Environnement, paysage et projet de territoire. Vers une approche territoriale pour la sauvegarde et la mise en valeur de la réserve de biosphère des oasis du sud marocain.( Télécharger le fichier original )par SADKI Aba Université Internationale de langue française au service du développement Africain (Université Senghor d'Alexandrie) - Master en Gestion de l'environnement 2007 |
CHAPITRE II : VERS UNE APPROCHE ALTERNATIVE DU DÉVELOPPEMENT TERRITORIAL DES PALMERAIES DE LA RBOSM :En parallèle à l'ouverture des oasis du sud Marocain sur le monde urbain, des actions ponctuelles et dirigistes de conservation ont pendant longtemps été la réponse ultime des pouvoirs publics à la crise environnementale des oasis. L'approche de conservation préconisée durant de longues années s'appuie sur l'identification de « zones à protéger » sur la base de seul critère de l'abondance des ressources naturelles et de l'intérêt écologique et biologique du site. Cette politique de « mise sous cloche » et de muséification des échantillons de la nature s'est traduite par des opérations de classement et de zonage figés et gérés par la force de la loi entrainant par conséquent la perte des droits des populations à l'usufruit tiré depuis toujours sur les ressources naturelles de leur territoire (coupe de bois, chasse, pâturage...). La désignation des zones riches en ressources naturelles en « aires protégées » sur des territoires qui soutiennent la vie des populations, accompagnée de la proscription des établissements humains et des activités économiques a amplifié les tensions entre les conservateurs et les usagers des ressources de l'environnement. Ceci s'est traduit dans la plupart des cas par un conflit entre le droit légal représenté par l'administration de conservation de la nature et le droit coutumier hérité par les populations depuis la nuit des temps. À cause de ce modèle singulier de conservation de la nature basé sur l'exclusion des intérêts des communautés locales, la gestion de l'environnement est en crise dans la région des oasis. Cette situation accélère la perte de la biodiversité et la dégradation des espaces nourriciers des populations. Les pratiques de gestion des ressources naturelles et les savoir faire écologiques traditionnels ne sont pas reconnus ce qui a mené à une politique de conservation qui exclue les humains, limite leurs activités économiques et viole leur droits historiques. Cette politique est largement responsable de la crise de conservation dans les palmeraies du sud Marocain et empêche une valorisation appropriée des ressources locales. Les oasis sont devenues des entités de conservation non viables et insulaires et ne pouvant plus garantir un développement prospère à leurs habitants. Au moment où les efforts de conservation se concentrent sur la vie sauvage et les sites remarquables, les paysages représentatifs des interactions uniques entre le naturel, la social et le culturel retiennent très peu l'attention des conservateurs et des gestionnaires de la réserve. Après la mise en place du statut de la réserve de biosphère par l'UNESCO en novembre 2000, les handicaps ne sont pas encore entièrement surmontés, mais les comportements des acteurs s'améliorent progressivement. Des initiatives communes de protection de l'environnement ou de développement local commencent à voir le jour et cultivent une culture de collaboration et de partenariat. Un constat est vérifié sur le terrain : l'urgence impérieuse est pour protéger le milieu naturel et sauvegarder les vastes paysages d'une grande qualité et d'une signification historique enracinée mais surtout d'une valeur économique inestimable pour le bien-être des populations. Il est évident que le statut de la réserve de biosphère est la dernière ligne de frontière à la conservation des écosystèmes oasiens, une véritable opportunité du développement humain qu'il faut saisir. Ce statut représente une approche alternative de gestion de l'environnement et de développement local qui associe les communautés locales dans la prise de décisions et qui poursuit le double objectif d'assurer de meilleures conditions d'existence aux populations sans que leur environnement soit le prix à payer. Cette situation appelle la mise en place des outils de gestion adéquats qui instaurent l'harmonie entre les activités des populations et les valeurs naturelles et paysagères de leur territoire. Dans nombreux contextes territoriaux à travers le monde, les « réserves de biosphère » et les « paysages protégés » apportent des réponses satisfaisantes à ce besoin. Une réserve de biosphère représente sans doute un modèle idéal du développement durale dans le sens où elle démontre les bénéfices d'une approche collaborative et intégrée au niveau de la gestion de l'environnement et de développement économique. Les opportunités pour la promotion des oasis du sud Marocain qui ont le privilège de figurer sur cette catégorie d'aires protégées, peuvent être mieux saisies si on considère les principes et les dispositions qui guident ce statut. Le statut de la réserve de biosphère qui a pris appui sur l'échec de l'approche classique de conservation et sur les menaces auxquelles le territoire oasien est exposé doit être le noyau dur d'une approche du développement territorial innovante. Sa mise en oeuvre tient à la volonté de mener une action collective autour d'un projet de développement axé sur la protection et la mise en valeur du potentiel local. Dans ce sens, le « projet de territoire » concoure parfaitement à l'atteinte des objectifs de MAB.
