INTRODUCTION
Le Mexique est un pays empli de contradictions. Les pyramides
de Teotihuacan, vestiges des cultures préhispaniques situées
à une demi-heure de la ville de Mexico, font partie des attractions
touristiques les plus visitées du pays. De manière plus
générale, les sites archéologiques comme celui de
Chichen-Itza ou de Palenque suscitent un engouement certain chez les touristes,
autant étrangers que mexicains. Le gouvernement investit dans ces lieux,
finance parfois même les restaurations, il y organise des
évènements et affiche fièrement la grandeur de ce glorieux
passé. D'un autre côté, les héritiers autochtones de
ces peuples préhispaniques, qu'ils soient mayas, nahuas, ou de l'une des
52 autres ethnies indigènes du Mexique, font partie de la tranche de la
population la plus pauvre du pays. Plus que cela, ils sont les plus
démunis, les plus marginalisés, les plus stigmatisés.
Les différentes formes de pouvoir qui se sont
succédées au Mexique ne semblent pas avoir su prendre en compte
le caractère multiculturel de la nation, ni à mettre en place une
politique efficace pour que les individus puissent vivre en harmonie, dans le
respect de leurs cultures respectives, alors même que le Mexique est
réputé pour son laxisme frontalier, se posant comme terre
d'accueil pour les gens du monde entier. Peut-être trop
préoccupés a former une grande nation économiquement
homogène, un état progressiste calqué sur le modèle
capitaliste des Etats-Unis, les pouvoirs publics mexicains ont clairement
laissé de côté les questions de
« multiculturalisme », abandonnant chacun à son
propre sort. L'aspiration à un modèle économique
capitaliste rend la vie facile aux européens et américains. Du
côté autochtone et traditionnel, lorsque les protestations
sociales se sont faites entendre, (révolte paysanne de 1910,
insurrection des autochtones à Chiapas en 1994, Atenco en 2007, etc.) la
seule réponse a été la répression militaire.
L'opportunisme politique étant un sport de compétition au
Mexique, on voit régulièrement des programmes d'aide dans
certaines communautés, des terrains généreusement
donnés, des services ponctuels d'attention médicale, mais qui
malheureusement ne résolvent pas le problème de
l'inégalité.
Par ailleurs, la ville de Mexico connait un mélange
culturel extrêmement aigu, fruit de l'immigration massive de tout le pays
mais aussi du monde entier. On trouve donc de nombreux européens et
américains attirés par la facilité des affaires, des
mexicains de tous les états de la république, des rescapés
politiques, une grande communauté juive aisée, des libanais, des
chinois et japonais, sans compter la descendance des dizaines d'esclaves
africains qui débarquaient avec chaque conquistador et qui se sont
aujourd'hui fondus dans le paysage. Dans la capitale, la population est
passée d'environ 1 500 000 habitants en 1940 à plus de 20 000 000
aujourd'hui. Ainsi, ceux que l'on appelle les « chilangos »
sont les fils de cette incroyable vague d'immigrants qui vivent dans la
capitale, produits d'un choc culturel d'une rare intensité.
Pourtant, au regard des images publicitaires qui jonchent les
stations de métro, ou des réclames de la télévision
mexicaine, on ne retrouve que difficilement cette pluralité des
cultures. En effet, ces images mettent en scène des visages et des corps
lisses et apatrides que l'on ne rencontre que difficilement dans les rues de la
capitale. Evidemment, ces images n'ont pas comme finalité de rendre
compte du formidable multiculturalisme du Mexique, mais par leur
omniprésence elles m'ont semblé un bon support pour m'interroger
sur les manières de représenter le monde qui courent dans ce
pays. Ces représentations sont à première vue plastiques
et souvent forcées, touchant à un imaginaire collectif
déformé et déformant qui réchauffe des
stéréotypes. Mais plus on s'interroge et plus l'idée que
la publicité véhicule un imaginaire inégalitaire et
parfois discriminant se fait claire. La publicité mexicaine serait
donc un vecteur d'exclusion sociale, car elle la représente et la
véhicule par le biais de la magie médiatique, s'inscrivant ainsi
dans un système politico-médiatique global et
discriminant.
