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La gestion des conflits fonciers entre autochtones et allochtones dans le département de Sinfra


par Jean Noel Pacôme KANA
Université Félix Houphouet Boigny d'Abidjan - Doctorat en Criminologie 2019
  

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1.4. Autochtone 

Ce terme qui se compose de « autos : soi-même » et « khtôn : la terre » peut être perçu selon deux approches anthropologique et sociologique.

Dans la dimension anthropologique, les auteurs mettent l'emphase sur la morphologie du groupe autochtone, non perçue comme un isolât mais dans sa structure compacte nourrie à la sève de l'unité et la complémentarité des membres qui le composent.

Est donc considéré comme autochtone, le « groupe, communauté d'une région ou un pays donné et dont tout indique qu'il (elle) n'est pas venu(e)d'ailleurs »UNESCO(2002). Autrement, les autochtones seraient des groupes sociaux fortement soudés, dont les membres éprouvent un sentiment d'unité et de solidarité. Ces liens unifieraient les membres du groupe, c'est-à-dire des individus qui ont vécu et qui vivent ensemble depuis une durée relativement longue dans une région donnée.

Dans cette même perspective, Barth (1969) a développé la notion de groupe ethnique dominant. Il a considéré les groupes ethniques dominants non comme des groupes isolés, mais comme des formes d'organisation sociale résultant de l'interaction du groupe et de son environnement.

Pour lui, se prétendre autochtone nécessite, mobiliser dans une certaine structure, des ressources (langue, territoire, religion, mémoire, histoire) et rendre « saillants » et certains traits culturels ; ce qui permettrait de s'identifier au groupe ethnique.

Outre cet auteur, Lespinay (2016) affirme que les autochtones sont des peuples distincts des autres par leurs patrimoines particuliers, leur langue, leurs habitudes culturelles et leurs croyances spirituelles. Ainsi, il nomme autochtone, « le membre d'une population installée sur un territoire donné avant tous les autres, qui a établi des relations particulières, anciennes et toujours actuelles avec ce territoire et son environnement, et qui a des coutumes et une culture qui lui sont propres ». En d'autres termes, il s'agit d'un acteur social qui se caractérise par un pouvoir dominant et qui prend ses origines dans l'histoire d'une localité spécifique.

Cette conception anthropologique a certes le mérite de nous renseigner sur la texture du concept d'autochtonie en ce sens qu'il renferme une structure compacte alimentée à la sève de la complémentarité, des liens historiques et l'unité. Toutefois, cette dimension semble rejeter le caractère relationnel que les autochtones établissent avec la terre ; ce qui, selon Giddens (1990) « intensifie les relations sociales ».

Cette approche nouvelle dite sociologique prend à la fois en compte la dimension anthropologique, c'est-à-dire le groupe dans son ensemble avant de mettre l'accent d'une part sur le caractère relationnel des situations dans lesquelles les groupes se trouvent en interaction et d'autre part sur la relation que ces groupes entretiennent avec la terre.

Ainsi, Morin (2006) entend par « peuples autochtones », des peuples ayant des liens spécifiques avec la terre. Elle affirme de ce fait que « par communautés, populations et nations autochtones, il faut entendre celles qui, liées par une continuité historique avec les sociétés antérieures à l'invasion et avec les sociétés précoloniales qui se sont développées sur leurs territoires, se jugent distinctes des autres éléments des sociétés qui dominent à présent sur leurs territoires ou font parties de ces territoires. Ce sont aujourd'hui des éléments non dominants de la société qui sont déterminées à conserver, développer et transmettre aux générations futures le territoires de leurs ancêtres et leur identité ethnique qui constituent la base de la continuité de leur existence en tant que peuple, conformément à leurs propres modèles culturels, à leurs institutions sociales et à leurs systèmes juridiques ».

Dans cette optique, bien qu'évoquant l'évolution et la continuité historiques des autochtones, Martinez (1987) insiste sur le fait que les autochtones sont caractérisés par la transmission générationnelle des valeurs et des biens. Il affirme que les autochtones sont «  des peuples et nations qui présentent une continuité historique avec les sociétés précédent la conquête et la colonisation de leurs territoires, qui se considèrent comme distincts des autres secteurs de la société dominant aujourd'hui ces territoires ou qui en sont partie. Ils constituent aujourd'hui, des secteurs non dominants de la société et sont déterminés à préserver, développer et transmettre aux générations futures leurs territoires ancestraux et leur identité ethnique, sur la base de leur existence continue en tant que peuple, en accord avec leurs propres systèmes culturels, leurs systèmes légaux et leurs institutions sociales ».

Avec Renahy (2010), ce concept s'appréhende en termes de relations symboliques locales. Il affirme qu' « elle est l'ensemble des ressources que procure l'appartenance à des réseaux de relations localisées. Il s'agit de nommer les ressources symboliques en ce sens qu'elles ne tiennent ni d'un capital économique, ni d'un capital culturel mais d'une notoriété acquise et entretenue sur un espace singulier ».

Bourdieu (1980), bien que mettant l'accent sur le fondement relationnel de ce concept, va plus loin pour montrer la nécessité d'être reconnu par les siens comme appartenant au groupe. Ce concept transcende donc le cadre de relations localisées pour déboucher sur une appartenance mutuellement reconnue par les autres membres du groupe. Ainsi, il affirme que le concept suppose « l'ensemble des ressources actuelles ou potentialités qui sont liées à la possession d'un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d'interconnaissance ou d'inter-reconnaissance ou en d'autres termes, à l'appartenance à un groupe, comme l'ensemble des agents qui ne sont pas seulement dotés de propriétés communes (susceptibles d'être perçues par l'observateur, par les autres ou par eux-mêmes) mais sont unis par des liaisons permanentes et utiles.

Dans ce travail, nous souhaiterions appréhender ce concept dans une dimension à l'aboutage des approches anthropologique et sociologique ; celle-ci prendrait en compte à la fois la structure compacte du groupe fortement soudé, les relations historiques entre les individus eux-mêmes et la terre et la reconnaissance des uns par les autres membres, comme appartenant au groupe.

Nous proposerons donc la définition suivante : un peuple ou un groupe est dit autochtone si sa présence dans un lieu déterminé est avérée depuis une période relativement longue, si ce peuple présente une continuité historique et s'il y a une inter-reconnaissante ou une reconnaissance mutuelle des membres comme appartenant au groupe.

1.5. Allochtone 

Le terme se compose de « allo » et « chtone» du grec « kthôn » « engendrer » signifie qui a une origine autre, qui a pris naissance ailleurs ou qui provient d'un autre endroit (Rémy et  Beck, ý 2008).

En effet, deux grandes orientations (distinctive et minoritaire) gouvernent la compréhension de ce concept.

Ainsi, dans la conception distinctive, les auteurs emploient le terme pour désigner des groupes ethniques installés depuis peu de temps sur un territoire présentant encore des caractères raciaux et ethniques qui les distinguent de la population autochtone.

Pour le Centraal Bureau Voor de Statistick (2003), le terme est utilisé pour désigner « des personnes ou groupes de personnes d'origine étrangère ». Autrement, le trait distinctif des allochtones résiderait dans le fait que cette population est étrangère à la population native, c'est-à-dire une population dont la structure n'est pas compacte et soudée en termes de liens, dont les membres ne partagent pas nécessairement les mêmes histoires et donc, pourraient ne pas se reconnaitre mutuellement comme appartenant au groupe allochtone (Kouassi, 2017).

Dans cette même optique, Bonnecase (2001) mettant en avant l'hétérogénéité dans la structure allochtone pense que  ceux-ci « ne constituent pas un ensemble d'individus homogène et objectivement délimité ». Autrement, les allochtones, loin de constituer des groupes homogènes, présentent un caractère de dispersion, d'installation incontrôlée dans des endroits selon le degré d'hospitalité du peuple tuteur.

Aussi, l'auteur met-il en avant la distinction fondamentale entre allogènes ivoiriens et allogènes non-ivoiriens. A ce sujet, il affirme que « la notion est relative à un espace de référence qui, s'il prend souvent pour limite les frontières du pays (les non Ivoiriens), peut également se dégager en deçà, au niveau de la région (les allogènes ivoiriens) et de toute entité spatiale, jusqu'au village (les ressortissants de communautés villageoises voisines). Autrement dit, la catégorie « allogène » se catégoriserait en deux sous-groupes : les allogènes ivoiriens nommés allochtones et les non-ivoiriens. La première catégorie, c'est-à-dire celle des allochtones elle-même se subdiviserait en deux sous-groupes : d'une part les membres d'autres groupes ethniques (allochto-allogènes) et d'autre part, les membres du même groupe ethnique mais d'un village différent c'est-à-dire qu'ils ne partageraient pas les mêmes origines ancestrales avec la population native. Autrement, le groupe allochtone se subdivise en ressortissants d'autres communautés ethniques (allochtones) et en ressortissants du même groupe ethnique mais de villages différents ; une sorte d'autochto-allochtone.

