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La publicité au Mexique, vecteur d'exclusion sociale.

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par Michael Spanu
Université Lyon 2 - Master  2009
  

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3.2. Opacité du processus d'exclusion et réalité sociale

Chez Fabian, on sent bien toute la réflexion qu'il y a en amont de cet entretien. Pour lui tout est clair dans la publicité, avec cette opposition blanc-obscure que j'avais également mise en avant lors de l'analyse de mon corpus. De même, Fabian a personnellement été touché par des discriminations de type racial, ce qui le rend plus sensible au sujet. Il m'avait un jour raconté une anecdote de son enfance, sa tante lui disait d'aller se laver les mains et le visage, l'accusant d'être sale. Il est allé se laver, mais en revenant sa tante insistait encore pour qu'il se lave, qu'il frotte réellement, comme si c'était sa couleur de peau qu'il fallait « nettoyer ». C'était l'occasion pour moi de réaliser que le problème ethnique au Mexique porte bien, entre autres, les marques d'un racisme à l'américaine (blancs contre noirs). Il faut évidemment relativiser ce fait, cependant il ne faudrait pas l'omettre en ayant peur de tomber dans un schéma grossier, car ce racisme est bel et bien présent. Il est d'autant plus difficile à accepter lorsqu'on sait qu'une très grande majorité de mexicains a la peau mate voire très mate, et que seule une poignée de personnes a la peau claire. Ce déséquilibre montre à quel point l'inégalité peut être forte dans d'autres champs, et encore plus si ce déséquilibre a su s'insérer dans un des imaginaires les plus prégnants au Mexique, celui de la publicité.

À l'inverse, Patricia, qui est pourtant tout aussi concernée par ce type de problématique, ne semble pas choquée par l'exclusion sociale dans l'imaginaire publicitaire. C'est comme si c'était un fait, que la publicité s'inscrivait par nature dans un processus d'exclusion sociale. On ne se pose plus la question du pourquoi la publicité nous présente les choses de cette manière et pas d'une autre. Elle s'est auto-naturalisée de la sorte, faisant de son discours un genre social épuré.

C'est pour cela que j'emploie l'expression « opacité » du processus d'exclusion, car il ne se fait pas toujours voir comme tel aux yeux de celui qui regarde la publicité au jour le jour. Seul un oeil déconnecté de cet imaginaire peut voir dans la publicité quelque chose d'anormal, quelque chose qui cloche ou qui manque, une partie que l'on cherche à occulter, et qui rend la publicité si singulière. Car au final, c'est peut-être cela qui nous fait reconnaître la publicité avec autant de rapidité: la suppression significative de l'élément social gênant. Sa présentation en modèle parfait lui donne une couleur universelle qui n'est en fait qu'un reflet global et opaque.

On imagine que le téléspectateur lambda n'est pas choqué par l'exclusion sociale de la publicité, car elle repose sur une ambigüité réelle et subtile. La publicité est, d'une part, quelque chose que l'on ne prend pas trop au sérieux, que l'on ne regarde pas avec attention, mais qui est plutôt une occasion de voir ce que proposent les autres chaînes, de se détendre avant la reprise des programmes. On se demande alors comment elle peut revêtir une importance si grande dans le média télévisuel, et comment elle rapporte de telles sommes d'argent. Or la publicité est justement, d'autre part, le programme télévisuel par excellence. Ce programme qu'on croit attendre, film, série ou documentaire, n'est en fait que la pause au réel contenu de la télévision: la publicité, proposition commerciale stylisée que l'on ne peut éviter. Tout le monde connait quelques réclames et peut en citer quelques unes. On peut difficilement y rester insensible, étant donné que son travail est justement d'atteindre notre corde sensible. Elle s'efforce, par tous les moyens, de nous toucher, d'attirer notre attention en nous faisant rire ou en nous choquant.

Cette inversion télévisuelle, qui voudrait nous faire croire que la publicité est une chose à laquelle on ne prête pas beaucoup d'attention, cache donc une réalité qui est celle du débordement discursif de l'imaginaire publicitaire, qui à son tour cache, ou plutôt masque la réalité avec un voile qui exclue ceux qui gênent socialement la publicité et ses intérêts commerciaux (qu'elle partage avec le grand capital). Ce montage peut paraître biscornu mais il est à l'image de la complexité du processus publicitaire dans son entreprise de conquête idéologique, réalisé par le biais d'une fausse demi-présence télévisuelle. On résumera donc la publicité en disant qu'elle est le contenu principal de la télévision, bien qu'elle tente de s'en cacher pour ne pas s'exposer, donnant ainsi l'impression au téléspectateur que ce qu'il voit n'est qu'un entre-acte sans grande importance. Si on la pense comme le contenu télévisuel majeure, on peut réellement s'intéresser à l'imaginaire qu'elle produit, et voir dans quelle mesure il exclue socialement, sans donner l'impression d'une quelconque importance dans ce processus d'exclusion.

