubation
Les critères de bonne qualité de l'eau
d'incubation dépendent des exigences de l'espèce en question.
Cette qualité de l'eau peut donc tout aussi dépendre de son
origine. Dans le cas de notre étude, nous présentons
brièvement les différences qualitatives éventuelles entre
l'eau de rivière et l'eau de forage
Eau de rivière et eau de forage
Les eaux des rivières étant des eaux de surface,
sont plus exposées aux pollutions d'origine anthropiques
comparées aux eaux de forage qui sont des eaux profondes (Guergazi et
al, 2005). Leur température varie fortement en fonction de la
période de l'année et du régime pluvial. Leur pH est
également très variable et tombe parfois jusqu' à 4. La
concentration en oxygène dissous est tributaire des actions anthropiques
notamment l'eutrophisation et les pollutions organiques. Elle dépend
également du régime thermique (Phillipart, 1989).
L'eau de forage est en général composée
strictement d'eau de nappe et d'eau de rivière (Doussan et al, 1995). Si
les forages sont à faible distance des rivières, l'eau de la
nappe au sens strict peut représenter seulement entre 0 à 30%
(Bize et al, 1981). Cependant, même quand l'eau de forage est
composée majoritairement d'eau de rivière, elle présente
des caractéristiques physico-chimiques totalement différentes de
l'eau de la rivière dont elle est dérivée grâce au
phénomène appelé effet
8
filtre des berges. Dès lors, on constate qu'elle a
beaucoup moins de polluants que l'eau de rivière (Sontheimer, 1980;
Bourg, 1992).
L'eau de forage est réputée pour contenir
très peu de chlore et d'autres produits chimiques. La concentration en
ions nitrates/nitrites ainsi que la conductivité est normalement plus
élevées dans les eaux de rivière que dans les eaux de
forage. Les eaux de forage peuvent toutefois avoir une concentration en fer et
en ammonium plus élevée (Doussan et al, 1995).
1.2.4. Influence des modes d'incubation sur la
qualité des larves
La qualité des larves peut se définir comme
étant leur aptitude à poursuivre un développement normal
jusqu'au stade juvénile et adulte. Elle dépend de plusieurs
aspects :
? Malformations
En écloserie, on observe souvent de nombreuses
malformations chez les larves tandis qu'en milieu naturel, la pression de
sélection est très importante et ne permet pas aux individus
anormaux de survivre. Plusieurs facteurs environnementaux peuvent induire des
malformations chez les larves (l'hydrodynamique, la température,
l'intensité lumineuse, la salinité et certaines bactéries)
(Cahu et al, 2004). Des cas de malformations chez les larves peuvent être
aussi liés à des carences et déséquilibres
nutritionnelles (Audic, 2006).
Les anomalies physiques sont liées à un
dysfonctionnement au cours du développement du squelette. Cela entraine
une diminution de la croissance et une augmentation de la mortalité.
Parmi ces anomalies, on observe les déformations de la colonne
vertébrale telle que la lordose, la scoliose et le fusionnement des
vertèbres. On peut observer également les anomalies des arcs
branchiaux et les anomalies de la région céphalique notamment la
malformation des mâchoires et du crâne (Cahu et al, 2004).
Cependant, la déformation de la colonne vertébrale peut toutefois
être de nature génétique. D'où la
nécessité de choisir des géniteurs qui ne
présentent pas de malformation eux-mêmes ou qui ne sont pas issus
de famille dont l'incidence de malformation est élevée (Gjerde,
2005; Fjelldal et al, 2009).
Les conditions d'incubation jouent un rôle majeur dans
l'apparition des malformations en écloserie (Boglione et al, 2001). En
effet si le courant est trop élevé au cours de l'incubation, on
peut enregistrer des cas de lordose dus à des exercices de nage
compliqués (Chatain, 1994). Si l'incubation est faite sur des claies
sans substrat, on retrouve facilement des malformations relatives au sac
vitellin (Poon, 1977).
? La taille et la masse
La taille de la larve va dépendre majoritairement de la
température d'incubation. Elle dépend également de la
taille des oeufs (Heinimaa et Heinimaa, 2004). L'utilisation du vitellus par
l'embryon dépend surtout de la température ambiante.
9
Le mode d'incubation influence la taille et la masse de la
larve à l'émergence. Chez certaines espèces de
salmonidés, la croissance est meilleure quand l'incubation est faite
avec substrat que quand elle est faite sans substrat (Poon, 1977; Gainon et
Prouzet, 1982; Krieg et al., 1988). Incubée sur substrat, la larve
dépense moins d'énergie pour la nage et fait donc une meilleure
utilisation de ses réserves vitellines pour la croissance somatique.
Plus le substrat est rugueux, plus la croissance est meilleure (Poon, 1977 ;
Gainon et Prouzet, 1982; Peterson et Martin-Robichaud, 1995). Incubées
sur claie avec astroturf comme substrat, les larves de saumon Atlantique
résorbent plus rapidement et plus efficacement leur vésicule
vitelline en comparaison aux individus incubés sur claie sans astroturf.
Cependant, il a été constaté qu'à partir du
début de la période post émergence, les alevins
dérivés de l'éclosion des oeufs sans astroturf ont eu une
meilleure vitesse de croissance (Hansen et Moller, 2011).
L'incubation en écloserie est une méthode
largement utilisée dans les programmes de repeuplement. Cependant une
fois déversé dans les rivières, le taux de
mortalité des alevins d'élevage est très
élevé. Un moyen éventuel d'augmenter la survie et la
qualité des alevins d'écloserie, serait de s'approprier des
techniques qui se rapprochent de l'incubation en milieu naturel. A cet effet,
Bamberger (2009) a comparé le poids et la longueur des alevins à
l'émergence venant de 5 origines différentes et durant 5 saisons.
