Chapitre II : La performance globale : enjeux, mesure,
limites et risques associés
Partie 1 : Le concept multidimensionnel de performance
globale
Aujourd'hui, dans un contexte global d'hyper-information, la
performance des organisations est au coeur des attentes des parties prenantes.
Mise sur le devant de la scène, décryptée,
analysée, sans cesse commentée : elle apparaît comme un
antidote au climat économique morose.
Dans sa définition anglo-saxonne, la performance
renvoie au « résultat optimal qu'une machine peut obtenir
». Selon les domaines envisagés - la santé, par exemple
- la logique de rendement sous-jacente à cette définition sera
parfaitement inappropriée77. On lui préfèrera
de loin sa version en ancien français, parformer78,
et l'idée de « parfaire, améliorer, mener à bien
». Toutefois, la performance a longtemps été
appréhendée sur un plan strictement financier, avant que sa
signification ne s'élargisse progressivement... Au début des
années 1980, tous les modèles financiers de mesure de la
performance sont critiqués : l'entreprise n'est pas uniquement au
service de ses actionnaires et de ses clients (vision exclusivement externe),
elle doit également satisfaire de façon équilibrée
l'ensemble de ses parties prenantes - notamment la société
civile. Ainsi, dans les années 1990, de nombreux efforts sont
menés pour optimiser la mesure de la performance de l'entreprise, en
étendant le champ d'analyse bien au-delà des limites
financières et en développant le champ temporel, afin
d'éviter les seules analyses à court terme.
Les temps ont donc changé. Aujourd'hui, la
pérennité d'une entreprise ne dépend plus uniquement de
l'impact financier de ses activités ; elle est également
liée à ses comportements et à son exercice de
l'éthique des affaires. Dans ce cadre, le champ des
responsabilités de l'entreprise s'élargit : il ne se limite plus
aux seuls actionnaires, mais intègre également des associations,
ONG, syndicats, clients, fournisseurs... ; parties prenantes très
puissantes de par leur nombre et/ou leur niveau d'influence sur l'organisation.
Ces nouveaux acteurs exigent d'être entendus et tout processus
d'écoute mis en oeuvre devient une condition essentielle de la
performance et de la pérennité de l'entreprise.
77 Agence Nationale d'Appui à la Performance
des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP),
« En quoi les usagers et les citoyens peuvent-ils contribuer à la
performance du système de santé ? » (Actes des
Universités d'été de la performance en santé,
Tours, 28-29 août 2015).
78 Signifiant « parfaire, améliorer, mener
à bien » (Le Petit-Robert).
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« L'achat public responsable a-t-il vocation à
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la performance globale du système de santé ?
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Afin de bien comprendre comment les modèles
théoriques de performance ont accompagné la mutation des
Sociétés occidentales, décrypter l'influence relative de
ces courants et appréhender la transition - d'un modèle de
performance stricto sensu à un modèle de performance globale - il
convient de suivre l'évolution de la dimension partenariale, à
travers le tableau de synthèse présenté
ci-après.