« Dans les paysages d'aujourd'hui sont présents les paysages d'hier et ceux de demain ».48 Le paysage est un concept polémique. Sa réalité complexe le rend difficile à définir. Le Robert propose : « Partie d'un pays que la nature présente à un observateur », le petit Larousse : « Étendue de pays qui présente une vue d'ensemble ». Le Conseil du Paysage québécois considère que le paysage est beaucoup plus que les caractéristiques visibles d'un territoire et élargie sa définition pour englober « l'interaction entre l'activité humaine et l'environnement ». C'est-à-dire que dans la notion du paysage s'inscrivent « les éléments biophysiques, anthropiques, 48 La charte paysagère : outil d'aménagement de l'espace intercommunal, fédération des parcs naturels régionaux de France, la documentation française, Paris 1995, page 25 socioculturels, visuels et économiques ».49 Pour le Groupe-conseil sur la politique du patrimoine culturel du Québec, le paysage désigne « le résultat des interactions entre les populations, leurs activités et les lieux qui les accueillent ». Ce groupe considère que le mot a évolué vers la notion de système « c'est-à-dire d'ensemble dynamique de relations entre les êtres vivants occupant un espace donné».50 Dans le même sens, la Convention Européenne sur le Paysage admet que le paysage est « une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l'action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations»,51 alors que la Charte du Paysage Québécois considère que le paysage est « à la fois le résultat et la reconnaissance des occupations successives du territoire ».52 Un guide de Conseil du Paysage Québécois distingue entre « le paysage naturel » et « le paysage humanisé ».53 Le premier concerne l'assemblage des éléments naturels du milieu physique et des entités biogéographiques (comme les vallées, les plateaux, les massifs montagneux ou les plaines) qui constituent la matière première du paysage et définissent ses structures. Les particularités du paysage naturel découlent de l'ordonnancement des divers éléments environnementaux. Il est le résultat des multiples influences qui forment les écosystèmes et les habitats naturels. Tandis que le deuxième, « le paysage humanisé », concerne l'influence de l'homme exercée sans cesse sur son milieu de vie. Les milieux naturels subissent diverses transformations au gré des actions humaines. L'homme aménage son milieu et intervient à de petites et de grandes échelles et des paysages de plus en plus humanisé. Le paysage évolue sans cesse et est constamment modifié par les empreintes culturelles laissées par l'homme et propres à chaque époque. Le paysage d'aujourd'hui est la somme des transformations réalisées par l'homme au fil du temps dans le cadre de ses multiples activités agricoles, industrielles, forestières, résidentielles ou commerciales, etc. Aussi dans l'esprit de la Charte du paysage québécois, le territoire allie un ensemble des éléments environnementaux aux multiples actions de l'homme et devient paysage lorsque des individus et des collectivités lui accordent une valeur paysagère. Le paysage est « source de création et d'expression ».54 Il est lieu de mémoire dont il importe de préserver les éléments remarquables. Un paysage peut être emblématique à un peuple donné ou spécifique à une région ou communauté locale. Il est la traduction des préoccupations relatives à la qualité de vie et de résistance à la banalisation des spécificités territoriales. L'évolution des paysages s'effectue constamment à des échelles différentes et se 49 Cf. « Guide du paysage : un outil pour l'application d'une charte du paysage », Le Conseil du paysage québécois, Octobre 2002 http://www.paysage.qc.ca/guide/index.html 50 Notre patrimoine, un présent du passé, 2000, p. 19 51 La Convention Européenne sur le Paysage, 21 juillet 2001 52 Charte du Paysage Québécois, Conseil du paysage québécois, Janvier 2000, p. 2 53 Cf. « Guide du paysage : un outil pour l'application d'une charte du paysage », Le Conseil du paysage québécois, Octobre 2002. http://www.paysage.qc.ca/guide/Application_charte.pdf 54 Idem transforment quotidiennement en fonction des choix et des orientations individuels et collectifs. Le paysage inspire la culture dans sa diversité et sa particularités et l'enrichit ou l'appauvrit selon les choix de développement. Chaque communauté est dépositaire du territoire qu'elle occupe et responsable de la valeur paysagère qu'elle lui attribue. Les interventions sur une portion de territoire par un propriétaire foncier ou un organisme engage sa responsabilité à l'égard des valeurs collectives du paysage. Dans le cadre de leur compétence, les collectivités locales, régionales et nationales sont les garantes et les gestionnaires d'un bien dont l'intérêt commun est évident.55 Si certaines