IV. DISCUSSION
4.1. Influence du mode d'incubation sur le fitness des
alevins
4.1.1. Dynamique d'émergence et survie
Entre les rivières, il y a eu une dynamique
d'émergence assez similaire. Toutefois, dans certains incubateurs, la
plupart des larves ont émergé dès le 7 avril tandis que
pour d'autres beaucoup y étaient encore 13 jours après. Ce
décalage semble surtout lié à la différence entre
individus et non aux conditions du milieu car les profils d'émergence
étaient similaires entre rivières et radiers.
Le taux de survie à l'émergence dans les
rivières pourrait être considéré comme satisfaisant
si l'on se réfère à certaines études
antérieures rapportant des taux de survie de 2 à 35 %
généralement observés dans certaines rivières
européennes de la Suisse, de la Suède et particulièrement
la rivière Bush en Irlande du nord (Bley et Moring, 1988; Pauwels et
Haines, 1994; Rubin, 1995; O'Connor et Andrew, 1998). Les résultats de
la littérature varient fortement d'une rivière à une autre
car, des taux de 80% ou plus ont été observés pour des
fraies naturelles dans les frayères de bonne qualité par Cuinat
(1971).
Notre densité d'incubation dans les rivières
était d'un oeuf/cm2 dans les incubateurs. Cette
densité est plus élevée comparée au
0,70/cm2 proposé par Pepper (1984) dans les substrats
artificiels et un peu plus faible que 1,5/cm2 utilisé par
Bamberger (2009) dans des incubateurs semi-naturels. En effet, si la
densité d'incubation est trop élevée, il peut y avoir une
agglomération de larves vésiculées qui par la suite peut
engendrer une forte mortalité (Muray et Beacham, 1986).
La taille moyenne des graviers utilisés dans notre
substrat (35#177;16 mm) correspond parfaitement à la taille optimale
comprise entre 16 et 64 mm (Crips, 1996). Si la taille du gravier est faible
voire inférieure à 6 mm de diamètre, le taux de survie
peut être faible (entre 0 et 20%) (Crisp 1996; Bardonnet et
Baglinière, 2000; Amstrong et al, 2003; Louhi et al, 2008).
Les profondeurs à utiliser pour l'incubation des oeufs
en milieu naturel doivent être comprises entre 20 et 50 cm (Bardonnet et
Baglinière, 2000; Amstrong et al, 2003). Dans le cas de notre
étude, on était parfois en dessous de 20cm quand il n'y a pas eu
de pluies et que le niveau de l'eau continuait de baisser au cours de
l'expérience. Parfois on était au-delà de 50cm durant les
périodes de crues. Ceci pourrait expliquer même partiellement
notre taux de survie relativement faible.
La vitesse du courant mesurée dans les rivières
était globalement toujours très proches des vitesses optimales de
35 à 65 cm.s-1 rapportées par certains auteurs
(Bardonnet et Baglinière, 2000; Amstrong et al, 2003 ; Louhi et al,
2008). Les températures et les concentrations en oxygène dissous
enregistrées sont respectivement conformes aux 5 à 8°C
(Jobling et al, 1992;Jungwirth; Winkler, 1984) et au plus de 5
mg.l-1 (Mac Crimon et Gots, 1986) recommandées.
Autres paramètres importants qui pourraient expliquer
notre taux de survie est la turbidité via l'effet des particules fines.
En effet, au cours de l'expérience il y a eu des crues dont une plus
importante le jour de la mise en place des incubateurs. Or on sait que les
particules fines infiltrent le substrat lors des crues (Dumas et Darolles,
1999). Les particules fines ont comme conséquence la réduction de
l'apport d'oxygène et du même coup, peuvent provoquer une forte
mortalité (Greig et al, 2005). Des oeufs morts ont été
trouvés dans les incubateurs, ce qui peut bien prouver que la
26
mortalité a lieu avant éclosion. La
conductivité élevée observée dans la rivière
Samson comparativement à l'Aine est probablement due à la
différence de longueur entre les 2 rivières (40 km pour l'Aisne
et 22 km pour le Samson). Cependant, cette différance de
conductivité ne semble influencée ni la taille, ni le poids ni
même la survie des larves à l'émergence. Vallée
(2004) a déjà souligné que ce paramètre en
deçà de 750?S/cm, n'était pas contraignant pour
la vie piscicole. De plus, cette conductivité élevée du
Samson semble être compensée par une meilleure vitesse du courant
(0,58 m/s pour l'Aisne et 0,68 m/s pour le Samson).
