CHAPITRE III : PERSPECTIVES DU DÉVELOPPEENT DES
PALMERAIES ET ALTERNATIVES D'AMENAGEMENT :
Les
terroirs des palmeraies : Conditions et atouts d'une survie
Que l'on se place dans des perspectives de conservation, de
réhabilitation, de restructuration ou d'intégration, ce sont les
principes du programme Mab et les dispositions de la stratégie de
Séville sur les réserves de biosphère qui devront orienter
les possibilités d'aménagement dans le but de concrétiser
les objectifs du statut de la réserve de biosphère de l'UNESCO.
Quand les approches de développement local s'inscrivent dans cette
optique, les palmeraies offrent un cadre d'interventions et de gestion
relativement facile à aborder. A l'opposé, lorsqu'elles sont
tiraillées entre des intérêts divergents, les contraintes
dues à l'optimisation des choix et à la prise des
décisions rendent les actions éventuelles moins aisées. La
valeur et l'intérêt du patrimoine, des circuits fonctionnels des
villages et la solidarité qui caractérise les populations peuvent
constituer un atout non négligeable pour la recherche de solutions
menant à une survie des palmeraies. Si les villages présentent
encore un caractère polarisateur du point de vue culturel et social et
s'ils participent toujours à un apport économique quelque peu
considéré, ils revêtent une valeur historique et
paysagère considérable pour la communauté locale,
nationale et internationale qu'il conviendrait d'entretenir et de
préserver pour les générations futures. Si l'on tient
compte des atouts écologiques et paysagers des palmeraies et leurs
valeurs économiques, l'on a avantage à améliorer le cadre
de vie des populations et préserver l'environnement naturel d'autant
plus qu'elles bénéficient de deux statuts internationaux de
protection. Cette amélioration du cadre de vie peut nécessiter
relativement peu de moyens, si elle est accompagnée d'une participation
des habitants et de l'utilisation des savoirs écologiques traditionnels
(SET) hérités du génie oasien. A terme, il s'agit
d'arrêter la dégradation de des palmeraies et de ses richesses
paysagères et de les intégrer dans la vie urbaine tout en
conservant leur identité.
La sauvegarde stérile et la sauvegarde
dynamique :
a. Un témoin de passé : la conservation
« stérile » :
Une stratégie de conservation qui ne concernerait que
la restauration des monuments historiques les plus remarquables tend à
limiter le rôle des villages à celui de témoin du
passé et de documents d'histoire. Par la définition qu'elle donne
au patrimoine culturel en insistant sur le caractère historique,
scientifique, artistique ou archéologique, la loi sur la conservation du
patrimoine culturel (loi 22-80) encourage cette tendance sélective de
protection. Cette conservation a déjà montré ces limites
quant à sa contribution réelle au développement local car
elle n'intéresse finalement que des "objets" architecturaux
isolés de leur contexte urbain et n'interfère pas sur les
conditions humaines
environnantes. Cette conservation qu'on peut qualifier de
« stérile » ne répond souvent qu'aux
préoccupations des opérateurs touristiques. Elle se résume
souvent en une remise en état un peu factice des monuments principaux et
des cheminements y conduisant (traitement des sols, actions sur les
façades, réfection des enduits et des ornements, etc...)
conférant au monument une vocation de "musée" à travers la
reconstitution du décor architectural.
b. Un pôle d'attraction économique : la
sauvegarde "dynamique" :
Une redéfinition du village en vue d'en faire un centre
de rayonnement et d'activités rentables peut constituer une vocation
précise pour le développement des oasis. Ceci se justifie
d'autant plus quand le village présente encore un potentiel paysager et
environnemental considérable et qu'il garde un certain impact
économique. Dans le contexte dépersonnalisé des
palmeraies, il s'agira d'une revalorisation de la part du paysage naturel et
culturel qui caractérise les terroirs villageois et d'amplifier leur
rôle dans ce domaine. Afin de maintenir l'identité des palmeraie,
une sauvegarde plutôt "dynamique", renforçant en premier lieu les
spécificités locales et le renforcement des structures de
production traditionnelles et une amélioration d'ensemble du cadre
urbain pour rendre ce dernier plus propice, plus salubre, plus humain et plus
attractif et plus rentable. Un tel choix nécessite la définition
d'objectifs précis et la recherche de méthodes et de moyens
appropriés et une action globale planifiée dont l'initiative
revient aux collectivités locales. Tous ces aspects doivent être
conditionnés par des préoccupations systématiques visant
à la mise en oeuvre du statut de la réserve de biosphère
à traves la conservation et le développement des activités
locales et le maintien de la population dans des conditions de vie meilleure.
