Inaugurée en mai 2016, la Cité du Vin se
positionne comme « un équipement culturel unique au monde,
où s'exprime l'âme du vin, à travers une approche immersive
et sensorielle au coeur d'une architecture évocatrice. La Cité du
Vin donne à voir le vin autrement, à travers le monde, à
travers les âges, dans toutes les cultures et toutes les civilisations.
Lieu de vie, lieu de sortie, lieu de découverte, La Cité du Vin
[nous] invite au voyage dans un monde de cultures. »14
Lorsque l'on accède au parcours permanent de la
cité du vin, nous sommes immédiatement dotés de tout un
attirail électronique dont le rôle est d'être notre «
compagnon de voyage ». Nous voici donc affublé d'un casque audio et
d'une sorte de smartphone faisant office de guide. Ce guide numérique
possède différentes fonctions. Il nous permet tout d'abord de
personnaliser notre visite des lieux en sélectionnant les ateliers nous
intéressant le plus. Sa seconde fonction, qui s'avère être
la principale est d'activer les vidéos, enregistrements vocaux et autres
ateliers qui garnissent l'exposition. C'est cet outil qui est au coeur de la
visite et au coeur des interactions du public. Sans ce compagnon de voyage une
visite à visée culturelle ne possède pas de grand
intérêt. C'est en effet l'outil qui donne à penser à
l'Homme qu'il s'approprie l'espace. L'homme « a la main sur l'outil
», cependant, c'est l'outil qui lui permet d'obtenir l'enrichissement
culturel dont il est en quête. Nous sommes tributaires de cet outil
numérique, outil qui nous oblige à prendre des postures
particulières tout au long de notre trajectoire. Il faut se pencher,
rester immobile, tendre l'oreille,
14 Site web de la cité du vin,
http://www.laciteduvin.com)
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attendre patiemment que l'information nous soit
délivrée. Cette propension que possède ce compagnon de
voyage à nous indiquer ce qu'il faut faire constitue en
réalité une contrainte si l'on s'appuie sur la définition
suivante : « une obligation créée par les règles en
usage dans un milieu » (Le Petit Larousse 2002). Cette contrainte
imposée par l'outil plonge à la fois l'Homme dans un état
actif, puisqu'il l'oblige à jouer de son corps afin d'accéder
à la culture, et à la fois dans un état passif car il n'a
pas le choix du mode de réception de l'information. C'est l'outil qui
décide à sa place. Le visiteur peut penser qu'il est acteur de la
visite puisqu'il possède l'outil au creux de ses mains, cependant des
trajectoires virtuelles et réelles sont tracées afin de le
guider. Ce qui constitue les trajectoires réelles ne sont autres que les
couloirs, les escaliers et toutes les voies de circulations ouvertes au public.
Quant aux trajectoires virtuelles, il s'agit de celles dont chaque étape
est dirigée par ce compagnon de voyage. Par exemple, lorsque vous vous
approcher d'un atelier, il vous faudra obéir aux ordres de la machine
afin de capter toutes les informations nécessaire à votre
enrichissement culturel : « scannez le signe apposé sur x support
à l'aide du radar infrarouge de votre compagnon, augmentez le son de
votre compagnon de voyage, restez immobile jusqu'à ce que l'ensemble de
l'information vous soit délivrée. » On peut aisément
comparer cette relation que possède les individus avec les outils du
numérique dans le cadre d'une visite culturelle aux travaux de Michel
Foucault qui ont mis en évidence « les mécanismes permettant
aux dispositifs de contrôle (dans les entreprises) de contraindre les
individus. »15. Dans cette même dynamique, il est dit que
le lien existant entre savoir et pouvoir joue un rôle majeur. En effet,
même si ces compagnons de voyage ne sont pas « vendus » comme
étant destiné au contrôle des visiteurs de la cité
du vin, leur fonction demeure semblable. Si l'on veut accéder au savoir,
il faut se soumettre au pouvoir d'instruction possédé par la
machine.
5.2 Une autre appropriation de
l'espace...
Il faut savoir avant toute chose que « l'espace n'est
pas le milieu (réel ou logique) dans lequel se disposent les choses,
mais le moyen par lequel la position des choses devient possible.
C'est-à-dire qu'au lieu de l'imaginer comme une sorte d'éther
dans lequel baignent toutes les choses ou de le concevoir abstraitement comme
un caractère qui leur soit commun, nous devons le penser comme la
puissance universelle de leurs connexions»16. Comment
pourrions-nous alors définir la fonction de l'espace à
l'ère d'aujourd'hui lorsque la priorité est donnée
à l'individualisme, de quelle manière s'opèrent les
connexions dont il est fait mention ci-contre ? En effet, la prégnance
du numérique dans l'espace public mais aussi dans les lieux
dédiés à la culture, comme dans la Cité du Vin,
dissipe notre relation à l'autre et au monde réel du fait que
nous nous situons l'un et l'autre
15 Contraindre et habiliter, la double dimension des
outils de contrôle
16 Chapitre II- L'espace dans «
Phénoménologie de la perception », Merleau-Ponty
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dans nos sphères virtuelles. Lorsque l'on visite la
Cité du Vin par exemple, il n'y a pas vraiment de place pour le
collectif, quand bien même le mobilier nous y inviterait, puisque l'outil
numérique auxquels nous sommes reliés par l'ouïe et le
toucher principalement, nous empêche de créer ce lien avec le
réel. Ce constat s'applique également dans les rues, lorsque nous
choisissons de nous fier à notre smartphone afin de trouver notre
chemin, afin de nous laisser dicter notre trajectoire. L'espace public est
démultiplié autant de fois qu'il existe de corps le traversant.
Corps qui au quotidien transportent ces outils numériques faisant office
d' « interstice par où tout ce qui nous échappe, nous
déborde, s'engouffre et se dépose à la surface du
réel. [Alors,] la puissance du quotidien ou du réel se
dérobe aux formes, déroge aux règles par son
étrangeté et son insignifiance, il en devient informe ou presque,
aux dire de Maurice Blanchot. »17 L'espace public se traverse,
se respire, mais on ne le contemple plus de la même manière car on
ne le contemple plus pour les mêmes raisons.