I.5. Problématisation à partir des
savoirs et des pratiques
I.5.1. Ancrage anthropologique de l'étude : entre
anthropologie de la nature et de l'environnement
Mais avant de présenter les thèses que nous
soutenons, nous souhaitons mieux définir les concepts que nous utilisons
à travers l'exploration des diverses références
anthropologiques qui ont guidé notre réflexion. Au début
notre stage, nous avons réalisé de nombreuses lectures afin
d'obtenir les outils nécessaires pour analyser les
représentations et usages de la population relatives au dugong et
recueillis durant le travail d'enquête. Pour cela, nous nous sommes
autant intéressée à l'anthropologie de la nature, par la
lecture de Philippe Descola (2007) et de la lecture critique qu'en fait
Claudine Friedberg (2007), qu'à l'anthropologie de l'environnement,
notamment aux travaux d'Olivier de Sardan (1995), de Bernard Kalaora (1997), de
Juhé-Beaulation et Cormier-Salem (2013), de Sabrina Doyon et Catherine
Sabinot (2013), ou encore d'Elsa Faugère (2008). Nous nous situons donc
entre ces deux approches complémentaires : quand la première
s'occupe de comprendre les représentations et les usages de la nature
26 Créée en 2003.
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DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en
Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs
et
pratiques pour la protection d'une espèce «
emblématique » menacée
d'un groupe donné, l'autre tente de déterminer
l'utilisation de ces savoirs et la mobilisation de la nature ou de
l'environnement dans la sphère des politiques de conservation.
Concepts de « Nature » en anthropologie
fondamentale
La relation des sociétés à
l'environnement naturel et la notion même de « Nature » sont la
source de constructions sociales et politiques qui ont connu à travers
le temps et connaissent encore aujourd'hui de nombreuses variations. La notion
de « nature » et les représentations qui s'y rattachent, mais
également celles d'environnement ou de biodiversité qui en
découlent, dépendent aussi d'appréhensions et
sensibilités différentes selon les individus. Afin de nous
permettre de mieux comprendre ces divergences, nous abordons d'abord les
analyses du processus de construction de la nature et de ses
représentations proposés par l'anthropologue aux théories
assez contestées, Philippe Descola (Par delà nature et
culture, 2005), que nous avons lu avec recul en nous appuyant notamment
sur les analyses de Claudine Friedberg (Par delà le visible,
2007).
Dans un premier temps, dans son ouvrage, Descola étudie
la conception (encore actuelle) de la « Nature » se
référant à ce qui n'a pas été
créé par l'homme, le « non-humain ». Cette vision signe
la rupture entre la « nature et l'homme », une opposition couramment
étudiée en anthropologie et qui serait le fruit de l'histoire
occidentale. Selon lui, elle est à l'origine de la vision du «
grand partage » entre « Eux » (les « sauvages » qui ne
se distinguent pas de la nature) et « Nous ». Cette affirmation est
contestée par Friedberg, qui indique que cette rupture entre l'homme et
la nature n'est pas absolue en Occident : ce principe de distinction est
difficile à retrouver en Chine, en Inde ou au Japon (Fiedberg, 2007).
Ensuite, Descola (2005) démontre à travers
l'analyse de plusieurs exemples que, dans certaines sociétés, les
humains et les « non-humains » ne sont pas vu comme des
catégories très distinctes, bien au contraire. En effet, avec le
cas chez les Achuar, l'auteur avance que « certains peuples
conçoivent leur insertion dans l'environnement d'une manière fort
différente de la notre. Ils ne se pensent pas comme des collectifs
sociaux gérant leurs relations à un écosystème,
mais comme de simples composantes d'un ensemble plus vaste au sein duquel
aucune discrimination véritable n'est établie entre humains et
non-humains ».
