I-2. PROBLEMATIQUE
Le processus de Réforme du Secteur de la
Sécurité (RSS) occupe désormais une place
prépondérante dans les agendas des communautés
internationales du développement, de la paix et de la
sécurité. Il constitue pour les gouvernements, un
véritable vecteur de transformation des politiques, des institutions et
des programmes de sécurité. Ce processus ouvre la voie à
l'intégration des questions de parité entre les hommes et les
femmes (Centre for the Democratic Control of Armed Forces [DCAF], 2008).
Ceci pour intégrer la dynamique du principe
d'égalité entre les hommes et les femmes proclamé par les
instruments internationaux1 notamment la Résolution 1325 du
Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et
la sécurité du 31 octobre 2000 (DCAF, idem). Cette
dernière résolution souligne dans son préambule:
qu'il importe qu'elles [les femmes] participent sur un pied
d'égalité à tous les efforts visant à maintenir et
à promouvoir la paix et la sécurité et qu'elles y soient
pleinement
1 la Déclaration
Universelle des Droits de l'Homme de (1948), la Convention sur
l'élimination de toutes les formes de discrimination à
l'égard des femmes (1979), la Convention et le programme d'Action de
Bejing (1995), etc.
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associées, et qu'il convient de les faire participer
davantage aux décisions prises en vue de la prévention et du
règlement des différends (p. 1).
Tous ces instruments politiques et juridiques imposent des
responsabilités spécifiques au secteur de la
sécurité et devraient donc régir tous les processus de
Réforme du Secteur de la Sécurité (Centre for the
Democratic Control of Armed Forces [DCAF], 2011).
Plusieurs initiatives ont été prises au niveau
de l'Afrique pour tenir compte de la dimension Genre. Il s'agit par exemple du
Protocole à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples
relatif aux droits des femmes, du Nouveau Partenariat Economique pour le
Développement de l'Afrique (NEPAD) et son volet pour
l'égalité des sexes, ainsi que la Déclaration Solennelle
pour l'Égalité du Genre en Afrique (Nations Unies, 2016).
En outre, le Cadre de prévention des conflits de la
CEDEAO stipule que « les États membres doivent adopter des mesures
pratiques, y compris des réformes législatives et positives
visant à promouvoir le recrutement des femmes dans les forces
armées et autres agences de sécurité, et leur
participation active aux composantes militaires et civiles de la FAC»
(Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest [CEDEAO],
2008).
Par ailleurs, la mise en place d'un cadre institutionnel
propice à la promotion de l'égalité Genre s'est
également traduite par la création lors de la 26ème
Session de l'Autorité des Chefs d'État et de Gouvernements de la
CEDEAO à Dakar en 2003, sur Décision A/DEC.16/01.03, du Centre de
la CEDEAO pour le Développement du Genre (CCDG). Aussi, la
création du CCDG a-t-elle permis l'adoption en 2010 du plan d'action
régional de la CEDEAO pour la mise en oeuvre des Résolutions 1325
et 1820 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes,
la paix et la sécurité (Centre de la CEDEAO pour le
Développement du Genre [CCDG], 2015).
En Côte d'Ivoire, l'adoption du plan d'action
quinquennal dénommé « PAN 1325 20082012 », illustre la
volonté des autorités ivoiriennes à s'inscrire dans une
dynamique structurelle de mise en oeuvre de la Résolution 1325 du
Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et
la sécurité. De même, plusieurs stratégies
nationales ont également été développées par
le gouvernement pour renforcer le rôle de la femme, notamment le document
de politique nationale sur l'égalité des chances,
l'équité et le Genre adopté en 2009 et la Stratégie
nationale de lutte contre les Violences Basées sur le Genre en 2012
(Centre for the Democratic Control of Armed Forces [DCAF], 2009).
