Quelle place occupe le jeu vidéo indépendant dans l'univers vidéo-ludique?( Télécharger le fichier original )par Mickaël FAURE Université Nice Sophia Antipolis - Master 2 Dispositifs Socio Technique d'Information et de Communication 2014 |
IV. Evolution des industries culturelles1) Standardisation des produits Il est important de souligner que les biens culturels relèvent de modes de mise en marché différentes de celles des biens de consommation classique. Ainsi, nous l'avons dit, les industries culturelles ont besoin d'une valorisation à grande échelle pour subvenir à leurs besoins économiques. C'est dans cette tension que réside le paradoxe des industries culturelles. En effet, une rationalisation trop systématique permettant de réduire les risques d'échec d'un produit, tend cependant à gommer toute originalité et donc toute prise de risque créatif conduisant à une banalisation des produits culturels. Ce phénomène est d'autant plus compliqué à gérer dans la mesure où les industriels ont tendance à dissocier la composante créative et artistique des produits culturels, de la composante économique. Pourtant, plusieurs études ont démontré que la création est un phénomène collectif et que les produits culturels ne se réduisent pas à la créativité d'un artiste, rendant ainsi l'acte créatif une conjugaison d'interactions dans une chaîne de valeur globale. Par ailleurs, les intermédiaires faisant le lien entre les créateurs et le marché tiennent un rôle déterminant. En effet, les producteurs de cinéma, les directeurs 27 artistiques ou bien les éditeurs littéraires, doivent se baser sur leur perception des consommateurs afin d'assurer la sélection des différents projets, puis accompagner leurs créateurs durant l'élaboration de l'oeuvre. De plus, les produits culturels étant des biens d'expérience, c'est-à-dire des biens dont la qualité n'est identifiable qu'une fois le produit consommé, l'éditeur, au sens générique du terme endosse un rôle de certificateur potentiel de qualité. Par la constance de ses choix, il peut offrir au consommateur un niveau ainsi qu'un type de qualité attendue60. 2) Les industries basées sur la technologie Une autre caractéristique essentielle des industries culturelles est la notion de production et de reproduction, qui est, elle, fortement soumise à l'influence des technologies61. Ces industries ont recours à la technologie afin de reproduire oeuvres et créations singulières, que ce soit une reproduction physique comme les livres, CD, DVD, une reproduction par la multiplicité des sources de projection comme le cinéma, une reproduction par la transmission généralisée comme pour les émissions radiophoniques ou télévisée, ou bien encore une reproduction par l'accès permanent par le biais d'internet. L'économie des industries culturelles repose sur cette massification de la diffusion, d'autant plus, que cette capacité de reproduction créé un effet de bénéfice croissant. Le plus gros de l'investissement se fait lors de la création de l'oeuvre, les coûts de reproduction et de diffusion sont, quant à eux, insignifiants. Une fois un film tourné, les coûts liés à la diffusion en salle ou encore à l'allongement de la durée de présence du film à l'affiche sont modestes. Les industries culturelles, par cet aspect, s'inscrivent dans une économie particulière, nommée économie d'échelle. Ce type d'économie fonctionne sur une baisse du coût unitaire d'un produit qu'obtient une entreprise en augmentant la quantité de sa production. Ainsi, on parlera d'économie d'échelle lorsque le coût de production 60 Pierre-Jean Benghozi « Mutations et articulations contemporaines des industries culturelles » Création et diversité au miroir des industries culturelles, Paris, La Documentation Française, 2006, p 4, consultable en ligne, URL : https://halshs.archives-ouvertes.fr/hal-00263104/document 61 Pierre-Jean Benghozi « Mutations et articulations contemporaines des industries culturelles » Création et diversité au miroir des industries culturelles, Paris, La Documentation Française, 2006, p 5-6, consultable en ligne, URL : https://halshs.archives-ouvertes.fr/hal-00263104/document 28 diminuera à chaque production ou reproduction de bien62. Cependant, ce système économique possède un écueil non négligeable, la saturation du marché. Nous l'avons dit, les industries cultuelles sont fortement liées aux avancées technologiques. Leur histoire est émaillée d'adaptation diverses à ces évolutions technologiques, nous pouvons notamment prendre l'exemple de l'industrie phonographique. Tout d'abord basée sur le support des 78t, elle a évolué avec l'apparition des microsillons, puis des cassettes enregistrées pour parvenir, plus récemment à la technologie du CD63. Ces évolutions ont permis de relancer périodiquement les ventes en poussant les consommateurs à renouveler leurs discothèques. Cet exemple n'est pas isolé, il en va de même pour l'industrie du livre ou encore du cinéma qui ont su s'adapter au fil des années aux différentes évolutions technologiques afin de susciter l'engouement pour leurs produits. Cette importance de la technologie pour les industries de la culture donne un véritable pouvoir aux firmes qui contrôlent les technologies et donc, par extension, les modes de circulation des produits. Celles-ci ont acquis une telle importance qu'ils sont désormais à même de peser directement sur l'orientation et le développement des industries culturelles. De plus, cette obligation de prendre en compte les nouvelles techniques et technologies engendrent de profondes transformations. Ces dernières années, elles ont été confrontées à l'avènement du numérique qui a bousculé leur fonctionnement. En effet, numérisation des contenus culturels et informationnels, nouveaux modes de consommations et même de production de contenus, ont été les résultantes du numérique. Pour les acteurs des industries culturelles, (studios de cinéma, majors du disque, chaînes de télévision etc...) il a fallu se remettre en question et abandonner des fonctionnements déjà mis en place depuis de nombreuses années64. 