A partir de ces principes, il développe une
théorie sur les perceptions des rapports entre l'homme et la nature,
basés sur les ontologies. Elles sont rapportées dans le tableau
de Descola repris par Claudine Friedberg dans son article :
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DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en
Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs
et
pratiques pour la protection d'une espèce «
emblématique » menacée
Nous retenons que la « nature » est une construction
sociale qui ne regarde pas les mêmes usages et perceptions selon les
groupes sociaux. Il existe plusieurs « manières d'être
à la nature » qui varient selon les sociétés à
travers un panel large de postures qui oscillent entre une relation de
continuité/filiation et/ou de rupture, voire de volonté de
maîtrise de la nature par l'homme. Chacune d'elles produit autour de
cette notion un ensemble de savoirs, de pratiques, de représentations et
de règles sociales qui déterminent comment les individus pensent
et interagissent avec leur environnement. De la même manière, les
nouveaux paradigmes liés à l'élément naturel
imaginés par le « monde occidental » par la création
contemporaine de deux concepts, celui d'« environnement » et de
« biodiversité », re-déterminent les comportements des
personnes vis-à-vis de la nature ainsi que l'approche anthropologique
qui tente de les analyser.
Glissement sémantique en Occident : Environnement
et Biodiversité
L'élaboration du concept d' « environnement »
s'est nourrie en grande partie des contextes sociaux et politiques des
années 1960 et 1970 (Kalaora, 1997 ; Aubertin, Boisvert et Vivien, 1998
; Faugère, 2008), en Europe de l'ouest et aux Etats-Unis. Elle trouve
son origine dans le souci de « protection de la nature » des
Européens qui, jusqu'aux mouvements de décolonisation,
comprenaient la gestion des ressources naturelles en termes d'exploitation,
mais aussi de préservation de la beauté naturelle. Cette approche
protectionniste excluait l'homme des « espaces
protégés », des territoires délimités et
administrés par des structures diverses pour préserver la
spécificité de ces zones naturelles (Doyon & Sabinot,
2013).
Mais dès la fin du XIXème siècle, les
conservationnistes défendaient l'idée que l'homme fait partie
intégrante de la nature et qu'en conséquence, il faut l'inclure
dans les politiques de protection et l'éduquer au « bon usage de la
nature ». Les stratégies protectionnistes et conservationnistes se
sont mutuellement rejetées parce qu'elles partaient de prémices
différentes, notamment sur l'acception du terme « nature »
(Ibidem). Ainsi, le « grand partage » entre nature/culture, qui
s'érigeait en modèle occidental de penser le monde et qui
était imposé à d'autres civilisations, s'est trouvé
quelque peu ébranlé par l'émergence de nouvelles
façons d'envisager la nature, notamment en fonction de la sphère
politique et économique. La prise de conscience qui
accéléra la construction du concept d' « environnement
» est marquée par la transformation du sens de la notion de nature,
qui passe « du domaine des sentiments à celui de la raison et
du politique » (Kalaora, 1997).
Alors que son acception la plus basique se rapporte à
tout ce qui entoure un sujet donné, l'« environnement »
devient le terme consacré pour désigner l'espace naturel et la
diversité biologique. Il intègre autant les espèces
animales que végétales mais se rapporte aussi à l'homme,
dans son rapport avec cet élément naturel, sans idée
d'opposition mais plutôt de relation (Agrech, 2014). La notion est
concomitante avec le concept de « biodiversité », mis en
exergue lors du Sommet de la Terre à Rio de 1992 avec la création
de la Convention sur la diversité biologique (CDB). Ce terme provient de
l'expression « diversité biologique » et comprend «
l'ensemble des relations entre toutes les composantes du vivant »,
réparties sur trois niveaux : écosystèmes, espèces
et gènes (Aubertin, Boisvert et Vivien, 1998).
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DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en
Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs
et
pratiques pour la protection d'une espèce «
emblématique » menacée
Ainsi, tout comme Elsa Faugère, nous nous situons dans
une « anthropologie du « souci de l'environnement »
» qui « a suivi l'essor des préoccupations
écologiques et environnementales dans les sociétés
occidentales au cours des années 1960/1970 » (Faugère, 2008
: 155). Cette dernière est également l'héritière de
la diffusion dans les années 1980 de l'idée de «
développement durable », qui s'efforce « de répondre
aux besoins du présent sans compromettre la capacité des
satisfaire ceux des générations futures. » (Rapport dit
Brundtland, 1987) suivant le principe des « trois « E » :
Économie, Équité, Environnement » (Brunel, 2004 : 5).
En ce sens, nous nous intéressons plus précisément
à la « transmission de la nature aux générations
futures, c'est-à-dire sur une conception de la nature en tant que
patrimoine à protéger et à transmettre », telle la
définition du concept de « nature-patrimoine » (Vivien, 2001 -
cité par Faugère, 2008 : 155).
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