DEUXIÈME PARTIE :
LA MORALITÉ ET LE FONDEMENT DE
L'HUMANITÉ
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La réalisation de l'homme dans la vie en
société nécessite l'usage de ses facultés qui lui
confèrent hautement une certaine particularité sous laquelle il
se pense partout dans le monde. Cependant, les réalités de
l'existence se posent devant lui comme des obstacles interminables qu'il doit
franchir pour prétendre à une vie digne de son espèce. De
la sorte, la création des conditions devient des défis
énormes à relever en vue de son affirmation, et de même en
toutes circonstances dans le monde.
Il se pose comme être raisonnable qui, par sa
capacité à se représenter les lois morales, se
définit avec une certaine autonomie caractérisant sa
volonté. Cette définition l'élève ainsi comme un
être vivant qui, au lieu de subir les difficultés qui jalonnent
son existence, cherche sans relâche à créer les conditions
d'une vie digne de son être. Dès lors, la responsabilité
qui l'incombe est de répondre de tous ses actes, en les assumant pour sa
liberté, et même l'épanouissement social de tous. À
l'être humain, est reconnue la faculté de la moralité, non
pas en terme de contrainte, mais sous la forme d'une possibilité humaine
dans laquelle l'humanité en chaque être humain peut
raisonnablement s'affirmer.
Tous les actes qu'il pose laissent entrevoir des
emprunts dont les germes semblent être enracinés dans sa nature.
Ils sont tels qu'on ne pourrait en trouver ailleurs, chez d'autres
espèces vivantes en dehors de lui. Mais, si la moralité fait
partie de la nature de l'homme, alors comment justifierait-on sa
causalité ? La responsabilité de l'homme n'est-elle pas
d'accomplir son devoir dans le monde ?
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CHAPITRE I : LA MORALITÉ DANS LA NATURE DE
L'HOMME
Parler de la moralité dans la nature de
l'homme, c'est concevoir chez celui-ci la dimension morale liée à
son être en général et à tous les êtres
raisonnables en particulier. En ce sens, la moralité, apparaît
comme un élément déterminant qui comporte sa
multidimensionnalité dont la compréhension fondamentale repose
sur l'autonomie de la volonté. Le concept fondamental dans
l'accomplissement de la bonne volonté est l'autonomie. Elle se
révèle comme ce qui porte au fond ce dernier.
La possibilité semble être objectivement
donnée pour une meilleure saisie de la quintessence des séries
d'actions. La moralité dans la nature de l'homme, impliquerait que la
compréhension de celui-ci exige la maîtrise des
éléments définissant son être. L'autonomie de la
volonté, à cet effet, constitue sous la gouverne de la raison le
principe humanisant, et rendant digne la personne humaine puisqu'il lui
confère un certain pouvoir d'agir, indépendamment de toute
influence extérieure.
Par l'autonomie de la volonté, à la
limite de l'édifiant, importe-t-il aux êtres humains de se
respecter et de se considérer mutuellement, en vertu de cette
dernière. On peut comprendre qu'aucune contrainte extérieure,
quelle que soit sa nature, ne peut dompter ce pouvoir spécifique
à tous, et faisant de l'homme un être digne de respect et de
considération. Dès lors, que comprendre davantage de l'autonomie
de la volonté humaine ?
1- L'autonomie de la volonté humaine
La compréhension de l'être raisonnable,
selon Emmanuel Kant passe par la connaissance de la causalité de sa
volonté qu'est l'autonomie. Mais qu'est-ce que l'autonomie ? Le mot
autonomie a une racine grecque : autonomos, qui se
régie par ses propres lois, indépendant, autonome. C'est le
caractère de ce qui se donne
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à soi-même sa loi, de ce qui obéit
à sa propre loi75. À cette définition, est
intrinsèquement liée l'idée de liberté.
Ainsi, parler d'autonomie de la volonté
humaine, c'est concevoir l'homme en possession de tout son être, de son
unité, de son pouvoir d'agir indépendamment de toute contingence
extérieure. Dans cette acception que l'homme se fait de lui-même,
est enracinée sa conscience de la moralité :
Comme être raisonnable, faisant partie par
conséquent du monde intelligible, l'homme peut concevoir la
causalité de sa volonté propre sous l'idée de
liberté ; car l'indépendance à l'égard des cause
déterminantes du monde sensible (telle que la raison doit toujours se
l'attribuer), c'est la liberté. Or à l'idée de
liberté est indubitablement lié le concept de
l'autonomie, à celui-ci le principe universel
de la moralité, qui idéalement sert de fondement à toutes
les actions des êtres raisonnables, de la
même façon que la loi de la nature à tous les
phénomènes76.
