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La construction du personnage chez Sagan.

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par Cécile Orsoni
Université de Paris Sorbonne - Master 2014
  

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2) La caractérisation indirecte.

La caractérisation indirecte requiert davantage l'attention du lecteur. Le personnage se révèle au lecteur par ce qu'il fait et par la façon dont il agit.

Le personnage se révèle par des gestes significatifs :

Anne : « Son visage s'était brusquement défait, la bouche tremblante. - Elsa Mackenbourg? Il a amené Elsa Mackenbourg ici? » (page 22).« Je vis les paupières d'Anne battre comme sous une caresse imprévue. » (page 31).

Françoise Sagan souligne le fait qu'Anne est peut être amoureuse de Raymond, du moins qu'elle n'est pas insensible à son charme. C'est le moment où Cécile entrevoit sa faiblesse.

De même pour Elsa, quand elle vient récupérer ses affaires : « Quand je lui parlai de mon père, elle ne put réprimer un petit mouvement de la tête. » (page 78).« Je la vis battre des paupières, se détourner pour cacher l'espoir que je lui donnais. » (page 80) Cécile comprend qu'Elsa est encore sous le charme de Raymond et donc plus facile à manipuler.

Cyril, de par ses gestes, signifie sa soumission et son obéissance: « Il ne répondit pas, se pencha sur moi et me baisa l'épaule » (page 60).

Anne est décrite par Cécile comme une femme froide et autoritaire, mais certain de ses gestes la montre bienveillante : « la main d'Anne se posa sur moi, le temps que mon tremblement s'arrête » (page 76). « Elle me caressait la nuque, tendrement. » (page 95). Ces gestes traduisent également une évolution dans leur relation.

Quand Raymond sent qu'il éprouve de nouveau du désir pour Elsa, « en rentrant, il prit Anne dans les bras ». Ce geste signifie le remord, le lecteur comprend que Raymond est piégé.

Le personnage se révèle aussi par ses actions :

Raymond change de comportement quand il tombe sous le charme d'Anne: « il lui parlait comme à une seconde mère pour sa fille » (page 37) « le visage ébloui de mon père » (page 47),« Il la regardait avec admiration et désir » (page 73).

Quand Elsa voit Raymond lui échapper, elle «se mit à pleurer, doucement, tristement ». (page 52), Le lecteur entrevoit un autre aspect de son caractère, Elsa se révèle plus sensible que prévu.

Quand Anne surprend Raymond et Elsa: « elle venait du bois, elle courait, mal d'ailleurs, maladroitement ». (page 143); Cela constitue un contraste avec sa posture habituelle décrite comme parfaite.

« Elle se redressa alors, décomposée [...] les larmes roulaient inlassablement sur son visage »(page 144). Cécile comprend qu'Anne est un être sensible, elle n'est pas qu'une « entité ».

Quand Elsa accepte le stratagème de Cécile, elle montre qu'elle est influençable et prête à tout pour reconquérir Raymond.

Françoise Sagan montre pour la première fois Cécile en colère lorsque le couple Raymond-Anne se forme: « l'indignation me faisait trembler [...] je touchais aux bornes de l'exaspération » (page 50).

Anne gifle Cécile, ce qui révèle son intransigeance et son côté autoritaire : « elle m'avait fait mal » (page 51).

« Mes mains tremblaient... je baissais la voix pour l'impressionner... j'agissais dans une sorte de vertige... j'achevais comme dans un cantique : aidez-moi Elsa » (page 79). Cette action montre que Cécile est passée maître dans l'art de la manipulation.

Le personnage se révèle également par ses comportements :

Raymond : « Il faisait des phrases, débouchait des bouteilles. » Cela révèle son caractère léger et festif.

Suite à l'annonce du mariage, « Il regardait ses mains. » Raymond ne semble pas totalement à l'aise avec l'idée de se marier. Il manque d'autorité et fuit les problèmes :

« Mon père essaya de le prendre à la plaisanterie, le pauvre [...] mon père baissa les siens [...] il détourna les yeux aussitôt. » (page 62). Raymond est fuyant, il délègue l'autorité à Anne.

Elsa : « elle se retourna vers nous d'un air langoureux, très inspiré, à ce qu'il me sembla, du cinéma américain », (page 38), « elle descendait l'escalier, un sourire désabusé de mondaine à la bouche, son sourire de casino » (page 46).

Cela révèle le caractère superficiel et mondain de la jeune femme, qui est tourné en dérision par la narratrice.

Ce passage trouve un écho page 90 : « elle descendait en robe de chambre, fraîche et lumineuse. » Françoise Sagan montre une Elsa qui change au moment où elle doit reconquérir Raymond.

Le personnage se révèle aussi par ses paroles, par le vocabulaire qu'il emploie, son niveau de langue et la teneur de son discours. La parole du personnage renseigne sur son niveau social et participe à l'effet de réel.

La parole des personnages peut être rapportée sous forme de dialogues ou de monologues, au style direct, indirect ou indirect libre.

Les dialogues permettent de faire avancer l'intrigue et d'éviter l'intrusion de l'auteur dans le récit. Au style direct, le narrateur s'efface.

D'emblée, le lecteur comprend que les relations qu'entretient Cécile avec son père sont peu communes et échappent aux cadres traditionnels, au schéma classique : père-fille.

« Pourquoi es-tu si efflanquée, ma douce ? » « Mon vieux complice, que ferais-je sans toi ? » (Page 17).Cécile confirme les dires de son père :

« Je n'imagine pas de meilleur ami ni de plus distrayant » (page 12), « Effrayé aussi, il perdait une complice pour ses incartades futures » (page 109).