Cette appréhension du concept alimente certes sa compréhension dans une dynamique distinctive d'avec la population « mère », mais force serait de savoir qu'elle souffre demutisme quant à la prise en compte de cette catégorie comme minorité. Toute chose qui sera prise en compte par une autre appréhension d'obédience minoritaire.

Dans cette nouvelle approche, Rouland, Pierre-Caps et Poumarède (1996) mettent l'accent sur l'identité allochtone qui diffère de celle autochtone. Ils pensent que, contrairement à l'identité autochtone qui est substantielle et primordiale, l'identité allochtone tient à des référentiels obligés qui sont subjectifs par rapport au groupe autochtone. A cet effet, ils affirment que l'identité allochtone « est instrumentale et subjective. Elle correspond à des réinterprétations du passé, aux sélections de séquences chronologiques opérées à l'époque ».

Relativement à ces auteurs, Gnabeli (2008) voit en cette catégorie, un groupe minoritaire, une sorte de population dominée. Ainsi, il note que «  c'est dans le champ politique villageois que l'idéologie de l'allogénie va fonctionner pour désigner des positions légitimes de dominés à l'égard des dominants (autochtones) ». Ceci pour désigner la dysproportionnalité dans les rapports de nombre, de force, d'ancrage culturel de ces peuples d'avec la population autochtone.

Nous opterons pour une définition qui serait au confluent de ces deux approches (distinctive et minoritaire). Nous pensons que la prise en compte de ces deux aspects pourrait véritablement permettre d'aiguiser la compréhension de ce concept selon l'orientation que nous souhaitons lui donner dans ce texte.

Ainsi, nous appelons « allochtones », des peuples ou groupes ethniques installés depuis peu de temps sur un territoire donné, et qui, tout en constituant une minorité par rapport à la population tutrice, se réclame d'une identité subjective par rapport à celle du référentiel autochtone.

2. Concepts implicites

La conceptualisation de « conflit foncier» laisse transparaître quelques centres d'intérêts parmi lesquels nous retiendrons: Système agraire, Violence, Crime, Crise, Déviance.

2.1 Système agraire

S'investir dans une entreprise de définition des contours sémantiques du concept de « système agraire » ne parait pas chose aisée et son identité étymologique est fonction des paramètres physiques, biologiques, humains, géographique économique et relationnel. Pour bien comprendre le sens du concept, il parait nécessaire de passer en revue les conceptions traditionnelle et moderniste avant d'en venir à la conception purement socio-rurale.

En effet, dans la conception traditionnelle, les auteurs abordent la question de système agraire dans une dynamique systémique. Ils intègrent les pratiques agricoles, les « manières concrètes d'agir » comme moyen d'analyse et comme expression de la cohérence du système. Le système agraire peut selon eux, être cindé en sous-systèmes constitutifs ; d'un côté le système agraire ou foncier et de l'autre, le système de production lui-même décomposé en système d'élevage ou de cultures. L'ensemble est en perpétuelle dynamique spatio-temporelle et les pratiques agricoles sont à l'origine de la formation d'objets repérables dans le paysage (Besson, 1992).

Chercher donc à définir le système agraire reviendrait à le considérer en amont comme un système composé de ces deux sous-systèmes puis en aval, à analyser la relation entretenue par ces deux sous-systèmes. C'est dans ce contexte que Mazoyer(1975) affirme que « Chaque système agraire est l'expression théorique d'un type d'agriculture historiquement constitué et géographiquement localisé, composé d'un écosystème cultivé caractéristique et d'un système social productif défini [ou «système technique, économique et social»], celui-ci permettant d'exploiter durablement la fertilité de l'écosystème cultivé correspondant ». Autrement, l'auteur pense qu'analyser et concevoir en termes de système agraire, l'agriculture pratiquée à un moment et en un lieu donnés, consiste à la décomposer en deux sous-systèmes principaux, l'écosystème cultivé et le système social productif, à étudier l'organisation et le fonctionnement de chacun de ces sous-systèmes dans leurs interrelations. 

Dans ce regard systémique, Cholley (1946) établit une interdépendance entre l'écosystème et le système social ; autrement entre le cultivateur et l'espace de culture. Ainsi, il affirme qu'« on arriverait à serrer de beaucoup plus près la réalité en considérant que l'activité agricole révèle une véritable combinaison ou un complexe d'éléments empruntés à des domaines différents très étroitement liés pourtant ; éléments à tel point solidaires qu'il n'est pas concevable que l'un d'entre eux se transforme radicalement sans que les autres n'en soient pas sensiblement affectés et que la combinaison tout entière ne s'en trouve pas modifiée dans sa structure, dans son dynamisme, dans ses aspects extérieurs même ». En d'autres termes, le système agraire parait pour lui comme le lien indissociable, interdépendant et interactionnel entre l'écosystème (espace de culture) et le système social composé d'acteurs inclus dans un environnement déterminé. Et ce sont précisément ces interactions réciproques entre les éléments relevant, d'une part, de « l'écosystème cultivé » et, d'autre part, du « système social productif » qui confèrent à l'ensemble le caractère de système agraire (Cochet, 2011).

Pour George (1956), il est certes nécessaire de définir le système agraire à partir du système composé de l'écosystème et du système social, mais insiste sur l'intégration des données géographique et économique dans la définition. Il pense donc que le système agraire est l'ensemble des données relatives à l'aspect morphologique des terroirs et aux combinaisons qualitatives sur lequel repose le système d'exploitation. De cette définition, deux éléments nouveaux apparaissent : les formes d'utilisation du sol et la manière d'assurer cette utilisation. Le système agraire permet donc d'identifier toute forme d'agriculture comme un système d'interactions entre la mise en place et la gestion d'un écosystème cultivé.

Cette conception traditionnelle a certes de mérite de poser les bases sémantiques du concept (de système agraire) en relevant son caractère systémique mais à y voir de près, elle tend à confondre le concept de système agraire à celui de structure agraire. D'autres contributeurs dans un regard moderniste, intègrent des notions de techniques agricoles et les modifications de rapports sociaux dans la définition.

Ainsi, Dufumier (2007) pense que le concept de système agraire est aussi complexe qu'exigeant. Cette complexité est le reflet de la réalité qu'il cherche à décrire. Celle-ci proviendrait, d'une part, de l'exigence de combinaison d'échelles d'analyse très différentes, et d'autre part, de celle d'exprimer le faisceau de relations. Dès lors, il affirme que le système agraire ne peut alors être considéré comme un simple système technique de pratiques agricoles, ni réduit aux seules structures de répartition des terres destinées à l'agriculture. Dans ce paradigme, définir le système agraire revient à analyser conjointement les transformations des techniques agricoles et les modifications qui interviennent dans les rapports sociaux, non pas seulement à l'échelle locale mais aussi au niveau national et international.

Pour Mazoyer et Roudard (1997), le système agraire est « l'expression théorique d'un type d'agriculture historiquement constitué et géographiquement localisé, composé d'un écosystème cultivé caractéristique et d'un système social productif défini, celui-ci permettant d'exploiter durablement la fertilité de l'écosystème cultivé correspondant ».De cette définition, il ressort avec Moindrot (1995), trois éléments : l'étude des paysages agraires, les systèmes de production agricole et les structures foncières.

Cette conception moderniste intègre certes de nouveaux éléments dans la conceptualisation du terme de système agraire mais souffre de mutisme lorsqu'il s'agit de prendre en compte la spécificité rurale qui fait part belle au respect des principes coutumiers. Toute chose qui a constitué le point d'ancrage d'une conception d'obédience socio-rurale.

Ainsi, des tenants de la conception socio-rurale, Agnissan (2012) reste le plus prolixe et pense qu'aujourd'hui, avec l'urbanisation et son acculturation, l'homme moderne africain perçoit de moins en moins ses rapports avec la nature en termes de complémentarité dialectique et tend à évacuer sa dimension sacrée et lui substituer une forme d'antagonisme. Les logiques qui fondent la dynamique des systèmes agraires urbains obéissent plus à des considérations d'ordre socioéconomique (rentabilité, profit, productivité) et ignorent souvent la logique socioreligieuse et symbolique sous-jacentes. L'on assiste selon l'auteur, à l'émergence de nouveaux types de comportements humains et de "gestion laïque" des systèmes agraires urbains qui mettent en péril la survie des forêts sacrées inscrites dans un processus de désacralisation permanente. Autrement, l'auteur pense que l'intégration de la dimension sacrée de la terre et ses composants, pourrait certainement permettre d'aiguiser la compréhension du concept sous nos tropiques.

Par ailleurs, Agnissan insiste sur le fait que l'espace physique ou géographique est doublée d'une dimension spirituelle, sacré, un espace mythique culturellement géré par les autochtones. Ces attributs sacrés s'expriment à travers les constituants physiques de l'environnement (eaux, minéraux, montage, arbre, forêt, etc.) qui ne sont pas de simples objets matériels mais des entités écologiques habitées par des esprits (les génies et les ancêtres). L'auteur innove et intègre un élément nouveau : aspect sacré des constituants physiques de l'écosystème dans l'étymologie du concept de système agraire. Dès lors, définir le système agraire dans une dynamique Agnissanienne, serait prioriser les attributs sacrés de la terre qui deviennent de ce fait, le substrat de l'identité même du concept (de système agraire).

