1.2.2. Incubation en milieu naturel et en
écloserie
a) Incubation en milieu naturel
Généralement la femelle du saumon pond en
automne dans le gravier et les oeufs éclosent au printemps. Il y a
d'abord le stade entre la fécondation des oeufs et l'éclosion qui
dure environ 430 à 500 degrés-jours. Ensuite il y a le stade
allant de l'éclosion à l'émergence (Crisp, 1996; FAO,
2006) qui dure en général 400 à 430 degrés-jour au
cours de laquelle la larve épuise complètement les
réserves contenues dans sa vésicule vitelline (Porcher et
Baglinière, 2001; FAO, 2006; Sutterby et Greenhalgh, 2015). Durant cette
dernière, la larve reste sous le gravier et continue son
développement. Pour le saumon Atlantique, le temps d'incubation est
tributaire des conditions de température (Heggberget et Wallace, 1984;
Salveit et Brabrand, 2013). Il est rapporté qu'en automne, la
température de l'eau de la Meuse varie de 5 à 10°C
(Philippart, 1989). Ainsi dans les eaux relativement chaudes où la
température peut atteindre les 10°C en moyenne, la durée
d'incubation est de 2 mois environ. Par contre dans les eaux plus froides
où la température moyenne ne dépasse pas 5°C, elle
est de trois 3 mois environ.
b) Incubation en écloserie
En écloserie, les incubations sont
réalisées par des incubateurs artificiels. Les incubateurs
artificiels sont des structures aménagées pour protéger et
entretenir de façon artificielle des oeufs dans un environnement
favorable jusqu'à leur éclosion ou jusqu'au stade de la
première alimentation de la larve. Le succès de l'incubation va
dépendre d'un ensemble de paramètres dont la qualité de
l'eau et celle du substrat. La maitrise de ces paramètres est
essentielle pour obtenir un bon taux d'éclosion et avoir des larves de
bonne qualité. Tout cela est tributaire non seulement de la conception
de l'incubateur mais également du protocole de manipulation (Kirkland,
2012).
Normalement les larves sont élevées avec un
substrat qui a pour rôle de remplacer le gravier naturel et sont
maintenus dans des conditions d'obscurité. L'incubation des oeufs et
l'élevage des alevins se fait dans l'eau dont la température ne
dépasse pas 10°C. À la suite de la résorption du sac
vitellin, les larves nagent vers le haut dans la colonne d'eau, ce qui indique
qu'elles sont prêtes à recevoir la nourriture exogène.
En écloserie plusieurs modèles d'incubateurs
sont utilisés dont celui en tiroir et les auges d'alevinage (Gueguen et
Prouzet, 1994). L'incubateur en tiroir est un système dans lequel
plusieurs plateaux sont disposés les uns au-dessus des autres. L'eau
rentre par le dessus, circule à travers les oeufs, se dirige vers la
sortie et recommence ensuite avec le plateau inférieur. Les composantes
inferieures sont normalement en plastique pour éviter la contamination
chimique (Vibert, 1959). La claie avec un substrat comme support peut
être utilisé pour incuber les oeufs également. La claie
étant une sorte de grillage qui est généralement en
inox.
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l'eau dans le milieu. L'énergie disponible
dépendra alors de la taille de l'oeuf et elle doit permettre à la
larve de subvenir à la totalité de ses besoins de
développement et de nage, jusqu'à ce qu'elle puisse
ingérer l'aliment exogène. Si la nage est constante et
forcée, elle se fera au dépend de la croissance (Gueguen et
Prouzet, 1994).
Les conditions d'incubations sont extrêmement
importantes pour le fitness des larves. Elles ont une influence sur la longueur
et sur le poids à l'émergence de ces dernières. Des
substrats d'incubation adéquats permettent d'avoir une meilleure
utilisation des réserves du sac vitellin pour la croissance en lieu et
place de leur utilisation pour d'autres fonctions (Hansen et al, 1984).
Quel que soit le type d'incubateur utilisé, la
qualité des oeufs ainsi que celle du substrat sont extrêmement
importantes pour la réussite de l'élevage. Parmi les autres
paramètres importants à prendre en compte, nous insisterons sur
la température et les conditions hydrauliques.
? Substrat d'incubation et particules
fines
En écloserie, plusieurs types de matériaux
peuvent être employés comme substrat d'incubation. Les plus
fréquemment utilisés sont l'astroturf (figure 3) et la moquette
industrielle. Cependant n'importe quel type de substrat pouvant permettre
à la larve de se maintenir sans nager peut convenir (Gueguen et Prouzet,
1994).
En milieu naturel, les particules fines jouent un rôle
important dans le substrat. Ceci a été mis en évidence par
Lapointe et al (2004). En effet, ces auteurs ont testé la
sensibilité des oeufs incubés aux variations de limon
(diamètre inférieure à 0,63mm) en interaction avec le
sable (0,63<diamètre< 2mm) dans les graviers d'incubation et avec
différentes forces de gradient hydraulique. Ils ont constaté
qu'à partir de 0,5% de limon, le taux de survie des larves à
l'émergence diminuait fortement. De plus, si la charge des limons dans
le substrat atteint le seuil de 1,5%, il n'est plus possible d'atténuer
leur effet en augmentant la force du gradient hydraulique.