Il peut paraître nécessaire, dans l'optique d'une nouvelle
évolution puisant aux sources du développement humain durable, de
chercher à retrouver pour les palmeraies une nouvelle cohérence
en conjuguant la conservation avec une adaptation à la nouvelle
réalité urbaine et économique de la société
oasienne. Cet objectif visant à réanimer les palmeraies tout en
s'inscrivant dans le contexte contemporain du développement urbain, peut
être atteint par une intervention globale recouvrant notamment :
ï Une relance économique des secteurs productifs
et commerciaux, les moins nuisibles et les moins exigeants au plan des
accès, alliant les modes de production traditionnels à une
évolution des systèmes de gestion et de financement;
ï Un rééquilibrage de la population au plan
urbain en favorisant l'installation dans les villages de populations
importante, ce brassage nécessitant la recherche de nombreux attraits en
matière de qualité de vie susceptibles de primer sur les
contraintes inhérentes à la morphologie des villages;
ï Une amélioration du cadre urbain par la
réhabilitation du bâti; aménagement des voies et
restructuration des réseaux conjuguant l'intérêt, le
caractère et l'adéquation des actions d'aménagement au
milieu naturel.
Des choix cohérents pour un aménagement
global :
A partir du moment où une vocation précise a
été définie pour le développement des palmeraies,
des choix d'aménagement d'ensemble doivent être pris pour
préciser la place accordées aux particularités locales. Le
premier problème qui se pose est celui de la valorisation des paysages,
dans la mesure où la centralité du milieu urbain l'emporte sur le
reste des composantes du territoire. Cette centralité repose en
général sur les forces d'attraction du centre urbain dans
l'ensemble de l'agglomération. Ainsi les villages finissent par
être déprimés avec le temps par asphyxie ou par abandon.
Les tentatives de restructuration qui existent ne concernent que les villages
situés dans les communes dotées d'un plan d'aménagement
urbain mais sans prendre en compte réellement le rôle capital
de l'environnement et du paysage qui représentent les
éléments essentiels de la vitalité et de la
spécificité des palmeraies.
a. Équilibre et complémentarité
des composantes urbaines:
La forme de développement urbain qui caractérise
les villes oasiennes parait discontinue, dispersée, voire anarchique,
à l'opposé de l'image cohérente, progressive et
unifiée qu'offre le noyau traditionnel à travers son
développement au fil du temps. A cette forme désarticulée
qui laisse, à l'intérieur du tissu urbain, des espaces libres
non-affectés et continue d'appréhender le site de la même
façon (pour des raisons spéculatives, d'opportunité ou
d'insuffisances de politique d'aménagement) correspond, un
déséquilibre flagrant des parties constitutives de l'urbanisation
récente au plan de la répartition des fonctions et des types,
qualités et densités d'habitat ainsi que des
caractéristiques sociodémographiques des quartiers. De plus, ces
disparités morphologiques, fonctionnelles et démographiques
semblent souvent avoir tendance à se prolonger au fur et à mesure
que l'urbanisation moderne se développe ce qui ne constituent pas des
conditions favorables à une revalorisation des tissus anciens,
délaissés et dévalorisées en parallèle avec
le développement urbain. Dans la logique d'une revalorisation du paysage
des palmeraies, se pose le problème difficile du traitement de ses
abords des villages. Que le Ksar bénéficie d'une zone
périphérique non-bâtie, ou se trouve au contraire,
totalement englobée dans des tissus plus récents,
l'aménagement de la zone qui la ceinture doit impérativement
obéir aux objectifs principaux suivants :
ï Assurer le débouché convenable des voies
automobiles extérieures qui mènent au centre ville moderne ;
ï Permettre l'amélioration de ses accès par un
réseau de voirie approprié ;
ï Constituer dans la mesure du possible, une zone de
protection non constructible et de mise en valeur bordant le Ksar et soulignant
physiquement son unité et sa qualité paysagère.