Synthèse des théories sur la
RSE79
Théorie
|
Type de modèle
|
Brève description
|
Références clés
|
THEORIES INSTRUMENTALES
Obtenir des résultats économiques à
travers les activités sociétales
|
Valeur pour l'actionnaire
|
Maximisation de la valeur long terme
|
Friedman, 1970 Jensen, 2000
|
Avantage stratégique compétitif
|
Investissement social en contexte de compétition
|
Porter et Kramer, 2002
|
Stratégies fondées sur les ressources naturelles et
la capacité dynamique de l'entreprise
|
Hart, 1995 Lizt, 1996
|
Stratégies du bas de la pyramide économique
|
Prahalad et Hammond, 2002 Hart et Christensen, 2002 Prahalad,
2002
|
Marketing de causes
|
Activité altruiste reconnue par la société
comme instrument de marketing
|
Varadarajan et Menon, 1988
Murray et Montanari, 1986
|
THEORIES POLITIQUES
Viser un usage responsable de l'influence politique
des entreprises
|
Corporate Constitutionalism
|
La responsabilité sociétale des entreprises
provient de l'importance leur influence sur la société
|
Davis, 1960, 1967
|
Contrat social
|
Un contrat social entre entreprises et société
|
Donaldson et Dunfee,
1994, 1999
|
Citoyenneté d'entreprise
|
L'entreprise est conçue comme un citoyen qui a un certain
engagement dans et vis-à-vis de la communauté
|
Wood et Logson, 2002 Andriof et McIntosh, 2001
Matten et Crane, 2004
|
79 Garriga, et al. (2010).
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Théorie
|
Type de modèle
|
Brève description
|
Références clés
|
THEORIES INTEGRATIVES
Intégrer la demande sociétale
|
Management par les enjeux
|
La réponse des entreprises aux problématiques
sociales et politiques qui peuvent les impacter de façon
significative
|
Sethi, 1975 Ackerman, 1973 Jones, 1980 Vogel, 1986 Wartick et
Mahon, 1994
|
Responsabilité publique
|
Loi et processus des politiques publiques pris comme
référence pour la performance sociétale
|
Preston et Post, 1975, 1981
|
Management des parties prenantes
|
Prendre en compte les intérêts des parties prenantes
de l'entreprise
|
Mitchell et all, 1997 Agle et Mitchell, 1999 Rowley, 1997
|
Performance sociétale
|
Légitimité sociale et processus donnant des
réponses appropriées aux enjeux sociétaux
|
Carroll, 1979 Wartick et Cochran, 1985
Wood, 1991 Swanson, 1995
|
THEORIES ETHIQUES
Intégrer ce qui est juste pour construire une bonne
société
|
Théorie normative des parties
prenantes
|
Obligations vis-à-vis des parties prenantes de
l'entreprise, en référence à des théories morales
(Kantiennes, Utilitariste, théorie de justice...)
|
Freeman, 1984, 1994 Evant et Freeman, 1988 Donaldson et Preston,
1995
Freeman et Phillips, 2002
Phillips et Al, 2003
|
Droits universels
|
Cadre fondé sur les Droits de l'Homme, le droit du
travail et le respect de l'environnement
|
Global Sullivan Principles, 1999 UN Global Compact, 1999
|
Développement durable
|
Vise le développement humain, considérant les
générations présentes et futures
|
Brundtland, 1987 Gladwin et Kennelly, 1995
|
Biens communs
|
Orienté vers les biens communs de la
société
|
Kaku, 1997
Alford et Naughton, 2002
Melé, 2002
|
Conformément à la définition
proposée par la Commission européenne, « la
responsabilité sociétale d'entreprise est un concept qui
désigne l'intégration volontaire, par les entreprises, de
préoccupations sociales et environnementales à leurs
activités commerciales et leurs relations avec leurs parties
prenantes80. »
Pour être qualifiée de «
sociétalement responsable », l'entreprise doit
impérativement aller au-delà des obligations imposées par
les conventions collectives et au-delà des exigences légales en
vigueur.
80 Livre Vert (juillet 2001, page 8).
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Une entreprise sociétalement responsable se singularise
par le fait, notamment, de :
- se projeter dans l'avenir et de bâtir des
stratégies à moyen terme (plutôt que sur le
court terme) ;
- faire participer ses salariés à sa construction,
à son évolution, à sa stratégie, à ses
processus de décision ;
- concevoir les ressources humaines comme un domaine
stratégique avec des
préoccupations fortes d'épanouissement et
d'employabilité des salariés ;
- développer de manière structurée le
dialogue avec et entre ses différentes parties
prenantes ;
- fonder la relation client-fournisseur sur un socle de valeurs
équitables et durables ;
- mettre l'innovation au coeur de sa stratégie ;
- respecter son écosystème ;
- avoir une forte préoccupation de la
société civile et favorise l'implication de ses
représentants dans la vie de la cité.
Les composantes de la RSE (Mercier, 2004 ; Carroll,
1991)
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Schéma de la performance globale (Reynaud,
2003)
Une entreprise sociétalement responsable propose une
combinaison de facteurs humains, organisationnels, techniques et financiers qui
ne s'avère efficace que dans un contexte donné. En effet,
l'expérience révèle que les trois objectifs du
développement durable - la prospérité économique,
la justice sociale et la qualité environnementale - ne s'harmonisent pas
spontanément.
