2) L'ETAT SOUVERAIN ET LA QUALITE DE MEMBRE DE LA
COMMUNAUTE.
Dans la tradition de Max Webber, l`Etat se définit par
l`autorité et le pouvoir qu`il exerce sur un territoire donné. Il
dispose du monopole de la violence légitime. Depuis le traité de
Westphalie en 1648 jusqu`à la charte des Nations Unies de 1945, la
souveraineté des Etats et le principe de non ingérence à
l`intérieur des frontières sont reconnus par le concert des
Etats. En droit international et en droit communautaire, la souveraineté
est d`une importance capitale pour la coexistence des Etats. De ce fait, l`Etat
et la souveraineté sont indissociables.
La souveraineté a pour corolaire l`indépendance
comme l`affirme Pierre Marie Dupuy « si l'indépendance est le
critère de la souveraineté, la souveraineté est le garant
de l'indépendance »37. La souveraineté
s`apparente également à l`exclusivité d`une
autorité étatique sur son territoire. Cette exclusivité,
reconnue au niveau international est génératrice de droit et
d`égalité. La souveraineté constitue alors du fait de son
égale diffusion entre les Etats, la cause première du droit
international38. Lui-même est engendré par la
nécessité de la coexistence entre égale puissance. La
souveraineté signifie le pouvoir de l`Etat de décider
lui-même sans être soumis en droit à un pouvoir
extérieur et supérieur. D`où le premier accrochage entre
l`Etat souverain et la communauté. Parce que « toute les
collectivités humaines ne peuvent se voir reconnaitre la
souveraineté internationale. Seules celles d'entre elles qui sont
indépendantes de toutes subordinations dans l'ordre international
possèdent cette qualité ». De fait, il est
reproché à la souveraineté sa qualité fictive. Face
à cela, force est de reconnaitre que cette fiction juridique est un
« procédé de technique juridique consistant à
supposer un fait ou une situation différente de la réalité
pour en déduire des conséquences »39.
Autrement, ce procédé vise à amener ce qui est de fait une
fiction à une réalité juridique, cela afin qu`on puisse en
déduire des conséquences indispensables au commerce juridique
entre ces sujets d`un ordre juridique déterminé40. De
cette fiction juridique, l`on reconnaît à l`Etat une
personnalité juridique. Cependant la souveraineté dote
36 Paraphrasant Tony Blair, in le nouveau
débat sur le Europe, textes réunis et commentés par
MARHOLD (H), Nice, presses d`Europe, 2002, P 263 et P 266. Cité par
NABLI (B) dans « L'union des Etats et les Etats de l'union
», op cit, p 120.
37 DUPUY (P-M), L'unité de l'ordre
juridique international, cours général de droit
international (2000), recueil des cours de l'académie de droit
international de la Haye, tome 297, p 96.
38 Ibid. p 95
39 Ibid. p 98
40 Ibid. p 99
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Recherches sur l'Etat membre de la Communauté
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l`Etat d`autres attributs à l`instar de celui de
créer des sujets de droit (des organisations internationales), et de
leurs reconnaître la capacité de participer à une
organisation intégrative reposant sur la volonté souveraine
c`est-à-dire sur un acte de souveraineté générateur
de droits et d`obligations. A priori la qualité de membre
étant la conséquence inéluctable de l`acte souverain
d`adhésion de l`Etat à une organisation d`intégration, le
statut de membre de la communauté n`est donc pas contraire à la
souveraineté. En d`autres termes, l`appartenance à une
communauté « ne signe pas la disparition de la
souveraineté de l'Etat, mais conduit à l'aménagement, de
la souveraineté de l'Etat selon sa qualité de membre
»41. Il faut en effet reconnaître que, l`Etat membre
de la communauté reste maître et souverain de ses actes tant au
plan international qu`au niveau interne. Dans cette optique, les Etats membres
des organisations d`intégration régionale gardent et
préservent la capacité souveraine qui leur permet de
dénoncer un traité et de se retirer d`une communauté. La
particularité de la CEMAC est à soulever, parce que la
souveraineté occupe une place importante dans cette organisation
d`intégration. Cela est justement le fait de la jeunesse des Etats
africains, très jaloux de leur souveraineté encore fraichement
acquise. Bien qu`elle soit salutaire pour la bonne marche de la
Communauté, la prééminence de l`Etat et de la
souveraineté à la CEMAC s`avère, de plus en plus,
être au coeur de l`inertie que décrient certains auteurs. Cette
omniprésence de l`Etat est même inscrite dans les dispositions du
traité instituant la CEMAC. Le rapport final à l`origine de la
révision du traité constitutif de la CEMAC a tôt fait de le
décrier42. Mais cela n`est point surprenant parce que le
principe voudrait que l`action et l`évolution de la communauté
soit l`oeuvre des Etats souverains. Comme l`a si bien dit Beligh NABLI, l`on ne
peut penser une Communauté d`intégration sans faire allusion aux
Etats qui la composent43. Par conséquent, la subordination
des Etats à la norme communautaire n`est que le simple respect de la
règle que les Etats se sont fixés. Et le transfert des
compétences de l`Etat vers la Communauté n`est qu`une
manière d`exercer sa souveraineté. De plus, ce transfert n`est
pas une limitation mais un exercice et un exercice commun des dites
compétences par les Etats au niveau de la Communauté. A cet
effet, l`Etat qui transfère une partie de ses compétences au
niveau de la Communauté accède également à la
plénitude de celles-ci en les exerçant au niveau communautaire.
Toute norme émanant d`une organisation supranationale ne devra donc
souffrir d`aucune entorse à son application, parce que tout rejet ou
refus d`application de la norme communautaire équivaut au rejet ou au
refus d`appliquer sa propre volonté souveraine génératrice
de cette règle. Tout le
41 NABLI (B), « L'état membre :
l'« hydre » du droit constitutionnel européen »
contribution au 6eme congrès de l`AFDC, Atelier 3 : Europe et
constitution, Juin 2005, p 4.
42 Rapport final, diagnostic institutionnel,
fonctionnel et organisationnel de la CEMAC, tome i, février 2007, P
140.
43 TROPER (M), « L'Europe politique et le
concept de souveraineté » cité par NABLI (B) dans
« L'Etat membre : l' « hydre » du droit constitutionnel
européen » contribution au 6eme congrès de l`AFDC,
Atelier 3 : Europe et constitution, Juin 2005.
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processus communautaire devrait alors être mis à
l`initiative de la souveraineté des Etats membres. Alors, la
qualité d`Etat membre n`est pas susceptible de remettre
complètement en cause le caractère illimité et indivisible
de la souveraineté. Et l`appartenance à une communauté
n`est autre chose qu` « ... une limitation de l'exercice de certaines
compétences (...) cette limitation est consentie par l'Etat et (...) le
pouvoir d'y consentir est précisément la manifestation de la
souveraineté »44.
Au demeurant l`on peut dire que l`Etat membre est une
entité socio-juridique exerçant sa
souveraineté dans l`optique de défendre les
intérêts de sa population au sein de la communauté et
également dans la perspective de la construction d`un idéal
commun d`intégration sous régionale.
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