La publicité au Mexique, vecteur d'exclusion sociale.( Télécharger le fichier original )par Michael Spanu Université Lyon 2 - Master 2009 |
2.2. Vendre du « rêve » et exclure le réelJe reprendrai ici la chronologie utilisée lors de la description du corpus. Je tenterai d'entrer plus profondément dans chaque annonce, d'analyser les éléments décrits, puis de synthétiser pour ensuite extraire l'imaginaire global du fragment publicitaire. Commençons par Colgate et son White Plax Whitening. En plus du fait que le produit blanchit les dents, qu'est-ce que nous apprend et nous montre cette publicité? Le premier élément qui frappe est la vitesse avec laquelle se déroule l'action. Que ce soit le message textuel (écrit ou oral) ou visuel, l'enchaînement des différents éléments qui constituent leur sens est d'une rapidité fulgurante. Les phrases affichées au bas de l'écran son discrètes et n'affichent rien qui puisse attirer l'oeil. Seule une visualisation répétée du spot pourrait permettre de repérer ce genre de détails. C'est un rythme auquel il faut s'habituer, il requiert une bonne maitrise de la langue et ne manque pas de pousser notre capacité de compréhension à ses limites. En effet, la vitesse est si élevée que l'action mérite une attention certaine, ce sont 20 secondes très denses auxquelles on assiste. On joue ici sur la vitesse vertigineuse pour capter l'attention (fonction phatique) et laisser de côté l'information. Les dialogues ne laissent place à aucune respiration, comme si les personnages étaient capables de se répondre sans réfléchir. De plus, cet enchaînement et les plans de caméras empêchent tout rapprochement des personnages, on ne les voit que de manière furtive et à une distance impersonnelle. Cette impression d'éloignement renforce la coupure qu'il peut y avoir entre le public et la situation mise en scène. La vitesse, élément principal que je détache ici, est un tout qui englobe cette publicité: la démarche de la jeune femme lorsqu'elle entre dans la salle de bain, les réactions des deux personnages, leurs expressions de visage, le dialogue, la voix-off, l'animation 3D, le montage, le slogan final. On a donc choisi, du début à la fin, de mettre en scène cette annonce commerciale de manière rapide et non pas autrement. La vitesse est en soi un signe, car elle vaut pour autre chose que ce qu'elle est dans cette action. Elle est le résultat discursif d'un processus d'expansion de l'urgence dans la vie moderne et citadine. Elle parle du quotidien marqué au fer rouge par la rapidité, le dialogue au tac-au-tac, les rencontres rapides et impromptues comme cette jeune fille qui entre sans prévenir. C'est une vitesse qui ne laisse place ni à la réflexion ni à l'information, un flux incontrôlé et incontrôlable à l'image de la télévision. La rupture de linéarité opérée par l'entrée en scène de la jeune fille et de son équipe n'est pas vraiment justifiée. On coupe la bande du sens comme une « breaking news », le jeune homme est désemparé mais reste à l'écoute. C'est une mise en abîme médiatique, du recyclé pour la construction d'une action publicitaire. On reprend des teintes du discours télévisuel pour les insérer dans la publicité, mais pour cela on les modifie, on les « publicitise ». L'omniprésence des médias dans la vie moderne est signifiée par cette équipe de télévision qui suit la jeune femme, par sa manière de s'imposer pour la soi-disant « information » qu'elle apporte au jeune homme, ne lui laissant pas le choix et guère le temps de la réplique. Un droit à l'information imposé qui surgit dans l'intimité, un remake de l'émission « Les Infiltrés » dans la salle de bain. Ce que l'on voit ici, c'est la télévision dans son ampleur générale, celle que l'on voit tous les jours, celle qui coupe la parole et formule des questions dont elle n'attend pas la réponse. Lorsqu'elle s'impose, la jeune femme et son équipe interviennent, comme on le fait à la suite d'une catastrophe, pour venir en aide à ceux qui en ont besoin. On