Nous vivons une époque charnière, «
où l'ancien monde ne veut pas mourir et où le nouveau monde ne
parvient pas à naître108. » Dans ce
contexte, les enjeux RSE sont autant de risques et opportunités qui
expriment les attentes et les besoins de la société civile
à l'égard des entreprises. Des enjeux devenus éminemment
stratégiques et présentant une grande variété dans
leur niveau de criticité, leur portée géographique, leur
degré de spécificité et leur dynamique (selon qu'ils
régressent ou qu'ils augmentent) ; ils occupent aujourd'hui une
sphère d'activités et d'influence de plus en plus large ; et sont
à la fois globaux, régionaux, sectoriels et
évolutifs109.
Pour autant, la demande formulée aujourd'hui aux
entreprises est claire : d'abord ne pas nuire110, puis contribuer
à la vie sociale.
Observatoire des enjeux de la RSE / Institut de la RSE (mars
2015)
108 Commissariat Général au Développement
durable, « Penser autrement les modes de vie ».
109 Etude Global Risks (2015).
110 « Primum non nocere... »,
parallèle avec les premiers mots du serment d'Hippocrate.
Dans ce contexte, la notion de « performance globale
» renferme beaucoup de subjectivité. Une subjectivité
liée non seulement aux approches de la responsabilité
sociétale, rarement exhaustives ; mais également au double niveau
d'interprétation du concept : la performance en tant qu'action et la
performance en tant que résultat. L'appréciation de la
performance globale étant d'autant plus partiale que « chacun voit
midi à sa porte » et jauge le niveau de performance RSE d'une
organisation à la lumière de sa propre vision et, a fortiori, des
avantages dont il/elle pourrait bénéficier dans le cadre d'une
collaboration. Ainsi, mesurer la performance globale répond à une
logique parcellaire.
Comme évoqué précédemment, le
concept de performance globale souffre d'un manque de consensus ou, tout du
moins, d'un référentiel éprouvé en la
matière proposant un cadre méthodologique intégratif. A
défaut, les entreprise dissocient les mesures de performance et
maintiennent artificiellement le mythe d'une possible conformité
simultanée de divers intérêts conflictuels, en assurant une
forme d'équilibre entre eux111. Dans les faits, pourtant, la
performance économique est presque toujours privilégiée :
les individus confrontés à des injonctions contradictoires ayant
tendance à négliger un des deux messages émis,
généralement celui qui engendre le moins d'impacts
négatifs pour leur organisation112.
Enfin, la performance globale est un processus actif, inscrit
dans le temps et en perpétuel mouvement. Toute la difficulté de
son appréciation est de ne pas tomber dans l'écueil de " l'image
à l'instant T " et de trouver un équilibre réaliste entre
évaluations intermittentes et évaluation en continu.
Si un consensus ne saurait être établi par
l'ensemble des acteurs externes, une organisation peut néanmoins soigner
sa performance globale en adoptant une stratégie RSE holistique et
cohérente. En d'autres termes, en bannissant tout décalage entre
le « dire » et le « faire » [Voir Annexe 4]. Dans
la pratique, l'exercice est plus complexe qu'il n'y paraît113,
mais il permet de réduire certains déséquilibres ou
frustrations ressentis par les parties prenantes - qui ont parfois le sentiment
d'être réduites au statut de variable d'ajustement. Or l'un des
principaux leviers d'action de la performance globale est la notion de «
contrat », à savoir les objectifs de progrès co-construits
avec ses parties prenantes en vue d'apaiser, d'innover et de nourrir des
démarches de durabilité114.
111 N. Antheaume (2005).
112 Le Roy (1996).
113 La mise en oeuvre d'un système de performance
globale dépend du degré de volonté des dirigeants pour
confronter leur stratégie de conformité, voire
d'évitement, aux intérêts de leurs parties prenantes
(Oliver, 1991).
114 Institut Management RSE / CSR Metrics France, «
L'Observatoire des enjeux RSE 2015 : état des attentes RSE en France,
vues par la société civile et la communauté
économique, et leur utilisation dans l'analyse de la
matérialité des enjeux RSE des entreprises »
(février 2015).
Partie 4 : Quels risques encourus à ne pas inscrire ses
activités dans une logique de performance globale ?
La responsabilité sociétale de l'entreprise
repose avant tout sur une démarche volontaire. Le droit en la
matière est souvent qualifié de mou (ou « soft law
»), c'est-à-dire qu'il est peu contraignant et ne
prévoit pas - ou peu - de sanction en cas d'inaction. Aussi la RSE peut,
au premier abord, donner à penser qu'elle ne répondre d'aucun
mécanisme de contrôle des risques. Pourtant, certains aspects de
la responsabilité sociétale - notamment plusieurs enjeux sociaux
- ainsi que plusieurs jurisprudences récentes contraignent peu à
peu les entreprises à respecter au minimum leurs engagements - y compris
ceux décrits dans des documents internes tels que leurs codes
éthiques, leurs accords sociaux, leurs brochures commerciales ou
marketing. En outre, les sanctions liées à des enjeux de
responsabilité sociétale peuvent porter préjudice aux
entreprises, de façon directe mais aussi indirecte. Elles
affectent essentiellement la réputation de la marque et son
attractivité sur les marchés, sans compter les impacts
négatifs recensés au niveau de leurs produits et services (baisse
des ventes, mauvaise presse, boycott...).
