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La conservation du dugong en Nouvelle-Calédonie. La mobilisation et la confrontation de savoirs et pratiques relatifs à  une « espèce emblématique ».

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par Audrey Dupont
Université Aix-Marseille - Master Pro Anthropologie et Métiers du développement durable 2014
  

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IV.2.4. Mise en place de l'aire marine protégée Hyabé / Lé-Jao

Selon un document rédigé par le WWF et les déclarations des personnes interrogées, le projet d'aires marines protégées sur la zone de Pouébo, initié en juin 2006, a été formulé grâce à la collaboration étroite entre le WWF (chargé d'animer le projet), la Province Nord et les habitants de la région. Celui-ci fait suite au Programme d'évaluation rapide de la biodiversité (RAP) sur l'ensemble de la zone Nord-Est de 2004, commandité par Conservation International (CI) et la PN, qui a révélé « la richesse des fonds marins de cette zone, ainsi que son importance pour les tribus côtières. Les conclusions et recommandations de l'étude incluaient donc la création d'aires marines protégées, leur mise en réseau, l'intégration des règles coutumières, la création de zones de non-prélèvements et la rédaction de plans de gestion » (document privé WWF).

67 Qui dépend de l'autorité coutumière kanak basée sur la chefferie et le système de parenté

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Figure 7 : Aire Marine Protégée de Hyabé/Lé-Jao, face à la tribu de Yambé (c) réalisation : WWF

Cette étude a été une étape préalable à la réalisation du projet Coral Reef Initiative in the South Pacific (CRISP), lancé en 2005 par l'AFD et ses partenaires. A cette occasion, le WWF-Nouvelle-Calédonie s'est investi dans une Analyse Eco-Régionale marine de la Nouvelle-Calédonie, « afin d'identifier un réseau de 19 aires d'intérêt majeur pour la conservation de la biodiversité et des ressources marines » (Faninoz, rapport CRISP - Aires Marines du Nord-Est, WWF, 2009 : 1). Ensuite, étant partenaire technique du CRISP à l'initiative du Programme Régional Océanien de l'Environnement (PROE), l'ONG a assuré l'animation du projet de création d'une aire marine protégée en collaborant étroitement avec la population locale, et ce afin de correspondre aux objectifs de gestion participative du CRISP :

« L'initiative pour la protection et la gestion des récifs coralliens dans le Pacifique, engagée par la France et ouverte à toutes les contributions, a pour but de développer pour l'avenir une vision de ces milieux uniques et des peuples qui en dépendent ; elle se propose de mettre en place des stratégies et des projets visant à préserver leur biodiversité et à développer les services économiques et environnementaux qu'ils rendent, tant au niveau local que global. Elle est conçue en outre comme un vecteur d'intégration régionale entre états développés et pays en voie de développement du Pacifique » (Ibid.)

La conservation marine de ces zones rencontre un nouvel élan en 2008 avec l'inscription des « Lagons de Nouvelle-Calédonie, diversité récifale et écosystèmes associés » au Patrimoine mondial de l'UNESCO. Cet événement marque le début de l'élaboration des plans de gestion des AMP de Pouébo et Hienghène et la fondation des comités de gestion participative. Sur l'aire protégée de Pouébo, le Comité de Gestion est

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composé de quinze personnes réunissant des représentants coutumiers, des agents de la PN et de la commune. Ensuite, l'Aire de Gestion Durable des Ressources (AGDR) de Hyabe-Lé-Jao est officiellement inaugurée en 2010, recouvrant 7080 hectares (Ibidem). Elle est dotée d'une « zone tampon », d'une superficie de 31,058 km2, définie sur le domaine terrestre immédiatement adjacent. L'espace maritime est découpé en trois Réserves de Nature Sauvage (RNS) : celle de Whanga/Lé-Dan - celle de Whan-Denece-Pouarape- et celle de Péwhane (cf figure 7). Ces zones possèdent des statuts juridiques précis spécifiés dans l'article 212-2 du Code de l'Environnement de la PN qui stipule que :

Article 212-2

La réserve de nature sauvage est une zone naturelle peu ou pas modifiée par l'homme, dénuée d'occupation permanente ou significative. Elle est gérée de façon à préserver ses caractéristiques naturelles intactes, avec un niveau d'intervention sur le terrain très faible ou nul, excepté en ce qui concerne la lutte contre les espèces envahissantes.

Ne peuvent être tolérées dans les réserves de nature sauvage que les activités scientifiques, environnementales, la circulation (en dehors - sur les sites terrestres - de l'usage de véhicules à moteur), l'implantation d'infrastructures légères compatibles avec l'objectif de gestion (refuges, mouillages, sentiers aménagés par exemple), les activités de chasse, de pêche ou de cueillette à caractère traditionnel dûment autorisées par le président de l'assemblée de Province nord.

Y est interdit tout acte de nature à nuire ou à apporter des perturbations à la faune, à la flore, aux paysages et écosystèmes.