donne des remèdes miracles à des problèmes que l'on estime justes, au nom de la solidarité internationale. Ce spot s'affiche alors comme une métaphore interventionniste, on y viole les frontières symboliques, on offre son aide sous couvert de l'entraide. Mais c'est bel est bien pour en tirer bénéfice ensuite, pour s'installer et faire des affaires. Le jeune homme ne termine pas le spot avec les mains vides, on lui laisse le produit Colgate, tout comme les pays industrialisés ne partent pas comme ils sont revenus lorsqu'ils prêtent main forte aux pays en difficulté. Dans ce récit publicitaire, tout est blanc. On se parle entre blancs, habillés en blanc, à l'intérieur d'un environnement blanc. On vend du blanc pour du déjà-blanc. Une surabondance de clarté qui fait évidemment appel à plusieurs références, comme la sainteté chrétienne ou les anges, toujours représentés d'un blanc aveuglant et irréel, et jamais avec des dents jaunies ou de travers. Mais c'est aussi, plus simplement, un des éléments considérés comme primordial dans la poursuite de la beauté occidentale: le sourire éclatant, les dents alignées sur un fond de peau claire. Cela peut sembler anodin ou banal, mais si j'ai choisi une pub de dentifrice dans mon corpus, c'est bien parce que c'est un produit très présent dans la gamme publicitaire depuis des dizaines d'années, qui présente toujours les mêmes caractéristiques. On vend ici un produit censé blanchir les dents, on comprend facilement cette quête de blancheur dans l'action, qui sert un propos commercial. Mais le seul fait de chercher à vendre un produit pour blanchir les dents peut être considéré comme un signe, car il produit un sens particulier, il marque la canonisation du blanc dans l'imaginaire collectif. Il est signe car il retranscrit également ce que l'on voit au jour le jour, c'est-à-dire un favoritisme pour le blanc. Ainsi, comme la vitesse, le blanc est dans ce spot un tout signifiant, du produit aux personnages, de leurs sourires au décor, dont les variantes se superposent et s'entrecoupent. Le signe blancheur est d'un côté couleur (ou plutôt non-couleur) décorative, et de l'autre il est sainteté, pureté, beauté. Les acteurs sont donc clairs de peau. Le choix a été fait de ne pas présenter des personnages à la peau foncée, qui sont bien évidemment majoritaires au Mexique. De même, l'environnement choisi est moderne: une salle de bain toute équipée, spacieuse, que l'on imagine dans un appartement tout aussi ample. Par ces différents choix, on élimine de nombreux éléments qui pourraient nous indiquer où l'on se trouve. Mis à part la langue, avec ses tonalités particulières, on ne peut réellement identifier le Mexique à travers cette réclame. Les personnages et le lieu nous informe très peu, et si l'on coupait le son, ce serait plutôt à l'Amérique du Nord ou à l'Europe Occidentale que l'on pourrait les attribuer. Dans ce processus, la fonction référentielle joue un rôle déterminant, car elle porte le contexte du message et feint de le neutraliser en lui donnant un air publicitaire. Or, ce contexte est au contraire terriblement révélateur d'un choix que l'on fait par défaut: une salle de bain dans un spot se doit de remplir certains critères, c'est-à-dire d'être moderne, dans la ligne de ce qui se fait de nos jours. Ainsi cette mise en scène se fait allégorie de la modernité et de la beauté à l'occidentale. Pour cela il faut exclure les éléments constitutifs de l'identité mexicaine et ses caractéristiques réels. On fait référence à ce qui paraît meilleur, au progrès à l'occidentale. Ce récit publicitaire paraphrase le discours dominant qui veut voir le Mexique entrer dans le « premier monde », celui des blancs et riches. Dans ce monde encore imaginaire au Mexique, les médias sont partout, ils ont les dents blanches et montrent des gens aux dents blanches, on y parle vite et tout s'y déroule avec grande simplicité et rapidité.
Dans l'annonce du liquide vaisselle, on retrouve quelques éléments de la publicité antérieure. Premièrement, l'alliance de personnages blancs dans un lieu moderne. La cuisine, comme nous l'avons vu dans la description, fait figure d'exemple de magazine de décoration. Sa grandeur contraste avec l'exigüité dans laquelle vit une majorité de mexicains. La mère et la fille, minces et blanches de peau, ne répondent pas au stéréotype de la femme mexicaine, de petite taille et à la peau foncée. Encore une fois, il suffirait de couper le son pour ne plus pouvoir distinguer où se déroule la scène. On voit une « belle » cuisine avec deux « belles » personnes féminines typiques de l'imaginaire du beau à l'occidentale que poursuivent les médias mexicains. Cette beauté apparente pourrait en quelque sorte entrer dans la fonction phatique du message publicitaire, car les deux femmes sont utilisées, instrumentalisées, pour attirer l'attention du téléspectateur. En effet, par principe de permutation, on n'utilise pas ici des filles quelconques, en surpoids ou trop petites, pour illustrer et vendre un produit. On les veut jeunes et attirantes, mais simples en même temps, pour ne pas entrer dans l'exagération flagrante du quotidien. Ces deux femmes existent pour de vrai et elles sont surement amenées à vivre ce genre d'expérience quotidienne, on peut les imaginer facilement, mais elle ne sont qu'une minorité sur-représentée à la télévision qui déforme l'imaginaire collectif. En outre, ce sont des femmes et non des hommes que l'on emploie pour représenter cette situation, on sous-entend donc que l'homme n'y est pas confronté. La situation préfabriquée de la réclame se fait écho d'une relation type entre mère et fille. C'est la complicité rêvée de la famille moderne que l'on retrouve dans l'imaginaire collectif des pays émergents. La jeune fille, à la page sur les derniers produits de consommation, se transforme en une sorte de présentatrice de télé-achat, ou en gourou de la vaisselle propre. La mère, qui vit encore à l'âge de pierre, doit oublier ses anciennes méthodes pour laisser entrer la technologie. La nouvelle génération sur-connectée enseigne à l'ancienne génération comment résoudre les petits problèmes pratiques du quotidien. La jeune fille est ainsi emblématique, car fraiche et souriante, son dynamisme est ce que l'on attend aujourd'hui de la jeunesse. Une jeunesse à l'image de l'environnement dans lequel elle se développe, moderne et aseptisé. Même la vaisselle sale paraît fausse, la cuisine est parfaitement propre et rangée, seul endroit adéquat pour que des personnes s'accomplissent dans de bonnes conditions. On laisse de côté le « comal » typique de la cuisine mexicaine traditionnelle, encore largement utilisé dans la plupart des chaumières, restaurants et points de vente ambulants. Ce fameux « comal » est originairement un disque de céramique que l'on utilise pour faire cuire les tortillas de maïs, qui peut prendre beaucoup d'espace et que l'on apprécie d'autant plus s'il est chauffé au feu de bois. On imagine mal un tel appareil dans cette publicité. Il nous ramène en effet au passé, aux cultures anciennes et traditionnelles, totalement à l'encontre de la modernité et des fours micro-ondes que vendent d'autres publicités. L'importance de la cuisine mexicaine dans l'identité nationale justifie la remarque, car on supprime ici tout ce qui pourrait « mexicaniser » ce décor. Si Barthes pointait l'italianité utilisée dans la pub Panzani comme processus rhétorique pour attirer l'attention du consommateur, ici c'est le contraire, on assiste à l'omission systématique d'une mexicanité potentielle qui ferait tâche dans la publicité. C'est-à-dire que la cuisine traditionnelle qui pourrait faire office de décor n'est pas considérée comme propre à la publicité et à la vente. De même, la couleur de peau et les traits de visage des deux personnages sont arrangés, on ne sélectionne que des « güeros » (terme mexicain pour désigner poliment ou affectueusement les blancs de peau) qui répondent plus aux critères de beauté occidentaux et qui font par ailleurs référence à la tranche de population mexicaine au niveau de vie le plus élevé.
