2- La moralité dans l'imitation et
l'habitude
La recherche de la vertu est une quête pour
l'homme, et implique un effort sans fin. En effet, dans le cadre de la
moralité dans l'imitation et de l'habitude, l'exemple de sainteté
du Christ peut nous aider à comprendre mieux l'imitation et l'habitude.
Mais avant, il importe de faire une clarification étymologique. Selon
l'étymologie, par imitation, nous pouvons
entendre le mot : imitio, d'origine latine ; qui
désigne proprement, imitation, copie65. Dès lors, par
imitation, nous comprenons le fait d'imiter, de copier quelque chose, en
réponse à un besoin pour nous.
En ce sens, la raison entendue aussi come
faculté directrice et régulatrice de l'esprit humain, est
censée, pour ainsi dire, fournir à tout être humain la
représentation du bien en soi. Toute idée relative au bien trouve
sa source dans la raison. Elle est, à ce titre, la même qui nous
fournis la représentation des exemples de l'expérience,
témoignant ainsi de sa suffisance pour nous guider dans la quête
de la vertu :
On a donc nul besoin d'un exemple tiré de
l'expérience pour faire de l'idée d'un homme moralement
agréable à Dieu un modèle pour nous ; car elle se trouve
déjà en cette qualité dans notre raison [...]. Selon la
loi en effet, tout homme devrait équitablement fournir en
65 Jacqueline
Russ, Dictionnaire de Philosophie, Op. cit., p.
136.
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lui-même un exemple de cette Idée dont
l'archétype réside toujours dans la raison ; car aucun exemple de
l'expérience extérieure ne lui est adéquat du moment que
celle-ci ne saurait révéler le fond intérieur de
l'intention66.
Par conséquent, la moralité de
l'imitation des exemples d'hommes bons selon Emmanuel Kant est, certes utile,
mais nous devons nous abstenir d'admirer en outre les actes vertueux seulement
compatibles avec les devoirs de l'homme et qui n'ont rien de particulier. La
moralité réside dans l'effort à tirer le meilleur profit
possible de ce qui est humainement faisable.
Pour ce qui est du mot habitude,
il a une étymologie latine : habitudo.
Il renvoie à la manière d'être, état ou
comportement permanent acquis par la répétition et tendant
à s'effectuer automatiquement67. En conséquence, David
Hume, en recensant les matériaux de l'esprit souligne le rôle de
l'habitude, en montrant que la nécessité existe seulement dans
l'esprit et nullement dans les objets. À la question comment nous
acquérons la connaissance, de la cause et de l'effet, l'auteur
répond ceci : « C'est l'habitude, principe vital essentiel qui,
guide nos opérations spirituelles »68. C'est donc dire
que la relation de cause à effet se fonde sur l'habitude et la
répétition de l'expérience.
En revanche, Emmanuel Kant nous fait comprendre que
l'habitude revêt de la moralité quand elle sert à cultiver
nos dispositions primitives au bien en général. En cela
réside la moralité de l'habitude. La vertu est une aptitude
à la fois naturelle et habituelle (acquise). Par l'habitude, l'homme
l'acquiert progressivement, en améliorant davantage la
perspicacité et le jugement moral dans la quête de la vertu. En ce
sens, il soutenait que :
Il n'est précisément nécessaire
d'être un ennemi de la vertu, il suffit d'être un observateur de
sang-froid qui ne prend pas immédiatement pour le bien même le vif
désir de voir le bien se réalisé, pour qu'à
certains moments (surtout si l'on avance en âge et si l'on a
le
66 Emmanuel Kant,
Critique de la raison pratique, Op. cit., p.
166.
67 Jacqueline
Russ, Dictionnaire de Philosophie, Op. cit., p.
121.
68 David Hume,
Enquête sur l'entendement humain,
trad. de l'anglais par Michel Malherbe,
Paris, PUF, 2012, p. 42.
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jugement d'une part mûri par
l'expérience, d'autre par aiguisé pour l'observation) on doute
que quelque véritable vertu se rencontre réellement dans le
monde69.
Ici, Emmanuel Kant souligne la rareté des actes
vertueux. Ce n'est qu'à l'âge avancé que l'on
réalise cette évidence selon laquelle la vertu demeure quelque
chose de très rare, puisqu'il est possible de parvenir d'une part,
à la maturité du jugement et d'autre part à son
aiguisement sans atteinte pourtant la vertu. Ce qui revient à dire que
les acquis de l'expérience selon le point de vue kantien ne contribuent
qu'à renforcer progressivement la conduite humaine, en affermissant les
maximes. Dans ce sens, la conduite morale de l'homme résiderait dans la
sagesse acquise au fil du temps.
En plus, Emmanuel Kant soutient, cependant que le
mépris d'autrui à l'endroit de l'habitude est dû à
l'instinct qui l'anime, dans la mesure où il tend à chosifier
l'individu. Toutefois, cette aversion qui semble bien légitime est
contrariée et dépassé souvent par d'indéniables
avantages et profits de certaines habitudes adoptées volontiers. Il le
dit fort bien en ces termes :
Pourtant, certaines habitudes peuvent être
contractées et mises en place intentionnellement, quand la nature refuse
son aide à la libre volonté ; par exemple, l'âge venant, on
peut s'habituer à l'heure des repas, à leur qualité et
quantité de même pour le sommeil ; ainsi, on se mécanise
graduellement ; mais ceci ne vaut qu'à titre d'exception et en cas de
nécessité. En règle générale, toute habitude
est condamnable70.