Retenons dans le cadre de ce travail que le système agraire est un système composé de terres dotées d'attributs sacrés et de cultivateurs entretenant des liens étroits avec la terre cultivée ou à cultiver. 

2.2 Violence

Ce concept qui, étymologiquement procède du latin « violentia »  signifie la force, le caractère violent ou farouche. L'usage, « violentia »  renvoie à l'abus de force. Toutefois, ce terme reste difficile à définir car il sous-entend des actions humaines (intentionnalité et cruauté) individuelles et collectives (Michaud, 1998), et son appréhension dépend du milieu, des circonstances et des facteurs agissants (Chesnais, 1981).

La compréhension du concept nécessite donc l'analyse de différentes approches juridique, psychologique, sociologique et symbolique.

Dans l'approche juridique, les auteurs considèrent la violence comme un écart ou une infraction par rapport aux normes ou règles qui définissent les situations légales ou anormales. Mieux, la perception de violence est le fait de  porter atteinte à la dignité de l'homme.

Selon le guide juridique sur la prévention et la lutte contre la violence (2015), « La violence est l'action volontaire ou involontaire d'un ou plusieurs individus qui porte atteinte à l'intégrité physique ou morale d'un autre individu. Il peut s'agir de coups et blessures qui impliquent un contact direct entre l'agresseur et sa victime ».

Dans cette même logique, Utebay (2013), concevant la violence comme l'expression de la volonté de la justice, estime qu'elle correspond à la «  force, à la puissance, aux instruments et outils conçus et utilisés en vue de multiplier la puissance naturelle de la justice ». En d'autres termes, parler de violence signifierait pour lui, considérer les moyens mis en place par la justice pour instaurer et maintenir le calme social.

Cette approche juridique jette certes les bases normatives de la compréhension du terme mais semble souffrir de mutisme quant à la prise en compte de la violence psychique (trouble psychologique, colère,...). Toute chose qui nous amène à analyser une autre approche d'obédience psychologique.

Dans la dimension psychologique, les auteurs s'intéressent à la violence verbale. Pour les tenants, cette forme de violence subtile et difficile à identifier consiste en des propos dénigrants, humiliants, des interdictions, de contrôle autoritaire, des menaces et intimidations...

Ainsi, selon le guide juridique sur la prévention et la lutte contre la violence (2015), « la violence consiste en des agissements destinés à impressionner fortement, à causer un choc émotionnel ou un trouble psychologique ». Autrement, la violence apparaît comme le caractère de ce qui produit des effets brutaux, des sentiments de peur, de doute, d'incertitude catalyseurs de l'affaiblissement de l'estime de soi chez les victimes.

Relativement à cette conception verbale de la violence, l'Organisation Mondiale de la Santé(2002) met en évidence le traumatisme qui découle des actes de violence. A cet effet, elle conçoit la violence comme « la menace ou l'utilisation intentionnelle de la force ou du pouvoir contre soi-même, contre autrui, qui entraîne ou qui risque fortement d'entraîner un traumatisme, un décès, des dommages psychologiques».

Dans la même perspective, Braudo (2014)voudrait établir un lien causal entre violence et conséquences résultantes. Pour lui, la violence doit être perçue comme « l'acte délibéré ou non, provoquant chez celui qui en est la victime, un trouble physique ou moral comportant des conséquences dommageables sur sa personne ou sur ses biens ». La violence apparait donc comme celle pouvant provoquer chez la victime un trouble psychologique matériellement constatable.

A l'analyse, la perspective psychologique conçoit la violence comme celle verbale pouvant provoquer chez la victime des troubles mentaux et un affaiblissement de l'estime de soi.

Toutefois, limiter la violence en des propos dénigrants serait restreindre son sens car la violence se veut interactionnelle c'est-à-dire manifeste parmi des individus en interaction. Ce qui nous amène à analyser une autre approche d'obédience sociologique.

Pour les sociologues, la violence se perçoit comme une force physique intentionnelle ou non, exercée sur une victime.

Avec Michaud (1986), « il y a violence quand dans une situation d'interaction un ou plusieurs acteurs agissent de manière directe ou indirecte, massé ou distribuée, en portant à un ou plusieurs autres, à des degrés variables soit dans leur intégrité physique, soit dans leur participation symbolique et culturelle ».C'est-à-dire que la violence n'est manifeste que parmi des individus en interaction.