62 Wikipédia, « Economie d'échelle », Url : http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89conomie d%27%C3%A9chelle, consulté le 03/02/15 63 Pierre-Jean Benghozi « Mutations et articulations contemporaines des industries culturelles » Création et diversité au miroir des industries culturelles, Paris, La Documentation Française, 2006, p 6, consultable en ligne, URL : https://halshs.archives-ouvertes.fr/hal-00263104/document 64 Lucien Perticoz, « Les industries culturelles en mutation : des modèles en question », Revue française des sciences de l'information et de la communication, publié le 06 juillet 2012, http://rfsic.revues.org/112 , consulté le 27/01/2015 29 3) Les réseaux de distribution Une autre caractéristique importante des industries culturelles sont les réseaux de distribution. En effet, ces réseaux pèsent lourd dans l'économie de ces industries puisqu'ils captent la moitié voire parfois les deux tiers du prix payé par le consommateur et ce, quel que soit le secteur concerné. Plusieurs raisons expliquent cette importance de la distribution. Tout d'abord, la nécessité d'assurer la distribution physique des oeuvres, et donc l'utilisation de transports, la mise à disposition des supports et la gestion des infrastructures de diffusion. La seconde raison tient à la massification des produits, à leur grande variété ainsi qu'à la multiplicité des points de vente. Par exemple pour le secteur du livre, plus de 200 000 titres sont disponibles, édités par plus de 4000 éditeurs différents et à partager et distribuer dans 26 000 points de ventes65. Comme nous l'avons dit plus avant, le modèle économique au service des industries culturelles possède une tendance à la surproduction. Et en effet, si nous nous penchons sur l'industrie de la télévision qui tend à allonger la durée de ses programmes et à démultiplier le nombre de ses chaines (avec des offres qui proposent près de 700 chaines télévisées), ce constat se confirme. Ainsi, le secteur du disque ou encore du livre montrent un nombre de produits commercialisés en forte augmentation. Cependant, bien souvent cette production toujours plus importante ne s'accompagne pas d'une évolution de la consommation culturelle. En effet, cet excès semble plutôt correspondre à la banalisation d'une économie casino. Les producteurs s'appuient sur des spéculations en commercialisant de nombreux produits culturels dans l'espoir que l'un d'entre eux rencontrera un succès important, et ce, au risque d'abandonner d'autant plus rapidement les produits ne trouvant pas immédiatement leur public. Ainsi, l'économie se base sur une forme de « star system » dans laquelle il y a une multiplication de l'offre mais également une concentration croissante des recettes66. 65 Pierre-Jean Benghozi « Mutations et articulations contemporaines des industries culturelles » Création et diversité au miroir des industries culturelles, Paris, La Documentation Française, 2006, p 8, consultable en ligne, URL : https://halshs.archives-ouvertes.fr/hal-00263104/document 66 Pierre-Jean Benghozi « Mutations et articulations contemporaines des industries culturelles » Création et diversité au miroir des industries culturelles, Paris, La Documentation Française, 2006, p 10, consultable en ligne, URL : https://halshs.archives-ouvertes.fr/hal-00263104/document 30 Cette concentration qui a lieu au sein des industries culturelles dans le but de capter l'audience, contrôler le marché et stabiliser les recettes, pose des barrières importantes pour les concurrents potentiels. L'uniformisation des contenus vient donc d'un marché qui fonctionne sur deux plans, les produits fortement marketés, et les produits à diffusion restreinte qui sont éclipsés par ces derniers. Ce fonctionnement pose la question du pluralisme des formes d'expressions artistiques et culturelles accessibles. La logique du « star system » possède deux effets économiques qu'il est important de détailler. Le premier est un effet de cercle vicieux dans la proportionnalité des coûts. Plus l'écart se creuse entre produits « stars » et échecs commerciaux ou recettes moyennes, plus les acteurs de la filière cherchent à investir dans le financement de chaque produit (que ce soit pour la production, la promotion ou la distribution) afin de tenter de se distinguer. Le second est dû au fonctionnement qui pousse à valoriser au maximum les droits dérivés. Deux produits sont alors à distinguer, celui pour lequel diffuseurs et consommateurs sont prêts à payer, et les oeuvres qui ne trouvent pas leur public et qui sont donc parfois obligées d'accepter une diffusion gratuite dans l'espoir d'acquérir un minimum de visibilité. C'est le cas, par exemple, des musiciens proposant leurs morceaux en téléchargement gratuit. 