IV.2.4. Mise en place de l'aire marine
protégée Hyabé / Lé-Jao
Selon un document rédigé par le WWF et les
déclarations des personnes interrogées, le projet d'aires marines
protégées sur la zone de Pouébo, initié en juin
2006, a été formulé grâce à la collaboration
étroite entre le WWF (chargé d'animer le projet), la Province
Nord et les habitants de la région. Celui-ci fait suite au Programme
d'évaluation rapide de la biodiversité (RAP) sur l'ensemble de la
zone Nord-Est de 2004, commandité par Conservation International (CI) et
la PN, qui a révélé « la richesse des fonds
marins de cette zone, ainsi que son importance pour les tribus
côtières. Les conclusions et recommandations de l'étude
incluaient donc la création d'aires marines protégées,
leur mise en réseau, l'intégration des règles
coutumières, la création de zones de
non-prélèvements et la rédaction de plans de gestion
» (document privé WWF).
67 Qui dépend de l'autorité
coutumière kanak basée sur la chefferie et le système de
parenté
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DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en
Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs et
pratiques pour la protection d'une espèce « emblématique
» menacée
Figure 7 : Aire Marine Protégée de
Hyabé/Lé-Jao, face à la tribu de Yambé (c)
réalisation : WWF
Cette étude a été une étape
préalable à la réalisation du projet Coral Reef Initiative
in the South Pacific (CRISP), lancé en 2005 par l'AFD et ses
partenaires. A cette occasion, le WWF-Nouvelle-Calédonie s'est investi
dans une Analyse Eco-Régionale marine de la Nouvelle-Calédonie,
« afin d'identifier un réseau de 19 aires
d'intérêt majeur pour la conservation de la biodiversité et
des ressources marines » (Faninoz, rapport CRISP - Aires Marines du
Nord-Est, WWF, 2009 : 1). Ensuite, étant partenaire technique du CRISP
à l'initiative du Programme Régional Océanien de
l'Environnement (PROE), l'ONG a assuré l'animation du projet de
création d'une aire marine protégée en collaborant
étroitement avec la population locale, et ce afin de correspondre aux
objectifs de gestion participative du CRISP :
« L'initiative pour la
protection et la gestion des récifs coralliens dans le Pacifique,
engagée par la France et ouverte à toutes les contributions, a
pour but de développer pour l'avenir une vision de ces milieux uniques
et des peuples qui en dépendent ; elle se propose de mettre en place des
stratégies et des projets visant à préserver leur
biodiversité et à développer les services
économiques et environnementaux qu'ils rendent, tant au niveau local que
global. Elle est conçue en outre comme un vecteur d'intégration
régionale entre états développés et pays en voie de
développement du Pacifique » (Ibid.)
La conservation marine de ces zones rencontre un nouvel
élan en 2008 avec l'inscription des « Lagons de
Nouvelle-Calédonie, diversité récifale et
écosystèmes associés » au Patrimoine mondial de
l'UNESCO. Cet événement marque le début de
l'élaboration des plans de gestion des AMP de Pouébo et
Hienghène et la fondation des comités de gestion participative.
Sur l'aire protégée de Pouébo, le Comité de Gestion
est
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Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs
et
pratiques pour la protection d'une espèce «
emblématique » menacée
composé de quinze personnes réunissant des
représentants coutumiers, des agents de la PN et de la commune. Ensuite,
l'Aire de Gestion Durable des Ressources (AGDR) de Hyabe-Lé-Jao est
officiellement inaugurée en 2010, recouvrant 7080 hectares (Ibidem).
Elle est dotée d'une « zone tampon », d'une superficie de
31,058 km2, définie sur le domaine terrestre immédiatement
adjacent. L'espace maritime est découpé en trois Réserves
de Nature Sauvage (RNS) : celle de Whanga/Lé-Dan - celle de
Whan-Denece-Pouarape- et celle de Péwhane (cf figure
7). Ces zones possèdent des statuts juridiques précis
spécifiés dans l'article 212-2 du Code de l'Environnement de la
PN qui stipule que :
Article 212-2
La réserve de nature sauvage est une zone naturelle peu
ou pas modifiée par l'homme, dénuée d'occupation
permanente ou significative. Elle est gérée de façon
à préserver ses caractéristiques naturelles intactes, avec
un niveau d'intervention sur le terrain très faible ou nul,
excepté en ce qui concerne la lutte contre les espèces
envahissantes.
Ne peuvent être tolérées dans les
réserves de nature sauvage que les activités scientifiques,
environnementales, la circulation (en dehors - sur les sites terrestres - de
l'usage de véhicules à moteur), l'implantation d'infrastructures
légères compatibles avec l'objectif de gestion (refuges,
mouillages, sentiers aménagés par exemple), les activités
de chasse, de pêche ou de cueillette à caractère
traditionnel dûment autorisées par le président de
l'assemblée de Province nord.
Y est interdit tout acte de nature à nuire ou à
apporter des perturbations à la faune, à la flore, aux paysages
et écosystèmes.
Article 212-2 du Code de l'Environnement de la Province Nord,
2009, p.19
Voilà pourquoi un jeune homme de 30 ans, habitant
prés de la tribu de Yambé, affirme que : « Ca fait que
nous ici, les réserves c'est des zones interdites. On peut passer sur
les bords mais pas dans les zones, c'est interdit ».
