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évolutions et perspectives de la littérature de jeunesse dite "engagée"

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par Caroline Lecomte
Université de Limoges - Master 2 Édition 2008
  

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1.2.2. Mai 68 : Apparition d'une d'édition jeunesse engagée

Mai 68 constitue le point d'ancrage d'un profond changement des mentalités qui n'épargne pas le secteur de la littérature enfantine. Les réformes ont prolongé la scolarité jusqu'à seize ans et permettent à tout enfant âgé d'au moins trois ans de bénéficier du droit à l'éducation publique. Ces réformes ont pour conséquence d'accroître brutalement la demande en matière de livres pour enfants ainsi que d'étendre fortement le public potentiel, c'est-à-dire des tout-petits aux adolescents. Cette conception alors élargie de la jeunesse conduit les maisons d'édition à cibler davantage leur production sur tranche d'âge, dans la mesure où un album pour un non lecteur ne satisfait assurément pas un jeune en proie à la puberté.

Parallèlement, « un mouvement novateur se dessine composé de gens qui " ont rompu avec la tradition du marketing, de la chaîne de produits centrés sur un personnage et débités en tranches de saucisson étiquetés et identifiables pour la plus grande masse possible ", selon les propos d'Arthur Hubschmid, directeur de l'École des Loisirs aux côtés de Jean Delas et Jean Fabre »8. Se confrontent les fidèles de l'héritage socio-culturel des siècles passés, et les partisans d'une modernité qui exhorte une liberté de pensée et d'action tournée vers l'égalité de tous et s'appuyant sur les nouvelles théories psychologiques et pédagogiques. Ces deux conceptions de l'enfant et du livre induisent deux politiques éditoriales différentes qualifiées de « traditionnelle » ou « d'avant-gardiste ».

Par « traditionnelle », on renvoie à une production qui prend ses racines chez les grands éditeurs du XIXe siècle comme Hachette par exemple. L'enfant est envisagé dans son rapport de dépendance vis-à-vis de l'adulte. Sa spécificité se définit par ses manques au regard de l'adulte. Cette vision simpliste de l'enfant conduit à une idée limitée du livre pour la jeunesse qui se résumer en trois mots « regarder, nommer, reconnaître »9. Par le biais d'albums ancrés dans la réalité et le quotidien de l'enfant, on donne aux enfants les moyens de désigner et d'appréhender leur environnement

8PIQUARD Michèle, op.cit. , p.51.

9CHAMBOREDON Jean-Claude et FABIANI Jean-Louis, Les albums pour enfants, le champ de l'édition et les définitions sociales de l'enfance, Actes de la Recherche en sciences sociales, 1977, n°14, p.63.

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immédiat. Les images ont souvent une fonction documentaire ou explicative et viennent soutenir le texte, dont la primauté est manifeste, sans entrer en interaction avec ce dernier. Ces maisons dites « traditionnelles » ont pour cible un public enfantin le plus large possible. Peu disposés à prendre des risques, les éditeurs s'adaptent aux exigences commerciales et aux tendances. L'aspect commercial prédomine sur la créativité.

À l'inverse, le terme « avant-gardiste » renvoie quant à lui à une toute autre conception de l'enfance, moins infantilisante et passant par l'acceptation de ses capacités intellectuelles et réflexives. En effet, dès les années 60 on va commencer à prôner le droit des individus à devenir eux-mêmes, à se réaliser. L'important n'est plus de s'aligner sur ce qui est commun mais de développer ce qui est propre à chacun. Dans le cadre de cette éducation, les adultes ne peuvent plus se cantonner à imposer et à transmettre, ils doivent aussi créer les conditions favorables pour que l'enfant puisse, sans attendre d'être « grand », découvrir par lui-même ce qu'il peut être. Une myriade d'éditeurs vont apparaître à la fin des années 70 parmi lesquels certains se rattachent à des mouvements politique ou à des courants de pensées contestataires issus de Mai 68. Ainsi, on peut penser aux éditions Harlin Quist fondées en 1967 par François Ruy-Vidal. Figure de « l'avant garde », il définit en 1970 ce que doit être le livre pour enfants10 :

« Je suis pour l'image, pas forcément contre le texte littéraire, mais certainement contre l'illustration explicative et colorée à tout prix [...]. Il n'y a pas de races spéciales d'écrivains pour enfants, comme je refuse qu'il y ait des catégories d'images pour enfants et d'autres catégories pour adultes. [...] Un bon livre est un bon livre. Les effets secondaires d'une lectureémotion, avec les entrelacs de résonances de l'image et du texte en contrepoint, ne dépendent certainement pas d'une mastication explicative, d'une condescendance, d'une sécurisation, d'une concession à l'âge, au niveau mental, à la catégorie des enfants, etc. C'est au nom de ce racisme, sécurisant les adultesjuges de livres pour enfants et psychopédagogues, que beaucoup de livres sont produits et que les meilleurs sont rejetés.

