En RDC, le secteur privé semble avoir eu peu
d'influence sur l'élaboration du Code, et n'avait probablement pas
connaissance de son existence jusqu'à une époque relativement
récente. L'industrie forestière s'oppose à certains
éléments du Code et réclame actuellement qu'il soit revu
et corrigé. On sait toutefois que le secteur privé a joué
un rôle plus proactif dans l'élaboration et la mise en oeuvre des
décrets d'application. Tous les projets de décrets sont
censés être revus et approuvés par un « Comité
de pilotage » formé de fonctionnaires gouvernementaux, de
représentants du secteur privé, d'ONG et de conseillers
spéciaux, pour ensuite être envoyés au ministre ou au
président pour leur approbation finale. Cependant, après avoir
approuvé quelques-uns des décrets de base nécessaires
à l'attribution de concessions industrielles jusqu'au début de
2004, le Comité a pratiquement cessé de se réunir et les
membres du secteur privé refusent de continuer à examiner les
textes des projets de décret. L'élaboration de politiques a ainsi
été littéralement bloquée pendant la majeure partie
des deux dernières années.
Bien que l'élaboration de politiques soit
entravée ou carrément bloquée, le secteur privé
réussit de toute évidence à convaincre le gouvernement
d'attribuer des parties de forêts aux fins d'exploitation. La Banque
mondiale a constaté les « demandes pressantes »
adressées au gouvernement par des investisseurs étrangers qui
sont prêts à commencer à opérer en RDC.
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Cette obstruction et ces pressions semblent avoir
été provoquées pour la plupart par les changements
apportés avec l'appui de la Banque mondiale au régime fiscal
forestier, lequel est en soi une partie importante de la politique
forestière du gouvernement, Par exemple, en 2002, la taxe de superficie
était de 0.00143 $ par hectare, ce qui signifie qu'une « concession
» de 200,000 hectares n'apporterait au gouvernement que 286 $ par
année en revenus provenant des taxes de superficie.50 La Banque a fait
pression sur le gouvernement congolais pour qu'il augmente substantiellement
ces taxes, recommandant vivement de les porter à 0.50 $ par hectare par
an (ce qui est encore bas par rapport au reste de la région et
très bas par rapport au reste du monde).
Bien que le gouvernement y ait d'abord consenti, l'industrie
forestière s'est farouchement opposée à ces changements et
a réussi à convaincre le gouvernement d'introduire graduellement
les taxes de superficie, et de faire en sorte qu'elles ne s'appliquent
qu'à un quart de la zone de « concession ». La taxe est
actuellement de 0.20 $ par hectare.
De la même façon, l'Office national des
transports, ONATRA, s'est vivement opposé à tout changement dans
les systèmes (para)fiscaux par lesquels il perçoit une partie
substantielle du total des revenus forestiers grâce à une taxe sur
le transport fluvial du bois. Pour ce qui est de l'ensemble des réformes
fiscales proposées par la Banque mondiale, celle-ci signale que,
à la suite d'un décret publié en mars 2004, le
gouvernement congolais a « commencé à appliquer la nouvelle
taxe forestière, mais aucune des mesures visant à réduire
le fardeau fiscal n'a été mise à exécution. ONATRA
n'a pas non plus réduit ses tarifs de transit. » Toutes ces
oppositions ont eu pour effet de bloquer littéralement la réforme
de la politique fiscale du secteur forestier.
La société civile n'a eu jusqu'à
maintenant qu'une influence extrêmement limitée sur les politique
forestière. Il n'y a eu aucune consultation auprès des ONG
nationales pendant la préparation du Code forestier, quoiqu'il y ait pu
y avoir une consultation restreinte auprès de groupes de conservation
internationaux, tel que WWF et la Wildlife Conservation au sein du
Comité de pilotage qui examine les projets de décret, le
Comité ne s'est pas vraiment réuni depuis que d'autres ONG s'y
sont intégrées. On peut déduire de ce qui
précède que le gouvernement s'était appuyé presque
entièrement sur les « conseils », le soutien et les
encouragements apportés par des organismes de l'extérieur,
particulièrement la Banque mondiale, pour la modernisation de sa
structure de politique forestière. La Banque, la FAO et,
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dans une moindre mesure, des ONG telles que WWF ont
apporté un « soutien technique » à l'élaboration
du Code et des quelques décrets d'applications qui ont suivi. Ceux-ci
n'auraient presque certainement jamais vu le jour n'eût été
des interventions internationales.