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L'adoption en 2012 de la Stratégie nationale de RSS
intervient dans le cadre d'un vaste programme de transformation et de
renforcement des Institutions. Cette Stratégie est axée sur cent
huit (108) Réformes et articulées autour de six
piliers2. C'est au niveau du pilier (vi), Dimension humaine et
sociale, qu'est formulée la Réforme N°101 : «
Intégrer la dimension genre dans toutes les activités
liées à la transformation et la gestion des institutions du
secteur de la sécurité ». Par ailleurs au niveau du pilier
(i), la réforme N°20 vise à « développer une
politique énergique de promotion du Genre basée sur la
participation et la responsabilisation effectives du personnel féminin
au sein des institutions chargées de la sécurité et de la
défense ». La stratégie ivoirienne de RSS qui se veut
holistique est fondée sur quatre « principes directeurs
»3 dont l'une repose sur une « intégration
effective du genre et la responsabilisation des femmes et des catégories
traditionnelles anciennement exclues de toutes les composantes du secteur de la
sécurité en côte d'ivoire& » (Conseil National de
Sécurité [CNS], 2012, p. 9).
Le CNS a adopté la Stratégie de
Sécurité Nationale qui définit et précise de
façon cohérente l'action des principaux acteurs intervenant dans
la Sécurité intérieure et extérieure.
La mise en oeuvre de cette stratégie s'est traduite par
l'adoption de la Loi 2016-09 et la Loi 2016-10 du 13 Janvier 2016 portant
respectivement Programmation des Forces de Sécurité
Intérieure et Programmation Militaire, pour les années 2016
à 2020. Ainsi, les institutions du secteur de la sécurité
ont vu leur cadre juridique et institutionnel renforcé pour les rendre
plus efficace et professionnel. Au-delà de ces aspects, l'une des
priorités de ces lois reste la prise en compte du Genre dans le
système de Défense et de Sécurité (Ministère
en charge de la défense [MINDEF], 2017).
Il convient également de noter que la Constitution
ivoirienne du 8 novembre 2016 consacre le principe d'égalité
entre homme et femme (Groupe de la Banque Mondiale, 2017).
Aujourd'hui, les femmes sont présentes dans toutes les
institutions du secteur de la sécurité, notamment au niveau de la
Police où elles constituent 12% des effectifs, au niveau des eaux et
forêts elles représentent 2% des effectifs (Conseil National de
Sécurité [CNS], 2015); nous notons 1 % pour les Armées
(soit 1.45% pour l'Armée de Terre, 1.01% pour l'Armée de l'Air et
0.55% pour la Marine Nationale) (MINDEF, Idem).
2 Les six piliers de la stratégie RSS en
Côte d'Ivoire : (i) Sécurité Nationale ; (ii)
Reconstruction post-crise ; (iii) Etat de droit et relations internationales ;
(iv) Contrôle démocratique ; (v) Gouvernance économique et
(vi) Dimension humaine et sociale.
3 Les quatre principes directeurs de la
stratégie RSS ivoirienne : (i) un engagement politique permanent ;(ii)
une appropriation nationale ; (iii) une approche holistique ; (iv) une
intégration du genre.
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Aussi, l'adoption d'une Communication en Conseil des Ministres
du 14 mai 2014, relative au recrutement des femmes à la Gendarmerie
Nationale, qui est restée depuis sa création en 1962 la chasse
gardée des hommes, a permis l'ouverture de ses portes aux femmes depuis
la rentrée scolaire 2015-2016. Cette mesure assortie d'un quota de 10%
réservé aux femmes, concerne tant les officiers que les
sous-officiers; la communication a précisé que cette mesure
permet à la Côte d'Ivoire de se mettre au niveau des standards
internationaux en la matière, tout en confirmant la politique de
promotion du Genre traduite par la nomination de femmes dans les instances de
décision de l'Administration et des Armées (Secrétariat
Général du Gouvernement [SGG], 2014). Ainsi, l'entrée des
femmes à la Gendarmerie a été effective depuis le 14
octobre 2014 avec la première promotion d'officiers femmes au nombre de
quatre (4), suivie de l'intégration de trente-cinq (35) sous-officiers
femmes sur un effectif de trois cent quatre-vingt-dix-huit (398)
élèves sous-officiers de la promotion 2015-2017 (elles
constituent environ 0.02% du personnel de la Gendarmerie). Nous avons
noté qu'une seconde promotion de femmes sous-officiers au nombre de
vingt-sept (27) est en cours de formation dans les deux écoles de
Gendarmerie4 (Gendarmerie Nationale, 2017).
Mais, en dépit de toutes les résolutions
internationales, régionales et tous les efforts consentis au plan
national pour améliorer la participation et la responsabilisation des
femmes, le constat est que les femmes restent sous-représentées
ou absentes dans plusieurs secteurs des services de l'État (Centre for
the Democratic Control of Armed Forces [DCAF], 2010). C'est pour cela que la
Banque Mondiale s'est particulièrement penchée sur la situation
en Côte d'Ivoire et mentionne dans un rapport que « les femmes
ivoiriennes souffrent de discriminations supplémentaires sur le
marché du travail&Elles sont systématiquement
écartées des postes à responsabilité dans des
secteurs, ou au sein des entreprises, comme dans la finance, l'immobilier et le
secteur public.» (Groupe de la Banque Mondiale, 2017, p. 44). Le
même rapport de cette institution précise également qu'au
titre de l'année 2016, la Côte d'Ivoire occupait la 136ème
place sur 144 pays dans le monde d'après l'indice du Genre
compilé par le World Economic Forum ou encore le 43ème rang sur
52 pays africains selon l'indice Genre de la Banque Africaine de
Développement (Groupe de la Banque Mondiale, idem).
Mieux, estime le Ministère de la Défense
ivoirien, « les sociétés africaines ne mettent pas assez les
femmes en avant, notamment sur des emplois considérés comme
masculins qui bien souvent semblent inaccessibles et réservés
» (p. 77).
4 Les écoles de Gendarmerie d'Abidjan et de
Toroguhé à Daloa.
Cependant, si l'ouverture de la Gendarmerie Nationale aux
femmes a été marquée par un engagement politique dans
l'application de la politique du Genre, l'on note toutefois des
inquiétudes quant à son efficience. En effet, alors qu'elles ont
reçus les mêmes rudiments que leurs frères d'armes
masculins pendant leur formation, les trente-cinq (35) sous-officiers et les
quatre (4) officiers femmes ont toutes été affectées
auprès des grands commandements, dans les Etats-majors des
Légions et dans les écoles de la Gendarmerie à des emplois
administratifs tels que l'encadrement, le secrétariat, le courrier etc.,
loin des postes opérationnels.
Ce constat a donc suscité les interrogations suivantes
: quels sont les obstacles liés à la prise en compte efficiente
de la dimension Genre dans la politique d'emploi du personnel féminin de
la Gendarmerie Nationale en Côte d'Ivoire? Quelle politique d'emploi du
personnel féminin de la Gendarmerie Nationale au regard des objectifs de
la prise en compte de la dimension Genre dans les réformes des
institutions du secteur de la sécurité en Côte d'Ivoire?
Les obstacles à l'intégration du Genre à
la Gendarmerie Nationale sont-ils liés à des écarts dans
la politique d'emploi du personnel?
Les écarts dans la politique d'emploi du personnel
sont-ils liés à une phase expérimentale de l'emploi des
femmes?
I-3. HYPOTHESE
Les obstacles à l'intégration du Genre dans la
Réforme de la Gendarmerie Nationale sont liés à une phase
expérimentale de l'emploi des femmes.
I-4. OBJECTIFS DE L'ETUDE I-4-1. Objectif
général
L'étude vise à appréhender les obstacles
liés à la prise en compte efficiente de la dimension Genre dans
la politique d'emploi du personnel féminin de la Gendarmerie Nationale
en Côte d'Ivoire.
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