Dans le troisième exemple, c'est l'usage de slow-motion, c'est-à-dire du plan au ralenti que je vais détacher dans un premier temps. En effet, ces plans mettent en emphase la famille, les relations chaleureuses qu'entretiennent les différents membres. On utilise ainsi le cliché du couple qui dort paisiblement lorsque les enfants entrent avec fracas pour sauter sur le lit. On imagine un dimanche matin ensoleillé, ou un jour de vacance. Mais les parents, loin de se mettre en colère face à cette intrusion, accueillent chaleureusement les enfants avec des grands sourires. C'est ici une vision de la famille bien spécifique qui est utilisée. On reprend un classique du cinéma américain avec l'entrée des enfants dans la chambre des parents, on lui donne un air épique avec le ralenti, et c'est une famille parfaite et heureuse qui apparaît à l'écran. Cette première scène cristallise une image de la famille qui, une fois de plus, contraste fortement avec ce qui pourrait être une famille mexicaine. On a là deux parents blancs de peau, bruns, et deux enfants dont un garçon blond et une fille châtaine. Le choix a été le même que pour les publicités précédentes, c'est-à-dire qu'on a cherché à effacé ce qui pouvait afficher le caractère mexicain de cette scène, ou que l'on n'a pas jugé pertinent de reprendre des éléments de la culture nationale pour illustrer le produit. Le plan rapproché tend à représenter encore une fois le rapprochement toujours plus intense des médias et de l'intimité, de la vie privée. On n'hésite pas à montrer un couple dans le lit conjugal, alors que c'est une des situations des plus intimes de la vie quotidienne. L'environnement, comme décrit antérieurement, se veut moderne et assez spacieux. La décoration, d'un blanc éclatant, nous ramène à tout l'imaginaire de clarté et de sainteté que j'ai déjà abordé. Mais c'est plus une référence à la décoration de type occidentale, stérilisée, épurée. Sans extravagance, l'environnement se doit d'être neutre, car la publicité est internationale et globale. Il ne s'agit pas de faire appel a des éléments spécifiques adaptés à chaque région du monde, mais plutôt de trouver un compromis pour une stratégie de marketing globale. On fait alors ressortir ici une vision globalisée de la famille, celle que l'on cherche à voir partout dans le monde pour répondre aux objectifs du grand capital. Cette vision est une sorte de nourriture idéologique, sous forme de modèle de vie, que l'on donne en pâture aux consommateurs du Mexique et du monde entier. Ce modèle est figé sur l'image d'une famille blanche et souriante qui vit dans un espace large et clair, quand chaque année la population mexicaine s'entasse de plus en plus dans les environs de la ville de Mexico. On fait de la publicité une sorte de rêve habitable que l'on atteint par la consommation, car la publicité part du produit pour aller au consommateur et donne ainsi l'impression qu'en prenant le même chemin, du consommateur au produit, c'est dans ce lit « king size » que l'on se réveillera demain, avec cette même petite famille autour de nous, et sans mal de tête. Cette publicité use et abuse de la fonction conative. Tout son récit est basé sur le « vous » auquel s'adresse la voix-off. Mais, dans un premier temps, c'est par un poncif que cette voix tente de nous attirer l'attention: « se sentir bien, c'est savoir que vous pouvez comptez sur quelqu'un », jumelé aux images, dans une sorte d'apologie à la famille soudée. On crée un simulacre de solidarité, comme une sorte de contrepoids à l'individualisme qui domine dans la société contemporaine. C'est « lorsque vous rentrez du travail fatigué » qu'il faut prendre ce médicament, se relaxer et oublier les problèmes, comme le fait le « soma » de Huxley dans Le Meilleur des mondes. C'est l'ultime rempart que « vous » avez contre le rythme effréné de la société, et ce médicament est à « votre » portée. Mais c'est par la famille que ce médicament est introduit. Qui est mieux placé pour « vous » vouloir du bien? C'est donc « votre » femme qui vous offre le médicament, parce qu'elle est attentive à « vos » ennuis. Non un docteur anonyme ou un remède de grand-mère. Ici, c'est la pastille directement, elle résout tous les problèmes pour « vous » laisser vivre heureux, débarrassé des petites douleurs quotidiennes. On ne vend évidemment pas de la médecine traditionnelle, malgré le savoir important qui existe sur les plantes, qui sont encore largement utilisées au Mexique. Mais de nos jours, dans les grandes métropoles, qui se soignent avec des plantes? Un médicament sous vide c'est plus pratique, la science a fait des progrès. Les plantes, c'est du passé. Ce serait encore faire référence à d'autres cultures traditionnelles que l'on cherche justement à exclure dans la publicité, lorsqu'il s'agit de vendre de la modernité, en l'occurrence, un médicament supposé soigner le mal du siècle: la migraine. Le « vous » employé par la voix-off fait justement référence à ce consommateur rêvé du grand capital, qui rentre du bureau après une longue journée de travail, fatigué. C'est l'apologie du travail. Il faut fonder une famille et l'entretenir. La famille, c'est l'avenir, c'est la croissance et la stabilité économique. C'est aussi l'endettement pour vivre dans un bel appartement moderne et sûr, pour payer la bonne l'éducation des enfants, la voiture pour se déplacer. La joie des banques. On espère les congés et les jours libres pour pouvoir profiter de sa famille, partir à la plage sans le souci du travail, faire du tourisme, dépenser le peu d'argent qu'il reste, évacuer le stress. Une image que l'on « vous » colle, car la publicité est le meilleur agent idéologique du capitalisme. Et cette courte réclame symbolise à elle seule le système économique dans lequel nous vivons et que l'on tente de justifier. C'est une nouvelle fois une mise en abîme de la vie moderne qui reproduit sans cesse le modèle unique offert par la publicité En outre, la voix qui s'adresse à ce « vous », comme mentionné auparavant, est une voix féminine. Cette voix, calme et suave, laisse glisser les mots avec la douceur d'une mère. Elle « vous » met en scène et « vous » aide à résoudre les petits problèmes du quotidien. Elle se veut donc bienveillante, comme une mère qui se préoccupe de ses enfants. Elle « vous » dit comment réagir et comment vivre dans cet environnement social.
La dernière annonce, celle du café, va contraster avec les précédentes. Premièrement parce que comme je l'ai déjà mentionné, elle s'affiche comme un discours franc dirigé au spectateur. Mais tout l'intérêt de ce discours est qu'il ne concerne pas directement la marque Nescafé ou un de ses produits en particulier. La ruse ici est de faire l'apologie du café, avec toutes les techniques décrites précédemment (accent sur le côté artisanal, utilisation d'une figure connue et reconnue, etc.), en jouant sur l'ambigüité du « qui donne réellement l'information? ». En effet, la publicité n'est jamais gratuite. Si on diffuse ce spot, ce ne peut être pour les seules vertus du café, il y a forcément un acteur qui se cache derrière et qui en tire un intérêt. Cette courte présentation aux airs de faux-semblants opère une sorte d'ellipse sémantique où du café on passerait tout naturellement au produit Nescafé, comme si les deux ne formaient qu'une seule et même chose. On ne laisse pas voir au téléspectateur le processus réel et entier qui part des grains de café pour terminer dans une tasse Nescafé, on suggère que le café est le Nescafé, excluant de ce fait tout ce qui n'est pas Nescafé. On cherche ainsi à faire associer la notion de café à celle de Nescafé à travers une relation unique et privilégiée, un raccourci mental qui amènerait le consommateur à chercher la marque Nescafé au rayon café. Ce serait donc le café, et plus particulièrement le Nescafé (une proximité sémantique qui n'est pas anodine), qui