acceptions renvoient à une notion visuelle et esthétique du paysage, et d'autres à une notion de valeur identitaire et du patrimoine commun, dans ce présent travail, la question du paysage se pose en terme environnementale, c'est-à-dire en tant que relation entre les populations des palmeraies du sud Marocain et leur milieu naturel. Dans ce sens, la première source de dégradation du paysage est l'évolution de l'habitat contemporain. Pour faire face aux problèmes démographiques, économiques et agricoles, le territoire de la réserve de biosphère des oasis subit des remaniements plus au mois respectueux de l'environnement. Dans cette optique, l'état du l'environnement et du paysage des oasis est fonction de degré d'intégration des considérations du milieu naturel aux programmes d'aménagement et de développement local. En somme, le paysage ne désigne pas uniquement les sites remarquables ou d'intérêt naturel ou culturel, mais l'ensemble des espaces que nous traversons quotidiennement et qui méritent l'intension des aménagistes et des acteurs de développement. Ce sont ces paysages quotidiens qu'un projet de territoire a pour objet de valoriser et d'améliorer.56
Nous avons montré que le paysage est le résultat de la présence d'éléments naturels et culturels qui, par leur agencement et leurs caractéristiques, racontent la particularité d'un territoire. Parmi les éléments que l'on peut qualifier de naturels, le relief, le sol, la végétation qui, influencés par le climat, forment les écosystèmes. S'y ajoutent les traces de la transformation de ces éléments naturels par les pratiques de développement et d'aménagement laissées par l'homme. Comme nous l'avons illustré dans la deuxième partie, partout, dans la zone d'étude, le paysage contemporain est fortement marqué par les éléments bâtis et les infrastructures : à l'habitat traditionnel se sont ajoutés les développements urbains modernes : routes, quartiers périphériques, villas, lotissements, ronds-points, centres commerciaux, zones d'activités, infrastructure de communication et des services, lignes de transport électrique, etc. Actuellement, le paysage des 55 Idem 56 Cf. « Le paysage, espace de notre quotidien », extrait de l'Étude préalable de promotion paysagère et de valorisation du Béthunois (France), in. La charte paysagère : outil d'aménagement... op. cit. p. 23 palmeraies de la réserve est le résultat de l'ensemble de toutes ces actions et comportements d'aménagement. Chaque jour, chacun y laisse sa trace, le paysan, l'entrepreneur, le promoteur immobilier, l'architecte, l'urbaniste, l'agent de développement et le décideur politique. Le paysage actuel de la palmeraie n'a pas été pensé dans un plan d'ensemble. Il est l'expression des rapports mal établis entre les oasis et les grandes villes. L'ouverture des oasis sur le monde urbain a entrainé une rupture brutale avec les pratiques d'aménagement local. Les activités humaines connaissent une mutation rapide et d'envergure entrainant l'abandon des pratiques traditionnelles de développement tandis que le modèle urbain s'accélère imposant une concurrence très rude pour le modèle local d'occupation de l'espace.
Organiser l'évolution du paysage est chose ardue. Il résulte de choix politiques, de choix concernant l'habitat, l'urbanisme, l'environnement, l'agriculture, le tourisme et autres secteurs du développement économique décidés au niveau national, voire international, et qui s'imposent de façon uniforme à des territoires bien différents. Il suffit de penser à la politique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme et à leurs multiples répercussions sur chacune des communes et des localités au niveau national. Le paysage est par conséquent le résultat d'interventions multiples dont les acteurs locaux ne maitrisent pas forcément l'ensemble. La décentralisation a accru les pouvoirs des élus en matière de la planification urbaine et leur responsabilité à l'égard de l'aménagement de l'espace et donc du paysage. Les collectivités locales ont les moyens d'intervenir par la réglementation, mais aussi par la sensibilisation et la concertation avec l'ensemble des partenaires concernés. Le projet de territoire privilégie cette action concertée parce que ses orientations auront été établies sur une lecture en commun du paysage et parce qu'elles auront été débattues. Le paysage est aujourd'hui une donnée essentielle du développement économique et pas seulement un supplément apporté aux projets d'aménagement. La préoccupation paysagère doit traverser alors toute la réflexion sur le développement d'un territoire. La mise en oeuvre d'une réflexion concertée sur le devenir du paysage est donc une étape incontournable dans l'élaboration du projet de territoire intercommunal. Le paysage oasien perd sa lisibilité suite à deux facteurs majeurs :
