6.2. Mesures de réduction des conflits et
risques de dégradations agricoles
Cette partie cherchera à déterminer les mesures
de prévention utilisées par les habitants de la zone de la PRA et
si elles permettent de réduire les risques de dégradations
agricoles. Il est ici supposé qu'elles ne sont pas efficaces. En Inde du
sud, Kumar et al. (2017) et Karanth et al. (2013) jugent en
effet que les mesures traditionnelles sont peu efficaces. Les entretiens
exploratoires ont globalement confirmé l'impression de cette
tendance.
Les mesures de réduction des conflits hommes-animaux
peuvent être séparées en deux catégories. Les
premières sont les mesures de prévention et visent à
empêcher la venue de la faune. Leur efficacité sera
évaluée en les associant à la fréquence de venue
des animaux sur les parcelles des habitants. Les deuxièmes sont les
mesures de réactions et visent à faire partir les animaux ayant
pénétré dans l'espace humain. Leur efficacité sera
analysée en les associant à l'occurrence de dégradations
agricoles
Dans un premier temps, les méthodes utilisées et
la perception de leur efficacité par leurs utilisateurs seront
détaillés. Ensuite, l'hypothèse de non efficacité
de ces mesures sera testée statistiquement pour chaque méthode et
pour chaque espèce animale.
54
Les mesures de prévention utilisés sur ce
terrain sont au nombre de quatre. Les barrières en tissus sont
utilisées par 17 des 84 foyers interviewés. 88% de ces foyers
estiment qu'elles ne sont pas efficaces, et seulement partiellement efficace
pour le reste.
Les barrières biologiques correspondent à la
plantation de bosquets adossés à une barrière en bois ou
bambou et sont utilisés par 37 des foyers. 84% jugent qu'elles sont
inefficaces, 13% partiellement efficaces et 3% (1 personne) efficaces.
Les barrières en fils barbelés ne sont
présentes que dans seulement 4 parcelles, à cause de leur
coût prohibitif. Elles ont été financées dans 3 des
cas par la commune. La moitié estime qu'elles ne sont pas suffisantes
pour empêcher les animaux de passer, et l'autre moitié juge
qu'elles sont partiellement efficaces. 3 estiment cependant qu'elles permettent
de limiter les venues de sambars.
27 familles ont installé des épouvantails, mais
81% de ces derniers les trouvent inefficaces. 14% les jugent néanmoins
partiellement inefficaces alors qu'une seule personne (4%) estime qu'ils
permettent de tenir les animaux éloignés.
Ces mesures de ségrégation sont donc globalement
estimées peu fonctionnelles. Seulement deux personnes ont estimé
garder régulièrement leur parcelle pour y prévenir
l'entrée des animaux. Ce faible nombre peut s'expliquer par le fait que
la plupart des habitants ont un autre travail à côté et le
fait que ceux qui vivent de l'agriculture cultivent principalement des
hévéas qui sont moins sujets aux dégâts animaux. Les
agriculteurs sont, en outre, plus âgés que la moyenne (50 ans) et
donc peut-être moins en mesure de s'opposer aux animaux sauvages, comme
les sangliers ou les éléphants. Le gardiennage préventif a
donc été mis de côté dans cette analyse.
Les habitants de la zone de la PRA ont développé
plusieurs techniques pour effrayer et faire fuir les animaux sauvages ayant pu
rentrer sur leurs parcelles.
L'utilisation de répulsifs sonores est ainsi
pratiquée par 70% des foyers, que ce soient des pétards ou des
percussions. 30% de ces derniers ont indiqué que l'utilisation de telles
méthodes est particulièrement efficace. Un quart juge
néanmoins qu'elles sont inutiles et 45% partiellement efficaces.
Un peu moins de la moitié (46%) des foyers utilise des
répulsifs visuels, essentiellement le feu ou des lampes torches. 23% les
juge efficaces, 31% partiellement efficaces et 36% inefficaces.
55
Un tiers des habitants a également
déclaré avoir des chiens de garde. La moitié les juge
inutiles, un tiers partiellement efficaces et 18% efficaces. Bien que de
nombreuses personnes aient estimé qu'ils n'empêchent pas les
animaux de venir et ne servent principalement qu'à avertir les humains,
cette mesure d'atténuation des conflits hommes-animaux peut être
considérée comme à la fois mesure de prévention et
de réaction. Dans le premier cas, l'hypothèse
considérée est que les aboiements du chien indiquent une
présence humaine aux animaux, réduisant par-là les venues
de ces derniers. Dans le deuxième cas, l'hypothèse
considérée est que les aboiements permettent aux hommes de
connaître la venue d'animaux est donc de pouvoir réagir.
Mesures de réduction des conflits
utilisées et perceptions de leur
efficacité
Barrière en Barrières Barrières Epouvantails
Répulsifs Répulsifs Chiens
tissu biologiques barbelés sonores visuels
Inefficace Partiellement efficace Efficace Nombre de foyers
utilisant

40,00%
90,00%
80,00%
70,00%
60,00%
50,00%
30,00%
0,00%
20,00%
100,00%
10,00%
% de foyers (sur 84)
Nombre de foyers (sur 84)
40
70
60
50
30
20
10
0
17
37
4
27
59
39
28
Figure 13: Mesures de réduction des conflits
utilisées et perceptions de leur efficacité
L'hypothèse de l'inefficacité des mesures de
réduction des conflits a ensuite été testée
statistiquement pour chaque espèce animale.
Pour les mesures de prévention, cette hypothèse
a été testée en étudiant la relation entre la
fréquence des venues et l'utilisation de ces mesures.
56
Pour les barrières en tissu et biologiques ainsi que
pour les épouvantails, l'hypothèse d'indépendance est
acceptée pour chaque espèce animale. L'étude du tableau de
contingence de l'utilisation de barrières en métal (4 cas) ne
montre pas une fréquence de venue moindre pour les quatre espèces
animales. Le fait de posséder un chien de garde ne montre pas
également une diminution relative de la fréquence des venues.
Pour les mesures de réaction, cette hypothèse a
été testée en étudiant la relation entre
l'incidence de dégradations agricoles et l'utilisation de ces
mesures.
L'utilisation de répulsifs sonores n'est pas
liée à une baisse des dégradations agricoles pour les
sangliers et les singes. Cependant, l'hypothèse d'indépendance
est rejetée pour les sambars (p=0,03482, n=84), mais
l'analyse détaillée indique que l'utilisation de répulsifs
sonores augmente les occurrences de dégradations agricoles. En revanche,
cette technique semble efficace (p=0,004417, n=84) dans le
cas des éléphants.
En revanche, les techniques de répulsifs visuels ne
semblent pas s'accompagner d'une réduction des conflits.
Le fait de posséder un chien de garde montre une
relation négative (p=0,02001, n=84) avec l'occurrence
de dégradations agricoles des éléphants, mais pas pour les
autres espèces animales.
Les mesures de réductions des conflits utilisées
par les habitants de la zone de la PRA correspondent à celles
communément utilisées dans le reste de l'Inde (Karanth et
al., 2012; Lenin et Sukumar, 2008; C. K. Rohini et al.,
2016). Elles ne semblent globalement ne pas s'accompagner d'une
réduction des venues des animaux et des conflits. Ces résultats
correspondent globalement à d'autres études déjà
menées au Inde du sud n'ayant pas trouvé de relations vraiment
significatives entre les mesures de réduction et le risque de
dégradations agricoles (Karanth, Gopalaswamy, et al., 2013;
Kumar et al., 2017; Paleeri et al., 2016). Bien que Sinu et
Nagarajan (2015) suggèrent un impact positif de l'utilisation de
barrières en tissus au nord du Kerala, ceci n'est pas le cas sur ce
terrain.
Néanmoins, bien que cela ne s'accompagne pas de visites
animales plus rares, le fait de posséder un chien est associé
à une réduction de dégradations agricoles causées
par les éléphants, de même que pour les répulsifs
sonores. Ceci concorde avec les résultats de Paleeri et al.,
(2016) dans un contexte similaire. Ceci s'explique peut-être par le fait
que les éléphants sont plus aisément remarqués du
fait de leur taille et de leur moindre discrétion, d'autant plus qu'ils
s'aventurent également en journée contrairement aux sangliers et
sambars. Ceci peut
57
donc permettre aux habitants de réagir plus vite
à leurs venues et de pouvoir les faire fuir avant qu'ils n'aient pu
créer des dommages.