4) Segmentation des marchés Il est important de rappeler que chaque secteur des industries culturelles est bien différent, et ce, malgré la tendance des professionnels à généraliser les situations et les solutions sans prendre en compte les spécificités des différents marchés. Cependant, certaines pratiques sont adaptées au secteur, en atteste les principes du droit d'auteur. Les différents marchés possèdent une segmentation bien différente. Ainsi, la musique contrairement au cinéma fonctionne en oligopole segmentée entre l'Europe, le Japon et les Etats Unis. S'il existe une variété « internationale » répandue dans la 31 majorité des segments du marché, il est intéressant de noter que les marchés locaux offrent une bonne résistance avec en France 60% des ventes qui relèvent de la musique d'expression française. Chaque secteur de la culture se segmente en plusieurs sous marchés. Les raisons de cette structuration tiennent essentiellement à l'existence de plusieurs canaux de diffusion différents au sein du même secteur (DVD, films télévisés etc...), mais également au positionnement différencié des acteurs économiques de ces canaux. Ainsi, nous pouvons prendre l'exemple du secteur cinématographique dans lequel un film peut être valorisé dans les salles, sur les chaines télévisées, et dans la distribution de DVD67. Ce secteur se segmente en trois grands marchés différents dû à cette coexistence des canaux de diffusion. Cependant, il est intéressant de noter que cette coexistence n'est possible que parce qu'ils fonctionnent sur des modèles complémentaires permettant d'établir un équilibre entre eux. En effet, un film à gros budget passera d'abord par les salles de cinéma, puis suite à son retrait des affiches, il sera diffusé sur les chaines télévisées spécialisées, ensuite il sortira en version physique (DVD, Blu-Ray), pour finir par être diffusé sur les chaines hertziennes. Nous pouvons voir que chacun de ces marchés, positionnés de manière spécifique, s'appuient les uns sur les autres tout en évitant de créer des conflits d'intérêt. Le second facteur de cette structuration en forme de sous marché vient de la différence de caractéristiques entre les produits issus du même secteur. Par exemple pour le secteur du livre il existe plusieurs marchés qui donnent naissance à des produits considérés comme des livres mais qui sont pourtant très différent. La littérature générale, la BD, les livres jeunesse, les livres scolaires et les ouvrages scientifique sont tous considérés comme des livres, mais ils possèdent de nombreuses différences liées à leur format, à leur modèle d'affaire, à leur structure, à leur coût de production, à leur fréquence de production à leur tirage etc... 67 Pierre-Jean Benghozi « Mutations et articulations contemporaines des industries culturelles » Création et diversité au miroir des industries culturelles, Paris, La Documentation Française, 2006, p 12, consultable en ligne, URL : https://halshs.archives-ouvertes.fr/hal-00263104/document 32 5) Une faible concurrence Au sein des industries culturelles la concurrence est complexe. Pour les industries classiques, le prix d'un bien est relatif au coût de fabrication. Cependant, nous avons dit que ce n'était pas le cas pour les biens culturels. Dès lors il est possible de voir une concurrence directe entre des produits possédant des modes d'organisation et de création différent. Au cinéma, par exemple, il n'est pas rare de voir un petit film d'auteur côtoyer le dernier blockbuster en date, dans les librairies, les mémoires l'ex compagne du président publiés chez un éditeur reconnu sera disponible juste à côté d'un roman extrêmement réfléchi et publié chez un petit éditeur. Il y a donc, comme nous pouvons le voir, une superposition de modèles économiques différents dans les mêmes filières et sur les mêmes marchés. De même cette situation s'applique à une forme de concurrence entre majors et indépendants dans les industries culturelles. Mais elle reste complexe à analyser car nous assistons parfois à des partenariats entre des acteurs issus de ces deux milieux. Ainsi, les majors s'appuient souvent sur les indépendants dans le but d'utiliser leurs capacités de création, tandis que les indépendants, ne disposant pas de gros moyens financiers, requièrent souvent l'aide des majors afin de coproduire ou de distribuer un produit.68 Les industries culturelles ont subi de nombreuses mutations depuis plusieurs années. De nombreuses dynamiques sont à l'oeuvre en leur sein et il est important de retenir qu'actuellement on assiste à une montée en puissance des diffuseurs, une forte concentration sur un nombre de produits restreint et une surproduction entrainant une production toujours plus massive et uniformisée ainsi que des coûts exponentiels. Face à ces tendances un nouvel acteur va parfois s'imposer et changer la donne, les créateurs indépendants. 68 Pierre-Jean Benghozi « Mutations et articulations contemporaines des industries culturelles » Création et diversité au miroir des industries culturelles, Paris, La Documentation Française, 2006, p 13, consultable en ligne, URL : https://halshs.archives-ouvertes.fr/hal-00263104/document 33 |
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