De fait, viser la performance suppose de concilier des
intérêts souvent opposés, donc de trouver des arbitrages et
des compromis susceptibles de satisfaire les différentes
catégories de parties prenantes concernées. Perceptible à
travers toute la chaîne de valeur, cet impératif de conciliation
répond à une logique transversale ; à l'opposé de
l'approche classique verticale, qui découpe l'entreprise en centres de
profit. La performance se construit alors dans la coopération, avec le
souci de ne présenter aucune défaillance dans la chaîne de
valeur.
?Plus que jamais, la performance globale est donc un
processus transversal d'arbitrage.
Les domaines couverts par la performance globale, son
périmètre, son niveau d'intégration et les indicateurs
clés (KPI) sensés la piloter sont intimement liés à
la vision et à la place accordée à la
responsabilité sociétale au sein de l'entreprise - depuis une
vision traditionnelle financière (i.e. une vision « shareholders
») jusqu'à une vision intégrative des parties prenantes
(i.e. une vision « stakeholders »). Pour atteindre une performance
globale, les indicateurs clés doivent être reconnus tant pas les
dirigeants que par les parties prenantes de l'entreprise, suite à une
décision obtenue par consensus.
?La performance globale est un processus
stratégique intégrateur.
Ce qu'il faut retenir
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?Parce qu'elle naît d'un compromis entre les
différentes parties prenantes, la performance globale relève
d'une convention sociale co-construite et
négociée. Elle peut être rapprochée de la
théorie des « communs81 » -
développée, notamment, par Elinor Ostrom - qui considère
un ensemble de ressources partagées, jugées essentielles à
la Société et qui constituent un point de ralliement consensuel
de tous les acteurs (par ex : l'air, l'eau, la biodiversité, le savoir,
la culture, la santé...).
L'usage veut que la mesure de la performance soit
principalement abordée sous l'angle « business case ». Aussi
les approches comptables de la performance globale s'efforcent de rapprocher la
dimension économique à l'une des deux autres dimensions - sociale
ou environnementale (intégrant du « human case » ou du «
green case »82). En résultent des approches dites de "
comptabilité sociale " ou " écologique ", qui tendent à
mettre en lumière les coûts et les investissements liés aux
domaines sociaux et environnementaux : coûts cachés83 ;
coûts ou investissements visant à améliorer la
qualité sociale ou environnementale ; balance
coûts-bénéfices qui en découle...
Dans le cadre du Protocole de Kyoto, par exemple, le
mécanisme des externalités liées aux émissions de
CO2 et autres gaz à effet de serre 84 a fait rentrer
directement cet aspect de la performance environnementale dans la performance
comptable et financière des entreprises. La bottom line du
compte de résultat représentant ainsi une performance
financière résiduelle, après la prise en compte de
l'ensemble des coûts sociétaux. Ce type d'approche positionne
ainsi la performance globale comme une contribution à
l'amélioration du couple valeur créée/coûts
engendrés85. Mais l'instrumentation comptable de la
performance globale reste encore embryonnaire et sujette à de nombreux
débats, à commencer par sa compatibilité difficile avec la
théorie des communs évoquée précédemment.
81 Ressource partagée par une communauté
d'individus et collectivement gérée selon des règles
propres.
82 Bieker et Gminder (2001).
83 Savall, 1987.
84 Mécanisme du marché des permis
d'émission, réintroduit à partir de 2005.
85 Prolongement de la théorie d'Ernult
(2005).
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Partie 2 : La performance globale, exercice de la
responsabilité sociétale ou indicateur de mesure ?
Dans la littérature relative à la
responsabilité sociétale d'entreprise, les principaux
auteurs86 ne définissent pas la notion de « performance
sociétale ». La performance est ainsi amalgamée à
l'exercice de la responsabilité sociétale, sans que la question
de son évaluation ne soit réellement abordée.
Pour autant, le terme « performance » englobe bien
aujourd'hui tant la notion d'accomplissement d'un processus, avec les effets
qui en découlent (i.e. performance action), que la reconnaissance d'un
niveau de réalisation des objectifs (i.e. performance résultats,
avec l'idée d'une étape franchie). Cette deuxième
définition, largement répandue, présente la performance
telle une donnée relative : elle ne présente
d'intérêt qu'adossée à la concurrence, dans une
logique de comparaison. Certains87 vont même jusqu'à
affirmer qu'elle n'existe pas de fait : elle émerge de
l'évaluation relative à une référence ou à
un objectif.
Force est de constater que les dispositifs actuels
d'évaluation de la performance globale sont relatifs aux attentes des
parties prenantes et mesurés par des agents extérieurs à
l'entreprise : notation extra-financière, classements et prix,
enquêtes de réputation (voir tableau ci-dessous). Un
phénomène logique, étant entendu que l'évaluation
de la performance globale doit permettre l'intégration cohérente
des trois dimensions du développement durable, sur des frontières
plus larges que le seul périmètre juridique de l'entreprise.
CREATION DE VALEUR DESTINATAIRE DE
L'EVALUATION
|
Pour le(s) actionnaire(s)
|
Pour les parties prenantes
|
Destinataires externes :
|
Comptabilité financière Reporting financier
|
Notation extra-financière Reporting
extra-financier
|
Investisseurs, analystes...
(fonction de rendre compte)
|
Destinataires internes :
|
Comptabilité et contrôle de gestion
|
Analyse de matérialité
Dialogue social et avec les autres parties prenantes
|
Direction, Managers...
(fonction de pilotage)
|
86 Caroll (1979) et Wood (1991).
87 Bourguignon (1997).
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Différents outils et acteurs partagent
l'évaluation de la performance globale. Le présent document
n'entend pas établir un recensement exhaustif de ces dispositifs, mais
explorer les plus reconnus et utilisés.
Le Balanced Scorecard88 (BSC)
Présenté par ses concepteurs89 comme
un tableau de bord facilitant l'évaluation de la stratégie et la
mesure de la performance, le BSC est une combinaison de mesures
financières et opérationnelles, classées selon quatre
dimensions :
? les résultats financiers ; ? la satisfaction des clients
;
? les processus internes ; ? et l'apprentissage
organisationnel.
Lors que le Balanced Scorecard est lancé, en 1992 aux
Etats-Unis, l'outil est le premier à mettre en exergue l'importance
d'indicateurs non-financiers dans l'évaluation de la performance. Un
véritable changement de paradigme, pour l'époque ! Pourtant, on
reprochera au BSC de créer une hiérarchie entre les quatre
dimensions, subordonnant les trois derniers axes aux résultats
financiers, et de rester ainsi très orienté résultat : les
compétences humaines (axe apprentissage organisationnel)
permettent d'améliorer la productivité et la qualité
des services (axe processus internes) qui, à leur tour,
contribuent à la satisfaction des clients et servent les
objectifs financiers de l'entreprise. Plusieurs versions optimisées du
modèle verront le jour : depuis le Sustainability Balanced
Scorecard90 (SBSC) jusqu'au Total Balanced
Scorecard91 (TBSC), en intégrant au passage un
cinquième axe - l'axe sociétal92.
?Malgré ses évolutions successives, le Balanced
Scorecard se trouve confronté à une réalité : la
mesure effective d'une performance intégrée (ou performance
globale), qui ne soit pas exclusivement orientée vers les
résultats financiers, reste très problématique. Les
pratiques restent focalisées sur les indicateurs faciles à
renseigner, d'autres aspects plus qualitatifs sont mal pris en compte et les
liens de causalité ne sont presque jamais analysés. Selon
certains, par ailleurs, « considérer qu'une organisation se
comportant en entreprise citoyenne influencera favorablement sa valeur
actionnariale, tel que le supposent Kaplan et Norton, constitue pour le moins
une assertion restant à démontrer93.
»
88
http://balancedscorecard.org/Resources/About-the-Balanced-Scorecard
89 Kaplan et Norton (1998).
90 Hockerts (2001) : extension du BSC initial,
composée en partie d'indicateurs mesurant la performance
environnementale et sociale des entreprises.
91 Supizet (2002) : le TBSC repose sur une
série de relations causales entre les six parties prenantes en jeu : les
actionnaires, les clients, les usagers, l'entreprise elle-même en tant
que personne morale, les partenaires, le personnel et la
collectivité.
