Annexe 1
Entretien avec Noëlle Vix-Charpentier,
architecte-urbaniste, codirectrice de l'Atelier A4 architecture et urbanisme
durables à Metz, Lorraine entretien réalisé le
28/02/2014
En tant qu'architecte-urbaniste, dans quelle mesure le
droit de l'urbanisme est une contrainte dans votre travail ? Comment le droit
de l'urbanisme est perçu parmi les architectes en général
?
Pour ma part, j'ai deux casquettes : l'une
est celle de maître d'oeuvre en bâtiment et en aménagement
et l'autre est celle de la planification urbaine : j'écris donc des
règlements qui vont devenir des contraintes pour d'autres
confrères. Mais du fait de ma pratique de la maîtrise d'oeuvre,
j'ai un autre regard quand j'écris un règlement que quelqu'un qui
serait purement administratif ou juriste. Ça, c'était pour dire
que j'ai la formation ad hoc pour faire ce que je fais.
En ce qui concerne les règlements, j'ai beaucoup de
confrères qui n'aiment pas les règlements, qui trouvent que ce ne
sont que des contraintes, que cela bride la liberté d'expression. Moi je
considère que quand on est architecte, on travaille dans un contexte, on
ne travaille jamais sur un terrain vierge. Et même si le terrain
était vierge et qu'il n'y avait pas de construction, il y a toujours un
environnement. Donc on ne peut pas se contenter de regarder ce qu'il y a sur sa
parcelle : on est obligé de regarder ce qu'il y a gauche et à
droite. Donc le droit de l'urbanisme est nécessaire : par exemple les
PLU. Il y des gens qui composent intelligemment avec le droit et d'autres qui
sont plus dans l'idée que le droit les empêche de s'exprimer. Mais
je crois que l'évolution avec les nouvelles générations
est qu'on est en train d'évacuer cette idée de l'architecte
artiste qui fait ce qu'il veut. J'observe toutes les attitudes parmi mes
confrères.
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Justement, quelle loi, quel règlement en
particulier vous semble excessivement contraignant ?
Le problème de la législation est qu'on est
obligé de composer avec un certain nombre de normes parfois
contradictoires. Par exemple quand on est dans un périmètre de
protection de l'architecte des bâtiments de France et notamment par
rapport au développement durable. Par exemple, la RT 2012 (la loi de
rénovation thermique) qui est entrée en vigueur au premier
janvier 2013, vise à aller vers des bâtiments plus économes
en énergie. Cette loi exige des parois vitrées sur un
sixième des façades sud pour bénéficier des apports
passifs, mais l'architecte des bâtiments de France de Moselle nous limite
à deux velux par toiture. Donc les un sixième de parois
vitrés sont impossibles à mettre en oeuvre.
Il en va de même avec des normes relatives à
l'accessibilité pour les handicapés. La Loi de 2007 concerne
toutes les formes de handicaps. Le cas classique : à Bayonville sur Mad
par exemple, la mairie a dû, suite à la loi, faire construire un
linéaire très important pour seulement une dizaine de marche.
D'une part, cela coûte très cher à la réalisation et
ce n'est pas tellement esthétique et d'autre part on arrive à une
aberration parce qu'on a pensé à cela mais on n'a pas
pensé à la grand-mère qui peut encore marcher mais qui
aurait besoin d'un appui : on a pas installé de rampe pour se tenir.
On a des réglementations qui essayent de bien cadrer
les choses mais il y a encore beaucoup de problèmes d'ergonomie.
L'ergonomie c'est l'adaptation à la morphologie de l'être humain
à tout âge de la vie. Par exemple lorsqu'on construit une
crèche, cela pourrait être bien de mettre les fenêtres
à hauteur des enfants. C'est aussi la question de la prise en main des
choses.
Le débat est de savoir s'il faut tout normer
(sic) ou si on recherche plutôt à faire des
bâtiments qui soient agréable à vivre.
Autre sujet : j'ai lu que de nombreux architectes
étaient favorable à la montée en puissance de l'urbanisme
de projet. Pourriez-vous s'il vous plaît m'en dire plus sur le sujet ? Et
qu'en pensez vous personnellement ?