Ceci s'inscrit dans un contexte historique ou l'exploitation
du bois d'oeuvre, de même que tous les autres secteurs
économiques, était essentiellement utilisée par les
élites politiques pour accumuler des richesses et du prestige personnels
et comme une « unité monétaire » importante dans les
systèmes de clientélisme politique.
Comme il est mentionné dans un rapport produit pour
USAID :
« Ce n'est pas un hasard si aucun effort n'a
été fait pour jeter les fondements d'un système de lutte
contre la corruption et les procédés de financement illicites en
RDC .L'histoire de la RDC est marquée par les aspirations des dirigeants
à détenir et conserver le monopole du pouvoir. Dans la pratique,
les revenus provenant de pots-de-vin sont venus arrondir de façon
régulière et substantielle les salaires des fonctionnaires de la
RDC .Actuellement, l'administration présidentielle, le Conseil des
ministres, les gouverneurs provinciaux, ainsi que l'administration locale et
régionale sont quelques-unes des entités gouvernementales
corrompues65. »
L'étude signale également que :
« Le danger qui plane actuellement sur les
forêts de la RDC réside dans la faible gouvernance,
c'est-à-dire, la probabilité que le gouvernement soit incapable
de bien réglementer l'accès aux ressources forestières et,
une fois les concessions octroyées, de contrôler l'exploitation
à l'intérieur de celles-ci afin de s'assurer que les limites des
concessions sont respectées. Le fait que le gouvernement n'ait
pas la capacité ou la volonté de contrôler les
concessionnaires forestiers locaux ou étrangers pourrait marquer le
début d'une expansion de l'exploitation forestière qui risquerait
d'épuiser rapidement les ressources ligneuses du pays. Cela pourrait
à la fois entraîner une série de conséquences
négatives sur l'environnement66.
Dans son enquête sur l'exploitation illégale des
ressources naturelles de la RDC, un Groupe d'experts du Conseil de
sécurité de l'ONU reconnaît les dangers que poserait la
relance des
65Debroux, Laurent, Hart, Kaimmwitz, Karsenty &
Topa, « Forests and post-conflict Democratic Republic of Congo:
analysis of a priority agenda». Washington ,2007
http://documents.worldbank.org/curated/en/918971468770
66 Ibidem.
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secteurs des ressources naturelles en RDC. En janvier 2003,
le Conseil de sécurité a adopté à
l'unanimité la résolution 1457, encourageant « les
Etats, les institutions financières et les autres organisations à
aider ...à faire en sorte de mette en place les structures et
institutions nationales nécessaires pour exercer un contrôle sur
l'exploitation des ressources en RDC »67.
Cela ne s'est pas fait jusqu'à maintenant ; en fait,
la capacité et la volonté de l'administration forestière
de véritablement administrer le secteur forestier sont devenues
pratiquement nulles. Cela va des échelons les plus élevés
vers les plus bas - comme nous l'avons mentionné plus tôt, le
Ministère de l'Environnement, tout en étant responsable du
moratoire interdisant l'attribution de « concessions forestières
» a systématiquement octroyé, sur une période de plus
de 3 ans, près 150 de ces « concessions » couvrant une
superficie d'environ 15 millions d'hectares.
D'une part, le ministère a un problème de
sureffectif, qui a entraîné la prolifération des services
spéciaux et la répétition des tâches ; même
l'effectif réel du ministère de l'Environnement n'est que
vaguement connu, le nombre d'employés basés à
l'extérieur de Kinshasa se situant quelque part « entre 2000 et
4000 » selon les estimations de la Banque mondiale. D'autre part, les
compétences techniques de base, notamment en matière de
planification de la gestion forestière, de cartographie
géographique et de recensement forestier, font largement défaut.