92 Bieker (2002).
93 Germain et Trébucq (2004).
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« L'achat public responsable a-t-il vocation à
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La Triple Bottom Line94 (TBL)
Développée par John Elkington, l'approche
anglo-saxonne de la performance globale reprend l'idée d'une triple
contribution de l'entreprise à la prospérité
économique, à la qualité de l'environnement et capital
social, illustrée à travers un triple bilan - social,
environnemental et comptable. Ce modèle est aujourd'hui mondialement
connu pour son concept des « 3 P » : people, planet, profit.
?Dans la pratique, la TBL reste encore un bilan
segmenté en trois parties établies de manière
séparée, pour être ensuite compilées, sans tenir
compte des corrélations existant entre elles. Un schéma de
causalité fait défaut à ce modèle, afin de l'ancrer
dans une dynamique intégrative de performance globale.
ISO 2600095
La norme ISO 26000 est un référentiel
international qui vise à fournir aux organisations des lignes
directrices pour la mise en oeuvre d'une démarche de
responsabilité sociétale. Etabli par consensus, ce document donne
un cadre de comportement à tout type d'organisation (entreprise,
collectivité, ONG, syndicat...) - quelle que soit sa taille ou ses
domaines d'actions - dans le respect des grands textes fondateurs.
L'ISO 26000 invite les organisations à articuler leur
démarche autour de sept questions
centrales : · la gouvernance de l'organisation ;
· les droits de l'Homme ;
· les relations et conditions de travail ; ·
l'environnement ;
· les bonnes pratiques des affaires ;
· les questions relatives aux consommateurs ;
· et l'engagement sociétal.
La manière dont une entreprise s'inscrit au coeur de
la Société et de son environnement, la façon dont elle
contribue à la bonne santé et au bien-être de son
écosystème, sont autant de facteurs décisifs pour la
poursuite de ses activités. C'est la raison pour laquelle ces
paramètres sont regardés de près, lors de
l'évaluation de la performance globale.
?Si la portée internationale et universelle de la
norme ISO 26000 constitue un atout de taille, le fait qu'elle ne soit pas
certifiable génère de nombreux débats. Aussi le rôle
de l'ISO 26000 est - à date - essentiellement pédagogique, mais
il s'agit d'un guide méthodologique dont s'inspirent beaucoup d'autres
référentiels. Par ailleurs, cette norme volontaire est souvent
considérée comme un référentiel ISO en plus, si ce
n'est le référentiel "de trop", du fait qu'elle englobe de
nombreux systèmes de management pour lesquels certaines entreprises ont
déjà obtenu une certification.
94
http://www.ibrc.indiana.edu/ibr/2011/spring/article2.html
95
http://groupe.afnor.org/animation-iso26000/index.html
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« L'achat public responsable a-t-il vocation à
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la performance globale du système de santé ?
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La Global Reporting Initiative96
(GRI)
Né en 1997, de la collaboration entre le Coalition for
Environmentally Responsible Economies (CERES) et le Programme des Nations Unies
pour l'Environnement (PNUE), la GRI réunit des ONG, cabinets de conseil
et d'audit, collectivités territoriales, associations et bien sûr,
des entreprises. Fidèles au schéma des « 3 pétales du
développement durable », les premières versions de la GRI
ont pu être critiquées pour leur absence d'indicateurs de mesure
des interactions entre les différentes sources de performance.
Fin 2013, l'organisation répond à ces critiques
avec le lancement de la GRI-G4, qui développe ou introduit de nouveaux
concepts. Parmi eux, la notion de « Matérialité » ou
une incitation forte à focaliser son reporting sur les enjeux RSE les
plus pertinents et les plus matériels par rapport à son secteur
d'activité. La GRI-G4 met également l'accent sur «
l'approche managériale97 », dont la vocation est de
fournir des informations détaillées quant au mode
d'identification, d'analyse et de réponse de l'entreprise pour ses
impacts économiques, environnementaux et sociaux - réels et
potentiels - et ce pour chaque enjeu matériel identifié. Une
manière de passer d'une logique de transparence et de reporting
extra-financier pur à une logique de performance et de pilotage du
reporting extra-financier.
