1.5. La géographie et l'étude des
relations hommes-animaux sauvages
Bien que les enjeux des conflits hommes-faune sauvage ne
soient pas récents, les travaux scientifiques sur les conflits et la
coexistence hommes-animaux ne se sont réellement multipliés sur
la question que depuis une vingtaine d'années (Nyhus, 2016). Alors que
l'étude des relations homme-faune relève de problématiques
socio-écologiques et demande par essence une approche
pluridisciplinaire, ce sont traditionnellement les sciences naturelles qui se
sont attachées à étudier ces conflits (Carter et
al., 2014). Cependant, ces approches ont tendance à omettre
l'importance de l'aspect humain de ces conflits. En conséquence, les
sciences sociales sont de plus en plus appelées à participer
à ces recherches (Dickman, 2010). Nyhus (2016) propose ainsi le
développement d'une nouvelle discipline l'anthrothérologie, qui
réunirait les chercheurs de différents horizons pour traiter la
coexistence et les conflits hommes-faune sauvage. D'une manière
générale, les processus endogènes sous-tendant les
relations entre les hommes et la faune et leur cohabitation sont encore
très peu compris (Guerbois et al., 2012).
La géographie ne s'est cependant encore que peu
attachée à étudier ce domaine (Marchand, 2013),
malgré le fait que la notion d'espace et le concept de territoire soient
centraux à ces conflits. Comme Emel et Urbanik (2010, p. 203)
l'indiquent : « The contribution
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of geographers are unique precisely because of their
emphasis on the historical and spatial contexts of specifics lives and
relationships: in effect space, place, landscapes are instrumental to
furthering the goals of Human-Animal studies », la géographie
peut offrir un angle d'analyse particulièrement fructueux sur la
question des relations entre hommes et animaux en étudiant la question
à travers le prisme spatial. En effet, les relations entre les
activités humaines, la faune sauvage et les paysages sont liés
aux particularités du territoire dans lequel ils s'inscrivent
(Bortolamiol et al., 2013; Wilson et al., 2015). Étant
donné la mobilité et l'agentivité des animaux (Poinsot,
2012 ; Estebanez et al., 2013), il est, en outre, indispensable
d'intégrer à la fois les perspectives humaines et animales et de
spatialiser le milieu de vie de ces derniers afin de mieux saisir les processus
sous-tendant leurs rencontres. Comprendre les interactions existantes entre les
hommes, les animaux et l'espace qu'ils occupent conjointement est donc
essentiel pour appréhender ces conflits et leurs tenants.
La géographie animale connaît un renouveau depuis
20 ans, notamment en France avec un numéro d'Espaces et
Sociétés consacré à ce courant en 2002 ainsi qu'un
numéro de Carnets de Géographes en 2013. Les significations de la
vie sauvage pour les humains ont fait l'objet de nombreux travaux de la part de
la géographie animale culturelle (Marchand, 2013). Cette dernière
se focalise autour de deux grands thèmes : l'impact socioculturel des
animaux dans la construction de l'espace et de la culture humaine, et
l'évolution spatio-temporelle de la ligne de démarcation entre
les hommes et les animaux (Johansson, 2009; Wolch et al., 2003). Par
exemple, les travaux des géographes comme Mauz (2002) visent à
déterminer la place de l'animal selon les humains, afin de
définir la notion de conflit. Selon Blanc et Cohen (2002) et Lorimer et
Srinivasan (2013), la géographie animale cherche à comprendre le
monde du point de vue de l'animal et à déterminer les dynamiques
sous-tendant la mobilité des animaux. La géographie humanimale
d'Estebanez et al. (2013) met plus l'accent sur l'étude des
relations entre hommes et animaux et la manière dans ces derniers
transforment les sociétés humaines. En intégrant une
dimension sociale et l'agentivité des animaux, la géographie
animale permet donc d'aller plus loin que le seul point de vue
écologique dans la compréhension de l'animal et de sa
mobilité quand il entre en interaction avec les sociétés
humaines.
De même, la question des conflits environnementaux et
l'intégration de la dimension politique et des rapports de pouvoir sont
des parties intégrantes du champ disciplinaire de la géographie
(Chartier et Rodary, 2007; Marchand, 2013).
Selon Caloz et Collet (2011, p. 3), l'analyse spatiale
correspond à « décomposer un phénomène de
l'espace en ses éléments essentiels afin d'en saisir les rapports
et de donner un
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modèle de l'ensemble ». Dans le cadre des
conflits hommes-animaux, elle permet donc d'étudier les diverses
variables géographiques influençant l'occurrence de
déprédations agricoles et déterminer les règles
reliant ces variables explicatives au phénomène à
expliquer. L'analyse spatiale, qu'elle soit par le biais des statistiques ou de
Systèmes d'Informations Géographiques (SIG), autorise la
combinaison d'échelles différentes et de données provenant
de différentes disciplines et peut ainsi offrir une connaissance plus
approfondie des facteurs favorisant les incursions animales.
D'une manière générale, la
géographie permet d'intégrer la dimension pluridisciplinaire des
conflits hommes-animaux en les étudiant à travers le prisme
spatial et du territoire (Bortolamiol et al., 2017; Marchand, 2013).
Les concepts, les outils et les méthodes de la géographie peuvent
ainsi aider tant au niveau de la compréhension des causes de ces
conflits que de la mise en place de solutions (Sitati et al., 2005),
d'autant plus que l'aménagement du territoire est souvent
considéré comme une des causes principales (Nyhus, 2016).
En intégrant à la fois les dimensions sociales
et environnementales du cadre territorial local, la géographie peut donc
aider à la mieux comprendre les conflits entre les
sociétés humaines et la faune sauvage en périphérie
d'AP, ainsi que les processus à l'oeuvre les déterminants. Elle
peut ainsi participer à révéler les configurations
spatiales à l'origine de ces conflits et la complexité de la
dimension sociale des conflits hommes-animaux.
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