B/ Le territoire communautaire : l'Afrique Centrale
Le territoire de l`Etat est la sphère spatiale à
l`intérieur de laquelle il exerce la plénitude de sa
compétence et également sa souveraineté. Le territoire
communautaire
apparaît alors comme la sphère de la
validité territoriale de l`ordre
juridique communautaire103. Dans cette perspective, c`est
l`espace à l`intérieur duquel l`organisation intégrative
(c'est-à-dire ses organes) est autorisée par le droit
communautaire à exécuter l`ordre juridique
communautaire104. Le fait que l`ordre juridique soit valide sur le
territoire communautaire marque un rapport relationnel entre l`Etat membre
instrument de communautarisation et le territoire espace de validité de
cet ordre juridique (2). Cependant, il importe bien avant, de
délimiter le territoire communautaire sur lequel l`Etat membre exerce
ses prérogatives(1).
1) la consistance du territoire communautaire : les
différentes composantes et la délimitation du territoire
communautaire
Il est de constat que le processus de création de
marché commun avec pour corollaire le libre échange que cela
entraîne, ne règle pas le problème de la
délimitation des frontières étatiques post
indépendance. Il est plutôt source, d`incertitude dans le
tracé des frontières en Afrique. Surtout les tracés des
frontières s`avèrent être une source des
contentieux105. La délimitation et la démarcation du
territoire communautaire106 nécessite au préalable un
exercice similaire au niveau des Etats. Il est important de savoir que la
création d`un marché commun commande une libéralisation
des échanges entre les Etats membres. Une libéralisation synonyme
d`ouverture de barrière tarifaire, autrement dit une disparition des
frontières dans l`espace de validité de l`ordre juridique
communautaire c`est-à-dire du territoire communautaire. La tâche
devient plus ardue pour le projet communautaire tant que les Etats, membres de
la communauté n`ont pas encore délimité,
démarqué et aborné leurs territoires respectifs car,
l`instauration d`une véritable union dans la sous région
Afrique
103 En paraphrasant Hans KELSEN, théorie
général du droit et de l'Etat, bruyant LGDJ, 1997, p 261.
104 Ibid. p 262.
105 Voir entre autres les contentieux Cameroun/Nigeria ;
Burkina Faso/ Mali ; Tchad/ Libye ; Guinée Bissau/
Sénégal.
106 Selon le dictionnaire de la terminologie du droit
international, la frontière est la « ligne déterminant, ou
commence et ou finisse les territoires relevant respectivement de deux Etats
voisins. Cité par NGUYEN QUOC DINH, DAILLIER (P), PELLET (A) et FORTEAU
(M), Droit international public, op cit p 516.
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Centrale, respectueuse de tous les principes inhérents
au marché commun, rendra inéluctablement les frontières de
ces Etats membres poreuses. Autrement dit à l`instar des Etats
fédéré des Etats fédéraux, l`Etat membre de
la CEMAC, dans la même configuration verra ses frontières
considérées comme des délimitations administratives
nécessaires pour une plus grande intégration. Aucune
intégration de se nom ne peut être réalisée si le
Cameroun et la Guinée Equatoriale n`ont pas résolu le
problème de sa frontière maritime entravée par l`île
de Bioko territoire équato-guinéen107. Il serait
peut-être préjudiciable pour l`évolution du processus
d`intégration que ces problèmes de frontières trouvent des
solutions. Parce que les délimitations coloniales n`ont pas toujours
été d`une grande précision, quelque fois elles
étaient en contradiction avec les données géographiques et
naturelles. Ou parfois, elles n`existaient même pas. Entrainant la
résurgence des contentieux territoriaux. L`on constate la
récurrence en Afrique des recours à l`arbitrage ou à une
juridiction internationale à l`instar du différend
Cameroun/Nigéria (arrêt du 10 octobre 2002). L`on peut paraphraser
la Cour International de Justice (CIJ) en affirmant que définir le
territoire communautaire revient à définir les frontières
des Etats membres de la CEMAC108. Car comme l`avait si bien
rappelé le tribunal arbitral sur la frontière maritime de la
Guinée-Bissau et du Sénégal, « une
frontière internationale est la ligne formée par la succession
des points extrême du domaine de validité spatiale des normes de
l'ordre juridique d'un Etat »109. De plus il est clair que
l`union que devra parachever le processus d`intégration de l`Afrique
Centrale s`affirmera vraisemblablement sur une disparition des
frontières étatiques. Cela est d`autant plus important que la
connaissance des frontières est fondamentale, puisque le territoire
étatique est le domaine de compétence spatiale de validité
de l`ordre juridique communautaire.
2) Le domaine de compétence spatiale de l'Etat
membre de la CEMAC : le rapport Etat et son territoire.
Comme l`affirme si bien Dominique TURPIN110
« s'il peut exister des territoires sans Etats111, il n'y a pas
d'Etats sans territoire ». Il s`agit d`une évidence, on ne
peut parler
107 L'article 3 de la constitution de la Guinée
Equatoriale dispose que : « Le territoire de la
Guinée Équatoriale
se compose de la zone continentale dénommée Rio
Muni et les îles de Bioko, Annobon, Corisco, Elobey Grande, Elobey Chico
et les îlots adjacents, les eaux fluviales, la zone maritime, la
plate-forme continentale que détermine la loi et l'espace aérien
qu'elle couvre ».
108 Décision du 25 juillet 1991, Rec., p 91,
cité par NGUYEN QUOC DINH, DAILLIER (P), PELLET (A) et FORTEAU ( M),
Droit international public, op cit p 520.
109 Ibid.
110 TURPIN (D), Droit constitutionnel, PUF,
4e édition, 1999, p 29.
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d`Etat, qu`à l`appréhension d`une
capacité d`exercer sa souveraineté sur un territoire. Autrement
dit le territoire est un moyen de l`Etat d`exercer ses compétences et de
mettre en pratique le principe d`exclusivité de la compétence
territoriale. De ce fait, aussi petit que soit un Etat, le territoire demeure
le point d`adjonction des deux autres éléments constitutifs de
l`Etat à savoir le gouvernement et la population. Le territoire est
alors comme l`affirmait le grand maître autrichien Hans KELSEN, la
sphère de validité de l`ordre juridique
étatique112. L`Etat membre de la CEMAC est avant tout un
Etat, avant d`être membre de la CEMAC, par conséquent, dispose
d`un territoire, domaine de compétence exclusif de son autorité.
Le territoire détermine également les biens juridiques des
populations y vivant. De ce fait, il en découle certains principes qui
permettent l`exercice de la souveraineté de l`Etat sur son territoire.
Il s`agit du principe sus cité d`exclusivité de compétence
territoriale, avec pour corolaire le principe de l`interdiction de
l`application extra territoriale du droit. En d`autres termes, un Etat n`est
pas tenu en vertu de l`exclusivité législative, de faire
exécuter des lois, règlements et dispositions
étrangères. En retour, il est exclu à l`Etat toute
compétence d`exécution extra territoriale forcée. Cette
explication est d`autant plus importante qu`elle soulève la question de
l`applicabilité du droit communautaire de source extra territoriale sur
le territoire de l`Etat membre.
Il faut dire que la qualité de membre de la
communauté remet en question le sacro saint principe de
l`intangibilité des frontières. Remise en question à sans
doute relativiser parce qu`elle ne modifie en rien les frontières des
Etats membres de la CEMAC, ou bien n`en fait pas disparaître. Dans ce
sens le conseil constitutionnel français avait précisé
dans sa décision du 25 juillet 1991, relative à la loi autorisant
la ratification de la convention de Schengen, que « le franchissement
des frontières (à l'intérieur de cet espace sans
contrôle douanier) n'est pas assimilable à une suppression des
frontières, qui sur le plan juridique délimitent la
compétence territoriale de l'Etat 113». Toutefois
en transférant à la communauté une partie des
compétences souveraines, l`Etat accepte selon les accords qui ont
conduit au transfert de compétences de se voir appliquer des normes
venant d`organes114 autres que les
111 Encore nommé « territoire sans
maître » jadis terre vierge autarcique pour des raisons
scientifiques, espace extra atmosphérique et corps célestes qui,
en vertu de traités, ne peuvent pas faire l`objet d`une appropriation
par un pays. Voir TURPIN (D), Droit constitutionnel, op cit p
43.
