Paragraphe B) Les limites imputables aux acteurs locaux
Les limites à une action efficace des OING ne sont pas
le seul apanage de ces dernières, d'autres acteurs contribuent à
cette situation notamment l'Etat75, les partenaires
d'exécution (organisations locales et autres prestataires) et les
populations locales.
? L'Etat
Dans leurs missions, les OING présentes au Cameroun
accompagnent l'Etat afin d'améliorer les conditions de vie des
populations dans des domaines d'intérêt général
prédéfinis par ce dernier76. Cet appui ne saurait donc
se faire sans les institutions chargées des questions relatives à
leurs différents domaines d'intervention. Ainsi, les ONG
établissent soit des relations formelles matérialisées par
des protocoles d'accord dans le cadre de la mise en oeuvre d'une action
ponctuelle, soit dans la réalisation d'une série d'actions ou
tout simplement des relations informelles qui permettent à l'OING et au
partenaire étatique de travailler ensemble sur des questions
précises. Toutefois, certains facteurs internes à l'Etat
empêchent ce dernier de faciliter l'appui attendu de ses partenaires que
sont les organisations non gouvernementales internationales.
75 Départements ministériels et services
déconcentrés de l'Etat
76 Conformément à la loi de 1990 sur la
liberté d'association.
i. 90
La mauvaise gouvernance
Les partenariats OING-Etat sont très accentués
et aboutissent quelque fois soit au financement par les OING de certaines
activités engagées par les départements
ministériels et/ou leurs services déconcentrés. Seulement,
ces financements n'échappent pas toujours à une gestion opaque,
à la corruption et aux détournements. Les fonds alloués
à certains partenaires institutionnels à titre de financement
d'une activité précise sont parfois consacrés
partiellement à l'activité en question, et quelque fois,
détournés de la localité initiale pour être investis
dans des zones non prioritaire. Cette mauvaise pratique peut créer chez
ces OING un certain découragement et conduire quelque fois à la
fin du partenariat avec certaines institutions. Il est clair que cette mauvaise
gouvernance représente un obstacle à l'atteinte des
différents objectifs de développement que se sont fixés,
aussi bien les Nations Unies à l'échéance 2015 (OMD) que
ceux formulés par le Chef de l'Etat pour un Cameroun émergent
à l'horizon 2035, et qui, sont désormais des cadres de
référence toute action de développement au Cameroun.
ii. La lenteur dans l'octroi de
l'agrément
La loi N° 90/053 du 19 décembre 1990 portant sur
la liberté d'association au Cameroun en son article 16, alinéa 1,
stipule que « les associations étrangères ne peuvent
exercer aucune activité sur le territoire sans autorisation
préalable du Ministre chargé de l'Administration territoriale
après avis conforme du Ministre chargé des Relations
Extérieures ».
Si elle est précise quant à l'autorisation
préalable du MINADT, une certaine ambigüité demeure en ce
qui concerne le délai de traitement de la demande d'agrément.
Dans la pratique, l'on se rend compte que les OING qui sollicitent une
autorisation du gouvernement peuvent attendre plusieurs années avant de
l'obtenir. Situation embarrassante, qui pousse certaines organisations, soit
à exercer sous le couvert d'autres, soit de façon illégale
et ce, pas forcément pour s'opposer aux dispositions légales,
encore moins du fait de certaines intentions inavouées, mais
plutôt parce qu'elles pensent qu'à travers quelques
réalisations, le gouvernement disposera des faits pour mieux analyser
leur requête. Cette stratégie ne conduit pas toujours aux
résultats escomptés.
Si une OING est informée du temps nécessaire
pour le traitement de sa demande d'autorisation, nous pensons qu'elle s'y
prendra à temps et n'engagera pas d'activités au Cameroun avant
la décision du gouvernement. Dans la longue attente, certaines
associations sont amenées à débourser des sommes
considérables (destinés aux pauvres) pour garantir le
91
suivi des dossiers. Sans reprocher à l'Etat son
attribut de souveraineté (enquête de moralité), nous ne
saurons ne pas considérer cette lenteur comme une limite à
l'action des OING installées au Cameroun en général.
Bien plus, le décret N° 2005/104 du 13 avril 2005
portant organisation du MINATD précise que le contrôle de
l'application de la législation et de la réglementation sur les
ONG, ainsi que l'instruction des dossiers de demande d'agrément au
statut d'ONG sont des questions dont se charge le Service des ONG, appartenant
à la sous-direction des libertés publiques, cette dernière
dépendant de la direction des affaires politiques (Article 27,
alinéa 1). Ainsi, si seul un Service du MINATD est chargé des
questions relatives aux ONG locales et ONG internationales, ceci justifierait
à suffisance cette lenteur, étant donné l'ampleur des
sollicitations de demandes d'agrément de la part des ONG locales et des
organisations internationales non gouvernementales au Cameroun.
iii. Le détournement des projets à des fins
politiques
Les actions mises en oeuvre par les OING au Cameroun le sont
principalement sous forme de projet, qu'elles soient de durée courte,
moyenne ou longue. Certains de ces projets doivent être validés
par des autorités compétentes dans le domaine concerné qui
en abusent quelquefois. C'est le cas par exemple, de la réorientation
à des fins stratégiques d'un projet vers des localités qui
leurs sont favorables ; l'insertion « exigée » de leurs
proches dans le personnel du projet, les manoeuvres de corruption, et lorsque
ces démarches démagogiques ne trouvent pas écho favorable
auprès des OING, certains projets se meurent dans des bureaux. Si l'Etat
en tant qu'acteur local est aussi responsable de l'inefficacité de
l'action des OING au Cameroun, qu'en est-il des organisations et entreprises
locales ?
? Les organisations et entreprises locales
Les actions des OING sont généralement
menées avec divers partenaires parmi lesquels les organisations et
entreprises locales. Divers contrats sont ainsi signés par ces
entités pour la mise en oeuvre des projets précis dont la
réalisation pose quelquefois problème notamment en matière
de professionnalisme et de gouvernance.
i. Le manque de professionnalisme
Bien qu'il existe au Cameroun une expertise assez
variée, il faut cependant noter que le personnel de certaines
associations locales, surtout celui des communautés rurales ne
92
dispose pas toujours des compétences nécessaires
pour une réussite optimale de leurs activités, en grande partie
financées par des OING. En effet, elles constituent très souvent
les partenaires les plus indiqués pour la réalisation des projets
de développement local, car elles maîtrisent mieux les
réalités inhérentes à leur contexte. Toutefois, ces
associations ne se forment pas toujours sur la base des critères de
compétence, mais plutôt selon une logique d'affinité. C'est
pourquoi, au moment de la mise en oeuvre du projet, il est récurrent de
se retrouver face à des nombreuses difficultés liées pour
la plupart à l'incompétence du personnel.
ii. La mauvaise gouvernance
Partant des organisations locales en passant par les
entreprises, les problèmes de gouvernance demeurent des questions de
fonds au Cameroun, notamment dans la gestion des budgets, la facturation des
honoraires, les rapports qui ne reflètent pas les réalisations
effectives sur le terrain.
On garde en mémoire ce cas où une entreprise
sélectionnée pour la réhabilitation des salles de classe
dans certaines écoles de la République dans le cadre d'un projet
d'appui au système éducatif, a explicitement facturé un
nombre de salles réhabilitées supérieur à celui
effectivement rénové. Son rapport a été
validé par l'ingénieur de suivi, pourtant employé et
payé par l'OING maître d'ouvrage. Cet exemple montre à quel
point les alliances sont montées de part et d'autre pour spolier les
ressources financières des projets et parfois avec la complicité
du personnel même de l'OING. Certains prestataires n'hésitent
d'ailleurs pas à transférer dans leurs comptes privés des
ressources destinées à la réalisation du projet !
Si l'efficacité de l'oeuvre des ONG se heurte aux
difficultés qui émanent pour certains des organisations et
prestataires locaux, qu'en est-il des populations locales qui
bénéficient en effet de ces actions ?