De part ces deux dynamiques, le paysage des oasis change constamment et son altération est de plus en plus rapide. L'urbanisation moderne est un facteur de transformation brutale des palmeraies. Peut-on laisser ainsi le paysage évoluer sans projet d'ensemble, sans s'intéresser et s'inquiéter de ses transformations, au gré de projets successifs ? La nécessité d'une politique paysagère se fait jour et l'enjeu d'un projet de territoire est donc aujourd'hui de bien reconnaître des valeurs au paysage oasien et de faire partager ces valeurs par ceux qui y vivent et ceux qui le modifient. C'est aussi en cernant ces atouts et ses faiblesses, de mettre en oeuvre les moyens qui permettront, selon les cas, de le valoriser ou de le reconquérir. Pour améliorer le cadre de vie des habitants et le rendre plus attractif pour les visiteurs. (Tableau 04) Tableau 4: le paysage : une donnée essentielle du projet de territoire L'élaboration d'un projet de territoire en ayant conscience de la qualité et des faiblesses du paysage permet d'orienter de façon responsable les choix d'aménagement et de développement. Les choix de localisation des activités socioéconomiques sont essentiels pour un développement équilibré. Ceci concerne à la fois les zones d'extension urbaine sur le territoire intercommunal, et le lieu d'implantation des équipements, ou des zones d'activité ou de loisirs. Le paysage s'accommode mal des découpages administratifs du territoire. La commune représente une échelle trop petite pour analyser le paysage et la province n'a pas d'avantage de cohérence paysagère. L'intercommunalité (ou groupement de communes)57 a donc une chance d'être l'échelle territoriale la plus pertinente pour l'étude et l'appréhension du paysage. L'intercommunalité offre un cadre de développement ayant une assise territoriale affirmée, il est nécessaire qu'elle se dote d'une stratégie de développement..., qu'elle construise une vision de l'évolution souhaitée de son territoire. Il faut qu'elle construise son "Projet de Territoire.58 L'enjeu de l'intercommunalité se situe notamment, dans l'aptitude à raisonner à une échelle plus riche, plus variée et donc plus pertinente parce que :
Le découpage des structures intercommunales ne s'appui pas toujours sur des critères d'identité paysagère. Au Maroc présaharien, où la réserve de biosphère des oasis est à cheval sur trois provinces et deux régions, le découpage administratif ne favorise pas la création d'une identité de « pays » qui nécessite une cohérence territoriale affirmée. Les limites des provinces et parfois même des cercles ne correspondent pas toujours à des ensembles paysagers homogènes et cohérents. Ce phénomène explique la raison d'intervenir, dans le cadre de la mise en oeuvre d'un projet de territoire dans un espace intercommunal relativement large mais qui soit cohérent et homogène sur le plan paysager.
La valorisation des paysages est une action de longue haleine qui ne se satisfait pas d'interventions conjoncturelles. Dans ce sens, la crédibilité d'une intervention intercommunale se justifie par le fait que les groupements de communes ont la possibilité de mobiliser leurs partenaires dans une action à long terme. De plus, au Maroc les provinces et les régions soutiennent en priorité les programmes et les projets qui relèvent de compétence intercommunale sans oublier que la politique de planification urbaine s'appui sur les Schéma Directeur d'Aménagement et d'Urbanisme qui sont des documents d'urbanisme prospectifs et intercommunaux et peuvent donc renfoncer l'action intercommunale en matière du développement local. Aussi, les ONG internationales, les associations locales de développement et de défense de l'environnement et les populations trouvent des les groupements intercommunaux des interlocuteurs identifiés. 57 Au Maroc un groupement de commune ou une intercommunalité s'appelle le « cercle » qui correspond à une échelle territoriale intermédiaire entre « la commune » (groupement de villages) et « la province » (groupement de cercles). 58 C. DELPEY, Fiche Notion Territoire / PDM, 31 -01 -06
Au Maroc un groupement de commune ou une intercommunalité s'appelle le « cercle » qui correspond à une échelle territoriale intermédiaire entre « la commune » (groupement de villages) et « la province » (groupement de cercles). Il est évident qu'un groupement de communes peut mobiliser des moyens techniques, humains et financiers qu'une seule commune rurale n'a pas la possibilité de réunir. Des communes groupées peuvent s'appuyer sur des bureaux d'études ou des chargés de mission spécialisés pour piloter techniquement un projet de territoire et le mettre en oeuvre. Ensemble, elles peuvent se donner des moyens d'engager des programmes de protection de l'environnement et des travaux d'entretien et d'aménagement paysager.