?Si la GRI est l'outil de reporting RSE par excellence, dans
le monde, il souffre du même écueil que la norme ISO 26000 : il
s'agit d'une démarche volontaire, donc non imposée. L'autre
difficulté majeure de la GRI est que ce référentiel entre
parfois en conflit avec des réglementations légales nationales
qui présentent, elles, un caractère obligatoire et dont les
consignes de reporting - tant en termes d'indicateurs qu'en termes de
méthodologie - n'insufflent pas le même élan que la Global
Reporting Initiative.
Les indices boursiers socialement responsables
Apparus en Europe vers la fin des années 1990, les
indices boursiers socialement responsables sont des indices tournés vers
l'éthique sociale, le développement durable et la
préservation de l'environnement.
Les grands indices boursiers socialement responsables en
Europe sont : FTSE4Good, Euronext Vigeo, ESI (Ethibel Sustainability Index),
Gaïa Index et le DJSI (Dow Jones Sustainability Index World). Tous ces
modèles de notation se singularisent par leur choix de
méthodologie, des critères d'évaluation ciblés, les
zones géographiques considérées, la taille des entreprises
comparées ou encore le nombre de titres inclus.
D'après Jean-Philippe Rayssac (Institut RSE
management) qui le perçoit comme le questionnaire le plus challengeant,
« le DJSI s'appuie sur une analyse approfondie d'un certain nombre de
critères tels que la gouvernance de l'entreprise, la ges on des risques,
la lu e contre la corrup on ou les normes rela ves à la chaine
d'approvisionnement et les
96
https://www.globalreporting.org/standards/g4/Pages/default.aspx
97 DMA pour disclosure of management approach.
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« L'achat public responsable a-t-il vocation à
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la performance globale du système de santé ?
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conditions de travail ». Les items à
renseigner afin d'intégrer cet indice boursier responsable sont mis
à jour régulièrement et la méthode d'analyse
fournie par l'agence de notation RobecoSAM est très orientée sur
la matérialité des enjeux, avec une approche économique
étayée. « [Le DJSI] est reconnu, car il sort de
la vision classique de la RSE pour s'intéresser vraiment à la
durabilité du business de l'entreprise, ce qu'on ne retrouve pas
forcément chez d'autres agences de notation. »
?La principale limite des indices boursiers socialement
responsables est que le gage d'évaluation de performance globale qu'ils
apportent est exclusivement réservé aux
sociétés...cotées en bourse ! La tendance à
réduire le paysage économique français aux seules
entreprises du CAC 40 est pourtant loin de la réalité. En France
en 2013, les PME représentaient 99,8 % de la population des entreprises
nationales et près de 60 % de la valeur ajoutée98,
avec seulement 562 entités juridiques cotées en bourse ! Qui plus
est, en l'absence d'un consensus méthodologique, la portée de ces
indices - pourtant reconnus - semble discutable. Cela pourrait être
intéressant, par exemple, que les agences attribuant ces indices
précisent le niveau de pluralisme des points de vue pris en compte dans
leur évaluation.
La notation extra-financière
Le rôle des agences de notation extra-financière
consiste à évaluer les politiques environnementales, sociales et
de gouvernance (critères dits « ESG ») des entreprises. Ces
notations, qui permettent de comparer entre elles les politiques ESG des
émetteurs de titres, sont utilisées par les
sociétés de gestion - en plus des critères de performance
économique habituels - pour composer les fonds ISR99 que
celles-ci proposent à leurs clients. Une notation
extra-financière peut ainsi être effectuée à la
demande d'investisseurs qui veulent estimer la responsabilité sociale
d'une entreprise avant de l'intégrer à leur portefeuille. Dans ce
cas, la notation est qualifiée de « déclarative » :
elle donne lieu à une analyse réalisée à partir de
documents publics portant sur l'entreprise ciblée.
Mais la notation extra-financière peut
également être sollicitée par une entreprise
désireuse d'évaluer sa propre performance globale (ou performance
sociétale), indépendamment de toute démarche visant
à rejoindre un fond ISR. Il s'agit alors d'une notation dite «
sollicitée » ou « approfondie », reposant sur une analyse
documentaire " de proximité " : enquêtes terrain, interview des
dirigeants, audit auprès des filiales mais aussi auprès des
clients et fournisseurs.