Pour cela, il a utilisé un incubateur semi-naturel (Bamberger-box) et
les écloseries traditionnelles. Les alevins incubés dans les
Bamberger-box étaient plus grands en taille et en masse (figure 5 et
6).
Toutefois, malgré l'importance économique du
saumon Atlantique et de son rôle comme indicateur de bonne qualité
des eaux, il n'existe pas encore assez d'informations sur l'influence du mode
d'incubation sur la taille et la masse des larves à l'émergence
et sur leur croissance post-émergence.
Figure 5: Comparaison de la longueur moyenne
des larves à l'émergence incubées dans le Bamberger-box
(colonne bleue) et incubées en écloserie. N: nombre de mesures.
Barres d'erreur: erreur standard (Bamberger, 2009).
10
Figure 6: Comparaison du poids moyen des
larves à l'émergence incubées dans le Bamberger-box
(colonne bleue) et incubées en écloserie. N: nombre de mesures.
Barres d'erreur : erreur standard (Bamberger, 2009).
? Contenu lipidique
Chez tous les téléostéens, les lipides
sont des constituants importants de l'oeuf et constituent une source majeure de
nutriments pour l'embryon et la larve (Wiegand, 1996). Ils constituent pour la
larve fraichement éclose, une réserve énergétique
importante. Cette énergie est nécessaire notamment pour les
exercices de nage et pour limiter le catabolisme oxydatif des protéines
(Gatesoupe et al, 1999).
Les exercices influencent le dépôt lipidique, la
croissance et la maturation avec des effets possibles sur les performances de
reproduction et de fitness dans la nature (Berg et al, 2006). Les saumoneaux
d'écloserie peuvent dès lors, suite à un manque d'exercice
avoir un fitness plus faible dans la nature comparés aux saumoneaux
sauvages (Okland et al, 1993). Ils sont normalement plus riches en lipides que
les saumoneaux sauvages car en écloserie, en plus d'avoir une
alimentation plus riche en lipides, l'environnement est moins agressif et donc
ils dépensent moins d'énergie (Peng et al, 2003; Medale et al,
2003; Bourre et al, 2006). Le contenu lipidique d'un poisson sauvage et sain
est seulement égal à 25% des contenus trouvés chez les
poissons d'écloserie. Les poissons sauvages ont cependant une plus forte
proportion d'acide arachidonique (Ackman et Takeuchi, 1986).
Le contenu lipidique du saumon évolue tout au long de
son cycle de vie. Ce profil connait une première chute au moment de la
première alimentation et une deuxième plus marquée au
cours de la smoltification (figure 7).
Chez la larve fraichement éclose, l'utilisation du
vitellus se fait par hydrolyse et transport des nutriments vers l'embryon
(Fishelson, 1995). Certains facteurs augmentent la consommation des
réserves vitellines et peuvent influencer la rétention des
lipides corporels chez la larve. Dès lors, les conditions d'incubation
peuvent jouer un rôle sur le métabolisme lipidique des larves.
(Wiegand et al. 1991). En effet, toute activité qui augmente l'agitation
et donc l'activité de nage, augmente la consommation des réserves
vitellines. C'est pourquoi chez les salmonidés, l'incubation sans
substrat qui oblige les larves à nager pour maintenir un
équilibre hydrostatique, a
11
pour conséquence une plus faible proportion
d'énergie disponible pour la croissance par rapport à celle
réalisée sur substrat. Sans substrat, la larve utilise beaucoup
de vitellus comme carburant pour se stabiliser et non à des fins de
croissance (Audic, 2005).
Les contenus énergétiques peuvent varier d'une
méthode d'incubation à une autre. Ces contenus sont
peut-être plus élevés si les oeufs sont incubés sur
claie avec substrat que sur claie vide (Srivastrava, 1990). Il se pourrait que
les contenus lipidiques à l'émergence des larves issues d'oeufs
incubés en milieu semi-naturel soient plus élevés que ceux
des individus incubés en écloserie. En effet, pour 2
années combinées, des larves issues d'oeufs incubés en
milieu semi-naturel avec substrat ont eu une teneur en énergie de 10,6
kj.g-1 de matière sèche de plus que celles qui
dérivent d'oeufs incubés en écloserie traditionnelle
(Bamberger, 2009).
Tableau 1: Lipides, tocophérol et
acides gras libres au cours du développement de l'oeuf du saumon
Atlantique (valeur moyenne par unité ontogénétique #177;
erreur standard, n=3). Température moyenne journalière de
9°C (Cowey et al, 1985).
|
OEufs fécondés
|
OEufs oeillés
|
Sacs vitellins
|
Alevins émergents
|
Jours après fécondation
|
0,5
|
20
|
98
|
138
|
Lipides en mg
|
7,02#177;0,07a
|
5,90#177;0,02b
|
5,23#177;0,08c
|
3,50#177;0,03c
|
?-tocopherol en mg
|
3,10#177;0,13a
|
3,15#177;0,06a
|
2,93#177;0,05b
|
2,29#177;0,11c
|
Acides gras libres en mg
|
ND
|
0,65#177;0,024
|
ND
|
0,191#177;0,081
|
Les valeurs dans la même rangée avec
différentes lettres superposées sont significativement
différentes (p <0,05). Lorsqu'aucune lettre n'apparaît, il n'y
a pas de différence significative.
ND: n'a pas été détectée
Lipid (% wet weight basis)
Figure 7: Evolution du taux de lipide corporel
du saumon Atlantique durant son cycle de vie.
Data point: 1-8 représente le double
du nombre de degrés-jours de la fertilisation jusqu'à
l'éclosion tandis que 12-26 représente approximativement le
double de la masse corporelle à chaque point (Elskus et al, 2005).
12
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