L'intercommunalité est l'échelon de la réflexion stratégique sur le devenir d'un territoire et celui de la décision locale en matière du développement. À ce titre, elle est un échelon essentiel de la réflexion sur la protection de l'environnement et la valorisation paysagère. Elle l'est aussi pour l'élaboration d'un plan d'action commun et pour la prise en compte de la dimension paysagère et pour l'intégration des considérations environnementales dans les choix d'aménagement de l'espace et les projets de développement. (Voir tableau 05) Tableau n° 5 : le paysage comme facteur de coopération intercommunale En s'intéressant au paysage, l'intercommunalité de projet de territoire peut naître ou se renforcer. La démarche paysagère est un ciment fort de l'engagement collectif au niveau intercommunal. Elle génère une reconnaissance par chaque commune du territoire des autres, et une prise de conscience de l'espace intercommunal comme territoire partagé. La mise à l'étude d'un projet de territoire est donc l'occasion de construire les outils nécessaires pour appréhender cet espace partagé et l'intérêt de le préserver. À ce titre, pour les communes non regroupées en structures intercommunales, travailler sur un projet de territoire constitue une première étape intéressante vers l'intercommunalité. Le paysage est un thème consensuel parce qu'il s'agit de la prise de conscience d'un patrimoine en danger et d'un cadre de vie commun, de ces atouts et de ces menaces de dégradation. Il est facteur de mobilisation pour l'amélioration du bien être collectif. L'analyse des menaces sur le paysage et l'environnement déclenche naturellement la volonté d'intervenir ensemble pour les protéger et les valoriser. Dans ce sens, réfléchir au paysage et à l'environnement c'est réfléchir au développement durable, et le projet de territoire est l'occasion de réfléchir ensemble au devenir de l'espace vécu, à l'identité que les communes souhaitent lui donner et de définir les moyens communs pour y atteindre les objectifs d'un développement humain durable. La mise en oeuvre d'un projet de territoire permet aussi aux collectivités locales de choisir un mode de développement et d'aménagement sur l'ensemble du territoire en fonction des potentialités et des opportunités de chaque espace identifié.
Le paysage est l'affaire de tout le monde et chacun porte la responsabilité de son devenir. Pour cette raison, la concertation et l'animation sont deux volets très importants dans le processus d'élaboration d'un projet de territoire.
Ils sont les pilotes de la démarche du projet de territoire et doivent faciliter son appropriation par les forces vives du territoire. Depuis le lancement de la décentralisation au Maroc, les communes sont les principaux acteurs de l'aménagement du territoire. Elles disposent du pouvoir de décision pour l'élaboration des documents d'urbanisme notamment les PA (Plans d'Aménagement) pour les communes urbaines et les PDAR (Plan de Développement et d'Aménagement Rural) pour les communes rurales et sont responsables de la délivrance des permis de construire. Les élus sont également maitres d'ouvrage de nombreux travaux d'aménagement et de développement sur leur territoire. Le projet de territoire leur donnera l'outil nécessaire qui leur permettra de choisir ensemble des orientations pour leur territoire, de conduire des actions concertées en matière d'aménagement et de développement. Aussi, parce que les communes ont reçus l'obligation de prendre en charge des compétences d'aménagement et d'urbanisme, elles possèdent une marge d'autonomie légale qui leur permet de répartir une partie des coûts de leurs projets d'aménagement et de développement sur l'ensemble de la communauté locale.
Les populations sont dépositaire d'un savoir faire en matière de la gestion des ressources de leur territoire. Le milieu naturel, le patrimoine et le paysage leur appartiennent. Leur comportement quotidien a donc des impacts directs sur la qualité de leur milieu de vie et de leur paysage (aménagement des espaces, évolution de l'habitat, valorisation du patrimoine architectural, rejets ménagers, plantations...). Leurs connaissances et leur sensibilisation particulière pour le paysage doivent être mobilisées et sollicitées par divers moyens aux différentes étapes de l'élaboration de projet. Leur mobilisation est un facteur essentiel de réussite car ils ont une très bonne connaissance du territoire de leur commune.
Les associations de la protection de l'environnement, de développement local, de la préservation du patrimoine architectural ont de bonne connaissance de paysage local et doivent être associées au diagnostic et à l'élaboration du projet de territoire. Elles peuvent aussi participer à la mission de sensibilisation et d'information du public. Pour ces deux raisons, il faut les inclure dans la démarche de projet. L'enjeu de la participation des populations locales et des associations et d'en faire des partenaires actifs du projet de territoire.
Ce terme est ici pris au sens large, désignant tous les maitres d'ouvrage des travaux d'aménagement sur le territoire des communes. Il s'agit par exemples des bureaux d'études d'urbanisme et de l'architecture, les promoteurs immobiliers, les entreprises de bâtiments, les ingénieurs des travaux publics, les services publics maitres d'ouvrage des routes, des réseaux d'assainissement, de l'eau et l'électricité, etc. Il est essentiel de connaitre les projets de tous ces décideurs qui transforment et façonnent le paysage car celui-ci est révélateur des choix politiques et techniques qui s'imposent au territoire et définissent son évolution et son développement.
Les agriculteurs, les artisans ou les industriels, les commerçants, les forestiers et leurs organisations professionnelles sont aussi des interlocuteurs de premier plan en matière d'élaboration du projet de territoire. Leurs activités ont un impact direct sur l'environnement et le paysage et leur participation à l'élaboration de projet de territoire est primordiale pour favoriser leur adhésion à la promotion économique locale. Des actions concrètes doivent leur être proposées pour faire influencer leurs comportements.