Sans équivoque, il existe bien un lien fort entre les
principes, les objectifs et la gestion des indicateurs de la
responsabilité sociétale, et les risques légaux
associés.
En 1997, Nike a vu ses ventes dégringoler suite
à la dénonciation par Amnesty International de l'exploitation
d'enfants pour fabriquer ses chaussures et ballons de foot. Shell a, pour sa
part, subi un boycott aux Pays-Bas après que le groupe ait
décidé de couler une de ses plateformes de pleine mer. Dans les
années qui ont suivi, les dérives se sont poursuivies, notamment
dans les pays pauvres transformés en ateliers textiles à bas
coût. Avant la catastrophe du Rana Plaza, survenue en avril 2013, qui a
impliqué plusieurs marques de textile - dont certaines enseignes
françaises. Autant de scandales qui, bien sûr, ont alerté
l'opinion publique sur des pratiques et dérives inacceptables. Les
réactions massives se sont transformées en pression forte sur les
marques...qui n'ont pas eu d'autres choix que de rectifier ces écarts,
d'optimiser leurs pratiques et de devenir exemplaires. « Un mal pour un
bien », en quelque sorte.
Force est de constater qu'entre ces deux extrêmes -
absence de sanction et situation de crise sociétale internationale - se
trouve un ensemble d'entreprises, qui ne savent plus vraiment à quel
Saint se vouer.
Pour répondre à leurs interrogations, l'agence
Vigeo a publié en mai 2015 un Rapport portant sur le coût de
l'inaction responsable à travers le monde 115 . Le principal
enseignement de ce document est que l'inaction sociale et
environnementale représente un coût plus élevé que
l'achat responsable - et ce, en termes de responsabilité
vis-à-vis des
115 VIGEO, « Responsabilité sociale d'Entreprise
: le coût des sanctions » (Rapport publié en mai
2015).
Ce qu'il faut retenir
46
« L'achat public responsable a-t-il vocation à
soutenir
la performance globale du système de santé ?
» | MBA MARPO 2014-2015
générations, de management, de gains
économiques et même d'image. Un coût non-négligeable,
d'ailleurs, puisqu'entre 2012 et 2013 le non-respect de facteurs RSE aurait
coûté plus de 95 milliards d'euros aux entreprises dans le monde,
prenant la forme de condamnations judicaires, de sanctions administratives ou
transactionnelles avec les autorités de régulation.
La frontière entre la responsabilité
sociétale des entreprises et leur responsabilité légale
est donc ténue et de plus en plus mouvante. Bien sûr, la
judiciarisation de la responsabilité sociale reste très
contrastée selon les régions, les secteurs et les domaines
d'activités considérés. Durant la période
étudiée, 1/3 des entreprises nord-américaines se sont vues
sanctionnées pour non-respect de clauses sociales et/ou
environnementales, contre 1/5 en Europe, à peine 1/10 dans la zone
Asie-Pacifique et 0,8/10 dans les pays émergents108.
15 secteurs ressortent comme particulièrement
exposés aux poursuites légales, notamment la distribution d'eau
et la gestion des déchets (50 % des poursuites), l'industrie
automobile (43 % des poursuites), l'alimentation (23 % des
poursuites), l'industrie pharmaceutique (34 % des poursuites) et
les banques (21 % des poursuites)116.
Une autre étude, menée cette fois auprès
de 2 300 entreprises américaines cotées117, a
démontré que l'action des sociétés performantes
selon les critères ESG jouissait d'un bien meilleur cours que les
entreprises ayant été moins bien notées. Il existerait
donc une corrélation entre la responsabilité sociétale de
l'entreprise et la performance financière, obtenue grâce à
un meilleur pilotage des risques ? Une troisième analyse118
semble confirmer un tel lien de causalité : 88 % des entreprises
américaines ayant adopté une démarche RSE robuste font
preuve d'une meilleure performance opérationnelle, qui se traduit dans
les flux de trésorerie.
Responsabilité sociétale et
rentabilité ne seraient donc pas incompatibles.
Il n'existe pas de "recette" pour atteindre un niveau de
performance sociétale digne des « best in class ». Pour
autant, il serait malvenu d'avancer le manque de consensus, les
difficultés à construire un cadre méthodologique
intégré ou encore les coûts engendrés par la mise en
oeuvre d'actions RSE...comme autant d'éléments de justification
pour NE PAS se lancer dans une telle démarche.
Il est de notoriété publique que la
majorité des approches sociétales responsables sont la
volonté d'un ou plusieurs individu(s), portant à bout de bras un
ensemble de valeurs durables. Des rapports d'analyse confirment même que
la performance globale constitue aujourd'hui un "garde-fou" bien plus vaste,
limitant un certain nombre de risques : réputationnel, éthique,
commercial et bien évidemment, économique.
Pis, elle assurerait une meilleure performance - et
pérennité - financière, sur le long terme.
116 VIGEO, « Responsabilité sociale d'Entreprise
: le coût des sanctions » (Rapport publié en mai
2015).
117 Robert G. ECCLES et Ioannis Ioannou George SERAFEIM,
« The impact of a corporate culture of sustainability on corporate
behavior and performance » (Harvard Business School, 2011).
118 Gordon L. CLARK, Andreas FEINER et Michael VIEHS,
« How sustainability can drive financial outperformance »
(University of Oxford and Arabesque Partners, 2014).