Le taux de survie à l'émergence de plus de 97%
dans l'écloserie pour les conditions claies et tiroirs est très
satisfaisant. Ce paramètre est généralement toujours
très élevé en écloserie pour des oeufs
oeillés, comme le rapporte la FAO (2005) pour la truite (95%). Etant
donné que les valeurs de survie ont été très
proches entre toutes les modalités d'incubation comparées dans
cette étude, le substrat d'incubation et la qualité de l'eau de
la rivière Aisne n'ont pas eu une grande influence sur la
capacité de survie. Dumas et al (2007) a trouvé des
résultats similaires dans le bassin de la Nivelle. Ces auteurs ont
trouvé une survie à l'émergence de 30% et 89%
respectivement en milieu naturel et sur un lot témoin en
écloserie.
Le faible taux de survie généralement
observé en rivière est dû principalement au colmatage des
interstices via les particules fines, qui réduisent les apports
d'oxygène et l'évacuation des déchets métaboliques
(Burkhalter et Kaya, 1977;Chapman 1988; Crips, 1993 ; Guerin et Dumas 2001).
Massa (2000) a déjà souligné la forte probabilité
des eaux de rivières d'être soumises à l'effet des
nitrites. En écloserie, l'absence de ce phénomène de
colmatage rend très perméable le substrat d'incubation. Baril
(1999) a déjà mentionné l'importance de la
perméabilité du substrat d'incubation pour la bonne circulation
de l'eau et donc l'apport de l'oxygène vers les oeufs. Toujours selon
cet auteur, cette perméabilité favorise l'élimination des
déchets toxiques. De plus, l'incubateur utilisé en rivière
n'était peut-être pas le plus approprié pour éviter
le colmatage du substrat et donc favoriser une survie plus importante. Une
expérience similaire menée dans les rivières Carmel et
Fowey avec un autre modèle d'incubateur en forme de boîte (de 31,2
litres, profondeur de 23 cm) a donné 93% de survie à
l'émergence (Bamberger, 2009). Les boites d'incubation contrairement aux
tubes, augmenteraient la perméabilité du substrat. Contrairement
au taux de survie à l'émergence en écloserie où
aucune différence significative n'a pu être mise en
évidence, la survie des alevins post-émergents
élevés en bassins était meilleure chez alevins issus des
conditions tiroir alimenté avec eau de forage et la plus faible chez
ceux issus des conditions claie sans substrat. Ces résultats corroborent
certaines études (Einum et al., 2002) qui ont déjà
montré l'impact de l'incubation sur la survie post-émergence des
alevins de saumon Atlantique Ceci est une confirmation de l'importance de la
qualité de l'eau et du substrat pour l'incubation des oeufs de saumon
Atlantique.
4.1.2. Poids et longueur des larves
A l'émergence, nos résultats confirment
clairement l'importance de la qualité de l'eau d'incubation sur la
taille des larves. En effet, incubées dans les mêmes conditions,
les larves venant des tiroirs alimentés avec l'eau de forage sont
significativement de poids plus important que ceux venant des
27
tiroirs alimentés avec l'eau de rivière. L'eau
de forage étant une eau relativement pure est par conséquent de
meilleur qualité que l'eau de rivière (Sontheiner, 1980; Bourg,
1992 ; Guergazi et al, 2005). Ensuite on voit l'importance du substrat dans
l'incubation. En effet, les larves venant des claies sans substrat ont
montré des poids plus faibles comparées à toutes les
autres conditions. Par contre, celles qui sont dérivées des oeufs
incubés sur claie avec galets, ont eu le même poids moyens
statistiquement à l'émergence que ceux incubés en milieu
naturel.
Pour la longueur à l'émergence, le constat reste
le même. Nos résultats sont en accord avec d'autres études
qui ont mis en évidence l'importance du substrat sur le poids et la
longueur des larves des salmonidés à l'émergence (Poon,
1977;Gainon et pouzet, 1982; Krieg et al.1988; Bamberger, 2009). Le substrat
permet à la larve de faire une meilleure utilisation de ses
réserves vitellines pour la croissance somatique (Hansen et al., 1990;
Peterson et Martin-Robichaud, 1995; Weil et al, 2001). Il a été
démontré que le substrat réduisait le stress entre
l'éclosion et l'émergence. Le stress a pour conséquence
une réallocation de l'énergie qui n'est donc plus disponible pour
la croissance (Mc Cornick et al, 1998).