6.3. Analyse spatiale visuelle et distance à la
forêt
Une analyse spatiale visuelle de la carte des conflits sera
dans un premier temps effectuée. Ensuite, la relation entre la distance
à la forêt (AWS et partie centrale de la zone du PRA, voir partie
3.4) et les visites des quatre espèces animales sera
étudiée.
Initialement, une variable de proximité à une
ouverture dans les mesures de ségrégation spatiale (5km de mur,
3km de fossé, 2km de barrière électrique) implantée
par les autorités de l'AWS devait être également
analysée. Cependant, les données nécessaires à
l'élaboration d'une variable de proximité à une ouverture
dans la séparation entre zone du PRA et AWS n'ont pas pu être
obtenues. Les gardes forestiers m'ont en effet interdit de continuer ma
reconnaissance à pied du long de la bordure, car un tigre avait
été repéré plusieurs fois dans les environs, ce qui
est assez rare. Ayant pu effectuer environ un tiers de la bordure avant
d'être interrompu (22/05/2018), j'ai remarqué de nombreux pans de
murs démolis et de tranchées à moitié
remblayées.
Seule la variable de distance à la forêt a donc
été étudiée plus en détail. En effet, de
nombreuses études ont trouvé un lien entre la distance au refuge
le plus proche et l'intensité des conflits en Inde du sud (Gubbi, 2012;
K K. Karanth, Naughton-Treves, et al., 2013; Paleeri et al., 2016). La distance
entre les foyers et la forêt a été obtenue à l'aide
de l'outil « Distance to nearest hub » (voir partie 3.4).
Le foyer dont les résidents ont été
interviewés le plus proche de la forêt est à 18
mètres et la plus éloignée à 1009 mètres,
pour une moyenne de 458 mètres (84 foyers). Le premier quartile est
à une distance de la forêt allant de 18 à 229
mètres, le deuxième de 229 à 449 mètres, le
troisième de 449 à 715 mètres et le dernier de 715
à 1009 mètres. La distribution des foyers est donc relativement
équilibrée.
Les sangliers montrent ainsi une tendance à moins venir
dans les habitations les plus éloignées (r=0,21,
p=0,0559, n=84). Bien que ce résultat statistique peut
être peu pertinent sachant que 92% des foyers ont signalé des
visites quotidiennes, il est intéressant de noter que 4 des 7 foyers
n'ayant pas déclaré de visites quotidiennes font partie du
4ème quartile de distance à la forêt.
58
En outre, une corrélation a été
trouvée entre la distance au refuge le plus proche et la
probabilité de visites des macaques (r=0,2167,
p=0,04774, n=84). Les macaques viennent moins dans les
habitations plus éloignées de la forêt.
Le fait que la mobilité des sangliers soit plus
reliée à la distance que celle des éléphants et des
sambars est assez étonnant. Plusieurs études ont en effet
pointé que les sangliers sont une des espèces les plus
aventureuses (Chauhan et al., 2009; Thinley et al., 2017).
Cependant, encore une fois, la distribution des données pour les
sangliers et les sambars est très asymétrique. La
généralisation de leur analyse se doit donc d'être
prudente.
L'analyse spatiale visuelle de la carte des
dégradations agricoles signalées par les foyers
interviewés selon l'espèce animale (Figure 1) montre une
distribution marquée des conflits avec les macaques. Ces derniers
semblent concentrés dans le nord de la zone du PRA et dans le sud. De
même, les éléphants semblent créer moins de
dégâts au sud. Les dégradations agricoles causées
par les sambars et les sangliers semblent uniformément
réparties.

Figure 14:Carte de dégradations agricoles
signalées par les foyers interviewés de la zone du PRA
Source : Map Data @2018 Google (27/05/18)
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Carte des dégradations agricoles
signalées par les foyers interviewés de la zone du PRA
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