nous apporterait tous les bienfaits dont parle la jeune journaliste. Celle-ci s'érige en figure emblématique des médias connus par un grand nombre de mexicain, une figure familière qui est à même de parler aux gens, de leur faire comprendre ce qu'il y a à comprendre dans le café. De plus, c'est une « belle » figure, blanche et avenante, une figure que l'on écoute. Si l'on regarde son programme et que l'on est attentif à ce qu'elle y dit, pourquoi ne pas prêter attention à ce qu'elle nous apprend dans la publicité? Encore une fois on tente ici d'effacer certaines frontières télévisuelles. On voit alors toute la contradiction qu'il y a entre séduction et information dont parle Soulages143(*), car même lorsque la publicité tente de se rendre informative, comme c'est le cas ici avec le café, elle le fait de manière vague et symbolique. Elle utilise une mise en scène onirique de cette région reculée de l'état de Chiapas et de ses habitants, alors que c'est un des états les plus pauvres et sujets aux discriminations raciales du pays.144(*) Les différentes techniques mises en oeuvre montrent les habitants sous un jour éclatant, affables et souriants envers la journaliste, loin du travail harassant et mal payé des cultures de café dirigées par les grandes entreprises. Le Chiapas est souvent utilisé pour marquer la fierté nationale en terme de biodiversité et de cultures autochtones, en totale contradiction avec la signature d'accords pour l'exploitation sauvage des ressources naturelles par des entreprises étrangères. On fait de cette région un lieu idyllique et mystérieux, qui cache de nombreuses ressources. On l'idéalise pour le transformer en décor de publicité, lisse et coloré. Du fragment publicitaire, cette réclame est la seule à présenter des individus qui ne sont pas seulement des blancs de type européen ou nord américain. Mais ces individus, plutôt que d'être de vrais acteurs, ne sont que des figurants censés représenter ceux qui travaillent le café. Ce ne sont pas eux non plus que l'on interroge sur le café. On a en effet jugé que la jeune journaliste, populaire et médiatique, étaient plus à même de parler du café que ceux qui le travaillent au jour le jour. L'idée est donc de présenter ces gens qui travaillent dans les champs, plus foncés de peau et vêtus d'habits traditionnels. Ceux-ci travaillent mais ne disent rien. Peut-être ne parlent-ils pas espagnol? Ils font parti de ce décor de la publicité dont je parlais, lisse et coloré, il n'en sont pas vraiment protagoniste. Leur présentation est à nouveau idéalisée: l'emphase sur le sourire de la jeune fille, les paniers de cerises parfaitement en ordre, les travailleurs avec leur chemise éclatante de blancheur, etc. Ce que l'on pourrait donc considérer comme une représentation plus juste de la culture mexicaine n'est en fait qu'un leurre. Seule la journaliste dispose d'un vrai droit à la parole, les autres travaillent et font de la figuration. Parce qu'elle est journaliste, mais aussi blanche et attractive, on la met en avant, elle donne son avis et se met en scène. Les travailleurs restent derrière, attachés à leur labeur. C'est toute une contradiction qui est représentée ici, car celle qui fait réellement de la figuration, c'est la journaliste, avec son discours trivial et superficiel sur le café. Les authentiques acteurs du café seraient alors les travailleurs, ceux qui se courbent pour travailler, qui y mettent la main, et non ceux qui parcourent langoureusement les champs avec leur tasse à la main. Le processus publicitaire tend généralement à inverser les choses, à donner de l'importance à un élément qui n'en requiert pas autant en terme d'information, et à reléguer d'autres éléments qui mériterait plus d'attention. Par exemple, les propriétés antioxidantes du café sont à peine suggérées, avec des chiffres précis mais presque indétectables au cours de l'action publicitaire. On met volontairement ces éléments de côté pour laisser plus de place à l'emphase des plans de caméra. Le visuel très soigné de ce spot tend à nous emporter dans un Chiapas imaginaire et rêvé, nous faisant oublier ainsi de quoi on parle exactement, et les personnages autochtones ou locaux paraissent irréels dans leurs vêtements traditionnels accommodés à la perfection.