10GOURÉVITCH Jean-Paul, La littérature de jeunesse dans tous ses écrits, anthologie de textes de référence (15291970), Créteil : CRDP de l'Académie de Créteil, 1998, p. 319.

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[...] Faire des livres pour les enfants est une erreur. Faire des livres qu'on peut mettre entre les mains d'enfants, aussi, me convient beaucoup plus. »

Dans cette même veine d'éditeurs engagés nous pouvons également citer, les éditions Syros crées en 1972, les Éditions des femmes créées en 1975 par Antoinette Fouque et appartenant au Mouvement de libération des femmes, les éditions Le Sourire qui mord apparues en 1976 sous l'égide de Christian Bruel et issues du collectif « Pour un autre merveilleux » et qui revendiqueront une appartenance au mouvement gauchiste de Mai 68. L'engagement chez ces éditeurs sera fortement revendiqué, s'exprimant jusque dans leur identité visuelle, c'est-à-dire le choix de leur logo11.

Innovation et créativité sont désormais les mots d'ordre de toute une génération d'éditeurs. L'esthétique et le graphisme des albums font l'objet d'un renouvellement considérable tirant leur inspiration de l'art contemporain, de la photographie et du graphisme publicitaire. L'illustrateur devient un artiste à part entière, en témoigne la place que François Ruy-Vidal leur réserve dans l'ouvrage Le géranium sur la fenêtre vient de mourir mais toi, maîtresse, tu ne t'en es pas aperçue qu'il publie en 1971 et qui compte pas moins de 13 illustrateurs. Comme l'explique Sophie Van Der Linden12 :

« Les images rompent délibérément avec la fonctionnalité pédagogique. Face aux images dénotatives, copies du réel et support d'apprentissages, émerge une image inattendue, aux nombreuses résonances symboliques. »

Textes et images portent désormais conjointement la narration et nourrissent une interaction ce qui requiert distance et interprétation, soit participation active du lecteur. Il s'agit moins d'éduquer et de protéger l'enfant que de le faire réagir et réfléchir afin de l'ouvrir au monde.

11Cf. Annexe A

12VAN DER LINDEN Sophie, Lire l'album, Le Puy-en-Velay: l'Atelier du ·Poisson Soluble, 2006, p.17.

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Ces éditeurs font tomber un certain nombre de tabous en abordant dans leurs albums des sujets tels que la mort, les problèmes à l'école, le sexisme, etc. La fiction est utilisée comme un révélateur et non comme une échappatoire.

Portées par cette vague de renouveau et d'émancipation des années 1970, de nombreuses maisons d'édition de littérature générale vont ouvrir un département jeunesse. Ainsi Gallimard Jeunesse voit le jour en 1972, Grasset Jeunesse en 1973, Albin Michel Jeunesse en 1981, Seuil Jeunesse en 1982. Par la suite, quantité de maisons d'édition spécialisées en jeunesse particulièrement créatives apparaissent. À titre d'exemple, nous ne citerons que Kaléidoscope, le Rouergue, L'Atelier du Poisson Soluble, Rue du Monde, ou Thierry Magnier. Un tel engouement pour ce secteur entraîne l'augmentation considérable d'auteurs pour la jeunesse, ainsi que la création d'un Salon du livre de jeunesse qui se tient tous les ans à Montreuil et d'une Foire internationale, celle de Bologne rassemblant auteurs, illustrateurs, éditeurs et libraires.

Parallèlement, ce secteur est aussi porté par la démocratisation de la psychanalyse qui s'opère dans les années 70 et qui permet de sensibiliser les mentalités aux spécificités liées à l'enfance. La société occidentale contemporaine, grâce aux apports de la psychologie et de la psychanalyse, reconnaît alors aux jeunes enfants de plein droit le statut de « sujet pensant » qui a besoin d'être guidé dans son cheminement existentiel et intellectuel.

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle