Section 2 : Les explications macroéconomiques de
la mortalité des enfants
L'objectif de cette section est revisiter les travaux aussi
bien théoriques qu'empiriques qui mettent un accent particulier sur les
explications macroéconomiques de la mortalité des enfants. Elle
souligne les aspects macroéconomiques développés dans le
modèle de base de Mosley et Chen (1984).
2.1. Les aspects macroéconomiques du modèle
de Mosley et Chen
Analyser les données d'enquête sur plusieurs pays
semble un idéal pour à la fois tenir compte des variables
individuelles, des ménages et de la communauté et des variables
pays, telles que des politiques économiques. Un tel contrôle peut
permettre d'identifier les différentiels de santé dus à
des politiques gouvernementales différentes. Cependant, ce type de
données est relativement rare et ne permet pas encore des études
empiriques en panel ou avec un grand
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nombre d'observations-pays. Ainsi, la plupart des
études « macro » (transversales ou en panel) se basent sur des
observations agrégées par pays, et doivent ainsi adapter le
modèle « micro » des déterminants de la
mortalité des enfants. Il apparaît en effet essentiel de tenir
compte des relations au niveau « microéconomique » pour tenter
de définir les déterminants « macroéconomiques »
de la mortalité moyenne des enfants dans un pays donné.
Partant des modèles microéconomiques, il est
difficile d'intégrer les caractéristiques individuelles
à un niveau agrégé. A la limite, l'on peut
intégrer des variables comme le nombre moyen d'enfants par femme pour
approximer le rang « moyen » de naissance, ou comme l'âge moyen
des femmes au mariage ou au premier enfant pour approximer l'âge de la
mère à la naissance observé en moyenne dans le territoire.
Egalement, des statistiques concernant la propension des femmes à se
faire suivre durant leur grossesse ou à leur accouchement peuvent
être intégrées, dans la mesure où elles existent.
Cela étant, mise à part la variable concernant la
fertilité moyenne des femmes, des données statistiques sur les
variables évoquées dans ce paragraphe sont très
éparses. Ainsi les dotations génétiques et biologiques des
individus sont difficilement intégrables dans un modèle
agrégé.
En ce qui concerne les caractéristiques
ménages et communautaires, il semble nécessaire de
reprendre la classification de Schultz (1984), déjà citée
dans la section précédente et l'adapter à la vision
macroéconomique des déterminants de la mortalité des
enfants.
L'éducation des membres qui prennent des
décisions vis-à-vis de l'enfant influence les choix de
consommation, améliore ses savoirs en pratique de santé
(contraception, nutrition, hygiène, soins préventifs), etc.
L'éducation des parents et plus encore celle de la mère, sont
ainsi très souvent intégrées au niveau micro, puisque
l'éducation qu'ont reçue les parents informe sur leur niveau de
connaissances sur les soins à apporter aux enfants. Au niveau
macroéconomique, des variables sur l'éducation de la population
en âge d'être parent ou même, sur l'éducation des
femmes en âge d'être mères sont les plus à même
de refléter l'éducation de la population qui s'occupe des
enfants. Les taux de scolarisation dans le primaire ou le secondaire des
périodes précédentes, ou bien le nombre moyen
d'années d'éducation des adultes ou des femmes en âge
d'être mères sont souvent utilisées (Williamson et al.
(1997), Hanmer et al. (2003)). A ce propos, selon beaucoup d'analyses, dont
celle de Schultz (2002), l'éducation des mères est plus
importante que l'éducation des pères pour la santé des
enfants, ce qui semble logique dans le sens où ce sont plus souvent les
femmes qui s'occupent des enfants, les pères étant
généralement occupés au travail.
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Par ailleurs, les ressources financières étant
également un déterminant de l'état de santé des
enfants, il est nécessaire de noter l'existence de corrélations
entre le niveau de revenu et l'éducation. Les personnes
éduquées sont davantage productives et rapportent en
conséquence davantage de revenus ; d'un autre côté, les
revenus sont nécessaires pour s'éduquer. On retrouve ces
corrélations aux niveaux micro et macro.
Les facteurs culturels, normes de la
société, normes ethniques modifient également les
choix et pratiques en matière de santé, en fonction des relations
de pouvoir à l'intérieur du ménage, de la valeur
accordée à l'enfant, des croyances en matière de maladie,
des préférences alimentaires. Les normes sociales d'une
population peuvent ainsi avoir une influence, en moyenne, sur les comportements
de santé et donc sur la santé. Il est néanmoins difficile
d'approximer les caractéristiques culturelles à un
niveau agrégé. Cependant les informations sur les religions
majoritaires, ou celles sur le statut des femmes et/ou des enfants peuvent
être exploitées, par contre il semble difficile de trouver des
variables approximatives pour refléter les caractéristiques
ethniques. Les estimations avec les effets fixes peuvent permettre de
contrôler toutes ces variables « culturelles », si toutefois on
fait l'hypothèse qu'elles ne varient pas dans le temps. Certaines
études ont utilisé des informations sur l'égalité
des genres, comme Boehmer et al. (1996) qui, à partir de données
de 1990 sur 96 pays en développement, estiment que le statut des femmes
réduit la mortalité infantile. De même, Hanmer et al.
(2003), à partir d'un échantillon de 115 pays de 1960 à
1997, trouvent que l'égalité des genres réduit les taux de
mortalité infantile et infanto-juvénile.
Enfin, le niveau de richesse influence le
comportement en matière d'alimentation, de qualité et
quantité de l'eau, de vêtements, d'hygiène, de logement,
d'énergie, de transport, de soins préventifs, de soins maladie,
d'information. Ainsi, les ressources financières des ménages sont
souvent intégrées dans les modèles microéconomiques
des déterminants de la mortalité des enfants. En effet, un
minimum est nécessaire pour assurer une bonne alimentation et une bonne
hygiène de vie (consommation d'eau potable, eau pour se laver,
vêtements de rechange pour éviter les bactéries, etc.) Au
niveau macroéconomique, ces ressources sont généralement
approximées par le Produit Intérieur Brut moyen par
tête.
Les caractéristiques communautaires quant
à elles retiennent l'économie politique et le
système de santé. S'agissant de la première, elle
renvoie à l'organisation de la production mais aussi à la
qualité et à la quantité des infrastructures, des
institutions. Elle a une influence sur les moyens de comportement de
santé et sur la santé elle-même. Plus
particulièrement, la
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probabilité d'avoir un accident ou d'être victime
d'une agression dans une région donnée peut varier d'un
territoire à l'autre, selon le type de gouvernement, selon la
cohésion sociale, etc. Cela peut ainsi faire varier conséquemment
les taux de mortalité dans une région. Ainsi, certaines
études comme celles de Filmer et Pritchett (1997, 1999) ou de Fay et al.
(2005) trouvent que l'indice de fragmentation ethno linguistique, proxy de la
probabilité d'avoir des conflits internes entre ethnies, est un
déterminant significatif de la mortalité
infanto-juvénile.
L'organisation du système de santé a
toute son importance, que ce soit à travers les actions
institutionnelles (vaccination, quarantaines, etc.), les subventions,
l'information, l'éducation du public ou les technologies
employées. Ainsi, l'accès aux services de santé est
important à la fois pour la prévention et pour la
guérison. Il peut être approximé par des variables telles
que le nombre relatif de lits d'hôpitaux, le nombre de médecins,
d'infirmières ou de sages-femmes relativement à la population.
Néanmoins, ces variables ne traduisent pas la qualité du service,
qui dépend de l'éducation du personnel, des infrastructures de
santé, du matériel de fonctionnement. Les dépenses
publiques de santé peuvent compléter ces informations, mais ce
problème de « qualité » des dépenses demeure.
Les taux de vaccination contre la rougeole ou contre la diphtérie, la
coqueluche et le tétanos sont également des moyens mis à
la disposition des citoyens par les collectivités, le gouvernement ou
des organisations extra-gouvernementales.
De même, l'accès à des infrastructures
telles que les canalisations d'eau potable ou bien les systèmes de
traitement des eaux usées est aussi primordial pour la santé des
individus. Des données agrégées relatives à ces
variables existent mais sont peu fiables. Cependant, on peut penser que
celles-ci seront davantage accessibles dans un milieu urbain, plutôt que
rural. Des niveaux d'urbanisation du territoire peuvent ainsi être
intégrés pour approximer l'accès à tout un ensemble
d'infrastructures. C'est en ce sens que Fay et al. (2005) interprètent
les effets significatifs des taux d'urbanisation sur la santé des
enfants. Néanmoins, l'urbanisation peut aussi être associée
à une insalubrité, causée par la surpopulation et la
pollution.
2.2. Littérature macroéconomique de la
mortalité des enfants
Les études empiriques qui recherchent les
déterminants macroéconomiques de la mortalité ne sont
finalement pas très nombreuses, la plupart d'entre elles se focalisent
sur une ou plusieurs variables d'intérêt. Au final, les
mêmes variables, à peu de choses près, sont
utilisées pour approximer les déterminants
socioéconomiques de la santé.
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Ainsi, se basant sur des données de 1976, Cumper (1986)
a trouvé que 71% de la variation mortalité infantile était
expliquée par le PIB par habitant, le nombre de lits d'hôpitaux,
ainsi que le nombre de médecins et autres professionnels de la
santé. Filmer et Pritchett (1997, 1999), à partir d'un
échantillon de 104 pays en 1990, expliquent 95% des variations de la
mortalité infanto-juvénile avec le PIB par habitant, le
coefficient de Gini, le niveau d'éducation des femmes, l'indice de
fragmentation ethnolinguistique, et une variable muette indiquant si la
religion dominante est l'islam. Enfin, Hanmer et al. (2003), à partir
d'un échantillon de 115 pays de 1960 à 1997, estiment quelques
modèles et en concluent que le PIB par habitant, tout comme la
vaccination, la population par médecin, le taux d'inscription primaire,
le taux d'inscription secondaire et l'égalité des genres, sont
des déterminants robustes de la mortalité infantile et
infanto-juvénile.
En effet, le revenu moyen par habitant permet de mesurer les
capacités financières des ménages à avoir un
comportement sain vis-à-vis d'eux et de leurs proches mais aussi les
capacités financières des communautés à apporter
des infrastructures permettant d'assurer une bonne santé publique. Le
coefficient de Gini quant à lui permet d'évaluer la dispersion
des revenus. L'éducation des parents mesure les capacités
intellectuelles des ménages à avoir de bons comportements de
santé vis-à-vis d'eux et de leur famille. Elle permet aussi de
mesurer les capacités du personnel de santé à apporter des
soins de qualité à leurs patients. Les dépenses de
santé mesurent l'effort financier pour la santé, et enfin, les
variables de mesures sanitaires permettent de mesurer les efforts d'une autre
manière. Le taux de vaccination est d'ailleurs une mesure sanitaire
très facile à chiffrer et très efficace sur la
santé des enfants (Pritchett et Summers, 1996 ; Filmer et Pritchett,
1999 ; Hanmer et al., 2003).
L'étude de Pritchett et Summers (1996) basée sur
les données en panel de 58 pays, estime d'une part que plus le PIB par
habitant d'un territoire est élevé, plus faible est le taux de
mortalité infanto-juvénile de sa population. Les effets des
revenus sur la santé sont en partie le résultat de
l'agrégation des effets microéconomiques. D'autre part, les
revenus d'un pays permettent au gouvernement ou aux collectivités
locales de fournir à la population des biens publics, qui permettent
eux-mêmes de prévenir ou guérir la population. Ainsi, les
ressources financières d'un pays peuvent refléter l'effort
(possible) des gouvernements et des collectivités à fournir des
infrastructures préventives (comme les canalisations d'eau, les
systèmes de traitement des eaux usées, etc.), des infrastructures
et du matériel de santé qui permettent à la fois des
activités de prévention (à travers des informations, la
vaccination, etc.) et des soins
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curatifs. La qualité de ces services est
également liée aux moyens financiers mis en oeuvre et donc, dans
une certaine mesure, à ce niveau de revenus. Enfin, le niveau du PIB du
pays peut également refléter la possibilité de prise en
charge des soins par un système d'assurance maladie public.
D'autres études ne trouvent pas d'effet des
dépenses publiques de santé sur la réduction de la
mortalité infanto-juvénile. C'est le cas de Filmer et Pritchett
(1997, 1999) qui, malgré l'instrumentation du ratio de dépenses
publiques de santé sur PIB : ils ne trouvent pas d'effet significatif
sur le taux de mortalité infanto-juvénile. De même,
Wagstaff et Claeson (2004) sont plus nuancés et statuent que les
dépenses publiques de santé sont nécessaires mais pas
suffisantes.
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