6.5. Couverture des sols et risques de
dégradations agricoles
Cette sous partie s'attachera à évaluer le lien
entre couverture des sols et dégradations agricoles sur les cultures.
Nyhus et Tilson (2004) ont en effet montré qu'une
végétation dense peut favoriser le risque de raids en offrant un
refuge aisément accessible. Selon les espèces animales et leurs
besoins, certains couverts sont de plus préférés (Linkie
et al., 2007 ; Pant et al., 2009 ; Baskaran et al.,
2013). Un couvert forestier minimal est jugé essentiel pour les petits
primates (Hill et Wallace, 2012). Les macaques d'Aralam restent ainsi
essentiellement dans les arbres, et les rares incursions à terre sont
brèves. De même, les sangliers préfèrent les espaces
de végétation dense dans les milieux tropicaux, qui sont plus
riches en ressources alimentaires
64
(Guo et al., 2017). Thinley et al. (2017)
ont démontré que les sangliers privilégient les
forêts en bordure immédiate de champs. Sur ce terrain, il a de
plus été suggéré que les éléphants et
les cerfs ont tendance à sortir de l'AWS car ce dernier ne comporte pas
d'espaces ouverts, qui sont particulièrement recherchés par les
grands herbivores Les éléphants en particulier ont tendance
à privilégier les espaces de végétation
intermédiaire, qui offrent un compromis entre la qualité
nutritionnelle supérieure des espaces ouverts et la quantité
supérieure de nourriture des espaces denses (Gara et al.,
2016).
Les incursions animales étant motivées par la
quête de nourriture et les raids agricoles probablement plus
opportunistes que volontaires (voir partie 6.1), la présence d'un type
de couverture des sols particulièrement recherché par certains
animaux peut donc s'accompagner de visites animales et de risques de
dégradations supérieurs pour les foyers à
proximité.
Les hypothèses d'association entre la couverture du sol
et les visites de la faune sauvage seront donc différentes selon les
espèces animales : les espaces de végétation
intermédiaire sont supposés être plus propices aux venues
des sambars et des éléphants, alors que les espaces plus denses
sont supposés être privilégiés par les sangliers et
macaques.
La vérification de ces hypothèses sera
effectuée à partir de la composition des différents types
de couverture des sols entre un foyer et le refuge le plus proche.
Dans un premier temps, une carte de la couverture des sols a
été établie à l'aide de l'image Sentinel 2A et des
connaissances du terrain. Un sous-ensemble correspondant à la zone
étudiée a d'abord été sélectionné sur
SNAP, en ne gardant que les bandes 2, 3, 4, 5, 11 et 12 et en redimensionnant
chaque bande en pixel de 10 mètres. Une classification supervisée
par pixel a ensuite été effectuée sur SPRING, à
l'aide de la méthode couramment utilisée de la « Maximum
Likelihood » à 99% (Lu et Weng, 2007). L'étape de
post classification a ensuite été exécutée
pour réduire le nombre de pixels indépendants ou en très
petit groupe. Un poids de 2 et un seuil de 5 se sont avérés les
plus appropriés.
L'objectif a été de classifier la couverture des
sols en 4 classes : surfaces sans végétation (ex. surfaces
artificielles, eau, sol nu), végétation herbacée ouverte
et basse, végétation intermédiaire (principalement des
fruticées ouvertes et des forêts ouvertes) et
végétation dense (incluant plantations denses). La
vérification de la qualité de la classification a finalement
été jugée à l'aide du coefficient de Kappa
(Congalton, 1991). Ce dernier a été obtenu à l'aide d'une
matrice de confusion construite à partir de 100 points
sélectionnés de manière aléatoire sur QGIS. La
précision totale de la classification effectuée est de 83% et le
coefficient de Kappa
65
s'élève à 77%. Bien que ce
résultat ne soit pas excellent, il demeure raisonnable. La
différence entre végétation basse et intermédiaire
a été la principale source d'erreur (9 des 17 erreurs).
Cette carte de couverture des sols a ensuite été
exportée vers QGIS pour être traitée. Cette couche et une
couche rastérisé de la « couche des lignes
foyers/forêt » (lignes tamponnées entre les foyers et le
refuge le plus proche) ont été croisées à l'aide de
l'outil « Cross-Classification and Tabulation ». Il a fallu
dans un premier temps créer une couche raster par foyer à partir
de la « couche des lignes foyers/forêt » et ensuite les croiser
individuellement. Ceci a permis d'obtenir la composition de la couverture des
sols entre les foyers et le refuge le plus proche. Les données ont
ensuite été extraites sur Excel pour calculer le pourcentage de
chaque type de couverture des sols dans chaque ligne tamponnée
foyer-forêt. Ces valeurs continues ont ensuite transformées en
valeurs discrètes en les regroupant en plusieurs classes.