D'après la Banque mondiale, le pays « n'a produit aucun nouveau
forestier professionnel depuis dix ans. » Les agents forestiers locaux ne
disposent d'aucune information même sur les lois et politiques
forestières actuelles, ni d'aucun des outils de base, tels que des
véhicules, ordinateurs ou téléphones, nécessaires
à la réalisation de leur travail.68
67 Résolution du Conseil de
Sécurité 2003
68 Greenpeace 2005 Annual Report DRC
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Section 2 : Opportunité du
mécanisme REDD (Réduction des Emissions dues à la
Déforestation et à la Dégradation
forestière)
2.1 Notions
Au cours des dernières décennies, la
déforestation et la dégradation des forêts ont
été très marquées, particulièrement sous les
tropiques ou est localisée la République Démocratique du
Congo. C'est le résultat de nombreux facteurs, dont l'exploitation
(légale et illégale), la conversion pour une agriculture à
grande échelle, l'agriculture de subsistance par les populations rurales
pauvres, l'activité minière et la collecte de bois de chauffage.
La disparition des forêts soulève des inquiétudes pour de
nombreuses raisons (perte de biodiversité, impacts sur la vie rurale,
dégradation des services des écosystèmes tels que
l'approvisionnement en eau.
Le REDD est un mécanisme international
créé lors de la conférence des Parties
UNFCCC69, pour inciter économiquement les grands pays
forestiers tropicaux à éviter la déforestation et la
dégradation des forêts. Dans ce cadre, une valeur
financière au carbone stocké dans les forêts, offrant une
incitation économique pour les pays en développement afin qu'ils
diminuent la déforestation et investissent dans les alternatives plus
sobres en carbone pour le développement durable. Le programme «
REDD+ » va au-delà de la déforestation et de la
dégradation des forêts uniquement, et inclut une gestion durable
et la conservation des forêts ainsi que le renforcement des stocks de
carbone liés à la forêt.
A cet effet, la France s'est engagée en 2009, lors du
sommet de Copenhague70 sur le climat, à consacrer 20 p. cent
de ses financements précoces pour le climat (soit 150 millions d'euros
par an) à la lutte contre la déforestation des pays en
développement71. Ainsi, afin d'assurer le suivi permanent de
ses engagements sur la question, la France avait mis sur pied le projet «
Gret72 » qui est présent en République
Démocratique du Congo depuis 1998, avec des interventions dans
69 UNFCCC : United Nations Framework Convention on
Climate Change : Convention cadre des Nations sur les changements climatiques,
adoptée au cours du Sommet de la Terre en 1992 par 154 Etats.
70 La conférence de Copenhague de 2009 a
été la 15e conférence des parties de la
Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Du 7 au 18
décembre 2009
71 Suivi des engagements de la France sur Redd,
https://www.gret.org
72 Le Gret est une ONG internationale de
développement, de droit français, qui agit du terrain au
politique, pour lutter contre la pauvreté et les
inégalités.
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trois domaines : agriculture ; eau potable, assainissement et
déchets ; gestion des ressources naturelles et énergie.
Du côté de la République
Démocratique du Congo, la mise en place du mécanisme REDD dans la
lutte contre le déboisement et la dégradation des forêts
est une opportunité pour l'aménagement de son couvert forestier.
La RDC s'est fortement engagée dans le processus de préparation
du REDD, elle se prépare à recevoir des fonds importants dans le
cadre des financements de la réduction des émissions. Ce
processus comprend l'établissement d'un cadre institutionnel et
légal pour la mise en oeuvre de la REDD.73Le Fonds National
REDD+ a pour ambition de constituer un point d'entrée
privilégié pour le financement de la stratégie REDD+ du
pays. Il facilite l'utilisation stratégique des contributions au travers
d'une coordination renforcée des différentes sources de finance
climatique, d'une appropriation nationale accrue et d'allocations efficaces
axées sur les résultats, dans le respect des sauvegardes sociales
et environnementales.
Du Programme REDD+ découle des projets REDD+ qui
mettent en place des activités qui aident à la réduction
de la déforestation et de la dégradation des forêts .Les
communautés qui dépendent de ces forêts sont les acteurs
gestionnaires principaux de ces activités74.
Comme illustré avec la RDC, les crédits carbone
sont utilisés par les communautés locales pour développer
une série d'activités économiques durables, tels que des
produits issus de la forêt, l'agroforesterie, des infrastructures
d'éco-tourisme, du micro-crédit et des moyens de communication
locaux ainsi que d'autres activités socio-économiques,
culturelles et environnementales.
En effet, les projets de conservation REDD+ aident les
communautés de producteurs les plus défavorisés à
protéger leur forêt et à développer des
activités rentables et durables en valorisant les services
écosystémiques rendus par les forêts. Les activités
développées pour la conservation des forêts sont de 4 types
:
73 Partenariat pour les forêts du Bassin du
Congo, Mécanisme de gestion des financements REDD+ en RDC, https :
pfbc-cbfp.org
74 Projet REDD+ : Conservation de la Forêt,
https://www.purprojet .com
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? Mesures coercitives : enregistrement de la zone au niveau
de protection le plus élevé, délimitation de la zone,
contrôle et surveillance, actions pour éviter l'immigration non
contrôlée, etc.
? Activités d'incitation pour augmenter la valeur de
la forêt vivante : par exemples extraction des graines,
éco-tourisme, utilisation des plantes, production apicole, etc.
L'objectif est de réduire le besoin pour les communautés de
déboiser plus.
? Régénération naturelle assistée
: renforcement des stocks de carbone forestier grâce à des
pratiques de gestion durable des forêts75.
Il est apparu critique pour la RDC de mettre en place un
cadre de gouvernance multipartites et multisectoriel afin que les politiques et
mesures REDD+ soient impulsées au plus haut niveau décisionnel,
et fasse l'objet d'une coordination efficace. La structure de gouvernance du
Fonds, instaurée par Décret du Premier Ministère, est
assurée par trois organes principaux :
Le Comité de pilotage,
présidé par le Ministère des Finances (en tant
qu'Entité de Coordination Nationale), est l'organe d'orientation, de
décision et de supervision des activités du Fonds ; il fixe les
orientations stratégiques, approuve les propositions de programme REDD+
et s'assure de la performance globale du Fonds. Il est composé de six
membres du Gouvernement au niveau ministériel, et de partenaires au
nombre desquels CAFI, le représentant du système des Nations
Unies, la société civile et le secteur privé.
Le Comité Technique, piloté
par le ministre de l'environnement, garantit le contrôle qualité
et le respect des critères REDD+ fixes. Il évalue l'ensemble des
orientations stratégiques et propositions de programme REDD+ soumis au
Fonds et propose ses recommandations au comité de pilotage.
Le Secrétariat Exécutif est le
gestionnaire national du Fonds au nom du Comité de Pilotage. Il assure
la coordination quotidienne des activités du Fonds et veille au respect
des règles et procédures76.
2.2 Obstacles à la mise en oeuvre du REDD+
En RDC, le problème de la gouvernance n'est pas tant
de disposer d'un cadre juridique adéquat car, malgré leurs
lacunes, les outils juridiques existants peuvent produire des résultats,
s'ils
75 Ibidem
76 The DRC REDD+ National Fund,
www.cafi.org
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étaient appliqués, respectés et
opposables à tous. Le problème est surtout de faire appliquer la
loi et de développer des compétences pour ce faire. Or, on
observe qu'à tous les niveaux, les autorités forestières
cultivent l'irrespect des normes, leur laisser-faire et laisser-aller
produisant de surcroît un déficit de transparence qui favorise
toutes les formes de corruption. Nous relèverons ces déficits de
gouvernance et de transparence aux niveaux national, provincial et local.
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