Chapitre 1 : Problématique de la mortalité
infanto-juvénile
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La mortalité en général et celle des
enfants de moins de 5 ans en particulier, est un phénomène
démographique très préoccupant dans les pays en
développement notamment ceux de l'Afrique subsaharienne. L'analyse de ce
phénomène retient l'attention de plusieurs acteurs dont les
chercheurs (Mosley et Chen, 1984 ; Dackam, 1990 et Hamadou, 2012), les
décideurs et les gouvernants en ce sens que chacun l'appréhende
selon ses besoins spécifiques. L'intérêt de cette analyse
réside dans le fait que, en tant que composante de la dynamique de la
population, la mortalité reste aussi un indicateur de
développement social d'un pays. Elle permet non seulement
d'évaluer les programmes de santé mais aussi l'environnement
social, économique et naturel qui donnent une idée des conditions
de vie des populations. L'objectif de ce chapitre est de revisiter les
enseignements théoriques et empiriques développés dans ce
cadre. Ceux-ci peuvent être regroupés en explications
microéconomiques (section 1) et en explications macroéconomiques
(section 2).
Section 1 : Les explications microéconomiques de
la mortalité des enfants
L'objectif de cette section est de présenter de
manière succincte et sélective les différents travaux tant
théoriques qu'empiriques qui mettent en exergue les aspects
microéconomiques des facteurs explicatifs de la mortalité des
enfants dans les pays en développement. Elle s'articule autour de la
présentation du modèle de Mosley et Chen (1984) et de ses
extensions.
1.1. Le modèle de base de Mosley et
Chen
En s'inspirant du modèle des déterminants de la
fécondité de Davis et Blake (1956) et Bongaarts (1978), Mosley et
Chen ont développé un cadre d'analyse des déterminants de
la mortalité des enfants. Ce dernier est d'un grand apport dans
l'identification des variables explicatives pour l'étude de la
mortalité des enfants dans les pays en développement. En effet,
le schéma explicatif de Mosley et Chen reste à ce jour le cadre
d'analyse le plus complet et le plus utilisé dans les recherches sur les
déterminants de la morbidité et de la mortalité des
enfants dans les pays en développement.
Reprenant la hiérarchie établie par leurs
prédécesseurs, Mosley et Chen ont regroupé les facteurs
pouvant affecter le niveau de mortalité des enfants en deux groupes :
les déterminants proches ou variables intermédiaires, et les
facteurs socioéconomiques. Les déterminants
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proches se définissent comme étant les
mécanismes de base communs à toutes les maladies (infectieuses ou
parasitaires) et à travers lesquels tous les facteurs
socioéconomiques doivent opérer pour affecter la
probabilité de survie des enfants.
Les auteurs distinguent cinq catégories entre
lesquelles se répartissent les variables intermédiaires.
Premièrement, la catégorie « contrôle de
santé » inclut toute mesure destinée à
entretenir la santé des enfants. Il peut s'agir de pratiques
traditionnelles, tels que divers tabous (concernant l'alimentation, la
purification, etc.) ou modernes (vaccination et prophylaxie contre le paludisme
par exemple). Cette catégorie se réfère également
aux actions préventives et les traitements médicaux.
Deuxièmement, les facteurs maternels quant à eux
incluent le comportement de la mère tel que l'âge à la
naissance, les soins prénatals, le rang de naissance, l'espacement des
naissances. Troisièmement, la contamination de l'environnement qui fait
référence à la transmission des agents infectieux aux
enfants. Les principales voies de transmission sont entre autres l'air
pour les maladies respiratoires notamment ; la nourriture,
l'eau et les doigts pour les maladies intestinales, dont les
diarrhées ; la peau, le sol et les objets
inanimés pour ce qui est des infections de la peau, dont le
tétanos et enfin les insectes qui sont des vecteurs de
nombreuses maladies parasitaires et virales. Quatrièmement, les
déficiences en nutriments sont déterminées par
l'absorption de trois types de nutriments : les calories, les protéines
et les micronutriments (vitamines et minéraux). Il est important de
signaler à ce propos que la santé de l'enfant est fonction non
seulement de sa propre alimentation mais également, de celle de sa
mère. Cinquièmement, les accidents ou les agressions incluent
toute blessure physiologique, les brûlures et les empoisonnements. Bien
que les blessures accidentelles soient souvent considérées comme
le fruit du hasard à l'échelle individuelle, leur
fréquence dans une population reflète les risques présents
dans l'environnement, lesquels diffèrent selon le contexte
socioéconomique et géographique. Les blessures peuvent aussi
être infligées volontairement (circoncision et excision par
exemple).
Les déterminants proches jouent un rôle
intermédiaire (d'où leur nom de variables intermédiaires)
entre le niveau de la mortalité des enfants, qu'ils influencent
directement, et les facteurs socioéconomiques, culturels et autres, qui
ne peuvent avoir un impact sur la santé qu'à travers leurs effets
sur les déterminants proches (cf. figure 1 en annexe).
S'agissant des variables socioéconomiques, Mosley et
Chen les identifient à tous les facteurs susceptibles d'influencer
indirectement c'est-à-dire via les déterminants proches la
mortalité des enfants dans les pays en développement, qu'ils
soient de nature économique, sociale,
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politique, culturelle, géographique ou autres. Ils sont
subdivisés en trois groupes : les facteurs qui sont spécifiques
aux parents, ceux qui agissent au niveau de la cellule familiale et ceux dont
le rayon d'action englobe l'ensemble de la communauté (locale
régionale, nationale).
D'abord les caractéristiques individuelles qui
comprennent d'une part, les facteurs tels que les traditions, les
normes et les pratiques culturelles susceptibles d'influencer
la santé des enfants et d'autre part, l'instruction des parents.
S'agissant des premiers facteurs, les auteurs soulignent que les croyances et
les pratiques traditionnelles sont en partie fonction des connaissances
acquises dans le domaine pathologique qui sont générées et
entretenues par une population dans son ensemble et dans son histoire que par
un individu isolé. Ainsi donc, les facteurs relatifs aux comportements
culturels en matière de soins aux enfants sont
généralement associés aux caractéristiques de la
communauté.
En ce qui concerne l'instruction des parents, il apparait
clairement comme un déterminant majeur de la santé des enfants.
Les mécanismes à travers lesquels l'éducation influence la
mortalité des enfants sont à la fois économiques et
culturels. Tout d'abord, l'alphabétisation produit un effet par
elle-même. Les parents qui peuvent lire et écrire ont un
accès immédiat à l'information. Les femmes instruites ont
tendance, plus que les autres, à adopter des pratiques
hygiéniques, même très simples, susceptibles d'influencer
la santé des enfants. Plus important encore, une femme qui a
été scolarisée a déjà fait
l'expérience d'institutions autres que la famille. Elle hésite
moins à faire appel au personnel médical des services de
santé, elle est plus apte à retenir son attention et à
suivre ses conseils en matière de soins. La transmission du savoir n'est
pas le seul attribut de l'éducation susceptible d'affecter la
santé. La scolarisation réduit la dépendance par rapport
à la tradition dont sont garants les plus âgés des
villageois.
Ensuite, les caractéristiques du ménage incluant
le revenu et sa répartition au sein de la population et dans le
ménage constituent la caractéristique familiale la plus
déterminante pour la santé des enfants. Les ressources
économiques influencent la possession de toute une série de biens
et le recours à de nombreux services susceptibles d'affecter la
mortalité des enfants à travers leur impact sur les
déterminants proches. La disponibilité en eau potable et en
nourriture, garante d'un bon équilibre physiologique, ainsi que la
présence d'installations sanitaires, qui déterminent en partie le
degré d'exposition au risque, pour de nombreuses maladies infectieuses
et parasitaires, sont largement influencés par le niveau
économique du ménage. Aussi, la quantité et la
variété des aliments disponibles au sein de la cellule
familiale
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sont très importants du développement de
l'enfant et de l'équilibre physiologique de la mère, surtout
lorsque celle-ci est enceinte ou lorsqu'elle allaite.
Enfin, les caractéristiques de la communauté
sont de trois ordres : l'environnement écologique, le contexte politique
et le système de santé. La première renvoie aux
caractéristiques de l'environnement qui peuvent avoir des
conséquences sur le niveau de mortalité des enfants dans les pays
en développement. Elles incluent les facteurs aussi variés que le
climat, la nature du sol, la pluviométrie, la température,
l'altitude et les variations saisonnières. La seconde met en
évidence l'impact que peut avoir les conflits armés sur la
santé des enfants. Ces derniers peuvent produire des effets directs tels
que les blessures, les décès provoqués par les armes et
les effets indirects (impuissance des gouvernements fragilisés ou sans
cesse remplacés à gérer les affaires du pays, la
désorganisation des transports et des productions agricole et
industrielle, les problèmes d'approvisionnement en produits de
premières nécessités, etc.) La dernière se
réfère à la disponibilité et à
l'accessibilité (y compris la qualité) de l'offre de soins de
santé. Il regroupe plus particulièrement les infrastructures
sanitaires et la technologie médicale, les mesures préventives et
la réactivité, la subvention des prix de biens et services, la
promotion des services de santé et des pratiques
bénéfiques à la santé des enfants.
Les extensions du modèle de Mosley et Chen sont faites
pour la première fois par Barbieri (1991) lorsqu'elle souligne qu'il y a
des confusions dans le schéma de ses prédécesseurs. Pour
Barbieri, les variables intermédiaires telles qu'illustrées dans
le modèle de Mosley et Chen, regroupent des facteurs qui agissent sur la
mortalité des enfants à des niveaux très
différents. Car, si la catégorie des blessures peut avoir un
effet direct sur la mortalité, dans l'autre sens, pour les autres causes
Mosley et Chen ont identifié des facteurs agissant sur les causes de
décès plutôt que les autres causes de décès.
En tenant compte de cette critique, Barbieri propose trois types de
déterminants proches qui sont : l'exposition au risque, la
résistance (immunité) et la thérapie (soins). Le premier
comprend deux types de facteurs notamment ceux qui déterminent le
contact avec un agent de maladie ou qui renvoient au mode de transmission. Le
second quant à lui conditionne le type de réaction que l'individu
oppose à l'attaque biologique. Le dernier entraine ou prévient le
recours à un traitement de la maladie après que les
symptômes se soient manifestés. Après cette brève
présentation du modèle de base et de ses prolongements, une revue
de littérature microéconomique est faite dans la section
suivante.
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1.2. La littérature microéconomique sur la
mortalité des enfants
Pour identifier les principaux déterminants de la
mortalité des enfants, un grand nombre de travaux se sont
inspirés du modèle de Mosley et Chen (1984). Une synthèse
de cette littérature révèle que l'effet des facteurs
régulièrement convoqués reste sujet à débat.
Les facteurs qui reviennent régulièrement dans la
littérature et qui est sujet à débat sont entre autres
l'effet du capital humain des membres du ménage et celui des ressources
du ménage sur la mortalité des enfants.
L'hypothèse selon laquelle le niveau d'instruction de
la femme a un effet sur la mortalité des enfants a été
émise par beaucoup d'auteurs. A partir des données
nigérianes sur 6600 et 1500 jeunes femmes âgées de 15
à 59 ans résidant respectivement en milieu urbain et rural,
Caldwell (1979) met en évidence l'importance de l'instruction de la
mère dans la réduction de la mortalité infantile. Le
risque de mortalité est réduit de moitié pour les enfants
dont les mères ont atteint le niveau secondaire par rapport à
ceux dont leurs mères sont sans instruction. Ce résultat
trouvé par Caldwell est confirmé par les travaux de Lachaud
(2001) et Hamadou (2012) portant respectivement sur la modélisation des
déterminants de la mortalité infanto-juvénile et la
pauvreté aux Comores et, le lien entre les déterminants de la
mortalité infanto-juvénile et la pauvreté au Niger
fondés sur les données des Enquêtes Démographiques
et de Santé (EDSC et EDSN) respectives aboutissent aux mêmes
résultats selon lesquels le niveau d'instruction des parents, et surtout
celle de la mère a un effet négatif sur le risque de
décès des enfants. Selon ces auteurs, l'éducation le
mécanisme de transmission de cet effet est à la fois
économique et social. Par ailleurs, les résultats de
l'étude de Lavy et al., (1996) contrastent avec les travaux
précédents. Ces derniers estiment une fonction de survie pour les
enfants de moins de 5 ans au Ghana, et concluent que l'effet de
l'éducation de la mère n'est jamais significatif quel que soit
l'indicateur considéré.
L'étude de Banza (1998) révèle que la
probabilité de décéder entre le 1er et le
23ème mois est plus influencée par le niveau
d'instruction du père que celui de la mère. De plus, il constate
que le risque de décès est plus élevé pour les
mères qui ne sont pas allées au-delà du primaire par
rapport à celles qui ne sont pas scolarisées. Bien que le
père ne soit pas souvent le premier responsable des soins de l'enfant,
le fait qu'il soit instruit peut favoriser l'adoption par la famille (dont il
est en général le chef) de mesures d'hygiène salutaires
pour les membres du ménage et en particulier pour les enfants en bas
âge. Les connaissances acquises par le père à travers une
éducation formelle favoriseraient sinon l'abandon, du moins une
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flexibilité face aux règles traditionnelles dont
la division sexuelle du travail. Le père pourrait, du fait de son
instruction, être beaucoup plus impliqué dans la manière
d'élever ses enfants. Étudiant les mécanismes au travers
desquels l'instruction du père influence la survie de l'enfant, certains
auteurs notent une réduction de cette influence lorsque d'autres
variables socioéconomiques (revenu, activité, etc.) sont prises
en considération.
Les points de vue divergent selon les auteurs en ce qui
concerne l'effet que peut avoir les ressources du ménage sur la
mortalité des enfants. Ainsi, Wolfe et Behrman (1982) estiment dans une
étude sur le Nicaragua, la probabilité de décéder
avant l'âge de 5 ans. Ils concluent que ni le revenu potentiel de la
mère, ni celui du ménage n'est significativement associé
à la baisse de la mortalité. Plus récemment, Lachaud
(2001, 2004) étudie les déterminants de la probabilité de
survie infanto-juvénile et infantile fondés sur les EDS
respectivement aux Comores et au Burkina-Faso. A partir des informations sur
les actifs des ménages, l'auteur construit un indicateur de la richesse
à long terme des ménages à l'aide d'une analyse à
composante principale. A cet égard, l'étude montre que le bas
niveau de vie des ménages en termes d'actifs est associé à
une mortalité élevée des enfants. Bien que le fait de
contrôler pour la localisation géographique puisse capter une
partie des effets de la richesse des ménages, l'effet du niveau de vie
est dans tous les cas d'autant plus élevé que les groupes sont
pauvres.
Après cette brève présentation des
explications microéconomiques de la mortalité des enfants, la
section suivante s'attèle à donner les explications
macroéconomiques.
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