Une corrélation significative a été
trouvée entre la fréquence de venue des éléphants
et la présence de végétation intermédiaire
(rho=0,24, p=0,028, n=84). Moins il y a de
végétation intermédiaire, plus les éléphants
viennent fréquemment dans les parcelles des foyers. Ce résultat
peut donc indiquer que lorsque le type de végétation qui leur
convient le mieux est abondant, les éléphants ne cherchent pas
à aller chercher de la nourriture chez les hommes. Ceci semble donc
corroborer le résultat de la partie 6 .1 sur l'utilisation des sols: les
éléphants ne semblent pas venir sur les parcelles humaines car
ils préfèrent s'y alimenter, mais plutôt quand ils ne
trouvent pas assez de nourriture.
L'analyse des tables de contingences a montré une
faible corrélation négative entre la présence de
végétation dense et les venues des sangliers. Cependant,
étant donné que 92% des foyers ont signalé des venues
quotidiennes des sangliers, la signification de ce résultat est
faible.
L'hypothèse de lien entre la densité de la
végétation, et donc la présence d'arbres, et les visites
de macaques a été rejetée. Il n'y a également pas
de corrélation entre la présence de végétation
intermédiaire et de végétation dense combinées et
leurs venues. L'hypothèse de lien entre la présence de
végétation intermédiaire et la venue de sambars a
également été rejetée.
66
Carte de couverture des sols
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Figure 16: Carte de couverture des sols
67
L'analyse des configurations spatiales de la zone du PRA a
donc permis de montrer plusieurs tendances. Les animaux sauvages venant de
l'AWS montrent des préférences alimentaires certaines, mais ne
semblent pas spécifiquement pour les cultures qui leur sont
appétentes. Les raids agricoles dans les parcelles habitées
découlent probablement plus d'un comportement opportuniste lors de leurs
venues à la recherche de nourriture. Les éléphants, par
exemple, viennent plus chez les humains quand il y a peu de
végétation intermédiaire (qu'ils favorisent) entre la
forêt et les espaces habités.
La présence d'habitations entre la forêt et les
parcelles visitées a tendance à faiblement limiter les venues des
animaux. Les routes en revanche ne semblent augmenter les risques perçus
par les animaux, si ce n'est faiblement pour les éléphants.
Les mesures de prévention mises en place par les
habitants ne sont pas efficaces, comme estimées par ces derniers. En
revanche, l'usage de méthodes de réaction, telles que des
répulsifs sonores et visuels, permettent généralement de
faire fuir les animaux. Cependant, seulement pour les éléphants,
ceci semble s'accompagner d'une baisse des dégradations agricoles. Le
fait qu'ils soient plus facilement repérables peut permettre aux
habitants de réagir avant qu'ils n'aient causé de
dégâts.
Les macaques ont tendance à rester près de la
forêt et à ne pas s'aventurer au-delà. Ils sont de plus peu
présents entre le Sud et la partie centrale de la zone du PRA. Le fait
que la végétation soit moins dense influe peut-être leur
venues.
Les résultats de cette analyse spatiale sont cependant
limités pour les sangliers et les sambars à cause de la
distribution très marquée des données sur leurs
fréquences de visites et sur leurs dégradations agricoles. Une
classification des dégâts par leur ampleur aurait permis de
procéder à une analyse plus fine. Les résultats les plus
significatifs ont ainsi été trouvés pour les
éléphants. Ces derniers semblent éviter les humains tant
qu'ils ont une source de nourriture à disposition. D'une manière
générale, l'échantillon des 84 foyers interviewés
est certainement trop faible pour donner des résultats suffisants sur ce
terrain.
Bien que l'étude des configurations spatiales
favorisant les conflits soit importante pour concevoir des mesures de
prévention et de réduction des conflits efficaces, l'analyse du
volet social est également indispensable pour mieux comprendre l'origine
des conflits et mettre en oeuvre des solutions adaptées aux habitants
locaux.
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7. ATTITUDES DES HABITANTS ET
DÉTERMINANTS
SOCIO-CULTURELS
Cette partie abordera le problème des conflits
hommes-animaux dans la zone du PRA d'Aralam sous un prisme plus qualitatif, en
examinant le volet social. Elle se fondera sur des données de
l'enquête sociale, obtenues à travers des questions ouvertes et
fermées, afin d'étudier les rapports des habitants aux animaux
sauvages, à la conservation et à la résolution des
conflits, ainsi que les filtres socio-culturels oeuvrant dans la construction
de ces rapports.
Les habitants de la zone du PRA sont en effet directement et
profondément touchés par les politiques de protection de la
biodiversité comme l'instauration de l'AWS. Ils sont également
des acteurs dont les actions influencent l'atteinte de l'objectif de
conservation de l'AWS. La prise en compte de leur vision du monde, de leurs
valeurs et de leurs intérêts est donc indispensable à la
fois à la mise en oeuvre d'une gestion efficace de l'AWS et à la
mise en place de solutions adaptées pour réduire
l'intensité et la gravité des conflits avec la faune sauvage.
Ceci requiert donc de connaître les attitudes et les
représentations des habitants locaux envers les différents
aspects du problème.