Si l'on prend désormais tous ces éléments et qu'on les met dans la perspective d'une approche sémio-pragmatique, c'est-à-dire en prenant en compte le contexte de production et de réception de ces messages publicitaire (que j'ai décrit dans la première partie), on observe que le sens produit reflète une vision du monde globale et indifférenciée, et qui dit indifférencié dit exclusion de ceux que l'on considère comme différents au modèle prescrit. On élimine donc les représentants de la tranche pauvre de la population, les autochtones et ceux qui en auraient l'air. Si ceux-ci apparaissent à l'écran, ce n'est que pour occuper une place déjà définie dans le système-modèle: celle des figurants, ceux que l'on n'écoute pas, mais qui font joli lorsqu'il s'agit de reprendre les grandes valeurs démocratiques de diversité culturelle, d'égalité des chances, etc. Tout repose sur cette opposition. Les producteurs du sens publicitaire de ce fragment ont fait preuve d'une certaine solidarité en ne mettant en avant que des personnages qui, dans le cadre d'une société ethniquement plurielle, sont estimés comme les plus à même de faire acheter les gens, c'est-à-dire à même de les séduire et de leur inspirer confiance. On pourrait émettre l'hypothèse du « malinchismo », qui signifie la préférence qu'ont de nombreux mexicains pour ce qui vient de l'étranger (produits ou personnes), supposant une meilleure qualité ou fiabilité. C'est l'histoire d'un peuple qui ne se fait pas réellement confiance, qui depuis la conquête espagnole a toujours vécu avec la présence active d'étrangers, sous une tutelle informelle, alors même que sa population affiche un nationalisme parfois exubérant. Les acteurs de ce fragment publicitaire sont pourtant bel et bien mexicains, car il est vrai que les mexicains ne sont pas tous petits à la peau mate. Pour autant, la surreprésentation du type européen ou nord-américain (bien qu'il puisse être mexicain) traduit une préférence esthétique criante d'inégalité. Le Beau de ce fragment est moderne, blanc et souriant. Dans l'imaginaire publicitaire, tout un pan de la population n'a pas accès à la modernité, ni même à la beauté. Ce sont des situations qui ne laissent pas la place à la diversité: on construit la réalité du monde sur un axe socialement restreint. Ces quatre publicités sont ainsi une sorte d'échantillon idéologique que l'on offre aux téléspectateurs sous forme d'information commerciale. Mais cette « information » prend une place conséquente lorsqu'elle est martelée par le média le plus consommé du pays, et chuchote à l'oreille du public dans l'intimité du foyer. La publicité rend l'information séduisante en lui quittant tout ce qui pourrait déranger. Elle est vicieuse car elle se fait souvent passer pour ce qu'elle n'est pas, tentant, comme je l'ai déjà signalé, d'effacer les frontières avec d'autres contenus visuels. Elle sème la confusion et lorsqu'elle parle au public, c'est pour lui dire qu'il faut avoir les dents blanches, qu'il faut abandonner les vieilles méthodes et vivre dans le présent, qu'il faut prendre tel médicament en rentrant du travail, qu'il faut boire du café, et plus particulièrement le café de telle marque. Ce fragment nous dit que la vraie vie quotidienne est celle qui se réveille dans un lit « king size », que ce qui est blanc est beau, que les parents ne sont pas à la page, et que dans les champs on travaille avec le sourire. C'est un univers enchanté qui laisse voir le monde comme propice à un tel virage social. Ce fragment publicitaire est vecteur d'exclusion sociale lorsqu'il imagine un monde où seuls les blancs et beaux ont la parole. Ils sont ceux qui décident et ceux que l'on voit, alors qu'il suffit de détourner le regard