Pour Brubaker et Laitin (1998), la violence est perçue en termes de force appliquée dans la société, de mode d'agissement visant à agresser la victime. Ils affirment que « la violence est une action volontaire visant à faire mal à une personne, une agression physique intentionnelle contre la victime ».

De Zotti (2007) perçoit en ce concept un choc, une effraction au lien social. A cet effet, il déclare «  la violence est la manifestation d'une effraction du lien et, en particulier dans le champ social, une rupture du lien social ». 

Weber (1963) distingue deux formes d'expression de la violence dont les objectifs seraient différents : l'une, illégitime, émanant des individus ; l'autre, légitime, concerne la violence employée par l'Etat, dont le but est de combattre l'expression de la première.

En ce sens, weber pense qu'il y aurait une violence qualifiée de positive c'est-à-dire celle émanant de l'Etat et une autre qu'il nomme, négative c'est-à-dire celle résultant des agissements personnels que la première voudrait controler, combattre.

Comme on peut le constater, la violence se présente comme une interaction entre un acteur agissant et un autre subissant.

Toutefois, bien que sociologique, cette orientation ne situe pas de degré de participation, de responsabilité des acteurs (agissant et subissant). Les auteurs qui suivront, s'attardent sur la dimension symbolique de la violence.

Quelques auteurs émettent l'idée de la participation des dominés à leur propre soumission. Pour Bourdieu (1997), « la violence symbolique requiert donc, pour s'exercer, la complicité de l'agent social qu'elle prend pour cible ».

Ainsi, ce processus à la faveur duquel le sujet soumis devient inconsciemment complice de sa propre soumission s'explique par la connivence de l'agent assujetti qui, tenant compte de certains facteurs, assume la position d'infériorité par rapport au dominant.L'auteur ajoute que cette forme de violence correspond à « cette coercition qui ne s'institue que par l'intermédiaire de l'adhésion que le dominé ne peut manquer d'accorder au dominant (donc à la domination) lorsqu'il ne dispose, pour le penser et pour se penser ou, mieux, pour penser sa relation avec lui, que d'instruments qu'il a en commun avec lui ».

Le rapport de soumission obtenu au moyen de la violence symbolique est plutôt le fruit d'une acceptation machinale et involontaire qui prend sa source à l'intérieur de schèmes de perception conditionnés à l'avance.

Dans ce même registre, Kibler (2010) estime que « c'est un processus de soumission par lequel les dominés perçoivent la hiérarchie sociale comme légitime et naturelle. Les dominés intègrent la vision que les dominants ont du monde. Ce qui les conduit à se faire d'eux-mêmes une représentation négative ». La violence symbolique est donc source de sentiment d'infériorité ou d'insignifiance chez les « dominés » qui conscients de leur position, placent à un certain piédestal les « dominants ».

Au regard de ces appréhensions du concept, nous souhaiterions emprunter à chaque approche des éléments qui nous permettront de constituer une définition pouvant répondre à notre objet d'étude. De ce fait, nous pensons qu' il y a violence lorsque dans une situation d'interaction, un ou plusieurs acteurs agissent de manière directe ou indirecte, massé ou distribuée en portant à un ou plusieurs autres, des actes à des degrés variables soit dans leur intégrité physique, soit dans leur participation symbolique.

2.3. Crime 

Ce terme qui provient du latin « crimen »c'est-à-dire violation grave de la loi morale ou civile (Mpiana, 2013) peut être appréhendé selon différentes conceptions juridique et sociologique.

Dans la dimension juridique, le crime est perçu comme une infraction grave. Ainsi, le code pénal ivoirien du 23 décembre 1998 considère-t-il comme crime, les infractions graves « passibles de peine privative de liberté perpétuelle ou supérieure à 10 ans ». Autrement, le crime se distinguerait des autres infractions contraventionnelles et délictuelles, par son degré de gravité entrainant une réaction sociale appropriée contre son auteur. Aussi, le caractère gravatif du crime est-il mis en exergue par le Guide de formation pratique et sur-mesure des officiers de police judiciaire des parquets (2012), pour qui, le crime désigne « la catégorie des infractions les plus graves, catégorie plus ou moins vaste suivant les pays et les systèmes juridiques ».

