b.2 Emergence du Mouvement National : 1934-1943
Avec la pacification totale de la résistance
armée par les troupes d'occupation françaises, les mouvements
politiques régionaux prennent une nouvelle direction. En effet, le
fameux dahir berbère du 16 mai 193036 fournit le
prétexte inespéré aux groupes politiques d'alors pour
manifester leur mécontentement vis-à-vis de la Résidence.
Cette grogne abouti en 1934 à une première organisation
nationaliste marocaine : le Comité d'Action et de Lutte
Marocain37(CALM). Parallèlement au CALM, les premières
écoles nationalistes émergent au sein de l'espace social
marocain. Ces écoles devaient organiser un contrepoids politique
à l'instruction dispensée dans les écoles coloniales.
Mais très vite des mesures répressives prises
par la Résidence à l'encontre du CALM poussent de nouveaux
groupes d'individus, toujours issus d'une bourgeoisie citadine arabophone
à constituer un nouveau parti mieux structuré que le PRN et le
PUM. Il s'agit du Parti National38(PN) mis sur pied par Mohamed
Lyazidi, Ahmed Mekouar*, Mohamed Laghzaoui*, Ahmed Balafrej*, ainsi que
l'alim (singulier d'oulémas) Allal El Fassi*. Ce parti
ne présente pas une différence notable par rapport aux PRN et
PUM, si ce n'est une volonté de structurer un bureau central
appuyé par une jeunesse du parti répartie dans tout le
34 R. REZETTE, Les Partis Politiques
Marocains, Paris, Armand Colin, Cahiers de la Fondation Nationale des
Sciences Politiques Coll : Partis et Elections, N°70, pp. 104-129. J.
WOLF, Les secrets du Maroc espagnol : l'épopée
d'Abd-El-Khaleq Torrès 19101907, Bruxelles-Rabat, Balland-Eddif,
1994.
35 Chakib Arsalane (1869-1946) est né d'une
famille druze du Liban méridional. Figure du nationalisme arabe et du
réformisme islamique, il fut successivement député au
Parlement turc au Hauran (Syrie 1913-1918). Installé à
Genève depuis 1921, il a créé neuf ans plus tard la revue
« La Nation arabe » et a milité pour l'unité arabe. Il
décéda au Brésil.
36 J. LUCCIONI, L'élaboration du dahir
berbère du 16 mai 1930, in Revue de l'Occident musulman de la
Méditerranée, N°38, pp. 75-81.
37 J. BRIGNON et al., Histoire du Maroc,
op. cit., pp. 393. M. LAHBABI, Le Gouvernement marocain à
l'Aube du XXème siècle, Casablanca, Imprimeries
Maghrébines, 1975. G. OVED, La gauche française et le
nationalisme marocain, Paris, L'Harmattan, Vol.1, 1984.
38 R. REZETTE, op. cit., pp. 269-284.
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pays (mossyirs)39. Le mossyir
influencera considérablement le fonctionnement des futurs partis
politiques. L'activité essentielle de cet agent est d'offrir aux membres
d'une cellule du parti, des cours d'alphabétisation en langue arabe et
de commenter les journaux du parti. Le mossyir est donc un
lettré, instrument de l'éducation politique et de
l'alphabétisation. En plus de l'interdiction du CALM et du PN, la
Métropole ordonne à la Résidence d'interdire toutes les
organisations politiques nationalistes marocaines, d'une part, et les cellules
des sections internationales ouvrières et communistes 40(SFIO
et SFIC), d'autre part.
Comme conséquence de cette première
effervescence politique, un mouvement syndical commence à se constituer.
En effet, le phénomène syndical est issu de la volonté des
nouvelles classes sociales marocaines de s'organiser. Cette nouvelle classe
sociale, largement représentée par un prolétariat issu
d'un exode rural entamé depuis le début des années 1930, a
commencé à s'élaborer avec la classe moyenne
européenne transplantée au Maroc. Ces premiers regroupements
syndicaux de la CGT sont essentiellement composés par des associations
professionnelles d'enseignants, de cheminots, de travailleurs postaux et
routiers. Si le phénomène syndical à ses débuts
était largement un fait européen, des anciens corps de
métier marocains intègrent progressivement la logique syndicale
dans leur fonctionnement. Néanmoins, comme pour faire avorter
l'émergence d'un mouvement syndical puissant, un dahir du 24
juin 193841ordonné par le Résident
Général Charles Noguès interdit à tous les
Marocains d'adhérer aux mouvements syndicaux.
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