Chapitre III : L'achat public responsable comme
soutien à la performance globale du système de santé,
mythe ou réalité ?
Partie 1 : La commande publique doit encourager et
développer la performance globale
S'il est un domaine pour lequel les notions de bien
commun119 et de bien public mondial sont
particulièrement pertinentes, c'est en effet la santé. Chacun
d'entre nous bénéficie du système de santé et en
retour, sa responsabilité nous incombe collectivement : l'accès
au meilleur état de santé possible et la protection de la
santé constituent des droits fondamentaux applicables à tout
être humain ; chacun est solidaire du maintien de la qualité de
notre environnement de vie et de la pérennité du système
de santé ; sa gestion et sa mise en oeuvre reposent sur la
coopération et la responsabilité de l'ensemble des acteurs
(pouvoirs publics, citoyens, professionnels ou établissements du secteur
de la santé, du social et du médicosocial, entrepreneurs et
industriels, associations, chercheurs, etc). La Déclaration Universelle
des Droits de l'Homme entérine d'ailleurs son caractère
inaliénable : « Toute personne a droit à un niveau de
vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa
famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins
médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires...
» (art. 25).
La commande publique en matière de santé, dont
l'un des objectifs est de protéger ce bien commun, peut apporter un
soutien d'autant plus fort qu'elle prend place dans un marché pour
lequel elle représente une part significative de la demande. De longue
date, les effets d'entraînement de la commande publique sur l'innovation
et de façon globale sur le démarrage de certaines industries,
font partie de la littérature économique et permettent à
ces dernières d'atteindre rapidement une taille critique,
bénéficiant ainsi d'économies d'échelle. Il s'agit
du modèle du public demand push, théorisé par
Burmeister120 : les marchés publics constituent un levier de
politique technologique particulièrement favorable au début du
cycle de vie, « quand le secteur public dispose d'un pouvoir de
monopsone121 qu'il utilise à travers une
stratégie d'acheteur simultanément exigeant et bienveillant, et
quand la technologie développée est générique ou
adaptable aux besoins du secteur privé ». Faire de la commande
publique un levier privilégié de la politique sociale et
environnementale peut ainsi être rapproché des politiques de
soutien à l'innovation des années 1950-1980, illustrées
par de grands programmes technologiques ou des investissements des entreprises
publiques122.
119 Ressource partagée par une communauté
d'individus et collectivement gérée selon des règles
propres.
120 BURMEISTER Antje (1994)
http://www.persee.fr/doc/rfeco_0769-0479_1994_num_9_2_956
121 Régime de formation des prix dans lequel un acheteur
unique trouve en face de lui une multitude de vendeurs.
122 « Les clauses environnementales dans les
marchés publics », MARTY Frédéric (1999).
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Ce modèle de soutien par l'achat public responsable
contribue à la levée des risques pour les entreprises proposant
des biens et services plus respectueux de l'environnement et des Hommes ; il
leur permet de tirer profit de certaines économies d'échelle
favorisant la diffusion de leur offre ; et, dans une certaine mesure,
d'augmenter leurs capacités de prescription - notamment vers les
marchés privés.
Mais l'achat public responsable est également un outil
de gestion des risques et une forme de réponse à la
démultiplication des sources de pression. Quand on sait qu'en moyenne,
30 % des développements produit présentant une
amélioration environnementale sont imputables à des stimuli
externes115, on comprend combien l'achat de produits de soin
auprès de fournisseurs responsables peut être complexe. La
commande publique en santé étant située au carrefour d'un
bloc constitutionnel (droit de l'Union Européenne et Code de la
Santé Publique), du Code de l'Environnement et du Code du Travail...pour
ne citer qu'eux.
En marge de ces impératifs réglementaires,
l'accroissement ces dernières années de scandales sanitaires
portés en justice grâce à des lanceurs d'alerte ou encore
la perspective de potentielles class actions en
santé123 - actions de groupe menées par des
associations de patients - illustrent bien le pouvoir des parties prenantes,
tant sur les offres et solutions proposées par les industriels de
santé que sur la responsabilité des professionnels de soin qui
les mettent en oeuvre. Là où, seul, le citoyen est contraint au
silence, les associations d'usagers s'engagent à le rendre visible,
audible et lui permettent d'agir face aux professionnels et aux institutions
qui n'auraient pas assumé pleinement leur responsabilité
sociétale124. Ces class actions à la
française, dans la mesure où elles constituent un excellent
moyen de mutualiser les coûts, permettent par ailleurs au patient/usager
un accès plus équitable et plus aisé aux procédures
légales.
Enfin, si les différents classements des
hôpitaux et cliniques de France n'intègrent aujourd'hui aucun
critère relevant formellement de la RSE, il est fort à parier que
plusieurs de ces sujets se fraieront progressivement un chemin vers le devant
de la scène. Il faudra alors que l'ensemble des acteurs de
système -industriels de santé et établissements de
soin-soient en mesure d'apporter une réponse collective,
cohérente et économiquement acceptable à ce nouveau type
d'exigences. Exigences en termes de qualité et de sécurité
de l'offre de soin, en matière d'éthique et de dispositif de
sécurisation des données patients, vigilance quant à la
bonne gestion sociale de l'établissement de santé ou encore quant
à ses impacts environnementaux...
123 Action judiciaire qui serait engagée par une
association agréée, afin que les usagers de santé puissent
solliciter la réparation de leurs dommages corporels auprès d'un
défendeur pour le manquement de ce défendeur à ses
obligations légales ou contractuelles. » (selon Maître
Charles-Henri Caron, avocat au sein du cabinet Hogan Lovells).
124 Agence Nationale d'Appui à la Performance des
établissements de santé et médico-sociaux (ANAP),
« En quoi les usagers et les citoyens peuvent-ils contribuer à
la performance du système de santé ? » (Actes des
Universités d'été de la performance en santé,
Tours, 28-29 août 2015).
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Le patient, s'il ne devient pas souverain, continue d'exercer
une pression grandissante, et le défi que le système de
santé devra relever consiste à garantir à tous une
combinaison optimale solution de santé/pratique des soins. Il faudra, de
fait, inscrire les relations entre pouvoir adjudicateur et fournisseurs d'une
logique de « donneur d'ordre » à une logique de synergie :
toute offre socialement et/ou écologiquement performante étant
conditionnée aux pratiques vertueuses et responsables de
l'établissement dans lequel elle sera mise en place.
De façon concomitante à cet ensemble de stimuli
externes, la professionnalisation de l'acheteur public est un
élément indispensable à la performance globale du
système de santé. Un mouvement déjà en marche,
illustré par le rassemblement spontané de plusieurs centres
hospitaliers universitaires en France, désireux de partager leurs bonnes
pratiques et leurs difficultés. Donnant vie au proverbe africain
« seul on va plus vite, ensemble on va plus loin », ce
cercle privé constitue désormais le Cercle « Performance
Achats », sous l'égide de l'ANAP125, et compte plusieurs
nouveaux membres. Confirmant cette tendance de la professionnalisation de
l'achat, la dernière édition du Baromètre «
Santé durable » révèle que le
développement durable figurait en 2015 parmi les priorités du
plan de formation dans près de 1 établissement de soin sur 5 - ce
qui reste trop peu, malgré une nette inflexion des chiffres. Les trois
cycles de formation phares étant : les gestes et postures au travail (78
% des établissements répondants), la gestion des déchets
(47 %) et les achats durables (23%)126.
Or un acheteur bien formé, c'est un acheteur qui
maîtrise les subtilités de la commande publique responsable et
sait manier les différentes options d'intégration des clauses
sociales et environnementales, afin de les adapter au mieux à son/ses
besoin(s) et à la maturité des offres disponibles sur le
marché.
Ainsi, dans une optique de performance globale, l'acheteur
public de produits de santé pourra par exemple définir des
conditions d'exécution127 qui imposeront aux fournisseurs de
respecter des engagements de performance RSE pendant toute la durée du
contrat (par exemple : livrer les produits de santé dans des cartons
labellisés FSC ou PEFC ; garantir la reprise des palettes et/ou des
cartons, après livraison, par le personnel d'un ESAT128 qui
en assurera la valorisation...), en plus d'intégrer le
développement durable parmi ses critères
d'attribution129. Cette possibilité d'inscrire le
développement durable à plusieurs étapes du « cycle
de vie d'un marché public » est une véritable
opportunité de confirmer le choix responsable de l'acheteur et, pour le
candidat retenu, de démontrer l'authenticité de ses
125 Agence Nationale d'Appui à la Performance des
établissements de santé et médico-sociaux.
126 DirectHopital, « Plus de 8 établissements
sur 10 intègrent le développement durable dans leur projet
stratégique » (article du 21 mai 2015).
127 Article 14 du Code des Marchés Publics.
128 Etablissement de service et d'aide par le travail.
129 Article 53 du Code des Marchés Publics.
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engagements responsables (cohérence et
pérennité). A la recherche de la fameuse harmonie entre le «
dire » et le « faire ». Une harmonie envisageable à
condition, toutefois, d'inscrire son règlement de consultation et ses
clauses techniques en cohérence avec l'ensemble de ces exigences, en
veillant notamment à bien équilibrer le niveau de
pondération du critère développement durable avec le
niveau de complexité des fiches techniques à compléter.
Mais l'acheteur public pourrait également, dans une
volonté d'intégrer davantage les clauses sociales et
environnementales à ses marchés, teinter chacun
des critères de jugement de l'offre d'une dimension responsable
: 20 à 25 % du critère « Logistique »
réservés à la description d'une solution de Green
Supply Chain ou de mobilité douce, incluse lors de la livraison des
produits ; 20 à 25 % du critère « Technique »
réservés à une analyse documentée des avantages de
l'offre en matière d'ergo-conception, de simplification de manipulation
du produit ou de contribution à la réduction des troubles
musculo-squelettiques; 20 à 25 % du critère « Prix »
réservés à une analyse exhaustive du coût complet du
produit... Ainsi, la différenciation responsable de l'offre (le cas
échéant) serait manifeste et sans équivoque,
puisqu'observable sur chacun des critères essentiels de jugement et
argumentée de façon tangible. Une opportunité de
distinguer plus facilement les offres 100 % durables et de leur attribuer une
forme de bonus RSE ayant une réelle valeur déterminante
dans le choix final, en phase avec le concept du « mieux-disant ».
Les responsables de la commande publique pourraient enfin
rejoindre ou créer leur propre système centralisé et
collaboratif d'évaluation de la performance et de dialogue
fournisseur130 en l'adaptant, par secteurs. A l'image de la
plateforme « Together for Sustainability » (TfS)131, dont
le but est de développer et implanter un programme d'évaluation
et d'audit global pour évaluer et perfectionner les pratiques
responsables des acteurs de la supply chain de l'industrie chimique, les
représentants de la commande publique pourraient imposer à tous
leurs fournisseurs de se soumettre à une évaluation
régulière de leur performance RSE via ce type de plateforme en
ligne. Accessible 24/24, 7 jours sur 7, un tel système permettrait aux
candidats de compléter une sorte de « méta-questionnaire RSE
» correspondant à leur profil et à leurs services
(universels) mais de renseigner également des évaluations bien
plus courtes et ciblées visant à qualifier les bienfaits sociaux
et/ou environnementaux de leur offre, par gamme.
Cette évaluation initiale serait certes plus
exhaustive - donc plus longue à compléter - qu'un questionnaire
développement durable joint à la consultation d'un
établissement de santé, mais le candidat n'aurait ensuite
à la renseigner qu'une fois par an, ou plus selon les mises à
130 Ecovadis :
http://fr.ecovadis.com/supplier-solutions/
Acesia :
http://groupe.afnor.org/pdf/ACESIA-afnor-solutions-achats.pdf
Enablon :
http://enablon.fr/solutions-fr/performance-des-fournisseurs
Correl :
http://correl.fr/evaluer.phtml
131
http://www.arkema.com/fr/media/actualites/detail-actualite/Arkema-rejoint-Together-for-Sustainability-TfS-une-initiative-pour-une-supply-chain-responsable/
Ce qu'il faut retenir
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jour qu'il souhaiterait apporter132. Ramené
à l'année, cela représenterait en définitive un
gain considérable, quand on sait le temps Homme consacré à
l'élaboration de réponses aux injonctions sociales et
environnementales, dans le cadre des consultations publiques ! Un gain de temps
observé également chez l'acheteur qui, à l'occasion de
chaque marché, n'aurait plus qu'à interroger le système
afin de voir si l'évaluation RSE du candidat X est disponible et, selon
la réponse du logiciel, il n'aurait plus qu'à visualiser cette
évaluation ou à solliciter le candidat pour que ce dernier se
soumette à l'évaluation initiale. Pour l'acheteur, le premier
avantage d'une telle plateforme d'évaluation en ligne serait donc la
réduction du « temps administratif » au bénéfice
du « temps utile », offrant la possibilité de focaliser sur
l'analyse qualitative de l'offre responsable. Le second avantage de ce
système centralisé collaboratif, accessible à tout
établissement de santé adhérent, serait l'alternative
d'une vision matricielle - transversale - sur l'un des aspects de la
performance du candidat (par exemple, les économies d'énergie
liées à ses produits). Un détail qui pourrait finalement
ne pas en être un, si tant est qu'il puisse avoir une incidence sur un ou
plusieurs des chantiers stratégiques de l'établissement de
santé (par exemple, si la réduction de ses consommations
d'énergie, par ailleurs source d'économies substantielles,
figurait parmi ses priorités). Enfin, l'acheteur public aurait la
possibilité de visualiser en un clin d'oeil la performance relative de
chaque candidat soumissionnaire, sur une matrice globale. Ce qui ne le
dispenserait pas, pour autant, de creuser les sources de performance de tel ou
tel candidat.
Les idées ne manquent pas pour développer la
performance globale au sein du système de santé. Toutes
n'induisent pas, d'ailleurs, de changement majeur dans le système
actuel...mais certains ajustements et, indéniablement, de créer
une impulsion forte en ce sens. La commande publique peut et doit initier ce
mouvement : non seulement elle est capable de générer des effets
d'entraînement forts, mais elle est plus que concernée par le
partage de responsabilité vis-à-vis de la santé, ce bien
commun si cher à chacun d'entre nous. En outre, le poids des injonctions
réglementaires et légales se trouve aujourd'hui
décuplé par la pression - légitime - exercée par
les patients et usagers des produits de santé. La réponse
à l'ensemble de ces directives se trouve probablement dans la
construction d'un système de soin responsable, intégratif et
cohérent, capable de créer de la valeur et des
bénéfices partagés, encourageant la professionnalisation
des acheteurs et permettant à ces derniers d'explorer certains outils
collaboratifs en vue de mutualiser leurs efforts.
C'est à ces conditions et à ces conditions
seulement que la commande publique de produits de santé pourra
espérer atteindre les objectifs ambitieux fixés à travers
le 2ème PNAAPD133. Car ce qui a changé,
c'est le discours de preuve, la mesure des résultats, la conviction
qu'on ne peut plus faire « sans » le développement durable et
que ce qui était, hier, une exhortation à penser le changement
est aujourd'hui devenu une exigence de le conduire, de façon
concrète.
132 Nouvelles informations RSE, mises à jour d'une
certification, mise à jour de la consommation électrique de tel
ou tel produit, etc.
133 25 % de marchés comportant au moins une
disposition sociale et 30 % comportant au moins une disposition
environnementale, d'ici à 2030.
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