Ces zones n'ont pas été choisies au hasard. En
effet, les réserves suivent plus au moins les délimitations des
zones taboues ou des réserves traditionnelles dont elles portent le nom,
à savoir Whanga/Lé-Dan et
Whan-Denece-Pouarape. L'animatrice de l'association
de gestion de l'aire marine explique ainsi que « c'est la zone taboue
là [en parlant de Whanga / Lé-Dan], et la Province elle s'est
mise aussi. Elle a encerclé cela, pour renforcer la protection par les
traditions, par les Vieux. Ici c'est pareil que là là [en parlant
de Whan-Denece], et les Vieux ils disaient qu'il y avait un geste à
faire pour aller là-bas ».
La PN, le WWF et les habitants sont donc tombés
d'accord pour partager la responsabilité et la gouvernance de l`AGDR. Ce
faisant, les autorités « administratives » et «
coutumières » se superposent sur les réserves au nord, sur
la deuxième barrière de corail. Il s'agissait à la fois
d'une demande des Vieux de mettre en place des mesures pour respecter ces
lieux, pour faire respecter le tabou par tous, et d'une démarche de la
Province pour préserver des endroits où la biodiversité
est particulièrement riche - puisqu'elle est fréquentée
par des espèces menacées comme le dugong. Pour paraphraser le
discours d'une personne interrogée en entretien, en balisant ces
endroits tabous, où l'on ne pouvait pas passer sans faire un geste, les
locaux les valorisent et en montrent l'importance.
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DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en
Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation
de savoirs et
pratiques pour la protection d'une espèce «
emblématique » menacée
Toutefois, la gestion du récif de Péwhane
est double parce que la zone est partagée entre la réserve
coutumière et la Province avec la RNS. D'après l'animatrice de
l'association, les anciens n'auraient pas « demandé à ce
que l'aire marine protégée soit sur la réserve
coutumière pour pouvoir aller pêcher lors de la fête de
l'igname ». Cela signifie que seuls les coutumiers ont une
autorité sur cette partie de la réserve coutumière qui est
quand même intégrée à la zone plus large de
l'AGDR.
D'ailleurs, les eaux de l'AGDR sont tout à fait
praticables pour les membres de la tribu ou par les individus extérieurs
qui possèdent leur accord préalable. Ce faisant, toujours selon
la même personne, les coutumiers ont voulu établir « des
aires marines protégées sans nous interdire de faire la
pêche. On fait un petit endroit pour la préservation et un endroit
pour nous la tribu pour nous aller pêcher au quotidien. Nous on donne cet
espace là à l'aire marine protégée mais il faut
aussi qu'on trouve notre poisson de tous les jours ». Autrement dit,
l'Aire de Gestion Durable de la Ressource est un outil qui permet aux individus
de la tribu de gérer la circulation des bateaux extérieurs sur
leur territoire maritime, tout en ne les privant pas de la possibilité
de subvenir à leurs besoins par la pêche.
A ce propos, un pêcheur de soixante ans de la tribu de
Saint-Denis de Balade nous explique que les habitants de Yambé ont
participé au projet d'aire marine pour palier aux problèmes avec
certaines tribus limitrophes, notamment Tchambouène, où les
règles concernant les frontières des zones de pêche
attribuées par tribu ne sont pas respectées. De fait, la
motivation de la population vivant face à l'aire protégée
était également liée à la sauvegarde de leur espace
de pêche des autres tribus aux alentours.
Il ajoute aussi qu'il a constaté la dégradation
de la ressource halieutique sur ces côtes et pense qu'il est pertinent de
mettre en place des mesures de protection similaires à celles de l'aire
marine protégée de Hyabé/Lé-Jao. Selon lui, «
il y a beaucoup de pêcheurs pour peu de poissons sur notre zone
maritime. Parfois d'ailleurs on revient bredouille ». Il serait
judicieux de délimiter une aire marine protégée à
Balade parce que la tradition de la pêche est plus importante dans ce
secteur que dans les tribus plus au Sud et que cette activité reste une
source de revenus importante pour les pêcheurs de tout âge dans ce
district. En revanche, l'organisation sociopolitique de sa tribu rend difficile
la conception d'un tel projet puisqu'il déclare en entretien :
« Mais là-bas [en parlant de Yambé,
seule tribu protestante], ils sont plus volontaires. C'est leur religion qui
les réunit. On peut agir suivant ses volontés lorsqu'on est si
bien regroupés. Là-haut, à Yambé, ils se sont
entendus avec le chef et ils ont créé les AMP avec comité
de co-gestion. C'est une prise de décision collective. J'ai beaucoup de
respect pour les gens de là-bas parce que la tribu a une structure bien
fonctionnelle et c'est loin d'être le cas ici... »
Par conséquent, si nous suivons son raisonnement,
toutes les tribus de bord de mer de la commune de Pouébo ne peuvent pas
prétendre à la création et à la gestion
partagée d'une aire marine protégée. Il semble
nécessaire que la tribu soit socialement cohérente et
organisée pour que la collaboration avec les acteurs institutionnels de
la protection environnementale soit possible.
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DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en
Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs
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pratiques pour la protection d'une espèce «
emblématique » menacée
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