CHAPITRE 1
ÉVOLUTION HISTORIQUE ET SOCIOCULTURELLE
1.1. UN LIEN ÉTROIT ENTRE CONCEPTION DE L'ENFANCE ET
LITTÉRATURE ENFANTINE
Les sociétés ont toujours accordé un
statut particulier à l'enfance, en attestent les berceuses ou chansons
présentes dans tous les folklores. Cependant, si l'on considère
ce statut au fil des siècles, on observe, qu'il n'a cessé de
prendre de l'importance au sein de la cellule familiale et plus
généralement au sein de la société.
Parallèlement à cette reconnaissance progressive du statut de
l'enfant, les productions littéraires destinées à ces
derniers n'ont fait que croître. On constate alors, de manière
significative, que la création littéraire va de pair avec le
contexte socio-historique.
Ainsi, est-ce toujours dans un rapport de cause à effet
avec les différentes conceptions de l'enfance et les valeurs y
étant afférentes que la littérature de jeunesse sera
envisagée. L'histoire de la littérature, et plus
précisément ici celle destinée à la jeunesse, n'est
pas constituée d'événements isolés, mais au
contraire, de faits d'ordre culturel, sociologique ou historique liés
les uns aux autres dans un rapport causal.
1.1.1. Vous avez dit «enfance»?
Longtemps la vie enfantine a été fragile et
précaire en Occident, menacée par une forte mortalité
infantile puisque jusqu'au XIXe siècle en Occident, c'est à peine
un enfant sur deux qui parvient à l'âge adulte. La période
de l'enfance est de plus très restreinte puisque c'est vers 7 ans,
« âge de raison » reconnu par l'Église, que le petit
d'homme entre dans l'âge adulte et commence à travailler. Ces
différents facteurs concourent au fait que la période de
l'enfance s'en retrouve fortement écourtée; quant à
l'adolescence, cette phase de transition entre l'enfance et l'âge adulte,
elle n'existe
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pas. D'une manière générale, jusqu'au
XIXe siècle, les enfants sont peu individualisés et leur
spécificité demeure majoritairement ignorée.
Simultanément, on observe que du côté de
la production littéraire, le nombre d'ouvrages destinés à
ces derniers est quasi nul. La transmission est à cette époque
surtout orale et les contes sont racontés indifféremment aux
adultes et aux enfants. Les écrits, quand il y en a, sont pour
l'essentiel des manuels d'éducation retrouvés dans les familles
aisées voire royales. Parmi ces ouvrages, le Librum Manualem
rédigé vers 841- 843 à Uzès par Dhuoda,
épouse d'un aristocrate, pour son fils aîné ou le Livre
pour l'enseignement de mes filles du Chevalier de La Tour Landry
écrit en 1371 afin d'inculquer à ces dernières des
principes moraux au travers d'exemples. Le but est à chaque fois
d'apprendre à l'enfant à obéir à la raison.
L'éducation se doit de transmettre aux enfants les moyens
d'intérioriser les règles de la société. Elle doit
les conduire, les guider.
Même si une préoccupation sensible de l'enfance
émerge déjà au XVe siècle, où l'on observe
que « dans certains livres d'heures des mères de familles, des
pages en plus gros caractères sont visiblement destinées aux
enfants »3, il faut attendre le XVIIe siècle pour voir
se constituer progressivement une littérature soucieuse de la
spécificité enfantine.
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