5.2 Les facteurs individuels favorisant
les sorties contre avis médical
Il ressort des propos de nos participants que tous ont une
connaissance du motif ayant conduit à l'hospitalisation. Ce motif varie
de la crise convulsive à la douleur (lancinante). Nous pouvons donc dire
que chacun de nos participants a été informé dès
son arrivé de la problématique ayant conduit à
l'hospitalisation ; c'est le cas par exemple d'Armand qui
déclare «mon motif d'hospitalisation était la fracture
fermé de l'os du tibia issus d'un accident de la voie
public ».L'ensemble des étiologies évoquées
par les participants reflète ainsi le caractère urgent (car mise
en jeu du pronostic vital) dans la prise en charge d'où la sollicitation
d'un centre des urgences en première instance. Quoique l'on soit dans un
service des urgences, il n'est pas rare que des difficultés surviennent
pendant le séjour des patients.
La plupart de nos enquêtés affirment avoir
rencontrés d'énormes difficultés pendant le traitement.
L'enquête montre que ces difficultés ont commencé pour
certains dès leur arrivée et ce sont prolongées
jusqu'à la fin de leur séjour dans cette structure.C'est le cas
de joseph:
«Les difficultés ne sont pas seulement pendant
le traitement sa commence dès l'arrivée dans cet hôpital
jusqu'à la fin de tes jours là-bas. D'abord la
1ère difficulté que j'ai rencontrée
était de voir ma malade se tordre de douleur et on me demande d'abord de
payer avant qu'on lui donne quelque chose. Et ensuite c'était avec les
infirmiers qui t'abandonne et même quand elles arrivent ce sont les
problèmes. Elle vous insulte grave ; la tenue là les prend
la tête. Et l'autre difficulté était au niveau des
moyens ; là-bas c'est trop cher ; tout est chère, il
n'y a pas de petite facture et il faut qu'on mette même trois personnes
à la pharmacie car quand tu pars pour payer c'est trop saturé.
Les médecins aussi là-bas je ne sais pas s'il y a seulement les
jours de consultation, ils ne passent presque jamais. »
Il ressort dans ces propos l'idée de plusieurs ordres
de difficultés qui sont liés à la prise en soin, au
fonctionnement du service et au financement des soins. Ainsi, accompagnement
insuffisant, faible qualité d'écoute et de communication,
désorganisation au niveau du service, coûts de soins
élevés semblent être les principaux points de
difficultés. Si la vocation d'un centre des urgences est de lever le
risque d'atteinte du pronostic vital (en stabilisant le malade), il semble
incompréhensible que l'on puisse exiger au patient de payer des frais
avant la réalisation de tout acte médical. Cependant,
l'incrédulité de certains patients serait l'une des causes de
cette exigence dans les services, ceux-ci prenant parfois la fuite dès
lors qu'ils se sentent « mieux ».
Tout à côté de ce participant, d'autres
ont rencontrés des difficultés sur le plan organisationnel et la
prise en soinqui s'avère grave (si avéré). Tel est le cas
de Calvin qui affirme :
«La seule et grave difficulté que j'ai eu
là-bas était au niveau du diagnostic incertain posé sur la
maladie de ma maman et cela après un long séjour de traitement.
Ça veut dire qu'ils font des choses à tâtons et c'est
délicat surtout pour des personnes âgées comme ma
mère, et le médecin se dit qu'on ne peut pas lui reproché
sur quelque chose. D'autre part, la longue file d'attente au niveau de la
pharmacie constitue un autre problème qu'il faudrait
solutionner ».
L'incertitude sur le diagnostic laisse ainsi planer une ombre
de doute en ce qui concerne le savoir du personnel sur les différentes
affections ; cependant, la complexité de certains processus
pathologiques associé parfois à l'indisponibilité des
outils diagnostics pourrait justifier ce que les patients note comme
« incertitude diagnostic». Il ressort par ailleurs ici
l'idée de désorganisation du service tel qu'évoqué
par Armand dont la conséquence était à l'entrée un
long délai d'attente tel qu'évoqué par les participants
Martine, Martin, Jeanne et Joseph en ces termes « l'accueil y
est bien fait mais vous êtes par la suite abandonnée pour un bon
moment soit dit en attendant le médecin ». Le fait que
cette participante ait un diplôme d'études supérieur montre
ainsi l'influence de l'éducation sur l'adhésion ou soin
d'où son questionnement sur le diagnostic posé.
A l'exception dePierre qui lui affirme « en
dehors du temps d'attente long au niveau de la pharmacie, moi, je n'ai
pas eu de difficulté en tant que tel durant mon séjour»,
l'ensemble de nos participants s'accordent sur des difficultés qui
sont liés à la prise en soin (mauvaise qualité
d'écoute, accompagnement insuffisant), à l'organisation de la
structure (délai d'attente long) ainsi qu'à
l'accessibilité aux soins (coûts élevés de soins).
L'observation de l'un des participant peut être dû à sa
fonction de comptable qui lui permettait de pouvoir
« financer » tous les aspects formel et informel relatifs
aux soins dans la structure, d'où la question de prise en
charge/financement des soins en milieu hospitalier.