La qualité du paysage est l'élément de perception le plus sensible d'un territoire pour ceux qui le visitent. Parce que cette qualité est un facteur d'attraction ou au contraire de rejet pour une clientèle touristique très sollicitée, les opérateurs de tourisme doivent être associés à la démarche du projet de territoire.
Les services publics sont des partenaires indispensables de la démarche du projet de territoire. Ils ont un rôle réglementaire, financier ou de conseil aux communes. Bien évidement, tous les services décentralisés de l'État, de fait de leur proximité géographique, de leur rôle d'impulsion, de coordination et de mise en oeuvre de mesures réglementaires et de projets sectoriels doivent être des interlocuteurs particulièrement ouverts au projet de territoire. Il en ressort que le projet de territoire est un outil d'aide à la prise de décision. Au moment ou la transposition des modèles d'aménagement vus ailleurs banalise le paysage et dégradent ce qu'ils sont censés protéger, la concertation et le dialogue qui caractérisent la démarche de projet de territoire favorisent une approche participative de gestion de l'espace et permet ainsi sa connaissance préalable et l'appréhension de son évolution et de sa dynamique. Ainsi, les acteurs de projet peuvent décider en connaissance de cause et de manière réfléchie.
Le diagnostic territorial permettra de cerner des secteurs particulièrement sensibles, parce que riches sur le plan environnemental et paysager que l'on s'abstiendra d'ouvrir à l'urbanisation ou desservir par une route par exemple. Il permettra, en fonction des caractéristiques propres du paysage et de l'impact prévisible des activités sur le milieu naturel, de faire de meilleurs choix d'implantation ou de les arbitrer en connaissance de cause. Selon les caractères du paysage et de la vocation souhaitable de l'espace, l'objectif est aussi de déterminer les types d'activités qui constituent une menace et celles qui, s'intégrant au développement économique du territoire, permettraient de le valoriser ou de l'entretenir. L'élaboration d'un projet de territoire débute nécessairement par cette étape de diagnostic. Il ne s'agit pas d'inventorier de manière exhaustive les éléments du paysage mais de mettre en évidence ses caractéristiques, ses points forts et faibles et les facteurs de déséquilibre. L'objectif et de bien connaître le potentiel environnemental et paysager et de comprendre la manière dont il fonctionne. Nous présentons ici les principaux volets qui constituent un diagnostic sachant qu'il n'existe pas une seule et unique méthode pour le réaliser. Les principaux volets sont :
Tableau n° 6: les 4 étapes du diagnostic paysager et environnemental
L'objectif dans cette étape et de cerner les grands traits de caractère du paysage, les éléments majeurs qui, par leur présence et leur organisation dans le milieu, contribuent à façonner le paysage et à lui donner son identité. Cette identification se fait d'abord à l'échelle de l'ensemble du territoire intercommunal. Elle permet de restituer ce territoire au regard de son environnement plus vaste et de dégager ainsi les différences ou, au contraire, les continuités par rapport aux espaces qui l'entourent. La lecture attentive des cartes et de photographies aériennes, ainsi qu'un travail de repérage de terrain, permettent de mettre en évidence les principales caractéristiques du territoire : le relief, l'hydrographie, les zones forestières, les zones agricoles, l'organisation du bâti et les secteurs urbanisés, etc. Cette opération repose sur une découverte du terrain et permet d'accéder à sa réalité subjective et d'identifier les valeurs qui s'y attachent. Cette opération de reconnaissance peut être complétée par une recherche de références littéraires ou photographiques concernant le paysage observé. Les guides touristiques et les photos anciennes et contemporaines sont à cet égard des sources intéressantes, car ils reflètent les perceptions données à une époque donnée aux éléments de paysage.
L'analyse des caractéristiques fondamentales du territoire intercommunal permet de distinguer des entités paysagères distinctes. Une entité paysagère est un ensemble d'éléments physiques et naturels homogènes qui structurent un espace, avec des caractéristiques propres et un ordonnancement spécifique qui se distingue d'un territoire voisin. Dans les oasis, où les thèmes majeurs du paysage sont la montagne, la palmeraie et les plateaux désertiques, les entités paysagères résultent principalement des modes d'occupation des sols, des structures agraires, de mode d'irrigation et de style architectural. La réservé de biosphère, étant un territoire très vaste, les entités paysagères sont très variées chacune connaît une histoire différente, une évolution particulière et devra faire l'objet de traitement spécifique. Tout projet paysager doit être adapté à la spécificité des lieux. C'est pourquoi le diagnostic s'attache à la compréhension de chacune des entités paysagères repérées dans la première étape. L'objectif n'est pas de réaliser un état des lieux exhaustif, mais de cerner les caractères propres à chaque entité et à sa structure interne. L'analyse d'une entité paysagère repose sur la prise en compte des éléments compris dans les deux tableaux suivants : Tableau n° 7 : les éléments d'analyse d'une entité paysagère. Tableau n° 8: Principales entrées pour comprendre le paysage de la palmeraie Après l'analyse de l'état actuel du paysage, il est nécessaire d'analyser sa dynamique spatiotemporelle et ses causes. L'objectif de cette lecture chronologique est de déterminer ce qui a façonné le paysage pour lui donner l'image qu'il a aujourd'hui. Percevoir l'évolution du paysage n'est pas toujours facile. L'habitude de le voir quotidiennement atténue chez les populations qui y vivent l'impact de chacun des petits changements qui, accumulés, peuvent contribuer à sa modification profonde. La prise de conscience de l'évolution du paysage et de la mise en évidence des causes de ses modifications permettent de réfléchir aux moyens d'enrayer les dégradations en cours, de valoriser des espaces menacés. Dans l'élaboration d'un projet de territoire, la mise en évidence des facteurs de l'évolution du paysage se fera à l'échelle de chaque entité paysagère. L'observation directe permet de repérer les évolutions du paysage mais la comparaison des photographies aériennes sur 20 ou 25 ans, ou de cartes anciennes et actuelles donne des résultats très significatifs.59 Cette opération met en évidence les éléments qui, par leur disparition, leur apparition ou leur permanence, transforment le paysage.
§ Les facteurs de dégradation du paysage de la palmeraie :
§ Les facteurs de valorisation du paysage de la palmeraie :
Le travail sur l'évolution des paysages est très révélateur de la rapidité et de l'impact des changements intervenus dans le paysage. Il a une force pédagogique évidente à l'égard des élus et des habitants, dans la mesure où il met en évidence des changements intervenus, parfois récemment, sans que chacun en ait conscience. La réalisation des documents d'illustration simples et clairs, qui rendent bien compte de ces évolutions aura un fort impact pédagogique. 59 Gérald DOMON, Évolution du territoire Laurentidien : caractérisation et gestion des paysages, CPEUM, 2000, pp. 38-48
Dans chaque entité paysagère, on trouve des pressions particulières liées à la fois au contexte socioéconomique propre à cet espace et à des conditions historiques et foncières plus globales. La prise en compte des pressions sur le territoire, qu'elles soient urbaines, agricoles ou industrielles permet de saisir les menaces à venir sur le paysage et de cerner les secteurs les plus sensibles. Ces pressions sont identifiables au traves :
La réalisation de supports simples de visualisation des évolutions prévisibles est extrêmement utile comme vecteur de prise de conscience anticipée d'un futur probable. Quelle serait l'image paysagère du secteur d'étude si les projets connus se réalisent et si les tendances d'évaluation observées se confirmaient. Est-ce là le futur que nous voulons ?
Il s'agit de dégager les valeurs fortes du territoire intercommunal que les initiateurs de projet devront valoriser comme fondements de développement local et de l'identité des lieux ainsi que les contraintes qui devront être levées. Cette mise en évidence consistera à repérer les thèmes déterminants pour le développement du paysage et l'organisation du territoire. C'est-à-dire les éléments qu'il est intéressant de protéger, de reconquérir et de mettre en valeur pour qu'ils forgent l'identité du territoire (un paysage particulier, un site d'intérêt naturel ou touristique, un village historique, la présence de l'eau, le caractère rural, le style architectural, les produits de terroir...). Cette mise en évidence est complétée par le recensement et la localisation des problèmes paysagers où il est question de dégager les problèmes et les menaces qu'il est souhaitable de réduire ou d'éviter à l'échelle de l'ensemble du territoire intercommunal et au niveau de chaque entité paysagère :
Ce travail est aussi l'occasion de localiser les espaces et les éléments dégradés dont la présence affecte la qualité paysagère et environnementale qu'il est nécessaire de traiter. Par exemple, les zones atteintes par la bâti traditionnel en ruine, les zones de rejets des eaux usées en plein air, les zones résidentielles mal intégrées, les décharges sauvages des déchets ménagers, l'affichage désorganisé, etc. Pour une meilleure sensibilisation de l'ensemble des acteurs du groupement à ces problèmes, une visualisation simplifiée est fort recommandée. Pour cela, il est important de produire une carte synthétique des atouts et des contraintes des paysages et du milieu naturel du territoire de groupement.