pour se rendre compte que le monde se compose de plus que ces gens-là. Cette exclusion est d'autant plus flagrante lorsque la pub s'assume comme information commerciale, mais que cette information est erronée pour des raisons de marketing. Tous ses procédés techniques n'ont pour fin que de mettre en avant un monde imaginé comme il convient au système capitaliste global, et non une vraie information citoyenne qui conviendrait à un système avant tout démocratique. On peut ainsi voir dans ce fragment publicitaire un autre fragment, identitaire celui-ci, d'une société en plein développement économique. Ces quatre spots se font écho des aspirations d'une classe moyenne embrigadée par le travail à l'occidentale. La publicité, ici, n'est pas tellement le prédicateur de cette classe moyenne, sinon l'expression d'un mode de vie qu'elle poursuit, encrée dans une boucle idéologique reproductrice. On a, d'un côté, ce fragment qui ne sort pas de nulle part, c'est-à-dire qu'il fait référence à quelque chose qui existe déjà dans l'imaginaire collectif. Il reprend des éléments typiques du quotidien pour en faire des contenus « publicitilisables ». Ce phénomène, on le retrouve ici dans l'idée de l'homme qui rentre fatigué du travail, dans la jeune fille qui met sa mère au courant de l'existence d'un nouveau lave-vaisselle, dans le fait de vouloir se blanchir les dents, etc. D'un autre côté, il y a l'imaginaire discursif dominant, qui reprend des éléments publicitaires. En France, cela a pu se caractériser par la reprise d'expressions utilisées en publicité. Mais plus concrètement, avec ce fragment, cela pourrait se caractériser par un intérêt plus accru pour le café. Par exemple, le discours dominant se verrait en quelque sorte modelé par ce que dit la journaliste, ou par ce que l'on voit, comment et où se cultive le café. Ou encore, ce serait de prendre l'habitude de recommander un cachet à quelqu'un qui rentre fatigué du travail plutôt que de lui dire de se reposer un peu. On pourrait également assister à une discussion sur la nécessité d'avoir les dents blanches pour aller à un entretien d'embauche. En ce sens on peut voir ce schéma comme une boucle idéologique, dans laquelle la publicité véhicule l'inégalité sociale (sans pour autant la créer). La publicité impulse une vision qui exclue et trompe dans ce schéma à sens unique. Elle réutilise les préjugés et leur donne même un coup de pouce, elle est le tremplin aux idéologies de ce circuit qui va et vient entre la sphère publique et médiatique. Elle n'est pas éthique et peu régulée au Mexique, cherchant toujours à aller plus loin dans la séduction. C'est donc pour cela que l'iconicité de ce fragment publicitaire met autant l'accent sur la modernité, la famille, le travail, la blancheur, etc. Car la publicité sait que ce sont des éléments qui parlent à cette classe moyenne qui lui est si chère. Elle fait fi de l'éthique et réutilise à outrance des thèmes qui véhiculent l'inégalité sociale, alors qu'elle pourrait se proposer comme rempart idéologique en ne laissant pas trainer les préjugés déjà présents dans l'imaginaire du discours dominant. Ce processus d'exclusion sociale apparaît dès lors clairement, il fait des généralisations sur le une gamme sociale réduite au bon vouloir économique. Mais s'il apparaît de manière si évidente au chercheur, il reste un processus compliqué pour ceux qui ne font pas que le voir à la télévision, mais qui le vivent réellement, sans même s'en rendre compte parfois. Ces personnes, j'ai donc choisi de leur faire partager cette antenne académique, à travers des entretiens, afin d'approfondir mon travail et voir comment l'exclusion publicitaire peut se répercuter sur un sujet social particulier. * 143 Jean-Claude Soulages, « Quand la pub parle de pub » Médiamorphoses, n° 20, Médias en miroir, Ina/Armand colin, pp 99-105. * 144 Carlos Montemayor, Chiapas: la rebelión indígena de México, Mexico, Debolsillo, 2009. |
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