Pour revenir sur les propos de Fabian, on a un exemple flagrant de discrimination dans une publicité qui date de 2005. Celle-ci, une image dans le métro, annonçait un déodorant de la marque Rexona et disait « Para que el metro no huela a Indios Verdes ». Cette phrase, qui signifie « Pour que le métro ne sente pas comme les indiens verts » est un jeu de mot, car « Indios Verdes » est une station de métro de la capitale, réputée pour son désordre et donnant accès à la zone pauvre qui l'entoure. Le slogan publicitaire fait bien évidemment référence à la station de métro, de par l'usage des majuscules et du mot « metro », mais il est également offensant pour les « indiens » du Mexique qui pouvaient y voir un sous-entendu sur leur prétendue mauvaise odeur. En effet, la station Indios Verdes porte son nom en référence à deux gigantesques statues qui représentent deux indigènes, anciens empereurs aztèques. Elles se situent non loin et marquent la sortie de la ville, elles sont faites de bronze et ont peu à peu verdi avec le temps, d'où le nom du métro. C'est suite aux plaintes d'associations en faveur des peuples autochtones que la publicité a été retirée, un mois après son affichage. L'agence publicitaire à l'origine de cette image s'est bien défendue en clamant qu'elle ne visait en aucun cas un groupe de personnes particulier, et que toute l'histoire provenait d'un malentendu, le mal était fait, car ce malentendu reposait sur un stéréotype qui remonte aux temps des espagnols et qui veut que l'autochtone soit sale et malodorant. Un stéréotype qui est encore largement partagé et duquel les autochtones tentent de se dégager, non pas en utilisant du déodorant, mais justement en affrontant ce genre de propos dégradants qui ne reposent que sur un préjugé ancien.

Ainsi, le problème de discrimination au Mexique est coercitif car il n'est pas reconnu comme tel par ses acteurs ni parfois même par ses victimes. L'exclusion sociale est à double niveau, autant dans les médias que dans n'importe quelle situation sociale. Si la publicité ne se juge pas discriminatoire, elle n'aura jamais conscience de ce qu'elle représente réellement. Il faudrait qu'elle avoue, contre son propre point de vue, qu'elle exclue et conforme des stéréotypes discriminants, comme c'était le cas de Rexona, pour pouvoir effectuer un changement sémantique réel.

Comme je l'ai dit, ni même les victimes de cette discrimination sont toujours conscientes du phénomène, et si elles le sont, elles ne pensent pas que le jeu en vaille la chandelle. La publicité est ainsi, pourquoi vouloir la changer? J'ajouterai ici que la discrimination au Mexique est tellement enracinée dans son histoire qu'elle semble passer sous les yeux du grand nombre sans provoquer de réaction. En effet, sans vouloir m'appuyer avec trop d'insistance sur cette idée, l'injustice et la discrimination au Mexique sont si fortes pour quelqu'un qui débarque, et si floue pour quelqu'un qui la vit ou l'exerce depuis des années, qu'on ne sait plus vraiment où trouver la justesse du propos. Quoi qu'il en soit, la publicité s'inscrit évidemment dans le clan de ceux qui exercent l'exclusion sociale sans même sans rendre compte, arrivant à se défendre de cette idée par différents stratagèmes discursifs, comme la présence de figures variées dans la pub Nescafé qui témoignerait d'une sorte de sympathie pour la diversité, alors que cela ne fait que renforcer la position des dominés.

Cette ignorance du thème est effrayante, car on se demande alors si les choses ont une chance de changer un jour. Les institutions du gouvernement ne laissent pas vraiment entrer la lumière sur cette discrimination profondément ancrée dans le développement du Mexique, depuis la domination du peuple mexica jusqu'à l'oligarchie actuelle des grands patrons. De plus, la lenteur des actions juridiques, la corruption et le manque d'autorité des institutions ralentissent lourdement ce qui pourrait être vu comme le début d'une prise de conscience de l'exclusion sociale, c'est-à-dire l'action des organisations non gouvernementales qui luttent pour les droits de l'homme.

L'exclusion sociale au Mexique peut être considérée comme une véritable coutume qui ne choque plus personne, ce qui la rend difficile d'appréhension dans de nombreux cas, car les mexicains la voient plus comme un état de fait. Mais les mentalités bougent, calquées sur les avancées et luttes à travers le monde en faveur des droits de l'homme. En juin 2004, le gouvernement mexicain approuvait une loi contre la discrimination, qui allait donner naissance au Conseil National pour prévenir la discrimination (CONAPRED). Bien qu'ayant des moyens plus que limités, cette organisation dépendante du gouvernement constitue un premier pas vers la prise de conscience des problèmes de discrimination et d'exclusion sociale

La CONAPRED a d'ailleurs récemment lancé une sorte de concours visant à décerner des anti-prix aux messages médiatiques (TV, radio, Internet, cinéma, affiches, etc.) « qui expriment de manière évidente des concepts discriminants, qu'ils soient intentionnels ou non ».149(*) Il suffit donc d'envoyer le document en question par internet, qu'un « jury » examinera afin de décerner ces fameux anti-prix. On voit là à quel genre de farce se livre l'institution, ce qui nous amène à douter de son efficacité réelle, car comme toute institution au Mexique, son poids est faible face à celui des grandes entreprises qui dominent le marché médiatique. De plus, la discrimination « évidente » n'est sûrement pas la plus à dénoncer. On a vu ici dans un fragment publicitaire comment ce sont des choix et des propositions indirectes qui rendent le message publicitaire discriminatoire. On ne peut concevoir un autochtone qui annonce un produit Colgate, tout comme on ne choisit pas une typique famille mexicaine pour représenter une mère et une fille qui discute autour d'un produit-vaisselle. C'est pourtant là qu'il faudrait travailler, sur chaque fragment publicitaire, et provoquer un changement global dans la manière de représenter le monde. Et ce que l'on a vu ici pour la télévision, on pourrait l'observer dans les affiches qui jonchent le périphérique de la ville de Mexico, sur Internet, à la radio, ou dans les « telenovelas ». La discrimination, et plus loin l'exclusion sociale, ne sont pas des phénomènes évidents que l'on peut délivrer lors d'une remise de prix.

* 149 Source: http://www.conapred.org.mx/

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway