INTRODUCTION GENERALE
Dans le contexte actuel de mondialisation, il n`est point
surprenant de constater à quelle vitesse le monde s`organise selon les
logiques régionales. Le regroupement plus ou moins formalisé au
plan institutionnel de plusieurs Etats appartenant à une aire
géographique délimitée, à des fins de
coopération économique, monétaire et/ ou politique,
intrigue et soulève des questions. Parce que dans ce jeu de rapports et
de relations interétatiques imprégnés de consensualisme et
de volonté souveraine, les implications et la force transformatrice du
droit issu des projets intégratifs devraient être pris au
sérieux, bien qu`elles semblent être confondues avec celles du
droit international et de ce fait relativisée. L`impératif des
projets intégratifs bouscule les normes préétablies dans
les différents ordres juridiques des Etats membres, et du même
coup les conceptions les plus absolutistes de la souveraineté. Ceci
étant dû premièrement au fait de la
spécificité de l`organisation d`intégration et
deuxièmement au caractère contraignant de la norme communautaire.
L`impact du processus d`intégration interpelle à plus d`un titre.
Parce que de ce droit, matériellement distant du droit international,
l`on relève des éléments de fonctionnement des Etats, des
organisations internationales et même des fédérations
d`Etats1. L`un des pères fondateurs des études sur
l`intégration2 considérait la dynamique de
l`intégration régionale comme un « processus par lequel
les acteurs politiques dans plusieurs ensembles nationaux sont persuadés
de modifier leur loyauté, leurs attentes, et leurs activités
politiques vers un nouveau centre dont les institutions possèdent ou
demandent autorité sur les Etats nationaux préexistants
»3. Cette appréhension concerne autant le processus
politique que social, dans la mesure où elle met en avant le transfert
de loyauté, du processus décisionnel, et de négociation
pour l`établissement de nouvelles institutions supranationales
influençant les Etats, que ce soit sur un plan politique, institutionnel
ou normatif. Grosso modo l`action corrosive du processus communautaire
dans la majeure partie des projets d`intégration exerce une force qui
met en exergue un triptyque :
? Une intégration verticale renvoyant à des
interactions structurées qui émergent entre acteurs au niveau
communautaire, national et local.
? Une intégration sectorielle s`intéressant
à la réglementation partielle ou totale des différentes
politiques publiques.
1 SAURUGGER (S), Théories
et concepts de l'intégration européenne, sciences po. Les
presses, 2009, p 1
2 Ernst Haas Bernard (1924 - 6
Mars 2003) était un politologue américain d'origine allemande qui
a fait de nombreuses contributions à des discussions théoriques
dans le domaine des relations internationales. Il est le fondateur du
néo fonctionnalisme comme une approche à l'étude de
l`intégration. Néo fonctionnalisme reconnaît l'importance
des États nationaux, mais souligne également le rôle des
groupes d'intérêts régionaux et la bureaucratie des
organisations régionales.
3 . SAURUGGER (S), Théories et concepts de
l'intégration européenne, op cit, p16.
Mémoire présenté et soutenu par EKO
MENGUE Arsène Silvère 1
Recherches sur l'Etat membre de la Communauté
Economique et Monétaire de l'Afrique Centrale
? Et une intégration horizontale mettant en relief les
rapports entre Etats membres.
Comme toutes les organisations d`intégration ayant pour
but la création d`une communauté, la Communauté
économique et monétaire de l`Afrique centrale (CEMAC) se conforme
à ce triptyque suscité. Ses textes ne s`écartent pas du
principe fondamental inhérent (la primauté) aux règles
intégratives, comme mis en exergue par l`arrêt Costa contre
Enel4. Tout au contraire ils mettent un point d`honneur sur
l`action contraignante qu`exerce le projet intégratif sur l`Etat membre
de la CEMAC (I). La dialectique des rapports entre l`Etat
membre et le projet de construction communautaire apparaît ici
nécessaire pour présenter les implications transformatrices du
projet communautaire sur les Etats (II).
I) LA NOTION D'ETAT MEMBRE ET LA CEMAC.
Nous présenterons d`une part la notion d`Etat membre
(A) comme acteur du projet communautaire, et d`autre part,
l`organisation supranationale qu`est la CEMAC (B).
