1.3. Dimension environnementale des conflits
hommes-animaux sauvages
Les conflits entre des communautés humaines et des
animaux sauvages s'inscrivant donc dans les caractéristiques
sociétales et environnementales du système
socio-écologique les englobant, Guerbois, Chapanda, et Fritz (2012)
estiment que l'implantation de solutions efficaces pour faciliter la
cohabitation est subordonnée à la compréhension de la
spécificité du contexte local et des processus endogènes
à l'oeuvre. Poinsot (2012) soutient en effet que la gestion de la faune
sauvage implique la prise en compte de la diversité du milieu
géographique. Outre le contexte sociétal, il estime que trois
variables en interrelations et aux caractéristiques à la fois
naturelles et sociales conditionnent l'intensité des conflits : les
densités humaines et animales, les formes (contours et taille de l'aire
protégée, couverture des sols...) et l'accessibilité
(mesures d'aménagement humaines, topographie...). Les espèces
animales concernées dans les conflits hommes-animaux sont, de plus, en
grande majorité mobiles, et dotés d'une capacité à
s'adapter aux contraintes du milieu. L'étude de leurs écologies
dans le contexte de leurs territoires et leurs spatialisations sont donc
également nécessaires pour appréhender correctement les
tenants de ces conflits (Sitati et al., 2005).
Une variété de facteurs peut donc
accroître (ou décroître) les risques de conflits. Ces
facteurs s'inscrivent dans un territoire, un lieu et un espace aux
caractéristiques particulières, et sont intimement liés
à ces dernières. L'analyse des configurations spatiales à
l'origine de ces conflits permet donc d'intégrer différents types
de données (éthologiques, agro-écologiques,
sociodémographiques, géographiques...) afin de mieux
interpréter ces conflits et leurs causes. L'intérêt d'une
telle étude est double : identifier les zones de
vulnérabilité pour optimiser l'utilisation des moyens de
réduction des conflits et déterminer les solutions les plus
adaptées selon les situations.
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1.3.1. Dimension animale : des comportements et des
préférences évolutives
Dans le cadre de leurs stratégies alimentaires, les
animaux effectuent des choix qui visent à optimiser ces
stratégies (Graham et al., 2010; Sitati et al., 2005;
Sukumar, 1994). Les décisions prises découlent d'un arbitrage
entre bénéfices possibles et risques perçus (Guerbois et
al., 2012). Ce mémoire autour de l'AP d'Aralam dans
l'État du Kerala au sud de l'Inde, se concentrera sur les
dégradations agricoles par les espèces animales herbivores.
L'accès à l'intérieur de l'aire protégée
d'Aralam étant interdit, les conflits ont en effet pour principale cause
la transgression de ses limites par la faune et sont en très grande
majorité l'oeuvre d'herbivores qui viennent ponctuellement dans à
la recherche de moyens de subsistance (Rajan, Madhusoodhanan, communications
personnelles).
Plusieurs raisons ont été avancées pour
expliquer ce qui attire les herbivores hors de leurs habitats naturels. En
Inde, l'insuffisance de nourriture ou de sources d'eau à
l'intérieur des AP est souvent proposée dans la
littérature, par exemple à cause de la réduction de
l'habitat naturel (Everard et al., 2017) ou de la propagation
d'espèces végétales invasives non comestibles telle que le
lantanier qui diminuent les sources de nourriture (Pant et al., 1999).
L'expansion spatiale des activités humaines impacte ainsi l'habitat
naturel de la faune sauvage et sa qualité. Cette constriction spatiale
de l'habitat de la faune sauvage peut limiter fortement la disponibilité
des ressources nécessaires pour la faune. DeFries, Karanth et Pareeth
(2010) indiquent par exemple que les ressources hydriques dans une AP peuvent
diminuer drastiquement si les sources sont situées hors de l'aire et ne
font pas l'objet d'une gestion durable.
Les herbivores peuvent également être
attirés par la valeur nutritive supérieure des cultures agricoles
par rapport à celle des plantes sauvages, ainsi que par leur groupement
spatial qui permet une quête de nourriture plus efficace (Sukumar, 1990).
De même, certains types de récoltes semblent plus appétents
selon les espèces animales, comme le bambou pour
l'éléphant asiatique ou la canne à sucre pour le sanglier
(Baskaran, 2013; Naughton-Treves, 1997). La proximité à des
activités humaines peut donc provoquer des changements de comportements
et d'habitudes alimentaires chez certains animaux.
Chaque espèce a également un type d'habitat qui
lui est plus propice. Par exemple, le cervidé sambar (Rusa
Unicolor) préfère les forêts denses et les terrains
accidentés, mais a besoin d'espaces de végétation
intermédiaire pour se nourrir (Pant et al. 1999) alors que
l'éléphant asiatique préfère les espaces de
végétation herbacée ouverts (Baskaran et al., 2013).
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D'une manière générale, les forêts
secondaires sont très prisées pour leur diversité
végétale (Sillero et al., 2006).
Les comportements individuels des animaux influencent aussi
leurs stratégies alimentaires. Srinivasaiah et al. (2012)
montrent ainsi que les éléphants mâles solitaires sont plus
susceptibles de ravager les cultures humaines que les éléphants
appartenant à un troupeau. Ces cultures présentant plus de
risques pour les animaux (à cause de la proximité humaine) mais
une qualité et une quantité de nourriture supérieure, ils
estiment ainsi que éléphants mâles solitaires sont plus
audacieux et ont une aversion inférieure au risque par rapport aux
éléphants vivant en groupe, fondant ainsi leurs stratégies
alimentaires sur le mode « high risk/high gain ».
Gubbi (2012) et Shivaraju (2016), dans des études au
sud de l'Inde, montrent de plus l'influence du facteur temporel sur les
comportements des animaux. Ils notent que la saison sèche (Mars-Avril)
coïncide avec un accroissement des conflits à cause d'une moindre
disponibilité en eau et ressources alimentaires. La période de
récolte post-mousson en Novembre-Janvier de nombreuses cultures semble
également être associée avec une recrudescence des raids
sur les cultures agricoles.
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