2) La caractérisation indirecte.
La caractérisation indirecte requiert davantage
l'attention du lecteur. Le personnage se révèle au lecteur par ce
qu'il fait et par la façon dont il agit.
Le personnage se révèle par des gestes
significatifs :
Anne : « Son visage s'était brusquement
défait, la bouche tremblante. - Elsa Mackenbourg? Il a amené
Elsa Mackenbourg ici? » (page 22).« Je vis les paupières
d'Anne battre comme sous une caresse imprévue. » (page 31).
Françoise Sagan souligne le fait qu'Anne est peut
être amoureuse de Raymond, du moins qu'elle n'est pas insensible à
son charme. C'est le moment où Cécile entrevoit sa faiblesse.
De même pour Elsa, quand elle vient récupérer
ses affaires : « Quand je lui parlai de mon père, elle ne
put réprimer un petit mouvement de la tête. » (page
78).« Je la vis battre des paupières, se détourner pour
cacher l'espoir que je lui donnais. » (page 80) Cécile comprend
qu'Elsa est encore sous le charme de Raymond et donc plus facile à
manipuler.
Cyril, de par ses gestes, signifie sa soumission et son
obéissance: « Il ne répondit pas, se pencha sur moi et
me baisa l'épaule » (page 60).
Anne est décrite par Cécile comme une femme froide
et autoritaire, mais certain de ses gestes la montre bienveillante :
« la main d'Anne se posa sur moi, le temps que mon tremblement
s'arrête » (page 76). « Elle me caressait la nuque,
tendrement. » (page 95). Ces gestes traduisent également une
évolution dans leur relation.
Quand Raymond sent qu'il éprouve de nouveau du
désir pour Elsa, « en rentrant, il prit Anne dans les bras ».
Ce geste signifie le remord, le lecteur comprend que Raymond est
piégé.
Le personnage se révèle aussi par ses
actions :
Raymond change de comportement quand il tombe sous le charme
d'Anne: « il lui parlait comme à une seconde mère pour sa
fille » (page 37) « le visage ébloui de mon père »
(page 47),« Il la regardait avec admiration et désir » (page
73).
Quand Elsa voit Raymond lui échapper, elle «se mit
à pleurer, doucement, tristement ». (page 52), Le lecteur
entrevoit un autre aspect de son caractère, Elsa se révèle
plus sensible que prévu.
Quand Anne surprend Raymond et Elsa: « elle venait du bois,
elle courait, mal d'ailleurs, maladroitement ». (page 143); Cela constitue
un contraste avec sa posture habituelle décrite comme parfaite.
« Elle se redressa alors, décomposée [...] les
larmes roulaient inlassablement sur son visage »(page 144). Cécile
comprend qu'Anne est un être sensible, elle n'est pas qu'une
« entité ».
Quand Elsa accepte le stratagème de Cécile, elle
montre qu'elle est influençable et prête à tout pour
reconquérir Raymond.
Françoise Sagan montre pour la première fois
Cécile en colère lorsque le couple Raymond-Anne se forme: «
l'indignation me faisait trembler [...] je touchais aux bornes de
l'exaspération » (page 50).
Anne gifle Cécile, ce qui révèle son
intransigeance et son côté autoritaire : « elle m'avait
fait mal » (page 51).
« Mes mains tremblaient... je baissais la voix pour
l'impressionner... j'agissais dans une sorte de vertige... j'achevais comme
dans un cantique : aidez-moi Elsa » (page 79). Cette action montre que
Cécile est passée maître dans l'art de la manipulation.
Le personnage se révèle également par ses
comportements :
Raymond : « Il faisait des phrases,
débouchait des bouteilles. » Cela révèle son
caractère léger et festif.
Suite à l'annonce du mariage, « Il regardait ses
mains. » Raymond ne semble pas totalement à l'aise avec
l'idée de se marier. Il manque d'autorité et fuit les
problèmes :
« Mon père essaya de le prendre à la
plaisanterie, le pauvre [...] mon père baissa les siens [...] il
détourna les yeux aussitôt. » (page 62). Raymond est
fuyant, il délègue l'autorité à Anne.
Elsa : « elle se retourna vers nous d'un air langoureux,
très inspiré, à ce qu'il me sembla, du cinéma
américain », (page 38), « elle descendait l'escalier, un
sourire désabusé de mondaine à la bouche, son sourire de
casino » (page 46).
Cela révèle le caractère superficiel et
mondain de la jeune femme, qui est tourné en dérision par la
narratrice.
Ce passage trouve un écho page 90 : « elle
descendait en robe de chambre, fraîche et lumineuse. »
Françoise Sagan montre une Elsa qui change au moment où elle doit
reconquérir Raymond.
Le personnage se révèle aussi par ses paroles, par
le vocabulaire qu'il emploie, son niveau de langue et la teneur de son
discours. La parole du personnage renseigne sur son niveau social et participe
à l'effet de réel.
La parole des personnages peut être rapportée sous
forme de dialogues ou de monologues, au style direct, indirect ou indirect
libre.
Les dialogues permettent de faire avancer l'intrigue et
d'éviter l'intrusion de l'auteur dans le récit. Au style direct,
le narrateur s'efface.
D'emblée, le lecteur comprend que les relations
qu'entretient Cécile avec son père sont peu communes et
échappent aux cadres traditionnels, au schéma classique :
père-fille.
« Pourquoi es-tu si efflanquée, ma douce ? »
« Mon vieux complice, que ferais-je sans toi ? » (Page
17).Cécile confirme les dires de son père :
« Je n'imagine pas de meilleur ami ni de plus distrayant
» (page 12), « Effrayé aussi, il perdait une complice
pour ses incartades futures » (page 109).
