1.3.2. Activités humaines et dynamiques
paysagères
L'utilisation des sols et le choix des cultures
plantées sont donc des facteurs déterminants de conflits selon
les préférences alimentaires des animaux. L'agriculture de
subsistance, courante dans les pays en développement, se fonde souvent
sur des cultures hautement nutritionnelles et donc attractives pour les animaux
sauvages (Naughton-Treves, 1997). L'irrigation des cultures peut de plus
être un facteur d'attraction de la faune sauvage (Sukumar, 1989), bien
que Gubbi (2012) dans une étude extensive au centre du Kerala ne trouve
pas de relation entre conflits et irrigation. Outre les cultures agricoles, la
plupart des foyers du Kerala entretiennent également des potagers et des
vergers domestiques, ce qui renforce les risques de dégradations
animales. Les monocultures d'arbres, comme les plantations
d'hévéa très présentes au Kerala, sont en revanche
peu visitées par la faune sauvage à cause de la faible
diversité végétale (Baskaran et al. 2013).
L'identification des types de récoltes
particulièrement prisées par la faune et leur substitution avec
d'autres moins appétentes, voire non comestibles, permettraient de
limiter les raids de ces animaux (Parker et Osborn, 2006). Ceci est bien
entendu conditionné à la présence de ressources
alimentaires suffisantes à l'intérieur des aires
protégées, ainsi qu'à la volonté et
possibilité pour les habitants de modifier leurs pratiques de
production. L'adaptabilité de la
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faune aux conditions de son environnement rend cependant
difficile une généralisation de ces préférences et
requiert des études spécifiques à chaque environnement.
Bal et al. (2011) ont ainsi récemment découvert que les
éléphants asiatiques à Kodagu (dans le sud de l'Inde) se
nourrissaient de baies de café. Ces dégradations agricoles
peuvent également simplement résulter de comportements
opportunistes, notamment lors des migrations qui les amènent d'une aire
protégée à une autre (Sukumar, 1990), ce qui peut fausser
les analyses statistiques des relations entre types de cultures et
dégradations agricoles.
Les conflits hommes-éléphants procèdent
ainsi principalement d'une utilisation des sols inadéquate (Sitati et
al., 2003). L'éléphant requiert en effet une zone vitale
très large pour accommoder ses besoins en termes de migrations, et la
fragmentation de son habitat naturel le met naturellement en contact avec les
sociétés humaines, où il a tendance à compenser en
venant s'y nourrir (Sukumar, 1994).
Le type de couverture de sol influence également les
raids d'herbivores sauvages. Nyhus et Tilson (2004) notent ainsi que la
présence d'une végétation dense peut servir de protection
à la faune sauvage pour effectuer des incursions rapides. Les
plantations servent par exemple de refuge lors de raids dans les cultures en
Inde (Bal et al. 2011). De même, Paleeri, Jayson, et Govind
(2016) indiquent que l'absence d'espace dégagé entre la
lisière de la forêt et les cultures renforce
considérablement les problèmes dus aux écureuils
géants indiens et aux singes. En effet, ces espaces
dégagés augmentent fortement le risque ressenti, notamment pour
les petits mammifères essentiellement arboricoles.
En revanche, la proximité de signes de présence
humaine, que ce soit des habitations ou des routes, a tendance à
s'accompagner d'une baisse des pillages agricoles, en augmentant les risques
perçus par la faune sauvage (Pozo et al., 2017). Guerbois et
al. (2012) trouvent ainsi que la densité d'habitation en
Ouganda tend à réduire les risques de conflits, en
considérant une zone d'influence circulaire de 100 m de rayon autour de
chaque foyer. Cependant, dans un contexte de forêt fragmentée au
Kerala, Ananda Kumar et al. (2011) concluent que les habitations et
les routes ne sont pas des facteurs déterminants de conflits. La
densité d'habitations, ainsi que le type de couverture des sols
environnant semblent donc influencer le risque de conflits.
L'utilisation de mesures de prévention vise
également à renforcer les risques perçus par les animaux.
Les mesures de ségrégation spatiale telles que les clôtures
électriques ou les tranchées sont efficaces mais
requièrent une maintenance importante (Gubbi 2012; Karanth et
al. 2012). Dans une étude très complète en Inde,
Karanth et al. (2013) estiment que l'utilisation d'animaux de garde et
de barrières tend à réduire légèrement les
pertes agricoles. Sinu et
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Nagarajan (2015) ajoutent que la méthode traditionnelle
de clôtures de tissus demeure la plus efficace contre les sangliers.
L'utilisation de mesures traditionnelles de gardiennage humain est
estimée efficace par certains (Guerbois et al., 2012; Karanth
et al., 2012), mais beaucoup moins par d'autres (Kumar et
al., 2017; Linkie et al., 2007). Les caractéristiques
territoriales et temporelles peuvent avoir un impact sur l'efficacité de
ces mesures. Par exemple, Linkie et al. (2007) indiquent qu'en
période de pluie le gardiennage est beaucoup moins effectif.
Globalement, le contexte local influence l'efficacité des mesures de
réduction des conflits. D'une manière générale,
l'intelligence des animaux et leur capacité à apprendre de leurs
expériences rend, de plus, souvent inefficace sur le long terme, la
plupart de ces mesures (Dickman, 2010; Lenin et Sukumar, 2008).
Enfin, beaucoup d'études analysent certaines
caractéristiques environnementales liées à
l'accessibilité comme l'altitude, la pente, l'orientation de la pente,
la distance à l'AP, la distance à la source d'eau la plus
proche... La proximité à l'AP est en grande partie jugée
être un facteur déterminant des risques de pillages de cultures
(Goswami et al., 2015; Gubbi, 2012; Guerbois et al., 2012;
Karanth et al., 2012).
Chacune de ces dimensions joue donc, à divers
degrés selon les spécificités du terrain et des acteurs
engagés, sur la possibilité de subir une incursion animale. La
compréhension de leur relation dans l'espace offre l'opportunité
de révéler les configurations spatiales à l'origine des
conflits (Ananda Kumar et al., 2011).
Si l'analyse des configurations spatiales favorisant les
conflits hommes-faune sauvage est importante pour identifier des solutions
appropriées, ce seul point de vue environnemental et écologique
n'est pas suffisant. En effet, la dimension humaine de la cohabitation entre
hommes et animaux aux alentours d'espaces protégés joue un
rôle essentiel dans la gestion des espèces animales sauvages
(Treves et al., 2006). Le contexte socioculturel et socio-spatial est
donc à prendre en compte pour résoudre ces conflits (Bortolamiol
et al., 2017; Marchand, 2013; Redpath et al., 2015).
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