Partie 1) Le droit de l'urbanisme et l'innovation
architecturale en matière esthétique
Outre la sécurité et la salubrité,
l'esthétique des villes est l'objet principal du droit de l'urbanisme.
Comme on l'a montré en introduction, la période des Trente
Glorieuses a fait passer cet objectif au second plan car la
nécessité première était surtout de construire des
logements en masse pour loger une population en forte augmentation. Le retour a
un urbanisme plus qualitatif après les années 1970 a cependant
remis l'esthétique au premier
plan.20
En France la notion de protection de l'esthétique
s'entend dans un sens passéiste : il s'agit de protéger, de
conserver ce qui existe. On suppose une harmonie à ce qui existe
déjà et en découle que les constructions nouvelles ne
doivent pas détruire cette harmonie.
Dans cette partie, il s'agira donc de s'intéresser aux
rapports entre innovation esthétique (c'est à dire la production
de nouvelles formes esthétiques) et droit de l'urbanisme.
Dans un premier titre, on montrera qu'en matière
esthétique, le droit de l'urbanisme est globalement hostile à
l'innovation. Après une phase de définition, nous
présenterons les règles les plus contraignantes du droit de
l'urbanisme en montrant en quoi elles font obstacle à l'innovation
architecturale. Ensuite, dans un seconde titre, on s'intéressera aux
rapports entre les professionnels du bâtiment (et en particulier les
architectes) et les contraintes réglementaires en matière
esthétique. Il s'agira d'abord de montrer que celles-ci apparaissent
comme des contraintes excessives qui représentent un obstacle à
l'innovation architecturale, puis on nuancera ce point de vue, en montrant que
la contrainte réglementaire est un cadre de travail pour les architectes
et qu'elle peut aussi devenir un moteur pour l'innovation.
20 MORAND-DEVILLER, Jacqueline : Droit de l'urbanisme.8e
édition. Dalloz, Paris, 2008
20
Titre 1) Le droit de l'urbanisme : un droit de la
protection de l'esthétique qui est un obstacle à l'innovation
architecturale
Il s'agira donc dans ce premier titre de montrer que le droit
de l'urbanisme est hostile à l'innovation architecturale en
matière esthétique, en ce qu'il a justement pour objectif la
protection de l'esthétique.
Mais l'esthétique de quoi exactement ?
Le droit de l'urbanisme a pour vocation de protéger
d'une part le patrimoine architecturale et d'autre part les paysages et les
espaces naturels, auxquels comme on l'a
dit, le droit suppose une harmonie.21 Dans un
premier chapitre, on présentera donc les dispositions relatives à
la protection du patrimoine architectural et dans un seconde chapitre, celles
relatives à la protection des paysages et des espaces naturels. Enfin
dans un troisième chapitre, on présentera le contrôle du
juge administratif en matière d'esthétique.
21 OGIER Magali : Innovations architecturales et droit de
l'urbanisme. Mémoire de DESS en droit de l'urbanisme et de la
construction, 1995
21
Chapitre 1) Les règles de protection du
patrimoine architectural
Dans ce premier chapitre, il s'agira donc de montrer que le
droit de l'urbanisme, au sens large, a pour objectif de la protection du
patrimoine architectural et de montrer en quoi cela est un obstacle à
l'innovation architecturale.
§1) Origine et évolution de la notion de
patrimoine
1) Définition et origine de la notion de
patrimoine
L'ensemble des lois et de la jurisprudence relative à
la protection du patrimoine architectural figure dans le Code du patrimoine.
Le mot patrimoine est issu du latin patrimonium qui
signifie « ce que l'on a hérité du père ».
En droit privé, le patrimoine désigne un « ensemble
de biens, droits et charges d'une personne juridique. », « l'ensemble
des biens et des charges d'une personne appréciable en argent
».22
Il y a dans la notion de patrimoine une idée
d'héritage des générations passées. Cependant, ce
qui est tangible et « appréciable en argent » pour le
patrimoine privé devient abstrait pour un patrimoine qui serait
national. Cependant il y a l'idée qu'il faudrait « un bon
père » pour s'en occuper. Cela justifie que la tâche de
gestion doit revenir à l'État car cette lourde tâche ne
peut être laissée au seul citoyen. »23
« La protection du patrimoine historique trouve sa
raison d'être dans la nécessité d'empêcher ou de
limiter strictement la construction dans les endroits ou elle est
indésirable afin de préserver les
espaces urbains »24
Il s'agit donc d'inventorier, de protéger de la
destruction, conserver et restaurer et mettre en valeur les traces et
témoignages du passé.
C'est à l'État que revient l'essentiel des
compétences en matière de patrimoine, cependant, les
collectivités territoriales y sont associées dans le soutien
à la conservation du patrimoine et notamment le département et la
région.
22 Dictionnaire en langue française, Le Robert, 1995, sous
la Direction d'Alain Rey
23 OGIER, Magali: op. Cit. : p.14
24 MONNIER, Mireille : L'urbanisme de protection, un droit au
service du patrimoine, Lextenso éditions, 2013, p. 13
22
En outre, l'idée qui définit la politique
patrimoniale est celle que l'urgence justifie l'existence d'un droit
très contraignant. On peut parler d'urgence en effet, car une fois un
monument historique détruit, aucun retour en arrière n'est
possible :
« La protection du patrimoine apparaît de plus
en plus fondamentale dans la mesure où elle constitue l'une des facette
de la politique patrimoniale qui vise la sauvegarde de l'identité
culturelle et la défense
de l'esthétique ». 25
Par ailleurs le patrimoine est un enjeu important pour le
développement local parce qu'il permet le développement du
tourisme. En effet, si la ville d'Aix-en-Provence, par exemple attire autant de
touristes, c'est pour son patrimoine architectural particulièrement ben
conservée.
En outre, le patrimoine architectural constitue aussi un
aspect de la qualité du cadre de vie des habitants. Si les touristes
apprécient le charme des bâtiments anciens, il en va de même
pour les habitants, qui peuvent en profiter toute
l'année.26
Le droit de l'urbanisme a donc en matière
d'esthétique une conception passéiste puisque le patrimoine
architectural est conservé pour une question d'esthétique. Est en
effet considéré comme esthétique, ce qui existe
déjà.
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