Raymond : « ce n'est pas chose à envisager. Tu
supporterais de me quitter si tôt ? Nous n'aurions vécu que 2 ans
ensemble » (page 108).
« Tu es la plus jolie fille que je connaisse », «
tu es le plus bel homme que je connaisse » (page 45).
Un effet miroir se dresse entre eux. Ils semblent vivre une
histoire d'amour, leur relation est quasi incestueuse. Nous y reviendrons plus
loin.
Quand Cyril prend la parole, c'est pour dire à
Cécile qu'il l'aime, qu'il lui est totalement soumis :
« je passais tous les après-midi devant la crique. Je ne
pensais pas que je t'aimais tant » (page 88)
« Cécile, je veux t'épouser. Je t'aime ».
« Je t'en prie, dis-moi que tu seras jalouse quand je
ferais semblant d'aimer Elsa; comment as-tu pu l'envisager ? Est-ce que tu
m'aimes ? »
« Je n'aime pas ces combines, mais si c'est le seul moyen de
t'épouser, je les adopte » (page 91) Ses paroles
révèlent un être respectueux et docile.
Anne fait figure d'autorité: « vous devez
prendre 3 kilos... je la suppliais » (page 31) « il faut
que vous ayez votre examen [...] il faut qu'elle travaille ces
vacances » (page 34) « faites un effort, cet examen est
important » (page 75).
L'utilisation des tournures qui expriment l'obligation
révèle le caractère intransigeant de cette femme.
« Dormez » dit-elle avec autorité. Je
m'endormis. » (page 124). L'immédiateté conforte
l'autorité d'Anne sur Cécile.
Anne - « Vous m'influenceriez !
Cécile - Ce ne serait pas forcément un mal.
Anne - Ce serait une catastrophe »
Cet échange préfigure la suite dramatique, anticipe
la fin tragique, comme si Anne était visionnaire.
« Je ne vous laisserai pas gâcher votre vie ».
(page 61) ; Anne se transforme peu à peu en une seconde mère
pour Cécile. Ses paroles montrent aussi une femme bienveillante,
soucieuse du bien-être de Cécile, et dont les intentions ne sont
pas mauvaises.
Raymond - « Je n'ai jamais eu de diplôme, moi. Et
je mène une vie fastueuse.
- Vous aviez une certaine fortune au départ, rappela
Anne.
- Ma fille trouvera toujours des hommes pour la faire vivre -
dit mon père noblement. »
Cet échange met en lumière la vision que Raymond a
des femmes et de la vie. Cela explique son mode de vie et son comportement. Le
lecteur saisit l'influence que peut avoir Raymond sur sa fille.
Quand Anne arrive à la villa, Cécile dit à
Cyril : « Cyril, nous étions si heureux ». (page 21) Cette
phrase trouve un écho avec celle d'Elsa, quand elle se rend compte que
Raymond et Anne ont une liaison « Cécile, ô Cécile,
nous étions si heureux ». (page 51). Anne représente le
trouble-fête, celle qui ramène le personnage à sa
solitude.
Raymond : « quelle garce ! [...] Moi non plus, je
n'aime pas Elsa, cria t'il furieux. Mais ça me fait quelque chose quand
même » (page 112). Cette réaction montre que le plan de
Cécile fonctionne : Raymond est piégé. « Si je
voulais, commença mon père, et il s'arrêta, effrayé
» (page 113).
« Tu ne t'imagines pas qu'un galopin me prendrait une femme
si je n'y consentais pas ». Je le vis préoccupé. «
L'âge joue quand même, dis-je » (page 98). Cet échange
souligne le fait que Raymond est obsédé par la jeunesse et que
Cécile sait sur quoi l'attaquer. « Elsa était devenue le
symbole de la vie passée, de la jeunesse, de sa jeunesse surtout »
(page 135).
Quand Raymond dit à Anne : « Anne, vous êtes
extraordinaire » (page 48), le lecteur comprend qu'il tombe sous son
charme. L'adjectif « extraordinaire » confirme la
personnalité de Raymond, dans la démesure.
Cette phrase trouve un écho page 94, quand Raymond parle
d'Elsa : « cette fille est extraordinaire ! Elle a dû
mettre le grappin sur ce pauvre garçon ». Raymond ne le sait
pas encore mais il est déjà piégé.
Quand Anne quitte la villa, Cécile dit à son
père « Salaud, salaud » (page 145). Elle refuse
d'assumer ses responsabilités : tout cela est de sa faute, mais
elle s'en remet à son père.
Dans le monologue, un personnage converse avec lui-même. Au
style indirect libre, la parole du personnage surgit sans avertissement lexical
ou typographique. Le personnage exprime spontanément une
émotion.Cécile, en parlant d'Anne :
« Comment pourrais-je lui en vouloir ? Mais, soudain,
elle disait: «Quand nous serons rentrés, Raymond...» Alors,
l'idée qu'elle allait partager notre vie, y intervenir, me
hérissait. [...] Elle me tendait le pain et soudain je me
réveillais, je me criais: «Mais c'est fou, c'est Anne,
l'intelligente Anne, celle qui s'est occupée de toi ».
Le monologue permet de traduire les soubresauts de la
conscience ; L'adverbe « soudain », traduit la brutalité
et l'irruption de ses pensées. Cécile est face à un
dilemme : écarter Anne et poursuivre une vie d'insouciance ou
entrer dans le monde des adultes et mener enfin une vie rangée.
Le point de vue interne permet de suivre de très
près l'évolution de la narratrice et les débats de
conscience auquel elle se trouve confrontée.
Nous y reviendrons plus en détails dans la partie sur le
roman psychologique.
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