112 KELSEN (H), Théorie générale du
droit et de l'Etat, op cit p 264.
113 Voir TURPIN (D), Droit constitutionnel, op cit
p 43.
114 Les normes communautaires ont pour sources le
traité constitutif de la CEMAC ; les conventions régissant les
organes communautaires, les actes additionnels ; les règlements ; les
règlements cadre ; les directives ; et les décisions.
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parlements nationaux. Le droit communautaire, avec ses
principes fondamentaux115, limite le principe de droit international
reconnaissant à l`Etat une interdiction de l`application directe des
règles « venu d`ailleurs »116.
Corrélativement, l`adhésion d`un Etat à une
communauté, remet en question les caractères
généraux des compétences exercées par l`Etat sur
son territoire. De fait, l`Etat membre de la CEMAC n`est pas à
même d`exercer « selon sa propre appréciation
discrétionnaire, toutes les fonctions de commandement destinées
à favoriser les activités117 ». Il devra
dorénavant tenir compte des activités de la communauté
intégrative et du regard sanction des Etats membres et de la commission
de la CEMAC. La plénitude de compétence de l`Etat membre prend
ainsi un coup et marque un frein au principe d`exclusivité reconnu
à chaque Etat sur son territoire. Le principe d`exclusivité de la
souveraineté territoriale confère à son titulaire le droit
de s`opposer aux activités des autres Etats sur son
territoire118. En revanche, lorsque l`on adhère à la
communauté, l`exclusivité de souveraineté territoriale
devient relative, parce que l`Etat membre partage avec la communauté
cette exclusivité. On dira que « la souveraineté
forteresse » a fait place à la « souveraineté
partagée » au sein de la construction supranationale
»119 Par conséquent, l`exclusivité dans le
domaine de la répression est également relativisée parce
que la cour de justice communautaire est compétente pour sanctionner
tous les Etats membres qui vont à l`encontre des directives
communautaires. Toutefois, « les exceptions à
l'exclusivité de la souveraineté territoriale supposent l'accord
préalable de l'Etat120 ».
Le rapport étroit Etat-territoire doit
dorénavant être relativisé dans le but d`y introduire dans
cette relation l`impact du statut de membre. En somme, toute
détermination du domaine de compétence de l`Etat membre doit
impérativement mettre en exergue le triptyque relationnel pour l`assise
de la compétence de l`Etat. Le rapport Etat membre-territoire doit
être établi sous le prisme de la théorie territoire-titre
de compétence, parce que le territoire constitue un titre juridique
essentiel de la compétence étatique et communautaire. Son
acceptation n`exclut
115 Les principes fondamentaux du droit communautaire sont les
principes qui servent à régler les rapports entre l`ordre
juridique communautaire et les ordres juridiques nationaux. L`ensemble de ses
principes créent des obligations à la charge des Etats membres et
entrainent des conséquences pour les justiciables on en distingue trois
principe à savoir : l`applicabilité immédiate ; l`effet
direct ; et la primauté.
116 F. Mélin-Soucramanien, « La
Constitution, le juge et le droit venu d`ailleurs? », Mélanges
en l'honneur de Slobodan Milacic. Démocratie et liberté :
tension, dialogue, confrontation, Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 177 et
s
117 NGUYEN QUOC DINH, DAILLIER (P), PELLET (A) et FORTEAU (M),
Droit international public, LGDJ, 9e édition, 2009, p 528.
118 Ibid. p 532.
119 Voir CHAMPAGNE (G), l'essentiel du
droit constitutionnel, tome 1 : théorie générale du droit
constitutionnel, gualino lextenso éditions, 10eme édition,
2011-2012, p 25.
120 . NGUYEN QUOC DINH, DAILLIER (P), PELLET (A) et FORTEAU
(M), Droit international public, op cit, p 534.
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pas la théorie du territoire limite121, car
si le territoire communautaire confère à l`Etat membre et
à la communauté un titre pour agir, il est impératif de
présenter la place des éléments juridiques qui
caractérisent l`Etat membre de la CEMAC.
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