Article 212-2 du Code de l'Environnement de la Province Nord, 2009, p.19

Voilà pourquoi un jeune homme de 30 ans, habitant prés de la tribu de Yambé, affirme que : « Ca fait que nous ici, les réserves c'est des zones interdites. On peut passer sur les bords mais pas dans les zones, c'est interdit ».

Ces zones n'ont pas été choisies au hasard. En effet, les réserves suivent plus au moins les délimitations des zones taboues ou des réserves traditionnelles dont elles portent le nom, à savoir Whanga/Lé-Dan et Whan-Denece-Pouarape. L'animatrice de l'association de gestion de l'aire marine explique ainsi que « c'est la zone taboue là [en parlant de Whanga / Lé-Dan], et la Province elle s'est mise aussi. Elle a encerclé cela, pour renforcer la protection par les traditions, par les Vieux. Ici c'est pareil que là là [en parlant de Whan-Denece], et les Vieux ils disaient qu'il y avait un geste à faire pour aller là-bas ».

La PN, le WWF et les habitants sont donc tombés d'accord pour partager la responsabilité et la gouvernance de l`AGDR. Ce faisant, les autorités « administratives » et « coutumières » se superposent sur les réserves au nord, sur la deuxième barrière de corail. Il s'agissait à la fois d'une demande des Vieux de mettre en place des mesures pour respecter ces lieux, pour faire respecter le tabou par tous, et d'une démarche de la Province pour préserver des endroits où la biodiversité est particulièrement riche - puisqu'elle est fréquentée par des espèces menacées comme le dugong. Pour paraphraser le discours d'une personne interrogée en entretien, en balisant ces endroits tabous, où l'on ne pouvait pas passer sans faire un geste, les locaux les valorisent et en montrent l'importance.

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Toutefois, la gestion du récif de Péwhane est double parce que la zone est partagée entre la réserve coutumière et la Province avec la RNS. D'après l'animatrice de l'association, les anciens n'auraient pas « demandé à ce que l'aire marine protégée soit sur la réserve coutumière pour pouvoir aller pêcher lors de la fête de l'igname ». Cela signifie que seuls les coutumiers ont une autorité sur cette partie de la réserve coutumière qui est quand même intégrée à la zone plus large de l'AGDR.

D'ailleurs, les eaux de l'AGDR sont tout à fait praticables pour les membres de la tribu ou par les individus extérieurs qui possèdent leur accord préalable. Ce faisant, toujours selon la même personne, les coutumiers ont voulu établir « des aires marines protégées sans nous interdire de faire la pêche. On fait un petit endroit pour la préservation et un endroit pour nous la tribu pour nous aller pêcher au quotidien. Nous on donne cet espace là à l'aire marine protégée mais il faut aussi qu'on trouve notre poisson de tous les jours ». Autrement dit, l'Aire de Gestion Durable de la Ressource est un outil qui permet aux individus de la tribu de gérer la circulation des bateaux extérieurs sur leur territoire maritime, tout en ne les privant pas de la possibilité de subvenir à leurs besoins par la pêche.

A ce propos, un pêcheur de soixante ans de la tribu de Saint-Denis de Balade nous explique que les habitants de Yambé ont participé au projet d'aire marine pour palier aux problèmes avec certaines tribus limitrophes, notamment Tchambouène, où les règles concernant les frontières des zones de pêche attribuées par tribu ne sont pas respectées. De fait, la motivation de la population vivant face à l'aire protégée était également liée à la sauvegarde de leur espace de pêche des autres tribus aux alentours.

Il ajoute aussi qu'il a constaté la dégradation de la ressource halieutique sur ces côtes et pense qu'il est pertinent de mettre en place des mesures de protection similaires à celles de l'aire marine protégée de Hyabé/Lé-Jao. Selon lui, « il y a beaucoup de pêcheurs pour peu de poissons sur notre zone maritime. Parfois d'ailleurs on revient bredouille ». Il serait judicieux de délimiter une aire marine protégée à Balade parce que la tradition de la pêche est plus importante dans ce secteur que dans les tribus plus au Sud et que cette activité reste une source de revenus importante pour les pêcheurs de tout âge dans ce district. En revanche, l'organisation sociopolitique de sa tribu rend difficile la conception d'un tel projet puisqu'il déclare en entretien :

« Mais là-bas [en parlant de Yambé, seule tribu protestante], ils sont plus volontaires. C'est leur religion qui les réunit. On peut agir suivant ses volontés lorsqu'on est si bien regroupés. Là-haut, à Yambé, ils se sont entendus avec le chef et ils ont créé les AMP avec comité de co-gestion. C'est une prise de décision collective. J'ai beaucoup de respect pour les gens de là-bas parce que la tribu a une structure bien fonctionnelle et c'est loin d'être le cas ici... »

Par conséquent, si nous suivons son raisonnement, toutes les tribus de bord de mer de la commune de Pouébo ne peuvent pas prétendre à la création et à la gestion partagée d'une aire marine protégée. Il semble nécessaire que la tribu soit socialement cohérente et organisée pour que la collaboration avec les acteurs institutionnels de la protection environnementale soit possible.

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle