1.2. Les conflits hommes-animaux sauvages
Pour Johansson (2009), un conflit apparaît quand un
animal ou un homme passe la frontière (symbolique mais qui peut
correspondre à une frontière réelle) entre nature et
culture. Suite à cette transgression, il n'est plus à la place
qu'il lui était attribué. Mauz (2002) parle de « juste place
», dont la conception varie selon les personnes et qui peut
également être déterminée par la loi, comme dans le
cas d'une AP. Le conflit survient quand l'animal transgresse les limites de la
juste place qui lui a été attribuée. La notion de conflit
homme-animal est donc intimement liée à l'espace et peut
évoluer selon les sensibilités individuelles et collectives et
les réglementations.
Les conflits hommes-faune sauvage peuvent prendre deux formes
: quand les besoins et les comportements des animaux ont des effets
néfastes sur les activités humaines ou quand ces dernières
ont des effets néfastes sur les besoins de la faune sauvage (Madden,
2004).
Ces conflits peuvent affecter les hommes et les animaux
directement sur la santé (blessures, décès, transmission
de maladie...) ou sur le mode de vie (dégradations agricoles,
dégradations matérielles, déprédation d'animaux
domestiques, destruction d'habitats naturels...) (Nyhus, 2016). Ils peuvent
également générer des coûts indirects pour les
personnes touchées : coût d'opportunité du gardiennage ou
de transaction lors du temps passé pour déposer une demande de
réclamation, insécurité alimentaire et malnutrition,
affectation psychologique à cause de l'insécurité physique
ressentie, non-scolarisation des enfants pour participer au gardiennage ou
impossibilité d'aller à l'école à cause du danger
posé par certaines espèces animales... (Barua et al.,
2013). Par exemple, outre les dégradations agricoles, la taille et la
puissance de l'éléphant peut créer un fort sentiment
d'insécurité, dont la dimension psychologique renforce le
sentiment de conflit et impacte le bien-être psychosocial.
Globalement, la fréquence et la gravité des
conflits hommes-animaux ont tendance à augmenter avec le temps sous
l'expansion spatiale humaine et la proximité accrue entre les deux
(Hill, 2015; Karanth et al., 2013, WWF, 2008). À titre
d'exemple, en Inde, entre 2005 et 2010, 330 km2 de cultures ont
été détruites et 350 personnes tuées chaque
année à cause des
7
éléphants. En réponse, une cinquantaine
d'éléphants ont été tués par an en moyenne
et de nombreuses forêts détruites (Rangarajan et al.,
2010)
Une multitude de facteurs biologiques, écologiques et
humains a été suggéré dans la littérature
comme expliquant la propension des espèces animales à sortir des
AP : manque de ressources alimentaires et hydriques dans l'AP,
préférences alimentaires, qualité de l'habitat,
intensité des d'activités humaines, types de limites de l'AP...
(Linkie et al., 2007; Nyhus et Tilson, 2004; Parker et Osborn, 2006;
Seiler et Robbins, 2016; Sillero et al., 2006; Sitati et al.,
2003; Sukumar, 1994). Les réactions des populations aux incursions de
ces animaux peuvent, en outre, aggraver les conflits. Une réactions
humaine courante est en effet de chasser et d'exterminer l'animal
problématique (Naughton-Treves et Treves, 2005). Madden (2004) insiste
également sur le fait que les conflits hommes-animaux peuvent devenir
des conflits hommes-hommes à propos des animaux et s'aggraver
considérablement, par exemple quand les populations locales ressentent
que la priorité est donnée aux animaux.
La réduction de ces conflits varie selon les contextes
économiques, culturels, réglementaires... Afin de protéger
la faune, certains gouvernements ont instauré des lois visant à
interdire ou limiter la chasse hors des AP (Sukumar, 1994). Un grand nombre de
méthodes différentes existent pour limiter les visites des
animaux, comme par le contrôle létal ou la relocalisation des
animaux problématiques, les mesures de ségrégation
spatiale, les mesures de prévention comme le gardiennage, l'utilisation
de moyens de dissuasion olfactifs, visuels ou sonores, la plantation de
cultures tampon entre l'AP et les champs, l'aménagement du territoire...
(Nyhus, 2016). Des mesures économiques visant à promouvoir des
sources de revenus alternatives à l'agriculture ou fournissant une
compensation financière aux pertes existent également (Dickman,
2010).
La gestion des conflits hommes-animaux a traditionnellement
été exclusivement confiée aux gestionnaires des AP.
Cependant, de plus en plus, l'importance d'associer les acteurs locaux au
management (Larson et al., 2016; Sillero et al., 2006) et
l'utilité de leurs savoirs, à la fois sur la faune et sur
l'environnement (Goldman, 2007), sont de plus en plus reconnues. Lier la
conservation avec le développement durable en privilégiant le
local est en effet un des courants principal de la conservation depuis les
années 1980, où une cogestion avec les autorités voire une
gestion communautaire sont appelées pour améliorer la gestion de
la conservation, même si cela peine à se matérialiser
concrètement et efficacement (Rodary, 2008). Globalement, la
nécessité de prendre en compte la dimension sociale dans
l'étude des conflits et de leur résolution est de plus en plus
acceptée (Dickman, 2010; Manfredo et Dayer, 2004; Nyhus, 2016; Redpath
et al., 2015).
8
Les phénomène des conflits hommes-animaux et
leur résolution sont cependant complexes et il n'existe pas de solution
« one-size fits all » (Madden, 2004). Ils sont en effet
corollaires des spécificités du système
socio-écologique dans lequel ils s'inscrivent et sont influencés
par les facteurs historiques, sociaux, politiques, culturels, biologiques et
environnementaux locaux (Dickman, 2010; Pozo et al., 2017). Pour
comprendre ces conflits et les mitiger, il s'agit donc de prendre en compte
à la fois les dimensions humaines et animales, ainsi que leur contexte
socio-spatial (Bortolamiol et al., 2017; K K. Karanth et al., 2012; Marchand,
2013; Sitati et al., 2005).
|