Emmanuel Kant montre que l'homme, en
réalité, bien qu'étant dans le monde comme lieu de sa
réalisation effective, a une volonté déterminée
fondamentalement par l'autonomie, qui constitue le fondement de toutes ses
actions. Il est possible de noter qu'à ce niveau, se manifeste davantage
l'humanité. L'accomplissement du bien dans le monde se pose comme une
nécessité. Ce qui permet de comprendre que dans la
compréhension de l'autonomie de la volonté, la toute puissance de
l'homme qu'est la volonté se
révèle comme une propriété dont les êtres
raisonnables seuls en sont capables.
Tout être humain est digne d'un libre arbitre
qui impose de le traiter avec beaucoup plus d'égards. L'autonomie de la
volonté, qui est celle de l'homme fait ainsi l'objet d'un profond
respect, en vertu de toute sa puissance, capable de prendre des
décisions, de donner des orientations à la vie humaine ; et
même de promouvoir ce qu'il y a d'humainement recevable : le Bien
suprême. Toute la dignité de l'humanité est ainsi
consacrée et réside indéniablement dans l'autonomie de la
volonté humaine. En d'autres termes, la préférence que
nous
75 Jacqueline
Russ, Dictionnaire de Philosophie, Op. cit., p.
29.
76 Emmanuel Kant,
Fondements de la métaphysique des moeurs, Op.
cit., pp. 191-192.
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avons pour telle chose et l'aversion pour telle autre
ne saurait être l'expression d'une volonté extérieure
à soi. Mais, elle est le signe manifeste et réel de la
volonté humaine entièrement autonome.
De plus, l'autonomie, étant comprise comme ce
qui caractérise la volonté humaine, elle est logiquement
favorable à l'accomplissement du devoir. C'est ainsi que les
capacités à se transporter dans le monde intelligible et à
reconnaître l'autonomie, entrainent conséquemment la
moralité. Mieux, elle est l'expression de la capacité de l'homme
à accomplir des actions.
À présent nous voyons bien que lorsque
nous nous concevons comme libres, nous nous transportons dans le monde
intelligible et que nous reconnaissons l'autonomie de la volonté avec sa
conséquence, la moralité ; mais si nous nous concevons comme
soumis au devoir, nous nous considérons comme faisant partie du monde
sensible et en même temps du monde intelligible77.
En se concevant libre, vis-à-vis de tout objet
de l'expérience, l'homme s'offre, par conséquent le pouvoir de
soumission ou d'autorité. En cela, parler d'autonomie de la
volonté, c'est reconnaître à l'homme toute sa
dignité. Ainsi, nous pouvons noter que toute action, quelle qu'elle soit
; accomplit malgré ou bon gré est toujours le résultat
d'une certaine autonomie indéniable de la volonté humaine, qui
parvient à sa réalisation sous l'égide de la raison. Il
est nécessaire de comprendre l'homme sous l'autonomie de la
volonté car la compréhension même de son être
l'exige. Par ailleurs, son admission comme telle n'est pas audacieuse encore
moins curieuse.
Elle est nécessaire puisqu'il n'est pas
question de l'admettre par complaisance mais de se fixer pour le comprendre en
profondeur. La question qui se pose est celle de savoir ce qui
caractérise la volonté humaine. L'autonomie de la volonté
humaine est indéniable. Elle permet de comprendre que l'homme
possède une autonomie intérieure indépendamment de toute
influence. Elle s'exerce en vertu de sa puissance comme cause
efficiente par laquelle il se conçoit. Par elle, la
possibilité est donnée de saisir la quintessence des
actions
77 Emmanuel Kant,
Fondements de la métaphysique des moeurs, Op.
cit., p. 192.
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humaines, qui nous reste méconnues et
inexplicables sans elle. De plus, elle est enracinée dans « le
monde intelligible, qui contient le fondement du monde sensible, et par suite
les lois »78.