Raymond : « ce n'est pas chose à envisager. Tu supporterais de me quitter si tôt ? Nous n'aurions vécu que 2 ans ensemble » (page 108).

« Tu es la plus jolie fille que je connaisse », « tu es le plus bel homme que je connaisse » (page 45).

Un effet miroir se dresse entre eux. Ils semblent vivre une histoire d'amour, leur relation est quasi incestueuse. Nous y reviendrons plus loin.

Quand Cyril prend la parole, c'est pour dire à Cécile qu'il l'aime, qu'il lui est totalement soumis : « je passais tous les après-midi devant la crique. Je ne pensais pas que je t'aimais tant » (page 88) « Cécile, je veux t'épouser. Je t'aime ».

« Je t'en prie, dis-moi que tu seras jalouse quand je ferais semblant d'aimer Elsa; comment as-tu pu l'envisager ? Est-ce que tu m'aimes ? »

« Je n'aime pas ces combines, mais si c'est le seul moyen de t'épouser, je les adopte » (page 91) Ses paroles révèlent un être respectueux et docile.

Anne fait figure d'autorité: « vous devez prendre 3 kilos... je la suppliais » (page 31) « il faut que vous ayez votre examen [...] il faut qu'elle travaille ces vacances » (page 34) « faites un effort, cet examen est important » (page 75).

L'utilisation des tournures qui expriment l'obligation révèle le caractère intransigeant de cette femme.

« Dormez » dit-elle avec autorité. Je m'endormis. » (page 124). L'immédiateté conforte l'autorité d'Anne sur Cécile.

Anne - « Vous m'influenceriez !

Cécile - Ce ne serait pas forcément un mal.

Anne - Ce serait une catastrophe »

Cet échange préfigure la suite dramatique, anticipe la fin tragique, comme si Anne était visionnaire.

« Je ne vous laisserai pas gâcher votre vie ». (page 61) ; Anne se transforme peu à peu en une seconde mère pour Cécile. Ses paroles montrent aussi une femme bienveillante, soucieuse du bien-être de Cécile, et dont les intentions ne sont pas mauvaises.

Raymond - « Je n'ai jamais eu de diplôme, moi. Et je mène une vie fastueuse.

- Vous aviez une certaine fortune au départ, rappela Anne.

- Ma fille trouvera toujours des hommes pour la faire vivre - dit mon père noblement. »

Cet échange met en lumière la vision que Raymond a des femmes et de la vie. Cela explique son mode de vie et son comportement. Le lecteur saisit l'influence que peut avoir Raymond sur sa fille.

Quand Anne arrive à la villa, Cécile dit à Cyril : « Cyril, nous étions si heureux ». (page 21) Cette phrase trouve un écho avec celle d'Elsa, quand elle se rend compte que Raymond et Anne ont une liaison « Cécile, ô Cécile, nous étions si heureux ». (page 51). Anne représente le trouble-fête, celle qui ramène le personnage à sa solitude.

Raymond : « quelle garce ! [...] Moi non plus, je n'aime pas Elsa, cria t'il furieux. Mais ça me fait quelque chose quand même » (page 112). Cette réaction montre que le plan de Cécile fonctionne : Raymond est piégé. « Si je voulais, commença mon père, et il s'arrêta, effrayé » (page 113).

« Tu ne t'imagines pas qu'un galopin me prendrait une femme si je n'y consentais pas ». Je le vis préoccupé. « L'âge joue quand même, dis-je » (page 98). Cet échange souligne le fait que Raymond est obsédé par la jeunesse et que Cécile sait sur quoi l'attaquer. « Elsa était devenue le symbole de la vie passée, de la jeunesse, de sa jeunesse surtout » (page 135).

Quand Raymond dit à Anne : « Anne, vous êtes extraordinaire » (page 48), le lecteur comprend qu'il tombe sous son charme. L'adjectif « extraordinaire » confirme la personnalité de Raymond, dans la démesure.

Cette phrase trouve un écho page 94, quand Raymond parle d'Elsa : « cette fille est extraordinaire ! Elle a dû mettre le grappin sur ce pauvre garçon ». Raymond ne le sait pas encore mais il est déjà piégé.

Quand Anne quitte la villa, Cécile dit à son père « Salaud, salaud » (page 145). Elle refuse d'assumer ses responsabilités : tout cela est de sa faute, mais elle s'en remet à son père.

Dans le monologue, un personnage converse avec lui-même. Au style indirect libre, la parole du personnage surgit sans avertissement lexical ou typographique. Le personnage exprime spontanément une émotion.Cécile, en parlant d'Anne :

« Comment pourrais-je lui en vouloir ? Mais, soudain, elle disait: «Quand nous serons rentrés, Raymond...» Alors, l'idée qu'elle allait partager notre vie, y intervenir, me hérissait. [...] Elle me tendait le pain et soudain je me réveillais, je me criais: «Mais c'est fou, c'est Anne, l'intelligente Anne, celle qui s'est occupée de toi ».

Le monologue permet de traduire les soubresauts de la conscience ; L'adverbe « soudain », traduit la brutalité et l'irruption de ses pensées. Cécile est face à un dilemme : écarter Anne et poursuivre une vie d'insouciance ou entrer dans le monde des adultes et mener enfin une vie rangée.

Le point de vue interne permet de suivre de très près l'évolution de la narratrice et les débats de conscience auquel elle se trouve confrontée.

Nous y reviendrons plus en détails dans la partie sur le roman psychologique.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery