B. Les Partis Politiques au Maroc : 1927-1983
En marge du pouvoir palatial et makhzénien, le
système politique a intégré le phénomène
partisan en son sein. Les partis politiques apparaissent au sein de la
société marocaine dès la fin des années 1920. Dans
un premier temps, les partis ne composaient pas avec les corps sociaux
très influents, notamment les confréries religieuses. Ces
dernières se consacrent d'une part à la vie religieuse et sociale
à travers le culte des saints et l'exercice de la charité, mais
d'autre part elles exercent, dans un cadre primaire, d'une forme
d'organisation, dont les principes et les valeurs véhiculées sont
forts proches de ceux des futurs syndicats. Il s'agit d'organiser des
offrandes, d'établir une solidarité entre les membres
affiliés et de nourrir l'idée (toute primitive encore) de
constituer un certain contrepoids envers la seigneurie rurale et, plus tard,
contre les colons européens.
Evoluant en marge des corps de métier et des
confréries, les partis politiques marocains ont traversé
plusieurs générations et il serait intéressant de
décrypter - du moins pour les partis qui l'ont faite - la formulation
d'une doctrine politique.
L'évolution des partis politiques peut se subdiviser en
cinq séquences : la formation des premiers mouvements régionaux
(1927-1934), l'émergence du Mouvement National (1934-1943),
l'émergence des partis « traditionnels » (1943-1959), la
confrontation entre le Palais et les partis politiques (1959-1965) et les
partis politiques face à la question du Sahara occidental
(1965-1983).
b.1 L'émergence d'une conscience partisane :
1927-1934
Au lendemain de la Guerre du Rif 33(1919-1926), des
groupes sociaux appartenant pour la plupart à la bureaucratie urbaine
s'employèrent à la constitution des premiers partis politiques.
Plusieurs partis locaux virent le jour mais nous en retiendrons deux. Le Parti
des Réformes Nationales (PRN), dans la zone espagnole, et le Parti de
l'Unité Marocaine dans la zone française (PUM). Ces deux partis
sont nés entre
31 Sur ce point voir J. BERQUE, Ulémas,
fondateurs insurgés du Maghreb, XVIIe siècle, Paris,
Sindbad-Actes Sud (2e édition), 1998. E. TEREM, Redefening Islamic
Tradition : Legal Interpretation as a Medium for Innovation in the Making of
Modern Morocco, Leiden, Brill, Islamic Law and Society, N°20, 2013,
pp.425-475.
32 A. LAROUI., op. cit., pp. 98-104.
33 V. COURCELLES-LABROUSSE et N. MARMIE, La guerre
du Rif : (1921-1926), Paris, Point, Coll. Histoire, 2009.
15
1927 et 192834. Les fondateurs respectifs de ces
deux partis, à savoir Abdelkhalaq Torrès* et Mohamed Mekki
Naciri*, ont tenté de concevoir une doctrine politique fortement
inspirée des idées réunissant le panarabisme et le
panislamisme. Ces doctrines politiques sont alors largement diffusées
par les courants réformistes en pays musulmans dont le Mouvement des
Frères Musulmans en Egypte et plus particulièrement en la
personne du penseur réformiste libanais réfugié en Suisse,
Chakib Al Arslane35. Notons aussi que ces premiers partis se
dotèrent d'un journal.
Cependant, si la société marocaine se compose
d'un nombre important de corps sociaux et d'une importante classe paysanne, les
premiers partis politiques n'arriveront jamais à articuler toutes les
classes sociales. Ainsi, les groupes du PRN et du PUM ont été
condamnés à se limiter dans leur zone d'influence. En outre, le
fonctionnement interne des premières générations des
partis ne connaît pas non plus de système électoral, et ce
phénomène persistera jusqu'au premier gouvernement
intérimaire. Autrement dit, on intègre le parti selon une logique
de cooptation.
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