En conclusion, si le pourcentage d'éléments fins
dans les substrats notamment dans les graviers n'est pas très faible, il
y a une forte chance de compromission du développement des oeufs et des
larves, particulièrement dans les zones de frai (Gueguen et Prouzet,
1994; Lapointe et al, 2004; Julien et Bergeron, 2006; Dumas et al, 2007). En
effet, les sédiments fins qui pénètrent dans le substrat
réduisent la circulation de l'eau interstitielle et les apports en
oxygène en provenance de l'eau de surface (Dumas et al, 2007). Le
diamètre du substrat est donc probablement le paramètre le plus
important de l'éclosion à l'émergence (Bardonnet et
Baglinière, 2000).
En plus de la taille, l'origine de l'élément fin
du substrat joue également un rôle important dans l'incubation. En
simulant l'environnement d'incubation pour le saumon Atlantique en mettant
plusieurs quantités de sédiments fins provenant de 4 sources
différentes : couche de terre arable, berges des cours d'eau
érodés et des sédiments issus des traitements des eaux
usées, Sear et al (2016) ont pu montrer que la masse et la source de
sédiment sont indépendantes pour déterminer la
mortalité et l'aptitude des larves. L'origine du sédiment a un
impact supplémentaire qui est surtout
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contrôlé par la teneur de matière
organique en suspension. La composition et la structure du gravier influence
donc la survie de 2 façons différentes : elle agit sur la
perméabilité par conséquent sur le taux d'apport en
oxygène mais elle agit également sur le déplacement des
métabolites toxiques dont l'ion ammonium (NH4 +) et l'ammoniaque (NH3 +)
et dans un degré moindre les nitrites; ensuite elle influence la
capacité de l'alevin à émerger (Crisp, 1996).
Figure 3: Tapis astroturf utilisé comme
substrat d'incubation (webographie 2)
? Qualité des oeufs
La qualité des oeufs dépend de leur origine et
est définie par leur taux de fécondation, leur taux
d'éclosion et leur composition (Czesny et al, 2005). Les larves issues
des oeufs de grandes tailles ont un meilleur taux de survie et un meilleur
fitness comparées aux individus issus des oeufs de petites tailles
(Einum et Fleming, 1999-2000). Ces oeufs contiennent plus d'énergie et
ont une meilleure réserve de nutriments durant la première phase
de développement. Le sac vitellin étant la seule source de
nutriments et d'énergie pour l'embryon (Lubzens et al, 2010).
? Température
La température d'incubation de l'oeuf est importante
pour la survie et pour la croissance musculaire du poisson à long terme
(Crisp, 1996). Une température faible diminue les proportions de
vitellus utilisés pour l'élaboration des tissus et pour le
métabolisme (Gibson, 1993; Crisp, 1996). Des oeufs incubés
à 10°C donnent des larves avec une meilleure vitesse de croissance
musculaire que des oeufs incubés à 5°C jusqu'à 21
semaines (figure 4) (Albokhadaim et al, 2007; Macqueen et al, 2008). Des oeufs
de saumon Atlantique soumis immédiatement après
fécondation à des températures constantes
inférieures à 4°C ont eu un taux de mortalité de plus
de 20% tandis qu'à des températures constantes de plus de
4°C, on a enregistré un taux de mortalité de 5% ou moins
(Peterson et Sprinney, 1977; Gibson, 1993). Un abaissement soudain de
température au stade oeuf embryonné et à l'éclosion
provoque un grave oedème du sac vitellin de la larve, entrainant un
ralentissement de la croissance et une augmentation de la mortalité
(Peterson et Sprinney, 1977).
? Effet des conditions hydrauliques
De fortes crues entrainent un déplacement des oeufs et
des larves. Chez certaines populations de saumon, les crues constituent une
cause majeure de mortalité (Crisp, 1996; Dumas et al, 2007). L'effet du
déterrement des oeufs est mortel si ces derniers heurtent un objet avant
le stade oeillé (Bardonnet et Bagliniere, 2000). Si le niveau de l'eau
tombe sous le niveau d'enfouissement des
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oeufs, la mortalité par le gel ou par l'exondation
devient possible (Crisp, 1996). La qualité de l'eau joue
également un rôle important dans la qualité des larves
qu'il convient de bien contrôler. La maitrise de ces différents
facteurs est donc très importante dans l'objectif d'avoir des alevins de
très bonne qualité.
Figure 4: Effet de la température
d'incubation sur le poids corporel (A) et la longueur de l'alevin (B) du saumon
Atlantique 6 et 21 semaines après première alimentation. ***:
différence significative avec p<0,001 et N=20 (Albokhadaim et al,
2007).
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