Après l'émergence, certaines études
antérieures ont montré que les alevins de poids
élevé auraient une meilleure vitesse de croissance (Einum et al,
2002) due principalement à une meilleure efficacité dans la prise
alimentaire (Nislow et al, 2000). Ils auraient également une meilleure
capacité de nage (Ottaway et Forrest, 1983; Armstrong, 1997; Heggenes et
Traaen, 1998) en rapport avec une meilleure réserve
énergétique (Berg et al, 2001). Les résultats
trouvés dans notre étude concernant la vitesse de croissance
spécifique ou le gain de poids relatif après 19 jours de
nourrissage post-émergence ne confirment pas cet avantage car, aucune
différence significative n'a pu être mise en évidence entre
les groupes d'alevins issus des différents modes d'incubation. Nos
résultats corroborent ceux de Czerniawski et al (2010) pour des alevins
de saumons nourris avec un aliment mixte (artémia et un aliment
commercial) durant 2 semaines. Ils sont également très proches
des résultats trouvés chez la truite arc-en-ciel
(Oncorhynchusmykiss) par Bargherie et al (2008). La vitesse de
croissance quasi identique pourrait s'expliquer par l'hypothèse que les
alevins les plus vulnérables dans chaque lot ont été
éliminés par une mortalité élevée suite au
transfert de la station d'Erezée aux installations RAS de l'URBE
à Namur. Il pourrait s'en suivre qu'il n'ait eu aucune différence
dans la prise alimentaire et dans sa transformation en biomasse. Malgré
cette réserve méthodologique, nos résultats peuvent
vouloir dire qu'il n'y a eu aucune croissance compensatoire chez les alevins
qui ont été moins grands à l'émergence. Ce qui
laisse croire, qu'à toutes autres conditions égales, les alevins
les moins grands à l'émergence le resteront toujours dans le
temps. Or, les poissons les plus grands sont ceux qui ont plus de chance de
survivre dans la nature face à la compétition et à la
prédation (Cuinat, 1971).Toutefois, nous n'avons aucune garantie
qu'au-delà de nos 19 jours d'expérimentation, que la tendance
serait restée la même. Car jusqu'à 6 semaines
d'alimentation, Hansend et Torrissen (1984) n'ont détecté aucune
différence significative pour le SGR entre les alevins de saumons
incubés avec substrat et des individus incubés sans substrat.
Tandis qu'après cette période, ils ont pu mettre en
évidence le niveau significativement plus élevé de ce
paramètre, chez les alevins incubés sur substrat
comparés
28
aux individus incubés sans substrat. Cette
différence augmentait de jours en jours jusqu'au
198èmejour.
Concernant les coefficients de variation du poids en
début d'expérience, les valeurs observées dans cette
étude sont quasi similaires à celles trouvées en fin
d'expérience sauf pour la condition claie avec galets, dans laquelle ce
paramètre paraît légèrement augmenter, mais pas
assez pour que cette différence soit significative. Ce paramètre
permet d'apprécier la rusticité des poissons (Durvile et al,
2003). La rusticité étant ici la capacité des alevins
à supporter les conditions d'élevage, à survivre et
à croitre (Barnabé, 1991). A la fin de notre expérience,
le rapport CVf/CVi pour les conditions d'incubation était compris entre
1 et 1,3. Cela laisse croire que nos alevins on eu du mal à s'adapter
aux conditions de notre élevage. Toutefois, même si la
différence pour ce paramètre entre les conditions d'incubation
n'est pas significative, on peut tenter de voir le rôle de la
qualité de l'eau d'incubation sur le fitness des alevins. En effet, les
alevins de la condition tiroir alimenté avec l'eau de forage paraissent
quand même les mieux adaptés aux conditions de notre
expérimentation (CVf/CVi = 1) comparativement à la condition
tiroir alimenté avec l'eau de rivière où ce
paramètre parait le plus élevé (CVf/CVi = 1,3)
|