Elle s'expliquerait par son évidence qui
s'impose d'elle-même. Dans ce sens, elle est assortie d'une
nécessité qui s'impose aux hommes, de conformer les maximes de
leurs actions aux lois du monde intelligible. De cette manière, tout ce
qui est possible de voir comme actions accomplies par l'homme dans tous les
domaines de la vie, n'est qu'émanation du monde intelligible. Mieux,
« L'autonomie de la volonté est l'unique principe de toutes les
lois morales et de tous les devoirs qui y sont conformes »79.
Tout est conclu dans le monde intelligible avant d'être donné
à la vue dans le monde sensible. Cette effectivité se traduit en
actions aux formes diverses et variées.
Dans cet ordre d'idées, ce qu'il est possible de
souligner est la conviction
qui habite originellement en chacun de nous et qui est
certainement le présupposé moral fondamental. C'est en vertu
d'elle que sont pensées toutes les séries d'actions ;
c'est-à-dire celles qui sont conformes au devoir et celles qui sont
accomplies par devoir. La volonté du bien et du mal est suscitée.
En effet, la valeur de la volonté moralement bonne qui est la seule
chose qui soit absolument bonne et sans restriction, constitue le bon sens
partagé.
Elle repose sur un principe objectif, universel et
nécessaire et non sur des principes subjectifs, particuliers et
contingents. Si l'homme a une valeur absolue et non relativement à
quelque autre fin, son action doit être régie par
l'impératif catégorique moral, qui
prescrit à la volonté d'être bonne
absolument80.
C'est ainsi que l'on peut comprendre que la
volonté incite la personne morale raisonnable en général
et l'homme en particulier à mériter davantage le respect en tant
que des fins en soi. Dans cette perspective, Emmanuel
Kant ne nie pas le fait que l'homme puisse se servir dans certaines
circonstances, aussi de
78 Ibidem.
79 Emmanuel Kant,
Critique de la raison pratique, Op. cit., p.
179.
80 Mai Lequan,
La philosophie morale de Kant, Op. cit., p.
157.
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moyens dans le but de réaliser ses fins
pragmatiques de prudence [geschicklichkeit], mais ne doit réduire
l'humanité en sa seule personne. L'homme, pour ainsi dire, peut
être compris dans sa capacité à exprimer son accord ou
désaccord dans les échanges interhumains. En ce sens, Jürgen
Habermas, nous parle d'éthique de la discussion. Il écrit
à cet effet ceci :
Dans l'éthique de la discussion, c'est la
procédure de l'argumentation morale qui prend la place de
l'impératif catégorique. Elle établit le principe « D
» selon lequel peuvent prétendre à la validité les
normes qui pourraient trouver l'accord de tous les concernés en tant
qu'ils participent à une discussion pratique81.
Dans le cas de la manifestation de l'autonomie de la
volonté dans les échanges humains, l'homme, est capable de
ramener l'impératif catégorique au rang d'un principe
d'universalisation. Celui-ci dans les discussions pratiques assume le
rôle de règle d'argumentation morale. Ainsi, l'homme, autonome, se
convainc de l'exigence de la validité d'une chose. C'est par
conséquent de l'autonomie de la volonté de tous que l'on parvient
au consensus. Dans la discussion, on comprend de façon essentielle
l'autonomie complète qui ne se réalise que sous le sceau de la
volonté humaine. Elle est le principe d'actions du genre humain. Car
cette faculté, en s'exerçant, apparaît comme la
confirmation de tout ce qui est librement consentit en matière de
moralité82. En ce sens, le jugement moral exprime bien une
obligation.
L'autonomie de la volonté humaine se
présente comme la condition sous laquelle l'homme doit être
pensé en tant qu'être humain. Cette conscience d'autonomie qu'il a
de lui-même a pour conséquence la moralité. Elle est
l'expression de la soumission de la nature sensible à la nature
intelligible. Mieux, en se considérant comme membre législateur
du règne des fins, l'être raisonnable s'offre le pouvoir de
soumettre le monde extérieur pour une existence digne et
81Jürgen Habermas,
De l'éthique de la discussion, trad.
l'allemand par Mark Hunyadi, Paris, GF-Flammarion,
1991, p. 17.
82 Emmanuel Kant,
Fondements de la métaphysique des moeurs, Op.
cit., p. 181.
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humaine. Sous cet angle, la responsabilité de
l'homme se pose-t-elle avec acuité dans le monde sensible ?
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