Les filtres socioculturels participant à la
construction des représentations et des attitudes des habitants sont
également importants. L'efficacité d'une action, qu'elle vise par
exemple à instaurer une gestion partagée ou simplement à
sensibiliser sur un thème particulier, repose sur sa correspondance
à un besoin, mais aussi sur l'acceptation et la volonté des
acteurs concernés. Déterminer les filtres pouvant influencer les
opinions permet ainsi d'être en capacité de cibler ces actions et
les adapter selon la réceptivité des divers groupes sociaux.
Tout d'abord, afin de déterminer les tendances
globales, les réponses des habitants seront analysées à
l'aide de statistiques descriptives. Dans un deuxième temps, l'influence
des filtres socio-culturels sur les représentations et les attitudes
sera approfondie sur certaines questions à l'aide des tables de
contingences et du test du khi2. Les facteurs étudiés
seront le sexe, l'âge, les expériences vécues, le rapport
à l'agriculture et les bénéfices reçus des
autorités de conservation. Les hypothèses pourront varier selon
le type d'attitude étudié. Par exemple, une personne
âgée peut avoir une représentation positive de la faune
sauvage mais une attitude négative envers la mise en place d'une action
collective car elle ne se sent pas assez dynamique pour s'y impliquer.
69
La première hypothèse suppose que le sexe
influence les attitudes. Les femmes sont en effet souvent plus
confrontées aux animaux sauvages (ex. lors de la recherche de bois de
chauffe) et peuvent avoir une sensibilité plus aigüe aux
dégâts, notamment lorsqu'ils peuvent remettre en cause la
sécurité alimentaire de la famille (Ogra, 2009).
L'âge est également considéré comme
impactant les représentations et les attitudes (Wang et al.,
2006). Cette variable a été classée en 3 catégories
: moins de 20 ans, 20-55, plus de 55 ans. Ces catégories ont
été choisies car elles représentent plus ou moins les 3
étapes de la vie locale sur ce terrain : jeunes n'ayant pas de famille
à supporter, adultes ayant une famille à supporter, personnes
âgées n'étant plus les principaux supports de la
famille.
Le troisième facteur étudié concerne les
expériences de la coexistence avec la faune sauvage. Cette variable
était supposée être binaire : 1 pour les personnes vivant
depuis au moins 5 ans sur ce terrain ou pour celles y habitant depuis moins de
5 ans mais ayant été en contact avec les animaux dans leur
précédents lieux de vies, 0 sinon. Cependant, seulement 9 foyers
sur 84 interviewés correspondant à la 2ème
catégorie, la pertinence de l'analyse risquait d'être
réduite. Une variable binaire sur la présence d'un sentiment
d'insécurité provoqué par cette proximité avec les
animaux sauvages a été privilégiée par rapport aux
occurrences de dégradations agricoles, dommages matériels et
physique ou prédation d'animaux domestiques, qui présentent une
distribution des données trop asymétrique. En outre,
l'insécurité et son impact psychologique reflète une forme
particulière de conflit, dont les impacts peuvent être
particulièrement profonds (Barua et al., 2013; Ogra, 2008)
L'hypothèse est que le fait de ressentir de l'insécurité
impacte les attitudes.
Le lien entre l'occupation principale des individus et les
représentations sera également approfondi. Cette variable a
été séparée en trois catégories
représentant 83 des 84 foyers interviewés : Agriculteur,
Travailleur journalier agricole, Travailleur journalier non-agricole. En effet,
selon le type de source principale de revenus, et notamment la
dépendance à l'agriculture, les attitudes peuvent varier
(Naughton-Treves et Treves, 2005).
Les bénéfices retirés du fait de
l'existence de l'AWS peuvent également influencer la tolérance et
les attitudes des habitants. Par exemple, les autorités de l'AWS ont
implanté 3 comités d'écodéveloppement pour les
communautés de la zone du PRA et offrent des opportunités
d'emplois, ainsi que des bénéfices matériels (ex.
gazinières). L'Aralam Farm emploie plus de 450 personnes de la zone du
PRA et ont développé plusieurs initiatives d'aides. Bien que ces
bénéfices ne soient pas issus de l'AWS, il peut être
intéressant d'étudier comment les attitudes peuvent changer selon
l'origine des avantages reçus, notamment quand les 2 donateurs sont des
institutions gouvernementales. Ceci peut ainsi indiquer si le conflit est
vécu,
70
en partie, comme causé par l'impératif de
conservation en lui-même ou plus globalement par le gouvernement. Ces
bénéfices ont été séparés en deux
catégories : majeurs (emplois) et mineurs (participation à un
comité d'écodéveloppement et autres
bénéfices).
Les représentations et les attitudes, ainsi que leurs
déterminants socio-culturels, des habitants envers l'AWS et les animaux
sauvages, la conservation, les conflits, les gestionnaires de l'AWS, la
résolution des conflits et la mise en oeuvre d'une solution collective
seront successivement étudiées.
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