A la problématique relative au financement des soins,
les réponses formulées par les enquêtés sont des
plus diverses. Néanmoins, nous constatons que cette prise en charge des
frais médicauxse résume en une prise en charge individuelle et
une prise en charge par une société d'assurance. À
l'exception d'Armand (chef d'entreprise) qui déclare
bénéficier d'un régime d'assurance (bien qu'il doive
préfinancer ses soins), l'ensemble des participants déclarent
payer leurs soins de leur poche. Cet état reflète la
réalité de la prise en soin dans notre contexte où l'on
note l'absence de système de sécurité sociale dont la
conséquence est le recours aux organismes d'assurances pour les
personnes les plus Fortunés. De tout ceci nous pouvons dire que la
personne assurée rencontre moins de difficultés sur le payement
des frais d'hospitalisation que la personne non assurée. Il semble
dès lors quelque peu incompréhensible que ceux-ci puissent
solliciter une sortie contre avis médical, d'où l'investigation
sur les causes à la base du phénomène tel que perçu
par nos Participants. Il ressort de notre enquête que plusieurs raisons
ont poussé les patients à sortir contre avis médical. Il
s'agit en l'occurrence du coût élevé de soins,
l'accompagnement insuffisant des patients et de la mauvaise communication entre
les patients et le personnel soignant.Cependant, d'autres
éléments tels l'absence d'un soutien familial ou encore de
soutien spirituel sont également à la base de ce
phénomène. Ceci est retrouvé dans les propos de Martine
qui déclare :
« J'étais seule à Yaoundé
avec ma mère, les infirmières ne prenaient pas bien soins de ma
mère, elles nous abandonnaient trop, les frais étaient trop chers
et il n'y avait plus rien même pour manger. Aussi il fallait que ma maman
suive les séances de prières avec son
prêtre ».
La famille étant un agent de
normalisation/socialisation, l'on comprend qu'elle ait une place inexplicable
dans la prise en soin des individus. De même, les convictions religieuses
des individus étant parfois à la base de l'acceptation de leur
thérapeutique, il parait compréhensible que ceux-ci se tournent
vers le spirituel en situation de maladie d'où leur sortie pour
rechercher des solutions à leurs problèmes, et surtout au niveau
de leur bourse. Tout à côté des patients qui sortent pour
rechercher des solutions alternatives (prière), d'autres eux sortent
parce qu'ils estiment qu'ils se portent au mieux (amélioration de
l'état de santé). Tel est le cas de pierre qui
déclare :
« Ce qui m'a poussé à sortir contre
avis médical était le fait qu'on voulait à tout prix
m'imposer un hôpital où je ne voulais pas alleralors que je voyais
ma fille qui allait déjà mieux. En plus la grande raison
était que leur ambulance coûtait trop chers et on lui imposait
cette ambulance alors que je pouvais le faire avec ma propre voiture. J'ai
compris que le jeu là-dedans était beaucoup plus l'argent qu'il
voulait »
Il met ainsi une fois de plus en exergue l'absence de
recherche de compromis entre les partenaires de soin qui est une exigence
même à la relation d'aide. Cette relation d'aide qui doit
être épreinte d'une certaine dose d'humanisme semble, de l'avis de
cet informateur, manquer à l'appel dans cette structure. Certains de nos
participants soulignent déjà les longs délais d'attente
à l'entrée et le détournement de leurs médicaments
en cours d'hospitalisation. C'est le cas de jeanne qui rapporte que :
« Ce qui m'a poussé à solliciter
une SCAM était d'abord le fait qu'on nous abandonne dans un box pour
longtemps sans s'en occuper de ma soeur malgré son état. Ensuite
la décision subite d'opérer ma soeur et sans aucun
examen».
Elle reprend ici l'idée d'incertitude sur le diagnostic
évoqué plus haut, témoignant ainsi de l'exigence des
patients en regard de la qualité du service dont de la qualité
des soins qui leur est offert. À sa suite Martin rajoute :
« J'ai décidé de partir de cet
hôpital parce que tout allait mal là-bas. Je ne sais même
pas si on peut appeler encore ça hôpital. D'abord parce qu'on vole
les médicaments là-bas, et même on abandonne le malade s'il
n'a pas d'argent, mais on prend bien soin de ceux qui en
ont »
Il reprend ainsil'idée du capitalisme médical/en
santé ; ce capitalisme étant définitcomme la
recherche d'un profit argent (priorité accordée à
l'argent). Cette priorité accordée à l'argent peut ainsi
justifier le fait que Pierre (comptable de profession) estimait ne pas avoir eu
de difficultés lors de son séjour. Ce manque de
valeurs/d'humanisme qui se traduit d'une part par le détournement des
médicaments se retrouvent dans les propos de Joseph qui
déclare :
« Même si c'était toi madame tu ne
pouvais plus rester là-bas. Ce qui à motiver ma sortie est le
fait que tout ce que j'ai acheté pour le bloc ait disparu et qu'aucune
information ne m'ait été donnée par les
infirmières ».