98
http://www.bpifrance-lelab.fr/Ressources/Ressources-Bpifrance-Le-Lab/Rapport-sur-l-evolution-des-PME-2014
99 Investissement socialement responsable.
40
« L'achat public responsable a-t-il vocation à
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la performance globale du système de santé ?
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C'est la comparaison des scores, par secteur, qui permet de
dégager un classement global et d'attribuer un rating pour
l'entreprise.
Les agences de notation extra-financière, dans la
mesure où elles analysent un certain nombre d'organisations selon des
critères ESG couvrant les différents volets de la RSE, disposent
d'un ensemble de données extra-financières extrêmement
qualitatives. Aussi, certaines ont décidé de créer leur
propre indice boursier socialement responsable et proposent un accompagnement
personnalisé aux entreprises qui souhaiteraient le
rejoindre100.
?Comme évoqué dans le cas
précédent, la diversité des méthodes
employées et les différences de périmètre du champ
d'analyse ne permettent pas de dégager un consensus en matière de
performance globale. De plus, dans le cas d'une notation «
déclarative », le processus d'analyse ESG ne se concentre pas
explicitement sur les parties prenantes (contrairement à la notation
« sollicitée »). Enfin, si la quasi-totalité des
organisations passées au crible des critères ESG sont des
sociétés cotées en bourse, la démarche reste
parfaitement accessible à une entreprise non cotée qui
souhaiterait, par exemple, procéder à une notation «
sollicitée », en vue de mieux se comparer à ses
concurrents.
La plateforme SaaS101 d'évaluation de la
performance globale
Autre acteur sur le marché : les
sociétés proposant un outil d'évaluation de la performance
globale et de dialogue 2.0. entre acheteurs et fournisseurs. L'un d'eux -
EcoVadis102 - se présente comme une plateforme
d'évaluation des organisations, au service de pratiques d'achats
responsables. Réalisant entre 12 000 et 14 000 évaluations par
an, sur 150 secteurs et dans 140 pays, Ecovadis dispose d'un cadre
méthodologique inspiré des standards internationaux du
développement durable - dont la GRI, le Global Compact et la norme ISO
26000.
Cette méthodologie consiste en un questionnaire
comptant entre 20 et 90 questions, adapté selon le secteur
d'activités de l'entreprise ciblée ; dont les réponses
seront enregistrées depuis la plateforme en ligne puis analysées,
avant attribution d'une note sur 100 (valable 1 an). Cette approche s'organise
autour quatre thèmes : l'environnement, le social, l'éthique des
affaires et les achats responsables. La note obtenue par l'entreprise
répondante correspond à la moyenne pondérée de ses
quatre notes, par thème103. Pour chacun des thèmes
précités, sept indicateurs de management sont analysés,
chacun étant évalué selon trois dimensions (les Politiques
mises en oeuvre, les actions menées et le pilotage des
100 Toutefois, ce n'est pas le cas de toutes les
agences de notation extra-financières, dont certaines ont fait le choix
de concentrer leurs activités sur cette seule prestation de services.
101 Software as a service.
102
http://fr.ecovadis.com/what-we-do/
103 Pour information, la note moyenne obtenue sur la
plateforme Ecovadis, tous secteurs d'activités confondus, est de
42/100.
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résultats). Ainsi, l'évaluation de la
performance globale des entreprises repose sur un ensemble de 84
critères transversaux, adaptés aux caractéristiques du
marché considéré. Cette mesure de la performance globale
permet à l'entreprise de piloter de façon autonome sa
responsabilité sociétale, grâce à un tableau de bord
interactif ; d'exploiter et de communiquer ses indicateurs de performance
à quiconque la solliciterait sur le sujet104 ; et de
visualiser rapidement les axes d'amélioration.
? Outre le fait qu'une entreprise doive payer (certes, une
somme minime) pour se soumettre à cette évaluation, il est
regrettable que le détail de l'analyse de sa performance ne soit pas
disponible, gratuitement, pour tout autre adhérent Ecovadis qui
souhaiterait le consulter. Cela permettrait à plusieurs donneurs d'ordre
examinant la performance d'un même fournisseur de prendre connaissance
des informations RSE le concernant, dans une logique de mutualisation et
d'optimisation des coûts.