Cela a commencé avec la multiplication des POS dans les
PLU suite à la Loi SRU qui a modifié profondément les
documents d'urbanisme et en particulier le POS. Avant, le
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POS était un outil de gestion : c'était non pas
le projet des architectes-urbanistes mais le projet des élus. Et
désormais cela prend de plus en plus d'importance parce que les lois
Grenelle, ont imposé la réalisation de Plans d'aménagement
et de développement durables : c'est un document d'aménagement,
un pré-schéma d'aménagement qui reprend les enjeux de
diagnostiques et les objectifs et les actions à mener en cartographie.
C'est une vision à très très long terme. Ce document est
traduit dans tous les documents opposables au tiers. On définit la
densité. C'est très schématique puisque c'est opposable au
tiers.
Avant l'élu disait je veux ça, et
c'était fait sans réfléchir. Les nouvelles
législations permettent d'éviter les aménagements par
poche successive, ce qui est un enjeu important concernant les voies de
transport. La nouvelle législation permet de restreindre les
velléité des élus.
La dernière étape est la Loi Duflot-ALUR : qui
généralise les PLUi : l'idée est de passer du banc
communal à une échelle plus petite. Ce n'est donc plus
forcément la commune qui va décider. C'est à mettre en
perspective avec la réflexion sur l'Acte III de la
décentralisation. Cela me semble intelligent. La commune rurale, on voit
bien qu'elle ne peut pas fonctionner toute seule.
Prenons par exemple la crèche de Bayonville sur Mad.
Elle est intercommunale. Ça n'aurait eu aucun sens de la faire à
l'échelle communale. Et ainsi la crèche prend en compte les
besoins des communes alentours. On va donc vers une certaine rationalisation
qui me semble positive.
Quel est votre point de vue sur les règles
d'urbanisme en matière environnementale ? Et quels sont d'après
vous les enjeux principaux de l'architecture environnementale aujourd'hui
?
La question de fond est là encore de savoir s'il faut
tout gérer par le droit. Pour les enjeux, avec la RT 2012, on va vers le
bâtiment passif. Le problème et l'enjeu des années à
venir, c'est la rénovation. La rénovation des logements
construits depuis les années 1970. La question se pose moins pour les
bâtiments anciens parce que les murs étaient plus épais.
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La question est aussi celle de la précarité
énergétique à tous les niveaux : locale,
départementale, régionale. C'est pour cela qu'existent des aides
pour le changement de chaudières.
Votre agence fait de l'architecture durable. Pouvez
vous me dire quels matériaux vous utilisez et pour quel usage
?
A l'agence, on fait beaucoup de marchés publics alors
les réglementations sont encore plus strictes que pour le bâtiment
privé. Les matériaux qu'on utilise sont ceux qui ont reçu
l'agrément du CSTB, l'organisation qui agrée les matériaux
pour le bâtiment.
La question des matériaux, c'est celle de
l'étanchéité des bâtiments à l'air, à
l'eau mais aussi de la respiration. La RT 2012 oblige à l'isolation. Et
il faut dire que les normes ne sont pas les mêmes dans toute la France,
compte tenue des conditions climatiques. Pour isoler on utilise beaucoup la
fibre de bois, qui est un produit plus sain, plus naturel que la fibre de
verre. L'enjeu en fait, c'est de faire des bâtiments étanches
à l'air mais qui laissent ressortir l'humidité. Alors on fait des
tests d'étanchéité avec de la fumée noire. Pour
l'isolation des toits on utilise aussi les toitures
végétalisées et il est important aussi de penser à
l'isolation du dallage.
Et hors question de matériaux, dans une architecture
durable, on recherche aussi la compacité du bâtiment.
Et une question importante est aussi celle de l'apport de
lumière. C'est la question de l'orientation des façades. Il vaut
mieux mettre les ouvertures au Sud pour profiter de l'ensoleillement. Mais
alors, il ne faut pas oublier de mettre des protections solaires.
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