En me confrontant à cet imaginaire biaisé de la
publicité au Mexique, les questions qui m'intéressaient au
début étaient celles du rapport à l'autre et aux autres
cultures, du rapport du « chilango » à sa propre
identité, alors même que celle-ci n'est pas clairement
définie, dans un contexte de mélange culturel extraordinaire. Je
comptais étudier l'image des cultures à travers la culture de
l'image.
C'est donc ce que j'ai tenté de faire dans un premier
temps, en donnant un panorama de la culture des images, et notamment de son
agent le plus vivace au Mexique, la publicité. Celle-ci est
omniprésente, championne de l'affichage hors-norme sur des
façades d'édifices et capable d'interrompre jusqu'à dix
fois un film. Mais l'objectif ici n'est pas de chercher à voir les
soi-disant effets qu'elle produit sur la population, sinon la place qu'elle
occupe dans l'imaginaire et le discours de la société moderne.
Puis, dans un cadre plus institutionnel, je tenterai d'examiner la machine qui
produit ces images au Mexique, comment elle s'insère dans un jeu de
pouvoir qui la rend presque intouchable. Par le manque de régulation et
son importance dans la survie des médias, la publicité fait de sa
voix un des discours dominants du Mexique.
Dans un second temps, je me suis attelé à
dessiner une image de la culture au Mexique. En effet, l'enjeu était ici
de mieux comprendre le contexte culturel et surtout multiculturel dans lequel
s'inscrivent les messages publicitaires, car c'est là l'origine de
l'exclusion sociale. Pour saisir ce processus d'exclusion opérée
par la publicité, il fallait avant tout savoir comment celle-ci existe
dans le quotidien de la société mexicaine, c'est pourquoi j'ai
ensuite développé ma réflexion sur la notion de
discrimination.
Ces deux temps formaient alors une parfaite entrée en
matière à une sémiopragmatique de la publicité, car
ils étaient les deux points nécessaires à la
compréhension des lignes de lecture d'un message publicitaire au
Mexique. D'un côté le contexte de production avec la culture de
l'image et l'industrie publicitaire mexicaine, de l'autre le contexte de
réception avec l'image de la culture et la discrimination.
J'ai alors pu entrer dans un travail plus concret que j'ai
orienté vers l'analyse d'un fragment publicitaire de la
télévision mexicaine. Pour cela il m'a fallu faire un
détour par la télévision au Mexique et les
éléments techniques qui la lient à la publicité,
pour ensuite préciser comment j'allais travailler ce fragment
publicitaire. Ma méthode allait reprendre des éléments
propres à la sémiotique et à l'analyse d'image, qui me
seraient utiles par la suite pour interpréter le fragment publicitaire.
Enfin, j'ai partagé le rôle de chercheur en faisant participer
deux personnes par le biais d'entretien. Cette dernière étape a
été cruciale dans l'affinage et l'aboutissement de ma
réflexion sur l'exclusion sociale, car ce n'est pas un
phénomène si clair qu'il me paraissait au départ, bien
qu'il reste très présent dans la publicité.
Les principales difficultés que j'ai
rencontrées au cours de ce travail ont avant tout été
d'ordre bibliographique. Bien qu'ayant à ma disposition la
bibliothèque de la plus grande université du Mexique, je me ne
suis rendu compte que tardivement des lacunes qu'elle présentait. Je me
suis confronté à de nombreux ouvrages qui manquaient cruellement
d'actualité. Alors que les universités françaises font
beaucoup d'efforts pour rester à la page et obtenir les ouvrages les
plus récents, notamment dans le champ des sciences de la communication,
je n'avais à ma disposition que des travaux vieillis sur des
thèmes pas toujours en rapport avec ma recherche. La bibliothèque
de la faculté de sciences politiques et sociales dont dépend la
licence en sciences de la communication s'est révélée pire
encore, où j'étais incapable de mettre la main sur des classiques
de la communication. Des ouvrages sur le contexte médiatique ou
publicitaire au Mexique étaient très peu nombreux et souvent
très vieux, rendant le croisement des sources relativement difficile.