b. Exigences et fragilité du milieu
:
Avec une volonté affirmée de réanimer la
palmeraie, et une fois prises les options relatives à son
rôle, son intérêt, son apport et son intégration dans
le cadre de l'agglomération nouvelle, la valorisation de son potentiel
paysager et environnemental doit passer par des réponses aux
problèmes intérieurs posés par le milieu. Les principales
contraintes à ce type de revalorisation sont imputables à la
fragilité du milieu naturel et l'extrême pression de l'habitat
sur l'environnement et le paysage. Du coût, toute intervention ayant,
pour objectif de remodeler, même légèrement, telle ou
telle aspect du paysage ou de réorganiser telle ou telle structure
fonctionnelle, entraîne des répercussions sensibles à tous
les niveaux de la palmeraie. L'interférence contenant / contenu rend
toute action d'aménagement extrêmement délicate, difficile
à maîtriser quant à ses conséquences, voire
même dangereuse pour l'organisme cohérent que constitue une
palmeraie. Aussi, la percée d'une voie de circulation étrange au
système urbain oasien est susceptible de porter atteinte grave à
l'homogénéité et la cohérence d'une palmeraie sinon
bouleverser totalement l'équilibre de ses paysages. Tout en
écartant donc les méthodes de valorisation qui risqueraient
d'être fatales à la cohérence des palmeraies, par leur
brutalité face à un milieu d'une extrême
sensibilité, des aménagements bien étudiés
progressifs et moins traumatisants sont nécessaires.
Essai de synthèse :
De tout temps, les palmeraies ont traversé des
périodes de fluctuations et de transformations qui ont laissé
leurs empreintes parfois brutales mais toujours adaptées aux
données constantes des conditions locales. Elles n'ont relativement pas
provoqués de graves conflits tels qu'ils apparaissent aujourd'hui. Bien
sûr, les palmeraies des époques historiques très anciennes
ont connu successivement des rayonnements et des déclins, mais elles ont
malgré tout survécu et elles sont arrivées jusqu'à
nous, grâce à une dynamique conservatrice très forte. Dans
le contexte contemporain, tourné vers une modernisation grandissante et
un mode de consommation induisant une urbanisation
accélérée, très vulnérables pour
résister aux poussées du « modernisme », les palmeraies
de la réserve de biosphère se dégradent et se
marginalisent de plus en plus. C'est
pourquoi il importe de les sauvegarder à cause du
potentiel paysager et environnemental qu'elles représentent, du creuset
de la civilisation présaharienne qu'ils constituent, et du fait de leur
apport économique considérable. Les aménagements qui ont
touché les palmeraies et qui avaient pris leur cohérence en
compte avec plus ou moins de respect, montrent, à travers les
enseignements que l'on peut en tirer, qu'une adaptation des nouvelles mises en
scènes urbaines au contexte local est une solution dont les effets sont
bénéfiques pour les humains et pour leur environnement. Car il
s'agit de conserver d'une manière souple et évolutive l'harmonie
entre les deux. Rendre aux palmeraies leur rayonnement et leur force attractive
doit constituer un objectif primordial des politiques d'aménagement et
du développement. Au vu de ces constats, on peut esquisser quelques
conclusions majeures qui devront servir de base pour la formulation des
orientations pour un projet de territoire objet de la dernière partie de
ce travail :
Le problème des oasis est tout d'abord
politique : Elles ont besoin d'un projet d'ensemble basé sur
des actions du développement claires et ciblées, des axes
d'intervention hiérarchisés et spatialisés. Elles ont
également besoin d'un support réglementaire pour encadrer les
interventions et les différentes opérations de
développement. Il est donc urgent de :
· Promulguer des mesures réglementaires et
institutionnelles spécifiques aux oasis (nouvelle échelle de
planification, nouveau découpage administratif, nouvelles institutions
de gestion);
· fédérer les diverses institutions
intervenant dans les oasis pour harmoniser les interventions et mieux cibler
les acteurs;
· imposer des conditions strictes pour l'utilisation des
ressources naturelles (l'eau et le sol).
Le problème des oasis, c'est aussi une question
d'approche et de méthodologie : Il nécessite d'autres
niveaux d'intervention territoriaux pour le développement rural;
l'initiative lancée par le PNUD pour les palmeraies de la province
d'Errachidia (annexe 01), pourrait constituer une solution à la crise
des oasis. Dans le même sens, il faudrait adopter les approches
intégrées et horizontales dans la promotion des projets, associer
les acteurs locaux dans l'identification des besoins et la mise en place des
programmes de développement. La fragilité du milieu requiert la
création d'une institution pour le suivi et l'évaluation. Un
Observatoire des Oasis pourrait être créé afin de suivre
les tendances et cerner les urgences. Ces actions et ces programmes doivent
être soutenus par des mécanismes et des instruments de financement
spécifiques et par une politique d'aménagement du territoire
particulièrement active.
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