1.6. Les conflits hommes-animaux en
périphérie de l'Aralam Wildlife Sanctuary
Bien que les études sur les conflits hommes-animaux
sauvages dans les pays en développement, et leurs corrélats
socio-écologiques, se multiplient, il existe néanmoins un fort
biais sur l'Afrique et les éléphants (Graham et al.,
2010; Guerbois et al., 2012; Hoare, 1999; Kamau, 2017; Sitati et
al., 2005). Les dégradations agricoles par les animaux sauvages
en Asie sont relativement peu étudiées (Karanth et Kudalkar,
2017; Linkie et al., 2007), alors que les densités de
populations plus élevées augmentent les risques.
En Inde, malgré une densité démographique
imposante et des conflits hommes-animaux associés importants, la
tolérance envers de nombreuses espèces est élevée
grâce au contexte religieux et culturel, et les représailles
létales sont rares (Karanth et al., 2013). Cependant, les
populations habitants en proximité des AP subissent des dommages
majeurs, que ce soit directement par les prédations d'animaux
domestiques ou les dégâts agricoles et indirectement sur le
bien-être et la sécurité alimentaire (Barua et
al., 2013). Étant pour beaucoup dépendants
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des ressources forestières, la restriction de
l'accès à ces AP peut de plus renforcer les
vulnérabilités des habitants et par conséquent
accroître les conflits avec les autorités forestières
(Lenin et Sukumar, 2008). Officiellement, la politique de conservation indienne
vise à intégrer les parties prenantes locales, mais la mise en
oeuvre pratique demeure très inégale (Ogra, 2008).
L'Aralam Wildlife Sanctuary (AWS) est une petite aire
protégée de catégorie 4 de l'Union Internationale pour la
Conservation de la Nature (UICN) de 55 km2 située au sud de
l'Inde. Les lisières de l'AWS se confondent globalement avec la
démarcation entre forêts et sociétés humaines (sauf
pour les frontières contigües à d'autres AP et pour un
tronçon de 1,5 km à l'ouest). L'accès y étant
interdit pour les habitants, et cette interdiction globalement
respectée, la grande majorité des conflits hommes-faune sauvage
se déroule dans les aires humaines. Ils concernent principalement les
herbivores : majoritairement macaques, sangliers, éléphants et
sambars (grands cervidés). Les dommages causés sont en grande
partie agricoles, bien que les confrontations physiques soient en augmentation
(3 personnes sont mortes en 2017 à cause d'éléphants). Les
dommages matériels sont minimes, ainsi que les cas de prédation
d'animaux domestiques (5 en moyenne par an sur les 5 dernières
années). La chasse et toutes mesures pouvant menacer
l'intégrité physique des animaux sauvages sont prohibées
par le gouvernement. Dans la pratique, il n'y a que peu de cas de braconnage,
à la fois pour des raisons culturelles et pratiques
(dénonciations courantes). En Inde, les animaux sont souvent
associés au religieux et la tolérance est relativement
élevée par rapport à d'autres régions du monde
(Karanth et al., 2008; Sukumar, 1994).
Les conflits sont donc principalement le fait d'herbivores.
Les sources d'eau sont nombreuses dans l'AWS, mais cette dernière
étant exclusivement une forêt dense, l'absence de prairie
amène les herbivores à chercher des espaces ouverts de
pâturages disponibles à l'extérieur. Les limites de l'AWS
ne correspondent donc pas à la zone vitale des animaux sauvages
l'habitant. Ces conflits apparaissent ainsi essentiellement quand les
herbivores sont à la recherche de nourriture hors de l'AWS.
L'ouest de l'AWS, dont j'habite à une douzaine de
kilomètres, correspond à l'endroit le plus conflictuel de l'aire
protégée et du district de Kannur selon Mr. Rajan, responsable de
la division forestière de Kannur. Cette partie est, de plus,
habitée par des populations particulièrement vulnérables
et ayant peu de moyens pour faire face à ces conflits. Cet espace est
une ancienne ferme gouvernementale de 5000 hectares. En 2004, la moitié
a été conservée comme ferme gouvernementale, l'Aralam
Farm. La seconde moitié, la zone du Programme de Réhabilitation
des Adivasi (PRA), a été réservée dans le
cadre d'un programme de distribution
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de terres aux peuples autochtones à tradition
forestière ; ces derniers ayant perdu progressivement leurs territoires
à cause de la réduction de la surface forestière et de
l'implantation d'aires protégées. Chaque famille a reçu
4000 m2 de terre pour cultiver et construire une maison. Alors que
la culture de ces parcelles était supposée fournir un moyen
d'autonomisation financière et alimentaire pour ces familles, les
incursions animales en limitent la possibilité d'atteindre cet
objectif.
La gouvernance de l'AWS et des conflits hommes-animaux est
exclusivement aux mains des gestionnaires de l'AWS. Dans la lignée des
directives du gouvernement indien visant à plus intégrer les
communautés locales dans la gestion des AP, trois Comités
d'Écodéveloppement (EDC) ont été mis en place. Ces
EDC n'ont cependant qu'un petit rôle à jouer dans la gestion de
l'AWS. Ils servent simplement de relais entre les gestionnaires et les
habitants pour mettre en place plusieurs programmes d'aides, comme la
distribution de cuisinières au gaz ou l'offre d'emplois à la
journée. Les gestionnaires ont néanmoins développé
le programme d'écotourisme du parc en s'appuyant principalement sur les
EDC. Le tourisme est cependant principalement limité à des
groupes d'écoliers des environs.
La démarcation entre l'AP d'Aralam et les espaces
utilisés par les humains est abrupte. Il n'y a pas de zone tampon. Ceci
renforce les incidences de conflits. La vulnérabilité des
habitants en périphérie rend la situation particulièrement
problématique, et accroît la précarité des
résidents. Cependant, aucune étude n'a été
effectuée sur ce terrain spécifique sur les conflits
hommes-animaux.
En outre, la dimension spatiale est souvent
étudiée de manière peu rigoureuse dans les études
sur les conflits hommes-faune en Inde (Karanth et al., 2012). La
complexité de la dimension humaine des conflits influe, de plus, sur la
capacité des acteurs locaux à partager leurs espaces avec les
espèces animales sauvages et est souvent mésestimée. En
Inde, le lien entre le contexte socio-spatial, et notamment les biais du sexe
et des relations intracommunautaires, et les attitudes envers les actions de
conservation sont encore peu étudiés (Ogra, 2009). Plusieurs
études se concentrent sur les perceptions des méthodes de
compensation gouvernementales (Karanth et al., 2012; Rohini et
al., 2017). Les autres études sur les attitudes envers la
conservation (Carter et al., 2014; Mir et al., 2015; Ogra,
2009) ont plus été effectuées dans la région
himalayenne, aux caractéristiques socio-culturelles très
différentes.
Étant donné l'importance des
caractéristiques spécifiques du système
socio-écologique étudié pour l'étude des conflits
hommes-faune sauvage, l'étude de la dimension sociale et de la
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dimension spatiale est nécessaire pour mieux comprendre
les conflits hommes-faune sauvage sur ce terrain et proposer des solutions
adaptées selon les situations.
Ce mémoire cherchera donc à mieux comprendre les
conflits hommes-animaux sauvages à l'ouest de l'AP d'Aralam et leurs
déterminants spatiaux et sociaux, afin de proposer des pistes de
solutions pour promouvoir la cohabitation entre les hommes et la faune.
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