Dans cette même optique,Carrara (1859) définit le crime par rapport au non-respect des obligations socialement admises. De ce fait, il affirme qu'on ne doit pas concevoir « le crime comme une action, mais comme une infraction », car il n'est pas « un fait matériel, mais plutôt un être juridique ». Autrement, le crime apparait comme une déviance par rapport aux normes, une transgression des valeurs défendues par la société.

Toutefois, bien que reconnaissant ce caractère gravatif au crime, Fattah (2012) établit une distinction fondamentale entre ces deux concepts qui, même s'ils se caractérisent par leur anticonformisme, par leur violation des normes, diffèrent à travers leur degré  de gravité. Le crime pense-t-il, est plus grave que le comportement déviant et en appelle par conséquent à une réaction sociale plus active ou plus sévère.

A l'analyse, la perspective juridique, bien que situant la compréhension de ce concept dans un cadre normatif, reste néanmoins légère dans la définition puisque le crime est avant tout, un phénomène social et doit, par conséquent être défini selon un critère social.

Du point de vue sociologique, le crime ne se définit-il pas intrinsèquement comme un acte. Un crime, ce n'est pas l'acte en lui-même ; on ne devient pas criminel parce qu'on commet tel ou tel acte considéré par la loi comme un crime. En effet, l'accusé à tort entre dans la catégorie des criminels ; le coupable nondécouvertn'est pas criminel. Autrement, est dit criminel, celui qui est pris entre les mailles de la justice.

Selon Tremblay (2006), «  tout acte, qui à un degré quelconque, détermine contre son auteur, cette réaction caractéristique qu'on nomme la peine »

Généralement, une infraction est considérée comme crime si elle porte atteinte au bien-être collectif de la société ou si elle déroge significativement les normes socioculturelles qui dictent la conduite normale d'une personne.

Pour Maxwell (1914), « le crime est un acte (ou omission) antisocial grave qui cause assez d'inquiétudes à une société pour que celle-ci se trouve dans l'obligation de se défendre contre l'auteur de ce comportement par des mesures spéciales visant à la fois la protection de la société et la resocialisation du coupable ». En d'autres termes, le crime est un acte antisocial c'est-à-dire une transgression des différentes normes tant éthique, culturelle que sociétale.

Après cet exposé, nous optons pour une définition socio-juridique ; qui prendrait en compte la dimension juridique c'est-à-dire la constitution de l'infraction criminelle et la réaction sociale engagée contre son auteur et la dimension sociologique à travers la manifestation sociale du crime.

Nous voudrions donc entendre par crime,tout acte ou omission anti social gave qui cause assez d'inquiétudes à une société pour que celle-ci se trouve dans l'obligation de se défendre contre l'auteur de ce comportement par des mesures spéciales visant à la fois la protection de la société et resocialisation du coupable

2.4. Crise 

Le concept de crise ou crisis nécessite pour sa compréhension l'analyse de différentes conceptions médicale, politique, économique et sociologique.

Dans le domaine médical, une crise est un changement rapide et grave intervenant dans l'état de santé d'un malade ou d'une personne apparemment en bonne santé.

Ainsi, pour Bolzinger (1982), la crise se présente-t-elle comme un instant, une période d'incertitude quant à la santé du patient. Il déclare que « dans la médecine, le terme de crise désigne l'instant crucial où la maladie touche à son terme, à sa résolution, pour le meilleur ou pour le pire. La crise est un paroxysme d'incertitude et d'angoisse où tout est en suspens ». Dans cette perspective, la crise n'est pas un signe de maladie, mais un signe de résistance à la maladie. Non pas une faillite, mais un sursaut. L'organisme n'est pas devenu incapable de se régler lui-même, mais il opte provisoirement pour un mode exceptionnel de régulation à visée défensive.

Relativement à Bolzinger, Wiener et Kahn (1962), mettent l'accent sur le sens de l'urgence réactionnelle pendant la crise. En ce sens, ils affirment que« la crise est caractérisée par un accroissement de la pression du temps. C'est une période pendant laquelle les incertitudes sont fortes sur l'évaluation de la situation et les réponses à apporter ; ce qui produit souvent stress et anxiété ». En d'autres termes, elle apparait comme une période relativement courte caractérisée par un changement brusque qui nécessite une solution urgente en vue de rétablir l'ordre de départ.

Toutefois, bien que définissant de façon médicale la crise, cette conception clinique du concept ne prend pas en compte les malaises brusques observés dans la société et qui constituent, par extension du terme, une crise. Toute chose qui nous amène à analyser une autre approche d'obédience politique.