Parmi les cadres méthodologiques balayés, aucun
ne semble apporter de réponse claire à la question complexe de la
performance globale ; ni se distinguer de façon unanime et consensuelle
comme référentiel " labellisable " de cette mesure.
?Beaucoup peinent à intégrer
concrètement les trois volets du développement durable
(performance partielle), d'autres proposent une approche sciemment
segmentée et orientée (performance dirigée) ; certains
sont accessibles à tout type d'acteurs économiques, tandis que
d'autres sont implicitement réservés aux organisations les plus
matures... On rencontre bien quelques tentatives d'évaluation des
interfaces économique-social ou économique-environnemental, mais
aucune initiative capable d'intégrer de manière harmonieuse les
trois domaines du DD à la fois. Ce serait également un leurre que
d'envisager la mesure de la performance globale comme une simple juxtaposition
d'un ensemble de « sous-performances thématiques », même
selon une logique inclusive.
?La théorie des parties prenantes, quant à
elle, ne semble pas compatible, à date (trop prématurée
?), avec la mesure de la performance globale. A l'heure où certaines
entreprises s'engagent timidement dans le co-développement de leur
stratégie ou de leurs actions RSE, aux côtés des parties
prenantes, envisager d'atteindre un compromis sur les indicateurs clés
de pilotage de cette performance globale semble illusoire.
?Comme dans toute approche multicritères,
l'équilibre entre les différentes dimensions du
développement durable dépend des priorités des
décideurs et peut évoluer, au fil du temps,
104 Y compris à un autre donneur d'ordres désireux
de connaître son niveau de performance globale - tout en
bénéficiant de la caution « Ecovadis-checked ».
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selon les acteurs et leurs rapports de force.
L'évaluation de la performance globale ne peut donc pas être
déconnectée du jeu des acteurs qui la mettent en oeuvre.
Et là encore, pour assumer son rôle de
façon optimale, un système de mesure de la performance globale
doit s'inscrire dans le prolongement de la mission que s'est fixée
l'entreprise, des objectifs stratégiques qui en découlent et des
moyens mis en oeuvre pour les atteindre. « Vouloir évaluer la
performance d'un système d'exploitation quand l'outil de mesure a
été créé dans le vide, c'est-à-dire en
l'absence de données sur la planification stratégique, ferait
prendre le risque de déconnecter la mesure et la stratégie.
Autrement dit, de passer à côté du but
recherché.105 »
Ce qu'il faut retenir
Il est, aujourd'hui, légitime de se demander si la
performance sociétale est réellement un but en soi ou s'il s'agit
d'un moyen permettant de servir d'autres objectifs - financiers, par exemple.
En témoigne le développement des méthodes de
monétarisation des externalités ou de calcul des actifs
immatériels, fortement sollicitées par des entreprises qui ne
tentent pas uniquement de chiffrer le coût global de leurs impacts mais
également de mesurer le ROI106 de leurs actions RSE. La
réponse à cette interrogation tient probablement à la
dimension temporelle envisagée, selon que l'on évolue dans une
organisation court-termiste, constamment rivée sur la bottom
line du bilan comptable, ou que l'on bénéfice de la
confiance et du soutien d'une équipe dirigeante prête à
accepter - dans une certaine mesure - la logique du coût global et du
« retour sur investissements différé »... Une certitude
: l'échange et le dialogue sont des éléments clés
de la performance globale. Pour preuve, le panorama des attentes
croisées de la société civile et de la communauté
économique - réalisé en 2015 par l'Institut du Management
RSE - révèle des décalages significatifs entre
l'appréhension des enjeux RSE par les acteurs économiques
(plutôt pro-environnementaux) et le grand public (qui exprime nettement
une attente sociale)107.
105 Atkinson et al. (1997).
106 Retour sur investissements.
107 Institut Management RSE / CSR Metrics France, «
L'Observatoire des enjeux RSE 2015 : état des attentes RSE en
France, vues par la société civile et la communauté
économique, et leur utilisation dans l'analyse de la
matérialité des enjeux RSE des entreprises »
(février 2015).
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