On peut comprendre que l'homme est libre d'adopter
certaines habitudes en toute liberté. Dans ce sens en effet, toute
conduite que l'on contracte par habitude à l'âge avancé est
compréhensible. Dans la mesure où elle apparaît profitable
puisqu'elle répond à des besoins circonstanciels. Cependant, le
sujet moral soucieux de bonne conduite ne doit pas admettre l'habitude comme un
principe d'action, autrement toute action serait dépourvue de la valeur
morale. En conséquence, la moralité de l'habitude est qu'elle ne
saurait tenir comme règle en tout temps.
69 Emmanuel Kant,
Fondements de la métaphysique des moeurs, Op.
cit., p. 113.
70 Emmanuel Kant,
Anthropologie du point de vue pragmatique, Op. cit.,
pp. 51-52.
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En accordant une attention particulière
à tout ce que nous posons comme action, cela reviendrait à faire
honneur d'une certaine manière à la vision humaniste qui se veut
sobre et
sévère. L'éloquence dans les
deux aspects se poserait comme un effet de perspective en vertu de la puissance
suscitant de la représentation71. La moralité dans les
deux cas exige des êtres raisonnables des comportements s'inscrivant dans
l'objectivité tout en gardant leur liberté. Cette dernière
réside dans la capacité à exercer le sentiment moral qui
contient d'une certaine manière la moralité d'autant plus que
sans lui, l'homme serait quasiment inexistant sur le plan moral. Dans la mesure
où Emmanuel Kant fait remarquer que :
Il n'y a pas d'hommes qui soient dépourvu de
tout sentiment moral, car si quelqu'un était complètement
privé de toute réceptivité, à cette sensation, il
serait mort sur le plan moral (...), l'humanité (pour ainsi dire selon
les lois chimiques) se dissoudrait dans la simple animalité et se
fondrait immédiatement dans la masse des autres êtres
naturels72.
En conséquence, nous pouvons comprendre que
tout être humain, en possession de ses facultés sensorielles et
mentales, est censé être animé d'un sentiment moral. En
d'autres termes, le sentiment moral est l'expression de l'humanité. Son
existence est le signe le plus manifeste de l'humanité, puisque sans
sentiment moral, il n'en existerait pas en réalité. Pour que
l'humanité en chaque être humain puisse triompher et correspondre
aux attentes humaines, tout être raisonnable se doit de
privilégier ce qui l'humanise. Le bon sens est ce qui se doit
d'être partagé pour que l'homme s'apprécie
mieux.
De plus, l'être raisonnable se doit de traiter
son semblable avec beaucoup de respect et de considération puisque tout
être humain existe comme fin en soi. Si
l'être raisonnable est ainsi conçu, alors cette qualité
impose que chaque être digne de ce nom se doit de considérer son
semblable comme ce qui est infiniment au-dessus de tout prix : « Ce qui a
un prix peut être aussi remplacé par quelque chose d'autre,
à titre d'équivalent ; au contraire ce qui est supérieur
à tout prix, et
71 Michèle
Cohen-Halimi, Kant la rationalité pratique,
Paris, PUF, 2003, p. 117.
72 Emmanuel Kant,
Doctrine de la vertu, Op. cit., p. 244.
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par suite n'admet pas d'équivalent, c'est ce
qui a une dignité »73. L'être humain selon
Emmanuel Kant existe comme fin en soi. Mieux les
personnes comme il l'avance ont une valeur absolue,
et non relative74. Au nom de cette dernière, son traitement
exige de nous de la perspicacité.
Le sens humain de l'habitude et de l'imitation, est
celui de la dignité humaine,
considérée comme la pierre de touche par laquelle il est possible
d'évaluer l'action humaine sous toutes ses formes. Pour que la
moralité des actions puisse s'accommoder avec les attentes des hommes,
il importe de connaître la fonction qui est assignée à
l'exemple en général. L'importance se justifierait par le souci
de bien se conduire dans les rapports avec les autres.
Cette fonction permet de comprendre que la
moralité dans l'imitation réside principalement, dans le fait de
favoriser la culture des dispositions primitives au bien. Cela impliquerait que
la qualité d'être humain suppose que, pour favoriser un
développement digne et conséquent de conduites sociales dans les
relations humaines, il importe que la rationalité et la logique soient
de mise. Dans la mesure où elles confirmeraient la lucidité et la
pertinence d'une raison, répondant à un besoin
humaniste.
En somme, la moralité de l'habitude consiste
à comprendre qu'elle ne peut tenir en règle
générale. Car la dignité de l'homme prime dans le choix
des exemples. Elle suggère que le traitement de l'humanité, exige
qu'on domine les sens par une capacité d'élévation
à ce qui nous porte au point de vue universel : la Raison. Il en est de
même pour toutes les conduites sociales. Dès lors, si tout
être humain se définit avec une certaine dignité d'homme,
cela n'implique-t-il pas à placer la moralité au fondement de
toutes les actions humaines pour le triomphe de l'humanité ?
73 Emmanuel Kant,
Fondements de la métaphysique des moeurs, Op.
cit., p. 160.
74 Cette idée de
l'être humain comme fin en soi est manifeste dès
l'Antiquité grecque, dans la conception de la
liberté comme l'opposé de la servitude : « Nous appelons
libre celui qui est à lui-même sa fin et n'existe pas pour un
autre ». (Aristote Métaphysique 2,
982b 25-26).
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