J'ai donc dû faire avec le peu de sources à ma
disposition. J'ai cependant pu compter sur l'aide de quelques professeurs qui
disposaient de livres à me prêter. C'est alors que j'ai compris
qu'au Mexique il est courant d'aller acheter soi-même des livres parfois
très pointus sur un sujet car aucune bibliothèque ne l'aura
à disposition. Je me suis également arrangé pour que l'on
m'envoie certains livres plus théoriques en Français, dont je
pensais avoir besoin pour ma réflexion et mon travail d'analyse. Cette
contrainte bibliographique m'a par ailleurs permis d'épuiser les
ressources bibliographiques mises à disposition par l'université
Lyon 2. Je ne compte le nombre d'articles scientifiques auxquels j'ai eu
accès sur Cairn, Persée ou Jstor et qui ont été
tout à fait décisif dans l'avancée de mon travail.
En outre, mon université d'accueil comptait avec un
grand nombre d'ouvrage sur le thème du multiculturalisme. Les questions
d'identité et de culture en Amérique Latine sont ses grandes
préoccupations académiques, j'ai eu l'occasion de participer
à un programme nommé « México nación
multicultural » qui m'a complètement ouvert les yeux sur le
thème du multiculturalisme au Mexique. Ce programme m'a également
permis d'accéder à un grand nombre de sources d'information,
m'évitant ainsi de me perdre dans la marée d'ouvrages sur la
culture.
L'autre difficulté à laquelle je me suis
confronté a justement été d'être au Mexique. Bien
que cela m'aie ouvert l'espace à un champ d'investigation que mes
collègues en France n'avaient pas, la distance a rendu difficile le
contact avec ma directrice de mémoire. Cette distance conjuguée
à une absence de cours sur la méthodologie du mémoire m'a
souvent amené à improviser pour pouvoir avancer. Je ne
considère pas cette distance comme un réel obstacle,
néanmoins il est évident que sans un intérêt profond
pour mon sujet et une bonne motivation, j'aurais rapidement
décroché. De plus, le fait d'être à
l'étranger et d'avoir de nombreuses choses à découvrir ne
facilitent pas l'affaire, car le mémoire m'a demandé beaucoup de
rigueur au quotidien. J'ai pu heureusement compter sur l'aide de mes proches au
Mexique, qui m'ont donné de précieuses informations sur des
affaires médiatiques passés ou des détails de la culture
que je ne pouvais connaître. De même, j'ai pu
bénéficier des conseils avisés de ma directrice, parfois
quelques mots pour orienter ma recherche suffisaient pour me remettre au
travail, ainsi que d'autres professeurs de Lyon 2 qui ont été
à ma disposition pour m'envoyer leurs articles ou des
références bibliographiques.
En tant que jeune étudiant en sciences sociales, j'ai
été très marqué par le climat d'injustice qui
règne au Mexique. C'est ce qui m'a conduit à orienter mon travail
vers la notion d'exclusion sociale. Partant au Mexique sans en connaître
vraiment la culture ni l'histoire, j'ai été fasciné de me
trouver face à une telle diversité culturelle. Et pendant que le
débat sur l'identité nationale faisait rage en France,
j'étais de mon côté en plein apprentissage d'une autre
forme de vivre ensemble dans laquelle on pouvait retrouver les mêmes
éléments de discrimination. J'ai pu assister à l'ouvrage
d'un capitalisme cruel qui tend à faire des traditions mexicaines une
sorte de voile identitaire purement artificiel. Un système
profondément inégalitaire que le rapprochement des Etats-Unis ne
fait qu'amplifier, un système où règne l'impunité
pour ceux qui ont de l'argent.
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