Ces éléments sont à l'origine d'une perte
de confiance/méfiance des patients envers le corps médical,
méfiance qui est exacerbée par l'incertitude relative au
diagnostic et au dysfonctionnement organisationnel de la structure. Calvin
souligne à cet effet :
« Moi ce qui m'a poussé à sortir
contre vis médical est le fait que le CURY ne joue pas bien son
rôle des urgences. Il garde les malades là-bas pour longtemps
surtout lorsqu'il constate qu'ils ont un peu d'argent. La grande raison
était au niveau du diagnostic incertain faite sur sa mère. Le
médecin décide d'opérer un malade sans faire un examen de
confirmation ».
Quoique la clinique permette de confirmer bon nombre
d'affections sans besoin d'un examen para clinique (surtout dans le cadre des
urgences), les patients comme nous l'avons souligné ci-haut sont
aujourd'hui sontinformés des techniques diagnostiques et parfois de leur
maladie grâce aux technologies de l'information et de la communication
(TIC). Leur démarche s'inscrit dès lors dans une optique
confirmatoire, nécessitant ainsi pour le praticien une communication
efficace lorsque ces conclusions semblent ne pas aller dans le sens des
conjectures de ceux-ci.
En ce qui concerne les raisons de sortie contre avis
médical, nous pouvons constater que sept patients sur sept se plaignent
du coût très élevé. Les raisons qui reviennent chez
les enquêtés sont : la mauvaise communication avec le
personnel soignant (que ce soit le médecin ou l'infirmier),
accompagnement insuffisant ; détournements des médicaments
et autres. Si la sortie contre avis médical est une
réalité au sein de cette structure, il est toutefois
nécessaire de s'intéresser à l'investissement des
individus dans le cadre de cette sollicitation.
De multiples raisons poussent les participants à
prendre la décision de sortir contre avis médical. Nous
constatons que cette prise de décision estmajoritairement
réalisée par la personne directement responsable de la personne
malade (celui qui règle les factures) et très rarementpar le
patient lui-même. Ceux-ci sont en général soit
l'époux, le fils, la soeur ou encore le parent du patient. Telle est le
cas pour Pierre qui signifie que« la décision
était prise par moi (parent) vu que c'est moi qui m'occupe de ma fille
et la charge me revient ». Il en ressort ainsi l'implication des
proches aidants dans la prise en soin des patients, d'où leur statut
d'auteur et d'acteur de soins tel qu'évoqué par Pokam (2017).De
ce fait, l'influence familiale peut être considérée comme
l'un des facteurs au phénomène de SCAM. À contrario, on
note qu'un de nos participants (patients) déclare avoir pris cette
décision de lui-même. Il (Martin)
déclare : « La décision a
été prise par moi-même et personne d'autre,
déjà que j'étais seul là-bas toute ma famille est
à MbamEkim ».Son statut d'adulte associé à
l'éloignement de ses proches représente là les conditions
qui justifient qu'il soit ainsi le garant de sa prise en charge. En
dépit que des difficultés semblent joncher le séjour de
nos participants, améliorer celui-ci ne saurait se faire sans l'aide de
ceux-ci d'où leurs suggestions quant à la prise en soin.
Au regard de toutes les difficultés rencontrées,
certains enquêtés pensent qu'il y a des possibilités
d'améliorerla prise en charge des patients au CURY. C'est la raison pour
laquelle nous avons recueillies leurs suggestions pour cette
amélioration.Celles-ci sont présentées en annexes3 de ce
travail.
Malgré ces difficultés, d'autres estiment qu'ils
n'ont rien à suggérer pour cet hôpital car les praticiens
sont conscient de ce qu'ils font. Calvin dans cette lancée
déclare :
«Je ne suggère rien pour cet hôpital car
les praticiens sont conscient de ce qu'ils font, et le gouvernement sait ce
qu'il peut faire pour mettre fin à cela.Les praticiens se sentent
obligés d'agir de cette sorte pour avoir un peu d'argent vu que leur
salaire est très minable. »
Il met ainsi en avant la volonté politique comme
étant un moyen pouvant améliorer le séjour des patients et
par conséquent faciliter l'accès aux soins tout en minimisant le
risque de SCAM. Les propositions faites par les enquêtés pour
l'amélioration de la prise en charge des patients sont diverses. Pendant
que certains pensent que l'administration devait organiser des réunions
et des supervisions pour le personnel infirmier et pour les médecins,
d'autres par contre estiment que celle-ci devrait sanctionner en cas de
mauvaise conduite. D'autres aussi, trouvent que les infirmiers et les
brancardiers se comportent bien avec les malades et pensent qu'il faudrait
juste encourager ceux-ci d'où l'importance de la
« motivation » au travail. Néanmoins la plupart
s'accordent sur le fait que les infirmiers doivent être gentils et
attentionnés aux besoins des malades. Les individus évoluant dans
un milieu (hôpital) déterminé, il nous a paru
adéquat de nous intéresser aux facteurs liés à
celui-ci.
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