? Les populations locales
Les limites à l'action des OING dans la région
du Centre sont le fait d'un ensemble de facteurs imputables à tous les
acteurs impliqués dans le processus, y compris les populations
locales.
i. 93
La tragédie des Communaux
Le concept de « tragédie des Communaux
»77 fût développé par Garrett HARDIN en
1968 dans le domaine de l'agriculture. Il a imaginé un pâturage
ouvert à tous où l'on devrait s'attendre à ce que chaque
éleveur essaie d'y mettre autant de bétail que possible,
puisqu'il s'agit d'un terrain commun. Le pâturage n'étant pas une
ressource illimitée, arrive le jour où il commence à
s'épuiser. En tant qu'être rationnel, chaque éleveur
cherche à y ajouter une bête de plus afin de maximiser son gain
avant l'épuisement total de la réserve. Chaque homme est
enfermé dans un système qui le contraint à augmenter son
troupeau sans limite (dans un monde limité). La ruine est la destination
vers laquelle tous les hommes se ruent, chacun à la poursuite de son
propre meilleur intérêt dans une société qui croit
en la liberté des communaux. La liberté dans les communaux
apporte la ruine à tous. Il ajoute, une bête, et encore une et ils
font tous la même chose jusqu'à ce que le pâturage
s'épuise totalement et est abandonné par tous. Nous sommes ici
dans une situation où le bien est commun, bien de tous et donc
propriété de personne.
Ce concept de tragédie des communaux, utilisé
dans le domaine de l'agriculture est transposable à celui des projets de
développement et explique suffisamment l'échec en termes de
durabilité, des projets de développement qui sont
rétrocédés aux populations et qui nécessitent un
entretien par celles-ci. Lorsqu'une OING arrive dans une localité
faisant face à un problème d'approvisionnement en eau potable par
exemple, elle y construit des puits ou des forages et prévient ainsi les
populations des maladies hydriques. Lorsque le forage est opérationnel,
toute la population est enthousiaste et à priori, elle pense à
l'utiliser aussi longtemps que possible. Elle en bénéficie
jusqu'au jour où survient une déficience dans le forage. Au lieu
de penser à la réparation, chaque membre de la communauté
reste en rejette la responsabilité à ses
congénères. Bien plus, chacun cherche à remplir tous ses
récipients avant que le forage ne soit totalement abimé. C'est
malheureusement la triste réalité des projets de
développement infrastructurels. Ils n'ont qu'une courte durée de
vie à cause de leur caractère « de bien commun »
à tous.
ii. La méfiance
La majorité des projets de développement ont
lieu en zone rurale. En effet, c'est principalement dans les zones
enclavées et éloignées des centres urbains que subsistent
encore d'énormes besoins, et parfois dans tous les secteurs. Certaines
populations des communautés
77 Pour plus d'informations, voir article sur la
tragédie des communaux, Garett HARDIN, publié dans
Science, 1968.
reculées adhèrent peu à certains projets,
surtout lorsque le but visé est le changement de comportements ou des
habitudes des membres d'une société. Elles ne sont pas toujours
réceptives, ce qui rend la tâche difficile à
l'organisation. Les méfaits de la colonisation et les
représentations sociales du « blanc » qui en découlent
ne sont pas sans effets sur certaines populations qui préfèrent
émettre des réserves quant au désintéressement de
l'action des OING, principalement d'origine occidentale.
iii. Les mauvaises pratiques
L'analyse du contexte et la prise en compte des
particularités locales constituent un point important dans la conception
d'un projet de développement. L'on ne saurait, même pour une
action de bienfaisance, débarquer dans une communauté pour la
mise en oeuvre d'un quelconque projet sans au préalable chercher
à comprendre la culture de ce peuple. La culture est en effet
constituée d'un ensemble d'éléments qui permettent aux
membres d'une société donnée de trouver des solutions
à leurs besoins. Selon Bronislaw Malinowski (1944), « les
éléments constitutifs d'une culture auraient pour fonction de
satisfaire les besoins essentiels de l'homme [...]. Par voie de
conséquence, la culture constitue l'ensemble des réponses
fonctionnelles à tous ces besoins, la culture désigne un ensemble
de solutions »78.
A priori, l'on ne saurait reprocher à un peuple de
faire usage de ses us et coutumes pour subvenir aux multiples besoins qui sont
siens. Seulement, il s'avère que certaines pratiques culturelles ne
contribuent pas nécessairement au bien-être des membres de la
communauté (dépôt des déchets organiques humains
dans l'atmosphère, braconnage, discrimination à l'endroit des
minorités telles que les albinos...).
Cette première section nous a permis d'examiner en
profondeur les limites aussi bien internes qu'externes aux OING et, aussi
convient-il de formuler des recommandations en vue d'une intervention plus
efficace et efficiente desdites organisations.
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78 MBONJI EDJENGUELE, Cultures et
développement, Master «Coopération internationale,
Action humanitaire et Développement Durable», IRIC, 2011, P6.
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