A/ L'ETAT MEMBRE.
Pour mieux appréhender la notion de l`Etat membre il
faudra définir l`Etat (1) avant de présenter le
qualificatif de membre à lui reconnu (2).
1) LA DEFINITION DE L'ETAT.
Tant au plan international que communautaire, l`Etat est
l`acteur principal de la construction d`un nouvel ordre juridique
supranational, tel que la communauté d`intégration. En droit
international, il est rarement défini de manière
conceptuelle5. Sa caractérisation univoque se borne à
fournir, les éléments de son identification. Il s`agit là
en particulier de son aspect organique (phénomène sociologique,
de force ou de puissance). La définition la plus à même de
renseigner sur la consistance internationale de l`Etat n`est autre que son
appréhension juridique, parce qu`elle nous permet de cerner
l`entité juridique, et les attributs qui lui sont reconnus, dans la
perspective d`agir sur le plan international. C`est dans ce sens qu`il faut
signaler que, la réception du phénomène communautaire au
niveau des Etats, est la résultante de l`exercice d`un attribut
juridique de l`Etat : la souveraineté. De même que le transfert de
compétence de l`Etat à la communauté est la
prérogative de l`exercice de la souveraineté par
4 CJCE 15 juil. 1964, Costa c/ Enel, Aff. 6/64,
Rec. 1141. « Il découle de la jurisprudence de la cour
de justice que la primauté du droit communautaire est un principe
fondamental dudit droit. Selon la cour, ce principe est inhérent
à la nature particulière de la communauté
européenne » Cite par Joël MOLINIER dans son fascicule
« Primauté du droit de l'union Européenne
», Rep communautaire Dalloz, sept 2011. P2-3.
5 Kamto (M), La volonté de l'Etat en
droit international, cours de l`Académie de droit international de
la Haye, tome 310, 2004, p 24.
Mémoire présenté et soutenu par EKO
MENGUE Arsène Silvère 2
Recherches sur l'Etat membre de la Communauté
Economique et Monétaire de l'Afrique Centrale
l`Etat. Ce rappel est nécessaire, pour comprendre le
statut de sujet principal qui est le sien au niveau communautaire. On peut
alors définir l`Etat «... comme une collectivité qui se
compose d'un territoire et d'une population soumis à un pouvoir
politique organisé » et qui « se caractérise
par la souveraineté »6. Cette définition
descriptive permet d`identifier cet être -Etat, mais elle n`est pas
opératoire pour expliquer comment cet être juridique agit. La
référence à l`aptitude à agir en droit renvoie
à la capacité juridique qui est propre à la
personnalité juridique d`un sujet de droit7. La
personnalité juridique permet de reconnaître à une
entité la capacité d`exercer le droit et de subir des
obligations. En d`autres termes, la personnalité juridique est le
prédicat de l`Etat, et le concept Etat n`aurait pas de sens sans cet
élément fondamental qu`est la personnalité juridique qui
l`institue comme être juridique8. Comme on l`a noté
à juste titre « [l'] Etat existe en tant que personne morale et
c'est à ce titre que [ses] attributs légaux lui sont
attachés »9. C`est de cette aptitude
d`être titulaire de droits et d`obligations, ou à se voir
reconnaître ou attribuer des pouvoirs que l`Etat se trouve être le
sujet principal des constructions communautaires. Dans le même sens et
pour mieux cerner juridiquement l`Etat, le professeur Maurice KAMTO affirmera
que « l'Etat est une personne morale c'est-à-dire un être
juridique construit, mais reposant sur des éléments physiques
constitutifs, apte à être titulaire de droits et des obligations
ou à se voir reconnaître ou attribuer des pouvoirs lui permettant
de participer, en tant que sujet de droit, à la formulation et à
l'application des règles de droit dans l'ordre juridique international
»10. La personnalité juridique est donc l`attribut,
qui permet l`adhésion de l`Etat à un projet communautaire, tel
que la CEMAC. Sauf que cet acte d`adhésion qui donne à l`Etat la
qualité de membre d`une organisation supranationale telle que la CEMAC,
implique bien plus que la personnalité juridique de l`Etat. Elle exige
davantage un effort de limitation de sa souveraineté pour l`atteinte des
objectifs de la communauté.
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