1.4. SYNTHESE SUR LE CHANGEMENT ORGANISATIONNEL ET LA
PERFORMANCE INDIVIDUELLE
Nous venons de voir précédemment une revue de
littérature de ce que sont le changement organisationnel et la
performance et notamment la performance individuelle dans les organisations.
L'adéquation entre les performances et les changements
successifs doivent être perçus comme un processus
d'amélioration continue, ceci afin d'assurer la viabilité de
l'organisation sur le long terme.
Cette symbiose entre changement et performance peut être
illustré par la figure suivante :
![](Impacts-du-changement-oraganisationnel-cas-du-projet-industrialisation-au-sein-de-Sopra-banking-s16.png)
Figure 21 : relation entre performance et changements
successifs selon Grouard et Meston96
En effet, chaque changement organisationnel induit comme nous
l'avons vu précédemment des modifications de fonctionnement
internes, entraînant la redéfinition non seulement de
méthodes de travail, mais également d'objectifs, tant dans leur
définition que dans leur niveau à atteindre.
95 Blouin R. et al. (1995), la
réorganisation du travail. Efficacité et implication, Les
Presses de l'Université Laval, Sainte-Foy, Canada, p. 6
96 Grouard B. et Meston F. (1998),
L'entreprise en mouvement
: conduire et réussir le changement,
Dunod, Paris, p.248
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Nous avons vu également que le changement pouvait avoir
différentes origines : la technologie, l'environnement (notamment
concurrentiel), la taille de l'organisation, sa culture et sa stratégie,
et qu'il peut être défini selon trois axes : la profondeur du
changement, sa durée d'imposition et son mode d'imposition.
Pour les collaborateurs concernés par le changement
organisationnel, leurs aptitudes au changement dépend essentiellement du
contexte du changement, des compétences en place (que ce soit de la part
de leur management, ou de leur propre motivation), ainsi que du processus
d'actions, c'est-à-dire de la façon dont est conduit le
changement.
Mais le changement d'une organisation peut se heurter à
la résistance de certains collaborateurs, que ce soit par une sensation
de perte de pouvoir, de productivité ou d'une situation de confort.
Pour contrebalancer ces résistances et favoriser la
mise en place de la nouvelle organisation, il est nécessaire de se
focaliser sur des clés de réussite : définition claire de
la vision du changement par une communication efficace et continue,
mobilisation des collaborateurs, pilotage efficace par le suivi des
différentes étapes et jalons définis en amont,
concrétisation du changement dans la vie quotidienne de chaque
salarié concerné, participation de ces mêmes
salariés, gestion de l'émotion et des enjeux de pouvoir que la
réorganisation va générer, et enfin formation aux
nouvelles méthodes.
Ainsi, les différents changements successifs ne sont ni
plus ni moins que l'expression de la capacité d'adaptation de
l'organisation face aux contraintes internes et externes exercées. Du
fait de l'évolution perpétuelle de l'environnement global de
l'organisation, chaque changement sera tôt ou tard remis en question, car
les méthodes et l'organisation mises en place à son issu
deviendront obsolètes, entraînant ipso facto une
stagnation, voire une baisse de ses performances. L'adaptation de
l'organisation face à son environnement est à l'image, comme
l'expliquent Nelson et Winter97 d'un individu face à son
environnement naturel : une organisation survit ainsi au sein de son
environnement par les mécanismes propres à son secteur. Elles
sont sanctionnées par leurs routines, consituant l'objet même de
la sélection. Pour ces mêmes auteurs, " ce ne sont pas les
organisations qui s'adaptent à leur environnement, mais l'environnement
lui-même qui sélectionne certaines organisations, garantissant
ainsi leur survie". Ces organisations doivent alors pour survivre, avoir
un niveau de performance stable, voire accroître leur niveau de
performance en continue, et éviter une inertie organisationnelle qui
leur seraient fatales.
97 Nelson R.R. et Winter S.G. (1982), An
evolutionary theory of economic change, Belknap, cités par
Autissier D. et al. (2014), Conduite du changement : concepts
clés, Dunod, Paris, p. 161
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Ainsi, le changement est un élément clé
d'adaptation et d'amélioration des performances d'une organisation par
l'adoption de nouveaux objectifs ou la redéfinition d'objectifs
existants.
A la suite de la revue de littérature concernant le
changement organisationnel, nous nous sommes attachés à la
performance générale des organisations, puis à la
performance individuelle, la performance pouvant se définir dans ces
deux grandes catégories comme une réalisation, une comparaison de
cette réalisation par rapport à des objectifs
prédéfinis (concept d'efficacité), et selon les ressources
utilisées (concept d'efficience).
Notre revue de literrature nous a montré que la
performance individuelle est conditionnée d'une part par le partage de
connaissances au sein de l'organisation, et d'autre part au niveau de chaque
personne par l'adaptation personnelle, l'innovation individuelle et la
motivation en elle-même de la personne considérée, tous les
éléments précédents pouvant être
influencés d'un coté par la perception de la récompence,
et d'autre part par le stress potentiel généré par cette
volonté de performance.
Penchons-nous maintenant sur les interactions entre le
changement organisationnel et la performance individuelle. Nous avons vu que le
changement organisationnel entraînait une modification des
méthodes de travail, de l'organisation de celui-ci et donc de ces
participants que sont les salariés concernés. Rappelons-nous
notre problématique : "en quoi le changement organisationnel
améliore-t-il les performances individuelles ?".
Nous avons vu précédemment que la communication
de la vision du changement organisationnel et du partage de ce qu'il
représente sont cruciaux pour sa réussite et la transmission de
l'envie de cette réussite par l'ensemble des collaborateurs
concernés. Le partage de cette vision peut concrétiser dans
l'esprit de chacun le "pourquoi" du changement, et donc favoriser l'implication
des personnes concernées. Cependant, nous pouvons nous demander si cette
vision du changement d'une part incite effectivement à l'accroissement
des performances individuelles, et si les collaborateurs perçoivent la
communication de cette vision de façon attendue par le management.
Nous avons vu que le changement organisationnel va modifier
l'organisation interne de l'organisation par la mise en place de nouvelles
méthodes de travail, d'outils, et de réorganisation des
ressources humaines (tant au point de vue d'agencement des personnes les unes
par rapport aux autres que d'un point de vue hiérarchique). Si la
culture de la performance était déjà en place dans
l'organisation, alors nous pouvons nous interroger si le changement va
favoriser le développement de cette culture de performance à
l'ensemble des collaborateurs, puisque la recherche de performance individuelle
était avant tout un acte volontaire, un effort personnel devant
être fourni pour l'obtention de résultats supérieurs
à ce qui est quotidiennement attendu.
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Comment concrétiser alors la reflexion personnelle sur
son lieu de travail ? Soit le collaborateur y est incité par la culture
d'innovation et d'amélioration continue présente dans l'organime,
et donc il sera d'autant plus encouragé et motivé pour participer
à l'évolution de l'organisation. Soit cette culture du changement
et de l'innovation n'a pas de place (ou une place marginale) dans la culture
d'entreprise et le collaborateur risque de ne pas trouver la motivation pour
aller au bout de sa démarche (réflexion-communication), et donc
d'avoir une attitude fataliste concernant les changements potentiels de
l'organisation.
Le changement organisationnel peut ainsi être vu comme
une opportunité pour chaque salarié à la fois
d'améliorer ses propres performances et celle de l'organisation. Mais le
management, et plus particulièrement la culture de l'organisation s'y
prête-t-il ? Est-il accepté "officiellement" que chaque
salarié prenne du temps pour réfléchir sur une
amélioration des outils et des processus dont il se sert quotidiennement
? Un exemple de cette politique d' "innovation déclarée" est
illustré par la politique des "80/20" chez Google98. Ainsi,
chez Google, l'innovation et le partage sont favorisés en laissant
à chacun de ses salariés 20% de son temps de travail à
réfléchir sur ce qui pourrait améliorer l'organisation,
soit par des innovations sur les outils internes ou proposés aux
utilisateurs externes, soit par un partage de connaissance. Ainsi, pour Google,
ce temps professionnel consacré à une réflexion
personnelle n'est pas une perte à la fois financière et
productive, mais au contraire un investissement, car cette culture de
l'innovation rend le changement (et donc la capacité d'adaptation)
très réactive. De plus, elle favorise une plus grande motivation
et un accroissement de la productivité. Mais si ce temps de
réflexion est "libre" (dans le sens où le sujet de cette
réflexion est librement choisie par le collaborateur), le collaborateur
devra présenter les résultats de ses reflexions à ses
managers et en démontrer les intérêts.
Ainsi, l'arrivée d'un changement organisationnel au
sein de l'organisation peut donc être une opportunité pour chaque
salarié de se démarquer de ses collègues, de sortir de la
"masse" aux yeux de son employeur par des actions innovatrices et une
volonté d'être acteur du changement initié. Mais cette
volonté d'initiative, donc de recherches de nouvelles solutions en
adéquation avec la modification de l'environnement de travail a-t-il
besoin d'être impulsé par le management en place, ou le
salarié, de sa propre initiative, va-t-il consacrer un peu de son temps
à cette amélioration ? Ceci nous amène à nous
interroger sur le management intrinsèque du salarié qui va
entraîner ses actions d'innovation et de communication. Va-t-il le faire
de façon cachée, dissimulée pour ensuite apporter le fruit
de ses réflexions sur d'éventuelles améliorations au
management ? Si oui, fera-t-il
98 Girard B. (2006), Une révolution du
management : le modèle Google, MM2 Editions, Paris, p. 70
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cela dans l'objectif premier d'améliorer l'organisation
de son environnement et donc de favoriser la changement en cours, ou le
fera-t-il avec comme devise : "tout travail mérite salaire ; tout
effort mérite récompense" ? Cette réflexion nous
incite alors à nous pencher sur la pérénité de la
volonté d'innovation et de partage de connaissances, et donc de
performance personnelle. Nous avons vu que la performance individuelle
était favorisée par la motivation, mais pouvait se réduire
par l'émergence d'un stress excessif : il y a donc une balance "gain
versus perte" (à rapprocher de la théorie "expectation -
instrumentalisation - valence" de Vroom) à prendre en
considération dans la performance individuelle.
La performance individuelle se base également sur le
partage de connaissances. En effet, ce partage de connaissances va permettre
à celui qui le transmet de participer activement au processus de
changement organisationnel en apportant des éléments favorables
à la progression de ce processus dans le temps (nouvelles idées,
méthodes ou outils), et permettant aux personnes n'ayant pas encore ces
connaissances d'améliorer leurs compétences professionnelles et
donc d'accroitre potentiellement leur performance individuelle. Le changement
organisationnel présente l'opportunité de favoriser ce partage,
par la mise en place soit d'outils de "knolwedge management", soit la
mise en place de cercles de reflexion visant à mettre en commun les
idées permettant de favoriser non seulement l'amélioration
continue, mais surtout la performance générale de l'organisation.
Ce partage de chacun se base lui-même sur la volonté de chacun de
faire profiter l'ensemble des collaborateurs des connaissances et de
l'expérience accumulées au fil du temps. Cette démarche
volontaire est à l'opposé de la rétention d'information.
En effet, une personne pourrait considérer qu'un changement
organisationnel va entraîner pour lui-même une perte de pouvoir par
ce partage : il n'aura alors plus le monopole de connaissances clés
(voire cruciales) permettant le bon fonctionnement d'un service ou d'un groupe
de travail.
La performance traduit également la capacité
d'adaptation de chaque individu lors de la modification de son environnement
(donc consécutif à celui-ci), ainsi que sa capacité
d'anticipation à la modification de cet organisation. Le collaborateur,
constatant alors une baisse de ses propres performances par le déclin de
ses outils ou des méthodes actuellement en place, établira une
stratégie (s'il en a la volonté) qui va lui permettre d'adapter
alors son environnement de travail, et donc déclencher le changement
organisationnel d'abord à son échelle, puis de proche en proche,
à tout ceux concerné par l'organisation à laquelle ils
sont confrontés.
Cependant, cette adaptation ne sera possible que si le
changement organisationnel est culturellement ancré dans l'organisation.
En effet, si la performance est d'améliorer le contexte de travail et
d'engendrer un changement, alors le collaborateur devra passer par deux
étapes : une reflexion
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personnelle, éventuellement une phase de test en
conditons réelles de ses hypothèses d'amélioration, puis
une communication à ses autres collaborateurs.
Tout changement va générer de la
résistance à plus ou moins grande échelle au niveau des
collaborateurs concernés. Nous avons vu qu'une des solutions pour lever
ses résistances est non seulement de communiquer et de faire participer,
mais également de récompenser tous les efforts d'innovations
personnelles jouant un rôle reconnu dans le changement organisationnel.
Ainsi, des colllaborateurs qui feront preuve de performance, notamment dans le
projet de changement, et qui seront récompensés pour leurs
efforts, deviendront les meilleurs avocats de ce changement. Ces victoires
individuelles (car il y a eu alors reconnaissance de l'effort
généré) va favoriser à la fois l'adhésion au
projet de changement organisationnel, mais également inciter davantage
à l'innovation individuelle par le développement de la motivation
des autres collaborateurs jusqu'alors hésitants quant au changement
organisationnel se mettant en place.
N'oublions pas que tout changement organisationnel va
générer un certain stress, car les personnes concernées
devront au cours du processus de changement "faire le deuil" de la situation de
confort qui appartiendra alors au passé. Ce stress peut être accru
si le changement se déroule en situation de crise, c'est-à-dire
en réaction à de brusques variations du contexte de
l'organisation (évolution conccurentielle, technologique, etc.). Ce
stress peut être un bon stimulant comme nous l'avons vu
précédemment dans notre revue de littérature, mais
jusqu'à un certain point. Si ce changement organisationnel
génère du stress au niveau du top management, ou des pilotes de
la conduite du changement, celui-ci est-il transmis aux subordonnés par
une pression descendente incitant à l'innovation individuelle et
à l'action, ou ce stress se traduira-t-il par la définition
d'objectifs nettement supérieurs aux précédents qui
étaient alors en place avant la phase de "dégel" ?
Nous voyons au cours de cette synthèse des interactions
entre le changement organisationnel et la performance individuelle que bien des
interrogations ont été soulevées. Il serait ainsi
intéressant de savoir comment ces deux concepts interagissent entre eux,
et plus précisément sur quels points il y a symbiose ou
antagonisme.
Notre deuxième partie sera consacrée à
une enquête exploratoire afin de nous apporter des éléments
concernant les intérrogations précédemment
soulevées.
Nous allons pour cela nous appuyer sur une enquête
exploratoire concernant le projet de changement intitulé
"Industrialisation" au sein de la société Sopra Banking Software
située à Tours (Indre-et-Loire, France).
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