Dans le champ politique, le concept de changement brutal est empruntée au corps médical mais diffère en ce sens que ce changement apparait non pas à l'intérieur du patient mais plutôt dans la société en général soit dans l'évolution des choses, soit des événements ou des idées.

Pour Dumont (2009),  «  C'est un moment d'extrême tension, de paroxysme, de conflit, de changement, intervenant lorsque les régulations et rétroactions des systèmes politiques ou géopolitiques ne suffisent plus ou ne jouent plus ». C'est-à-dire une situation nouvelle provoquée par une action, une inaction ou une décision.

Aussi, mettant en avant la délimitation spatio-temporelle de la crise, l'auteur ajoute-t-il que «  quelle que soit l'intensité qu'on lui prête ou qu'elle a réellement, une crise ne peut se pérenniser ». Autrement, bien qu'elle soit caractérisée par une rupture d'équilibre, la crise ne peut s'éterniser puisque le choc social qu'elle engendre est tel que la macro- société se trouve contrainte d'apporter une réponse appropriée à l'urgence situationnelle.

L'idée de réaction sociale est aussi soutenue par Guillaumin (1979)  lorsqu'il affirme que la crise est un « moment du jugement, des décisions à prendre ; un croisement qui impose une option plus ou moins urgente sur la route à suivre ». Ainsi, la crise se présente-t-elle comme un changement social brusque qui nécessite une solution urgente et relativement appropriée.

A l'analyse, la crise, du point de vue politique se caractérise d'une part par la surprise : le côté inattendu du changement ou non anticipé par les décideurs politiques et d'autre part par l'insuffisance de temps disponible pour répondre à l'urgence sociale.

Toutefois, bien que situant la crise dans un cadre politique, cette approche ne prend pas en compte la dimension économique qui suppose une récession, un ralentissement, un arrêt ou même une dépression de la croissance économique.

Ce qui constitue le point de départ de l'analyse de la « crise » selon les économistes.

Dans cette perspective, Dumont (2009) affirme que «  une crise économique désigne l'arrêt de la croissance, le moment où la conjoncture se retourne, correspondant au détonateur de la dépression ». Cette dépression sociale s'explique par une dégradation brutale de la situation économique, conséquence d'un décalage entre la production et la consommation.

Kemal (2009) la perçoit en termes de désorganisation des systèmes. De ce fait, il affirme, « la crise est  une désorganisation des systèmes de formation des prix, des marchés, caractérisée par des fluctuations extrêmes sur de courtes périodes ». Elle se traduit par une forte augmentation du chômage, par une baisse du PIB (Produit Intérieur Brut), un accroissement du nombre de faillites, un effondrement des cours boursiers, une baisse du pouvoir d'achat.

A l'analyse, l'approche économique présente la crise comme une période marquée par des difficultés économiques dans un secteur particulier consistant en une sous-production ou une diminution importante d'activités.

Toutefois, cette approche omet la définitiondu concept dans la perspective de fracture sociale, de tension sociale. Ce qui nous amène à analyser une conception sociologique du concept.

Pour les sociologues, la crise est définie en termes de fracture, de désaccord, de rupture des liens sociaux, de méfiance et d'hésitation.

En ce sens, Freund (1976) affirme : « la crise est une situation collective caractérisée par des contradictions et ruptures, grosse de tensions et de désaccords, qui rendent les individus et les groupes hésitants sur la ligne de conduite à tenir, parce que les règles et les institutions ordinaires restent en retrait ou sont même parfois déphasées par rapport aux possibilités nouvelles qu'offrent les intérêts et les idées qui surgissent du changement, sans que l'on puisse cependant se prononcer clairement sur la justesse et l'efficacité des voies nouvelles ».

La crise est donc une période fragile marquée par des contradictions sociales, des hésitations tant au niveau des administrés qu'au niveau des administrateurs.

Cette idée de fracture des liens sociaux est soutenue par Miller (1963) qui pense que « la crise engendre des tensions au sein des entités concernées ». De ce fait, la crise pourrait s'apparenter à une période de rupture et de tensions multiformes.

Après le rappel de ces différentes appréhensions du concept, nous souhaiterions retenir à priori les dénominateurs communs à ces approches : la phase critique et l'urgence réactionnelle qui caractérise la crise, auxquels nous voudrions ajouter le cadre sociale dans lequel se manifeste cette crise.

En ce sens, nous voudrions entendre par crise, une situation sociale critique, fragile caractérisée par des contradictions, des ruptures, des tensions et des désaccords, qui rendent les individus et les groupes humains hésitants sur la ligne de conduite à tenir et qui nécessite une urgence réactionnelle au malaise sociétal.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault