CHAPITRE I : CONSIDERATIONS THEORIQUES
I. Justification du choix du sujet
1. Motivation personnelle
Nous avons opté pour ce sujet dans la mesure où,
depuis tout petit, alors que notre défunt père était
encore chef du village de Kouêtinfla (un village de la tribu Sian), nous
assistions régulièrement aux conflits fonciers qu'il
gérait et le suivions dans d'autres villages lorsqu' il était
appelé à soutenir ses homologues dans le cas d'une question
foncière complexe.
Mais au- delà de ce fait, nous avons été
témoin d'un règlement de conflit foncier par le tribunal
coutumier de la tribu « sian »(sianfla).
Ce conflit opposait un autochtone de la tribu à un
allogène burkinabè.
Au regard des explications, le burkinabè, à son
arrivée, faisait des contrats de nettoyage des champs de son tuteur dans
le but d'obtenir un lopin de terre pour l'exercice d'activités
champêtres contre une contrepartie financière et un droit de
regard de son tuteur sur les récoltes.
Après plusieurs années, un conflit de
réclamation monopolistique de la propriété foncière
va opposer ces deux individus. Des mésententes au départ
verbales, vont assez rapidement se transformer en violences physiques alors
que les individus ne disposaient d'aucun texte écrit pouvant servir de
base à leur argument.
Le burkinabè a estimé avoir mis des plants de
cacao parce qu'il aurait payé une somme forfaitaire qui constituait
selon lui, la valeur du lopin de terre.
L'autochtone, lui, maintenait qu'il lui avait autorisé
uniquement des cultures de courte durée sur sa parcelle et qu'ils
n'avaient jamais négocié d'une quelconque vente.
Après plusieurs reports, la chefferie traditionnelle a
décidé que l'allogène verse la moitié de la valeur
réelle de l'espace litigieux à son tueur et qu'il est anormal de
couper les plants de cacao de l'allogène dans le but de la restitution
de la parcelle à l'autochtone. La communauté villageoise a
qualifié cette décision de partiale, discutable et peu
satisfaisante.
Ce cas de conflit qui n'est qu'un exemple parmi tant
d'autres, a suscité pour nous l'intérêt de conduire une
étude sur la gestion des conflits fonciers en vue de faire des
suggestions pour une meilleure gestion du phénomène dans le
département de Sinfra.
2. Pertinence sociale
L'importance sociale de ce sujet se fonde principalement sur
un ensemble de constats effectués dans la localité ciblée.
En effet, depuis quelques décennies, les crises foncières qui
ont explosé à Sinfra se sont accentuées avec une
connotation particulièrement violente. Ces conflits ont provoqué
des pertes en vies humaines, la destruction de plantations et d'habitations,
des déplacements massifs de populations autochtones et allogènes
vers la ville (50 morts, l'incendie des villages autochtones Koblata et
Proniani et 77 hectares de plantations détruites selon les
autorités préfectorales et sous-préfectorales de Sinfra
dans les litiges fonciers de 2011). Depuis cette période, environ deux
(02) cas de conflits fonciers sont gérés chaque semaine par la
chefferie de la tribu Sian, soit environ cent - quatre (104) cas de conflits
fonciers chaque année. De ces cas de conflits gérés,
retenons quelques-uns : Degbesséré (03 cas de litiges avec
rixe en 2017), Manoufla (02 cas avec blessure à la machette en 2016),
Blontifla (05 cas avec dépôt de canaris à proximité
des champs en 2017), Tricata (01 cas avec bagarre dans un champ de cacao en
2015), Paabénéfla (04 cas avec menaces de mort et incendie de
plantations en 2013), Kayéta (02 cas avec blessures à la daba et
du bois de chauffe en 2016). A cette fréquence des conflits fonciers, se
sont ajoutées les rumeurs quotidiennes qui circulaient dans une
dynamique verticale (des dirigeants aux ruraux) et horizontale (entre
populations elles- mêmes) rendant l'atmosphère sociale davantage
insécurisée et précaire.
Toutefois, au regard des faits sus-mentionnés, l'on
constate qu'en dépit des mécanismes locaux de gestion des
conflits fonciers, d'autorités à charge de la question
foncière, de la loi portant organisation et règlementation du
foncier rural, la gestion des conflits fonciers à Sinfra semble ne pas
faire l'unanimité et catalyse le rebondissement de nombreux conflits
fonciers à Sinfra.
3. Pertinence scientifique
Les conflits fonciers ont fait l'objet de nombreux travaux
scientifiques. Leur gestion n'a point été en reste des
investigations scientifiques. L'examen des contributions antérieures
laisse transparaitre deux types de facteurs évoqués par les
prédécesseurs: facteurs dépendants des acteurs sociaux
(facteurs internes) et facteurs indépendants de ces acteurs sociaux
(facteurs externes).
Dans la première approche explicative (facteurs
internes), les auteurs mettent l'emphase sur l'inefficacité des
systèmes étatiques d'administration foncière, les
manquements aux principes de bonne gouvernance foncière, la
partialité des dirigeants, le désengagement de l'Etat, la
stigmatisation des acteurs de gestion, les méthodes de gestion
inadaptées et l'implication négative, intéressée et
clientéliste de certaines autorités administratives et politiques
comme catalyseurs de l'échec en matière de gestion des conflits
fonciers.
Dans la seconde approche (facteurs externes), les auteurs
s'intéressent au vide juridique en matière de résolution
des conflits fonciers, à l'impact de la crise politique ivoirienne sur
le tissu rural, à la difficile cohabitation entre normes modernes et
culturelles, aux pesanteurs culturelles et au manque de volonté
politique comme facteurs explicatifs de l'échec des conflits
fonciers.
Cette thèse s'inscrit dans une dynamique globalisante,
c'est-à-dire considérant ces deux tentatives d'explication comme
mutuellement inclusives pour rendre compte de l'échec de la gestion des
conflits fonciers à Sinfra. L'intégration de cet ensemble des
facteurs agissants permettra sans doute d'apporter une orientation nouvelle aux
travaux déjà effectués sur la question.
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