1.4.3. Un contexte socio-spatial et des jeux d'acteurs
déterminants
Cependant, si le territoire des animaux sauvages est plus ou
moins continu d'un point de vue écologique, il peut rencontrer plusieurs
sous espaces aux dynamiques sociales et préoccupations
différentes (Bortolamiol et al., 2017). Les conflits
hommes-animaux peuvent en effet révéler des conflits
humains-humains sous-jacents, dont la non-résolution limitera
l'efficacité de toute tentative de réduction des conflits avec
les animaux (Hill, 2015). Redpath, Bhatia et Young (2015) argumentent donc que
toute étude sur les conflits hommes-animaux doit d'abord s'attacher
à identifier les différents groupes d'acteurs et les
intérêts qui déterminent leurs actions et interactions. La
prise en compte des dynamiques territoriales et du contexte socio-spatial est
donc capitale (Marchand 2013).
Les aires animales se caractérisent en effet plus par
la continuité que par la séparation avec les
sociétés humaines. Les rencontres hommes-animaux et les acteurs
engagés se multiplient sous la pression démographique qui peut
aller jusqu'à réduire l'habitat de nombreuses espèces aux
seules aires protégées. La complexité du partage de
l'espace qui s'ensuit peut expliquer en partie les conflits hommes-faune
sauvage (Bortolamiol et al., 2017). En effet, les espaces
protégés sont connectés avec plusieurs territoires aux
contextes sociaux, économiques, culturels, institutionnels...
variés et mettant en relation plusieurs groupes d'acteurs ayant des
logiques et des intérêts qui peuvent être antagonistes, et
ayant des capacités d'actions très inégales.
La représentation de la faune peut ainsi varier
fortement selon les catégories d'acteurs concernées: nuisance
pour les agriculteurs et les populations vulnérables en bordure des
aires protégées, produit touristique pour les classes moyennes
urbaines et les professionnels du tourisme, patrimoine de la
biodiversité à protéger pour les autorités
forestières, représentation religieuse pour certains...
(Lassiter, 2002). Chaque groupe d'acteurs a sa propre conception de
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la juste place de l'animal déterminée par sa
représentation associée (Mauz, 2002). La place de l'animal est
donc en constante négociation à travers les jeux des acteurs
concernés et leurs intérêts. En conséquence de
cause, les perceptions des animaux sont aussi politiques (Kamau, 2017).
Les comportements envers les animaux et les politiques de
conservation s'inscrivent en effet souvent dans un cadre social plus large
où la perception d'inégalités et de différentiels
de pouvoir génèrent des attitudes négatives (Dickman,
2010). Dans le cas des aires protégées, où les actions
humaines sont restreintes au profit de la conservation de la faune par les
institutions, les conflits hommes-animaux se retrouvent souvent être
utilisés comme proxys par les habitants des alentours au conflit les
opposant aux autorités (Emel et Urbanik, 2010).
Ces dissensions ont de plus tendance à s'exacerber dans
les pays en développement, où les habitants autour de ces aires
sont souvent déjà vulnérables socialement et
dépendent des ressources naturelles et forestières pour leurs
besoins (Karanth et al. 2013). Les perceptions des animaux et les
attitudes face à la conservation peuvent être influencées
par le sentiment que le droit à subvenir à ses besoins n'est pas
respecté ou pour l'accès aux ressources naturelles (Sillero et
al., 2006). Les populations locales peuvent ainsi avoir le sentiment
que les animaux sont protégés par les autorités à
leur détriment, et percevoir ces animaux comme appartenant à ces
derniers.
Les problèmes de confiance et d'antagonisme entre les
parties prenantes locales peuvent de plus aggraver ces dissensions (Dickman,
2010). Ceci est d'autant plus important que certains acteurs peuvent chercher
à instrumentaliser les espèces animales et viser à
modifier les représentations afin de servir leurs propres objectifs
(Emel et Urbanik, 2010).
Certaines approches de political ecology (Barua,
2014; Kamau, 2017) en mobilisant l'histoire socio-écologique du lieu,
ont d'ailleurs permis de mieux comprendre les différents processus et
phénomènes ayant impacté les différents acteurs et
leurs stratégies. Ils ont ainsi pu expliquer l'évolution et la
différenciation des représentations et attitudes des
différents groupes d'acteurs envers les animaux et la conservation.
Un nombre important d'études tend de plus à
omettre l'agentivité des animaux et leurs capacités à
être des acteurs à part entière (Campbell, 2009). Ceci
questionne pourtant l'étude des relations hommes-animaux par le seul
biais des perceptions et représentations (Estebanez et al.,
2013). L'animal possède un libre arbitre et des stratégies qui
lui sont propres, qui l'amènent à dépasser les limites qui
lui sont imposées et les perceptions à son égard (Wolch
et
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al., 2003). Il est capable de s'adapter selon les
contraintes qui lui sont imposées ou les changements paysagers, ce qui
peut apporter un décalage entre la juste place donnée par l'homme
et sa place réelle (Mauz, 2002). Cette intelligence lui permet
d'ailleurs de trouver des solutions face à un obstacle, de choisir sa
place et force les humains à modifier leur modes de cohabitation avec
les animaux (Luquiau, 2013). La subjectivité et le point de vue des
animaux, qui est un des champs majeur de la géographie animale
contemporaine, est cependant un domaine encore largement inconnu (Emel et
Urbanik, 2010).
Les facteurs sociaux tendent ainsi à impacter à
la fois les représentations de la faune et les attitudes envers les
actions de conservation, à travers, entre autre, les
vulnérabilités biophysiques et sociales, les différences
de valeurs et de croyances, ainsi que les jeux d'acteurs et pouvoirs
antagonistes. Ces facteurs trouvent leur source dans le contexte socio-spatial
et les dynamiques territoriales du lieu, et ses caractéristiques
culturelles, démographiques, politiques... L'étude du volet
humain des conflits hommes-animaux se doit également donc d'être
spécifique à chaque situation.
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