Au terme de l'ensemble de observations précédemment décrites, les particularités du paysage se sont dessinées progressivement. Les éléments majeurs ont été identifiés et seront donc ceux sur lesquels portera le « projet paysager ».60 Ce dernier pourra s'attacher à protéger les éléments dégradés, à renforcer les spécificités des lieux, à souligner les différences entre chaque entité paysagère ou à valoriser au contraire les éléments communs à l'ensemble du territoire, à favoriser l'émergence d'un paysage contemporain harmonieux. Ainsi, l'observation et l'analyse du paysage ont permis la mise en évidence de ses forces et de ses faiblesses du paysage et de ses caractères dominants. Ceux-ci constituent les bases structurantes d'intervention future en vue de la requalification paysagère de l'ensemble de l'espace intercommunal.
L'analyse du paysage suscite le débat. Elle est un outil privilégié d'une démarche participative de réflexion sur le devenir d'un territoire. À chaque étape de diagnostic, l'approche paysagère est propice à la création d'une ambiance du travail vivante et conviviale. Elle permet à chacun de faire part de ses connaissances locales, de sa sensibilité et de se sentir ainsi valorisé. La participation se fait au sein des groupes de travail thématiques constitués à l'échelle de tout le groupement ou à celle des entités paysagères. Le croisement des conclusions de chacun permet de valider l'état des 60 Il ne faut pas confondre entre un « Projet paysager » et un « Projet de territoire ». Ce dernier englobe l'ensemble des thématiques prioritaires définies lors de diagnostic territorial par les acteurs intercommunaux. Le paysage, thème majeur de notre travail, est traité ici à titre illustratif. D'autres thématiques territoriales telles que l'environnement, le patrimoine culturel, le tourisme, l'agriculture, etc. peuvent aussi, dans le cadre de la mise en oeuvre d'un projet de territoire intercommunal, être objet de projets particuliers. lieux. Un consensus sur les forces et les faiblesses du paysage sera un atout pour la mise en oeuvre d'une réflexion concertée sur son devenir. Il s'agit donc de discuter, d'échanger et de croiser les lectures et les regards pour faire évoluer l'analyse. Chacun doit s'exprimer sur les perceptions de l'autre. Ces échanges sont l'occasion d'une prise de conscience sur l'importance de certains aspects non perçus jusqu'alors.
En ce qui concerne cette catégorie d'acteurs, leur participation au diagnostic territorial peut être plus active que la seule participation aux réunions d'échange. Les élus par exemple ont une connaissance parfaite de leur territoire d'intervention et fournissent de précieux renseignements notamment sur les réalités socioéconomiques locales, dimension que perçoit moins bien un professionnel, à mois qu'il ne connaisse parfaitement le territoire de la commune. Pour identifier les éléments intéressants du paysage et connaître les projets de développement local, l'enquête par questionnaire systématique auprès des acteurs institutionnels et des présidents de conseils est une autre méthode à mettre en oeuvre.61
Les habitants doivent également pouvoir s'exprimer et rendre compte de leur perception propre de leur milieu de vie puisqu'ils en sont les premiers acteurs et aussi les plus directement concernés par son amélioration. Plusieurs techniques d'animation peuvent être utilisées pour faire participer une population aux travaux de diagnostic paysager de son territoire notamment les groupes de travail et les visites de terrain. Il est préférable de mettre en oeuvre ces méthodes participatives à l'échelle intercommunale. Les populations et les associations locales ou éventuellement les élus sont alors moins tentés de raisonner par rapport à leur territoire immédiat mais au vu d'un territoire plus large. Des séances d'animation peuvent aussi être organisées à l'échelle des entités paysagères.
Les documents de restitution des résultats du diagnostic paysager doivent impérativement être des documents facilement communicables et d'une visualisation simple (cartes, photographies, croquis, dessins, organigrammes...) pour être facilement compréhensibles par le grand public. Le travail cartographique est particulièrement intéressant car, bien souvent, ces documents n'existent pas à l'échelon intercommunal. Le diagnostic paysager est l'occasion pour un territoire intercommunal de se doter d'un fond cartographique qui est sera bénéfique à d'autres utilisateurs. 61 Le questionnaire systématique, comme méthode d'enquête, a bien évidement des limites liées au nombre et à la qualité des réponses au retour. Elle ne sera pas vraiment participative que si une présentation publique des résultats ainsi qu'un débat sont organisés. Ces supports sont utilisés, tout au long de l'élaboration de projet de territoire, pour faire partager la lecture du paysage aux élus, aux populations, ainsi qu'aux autres partenaires, au cours de réunions, d'expositions, etc.62 62 Les conclusions de l'étude de diagnostic peuvent faire l'objet d'une présentation publique avec un commentaire de l'ensemble des personnes ayant participé au diagnostic. Il peut être aussi intéressant de susciter la participation de la population pour le montage d'expositions : collecte de photos anciennes, concours de dessins d'enfants... |
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