CHAPITRE II : DES ACTIONS DE BONNE VOLONTÉ
À LA VOLONTÉ BONNE
La notion de bonne volonté dans sa
résonnance chez les hommes est presque la même. Pour le sens
commun, est de bonne volonté une personne qui répond promptement
à une sollicitation, ou encore qui accomplit volontiers des actions.
À ce stade, l'homme ne fait que témoigner de sa bonne
volonté, honorant ainsi l'humanité. Mais cette bonne
volonté n'apparaît pas toujours conséquente,
c'est-à-dire suivie d'effets. C'est pourquoi Emmanuel Kant fait la
distinction entre la bonne volonté et la volonté
bonne.
En ce sens, les actions de bonne volonté
désignent des actions accomplies par devoir. Ces actions n'étant
pas constamment fermes ou déterminantes, elles doivent selon Emmanuel
Kant articuler le vouloir et le pouvoir
(faire) pour se hisser au stade d'actions de volonté bonne
par le biais de la constance et de l'effort sans fin. Dans cette perspective,
nous verrons d'abord, en quoi consiste l'apport des exemples dans la promotion
de la moralité, qui exige aussi de nous l'effort de perspicacité,
de lucidité et de rigueur pour le plus grand bien du monde. Puis nous
analyserons l'imitation et l'habitude pour en dégager la
moralité.
Dans ce même ordre d'idées, nous
essayerons de comprendre le rôle déterminant de la volonté
sous la gouvernance de la raison dans l'accomplissement des différentes
actions. Nous tenterons de faire ressortir la connaissance selon laquelle ce
que nous donnons à nos semblables de voir est, en réalité,
l'aboutissement d'une « volonté de puissance », en tant que
signe du vivant qu'est aussi l'homme, dans la manifestation de son
humanité58. Dès lors, en quoi consiste la
moralité des exemples ? Qu'en est-il de cette dernière dans
l'imitation et l'habitude ?
58 Friedrich Nietzsche,
Ainsi parlait Zarathoustra, trad. de l'allemand par
Géneviève Bianquis, Paris, GF-Flammarion, 1969, p.
73.
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1- Les exemples dans la promotion de la
moralité
Il serait tout de même aisé pour chaque
être humain sur terre de se réclamer d'une bonne volonté si
le principe était qu'il suffisait de professer cette foi. En effet,
l'homme étant fréquemment maintenu au seuil de l'ignorance, est
sujet à toutes sortes de manipulation et de confusion. Dans ces
conditions, sa fragilité est liée à la facilité
avec laquelle il cède à certaines croyances. Par là, la
dimension affective est sujette au devenir.
La quête et la conservation du pouvoir politique
auxquelles se livrent les leaders politiques a pour finalité de
témoigner des exemples d'actions de bonne volonté, fragmentaires
et dispersés s'inscrivant selon eux dans l'intérêt des
peuples. Or, cette approche purement politique des choses requiert, selon
Emmanuel Kant une nécessaire méfiance. Ces actions de bonne
volonté doivent avoir pour objet le devoir qui contient la bonne
volonté. Par conséquent, de tels exemples d'actions ne peuvent
prétendre à fonder la moralité par la
répétition permanente de ceux-ci. Autant dire que les exemples
d'action dans ce domaine sont assortis d'intérêts inavoués
:
On ne pourrait non plus rendre un plus mauvais service
à la moralité que de vouloir la faire dériver d'exemples.
Car tout exemple qui m'en est proposé doit lui-même être
jugé auparavant selon les principes de la moralité pour qu'on
sache qu'il est bien digne de servir d'exemple originel, c'est-à-dire de
modèle ; mais il ne peut nullement fournir en tout premier lieu le
concept de moralité59.
Dans ce contexte, cela signifie que les exemples
d'actions de bonne volonté à ce niveau, ne fondent pas pour
autant la moralité en elle-même. Il faut noter que le fait que
certains hommes pensent tirer la moralité de l'expérience
s'illusionne en ayant recours à certains exemples d'actions. En effet,
le domaine religieux témoigne d'exemples de Saints. Dans l'Église
catholique, par exemple, les croyants sont appelés à s'inspirer
d'eux pour le raffermissement de leur foi. Mais quelle est la conception
kantienne de tels exemples ? Dans ce domaine,
59 Emmanuel Kant,
Fondements de la métaphysique des moeurs, Op.
cit., p. 115.
60 Emmanuel Kant,
Fondements de la métaphysique des moeurs, Op.
cit., pp. 115-116.
61 Emmanuel Kant,
Fondements de la métaphysique des moeurs, Op.
cit., p. 89.
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Emmanuel Kant nous édifie, en mettant en avant
la capacité de raisonnement et de distinction de l'homme :
Même le Saint de l'Évangile doit
être d'abord comparé à notre idéal de perfection
moral avant qu'on le reconnaisse pour tel : aussi dit-il de lui-même :
pourquoi m'appelez-vous bon moi (que vous voyez) ? Nul n'est bon (le type de du
bien) que Dieu seul que vous ne voyez pas60.
La moralité devant être comprise de la
conception kantienne de tels exemples d'hommes bons est rationnelle. Ainsi,
Emmanuel Kant soutient que même si telle est l'obligation morale de
l'homme, cela n'exclut pas pour autant sa raison qui lui prescrit, par ailleurs
des impératifs catégoriques. Par conséquent, les exemples
d'hommes bons, quels qu'ils soient ne doivent prétendre aucunement
à fonder le principe suprême de la moralité. Seulement, ils
doivent être considérés comme la preuve tangible que la
vertu est réalisable. Pour cela, l'homme doit s'élever à
la volonté bonne, caractérisée par la fin en soi
:
Ce qui fait que la bonne volonté est telle, ce
ne sont pas ses oeuvres ou ses succès, ce n'est pas son aptitude
à atteindre tel ou tel but proposé, c'est seulement le vouloir ;
c'est-à-dire que c'est en soi qu'elle est
bonne61.
En outre, les actions de bonne volonté sont
souverainement estimables, quoi qu'elles ne soient pas le Souverain Bien,
c'est-à-dire le bien complet, union de bonheur et de vertu. Dans ce
même ordre d'idées, Emmanuel Kant reconnaît une vertu
limitée des exemples dans la promotion de la moralité. Il indique
en effet que les éducateurs sont tenus d'en faire un bon usage, par des
choix d'exemples d'actions réfléchis pour la formation du
jugement moral des individus. La moralité de ce fait, doit porter les
représentations des êtres raisonnables. C'est ainsi que les
exemples doivent être choisis :
Car la représentation du devoir et en
général de la loi morale, quand elle est pure et qu'elle n'est
mélangé d'aucune addition étrangère de stimulants
sensibles, a sur le coeur humain par les voies de la seule raison ( qui
s'aperçoit alors qu'elle peut-être pratique par
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elle-même) une influence beaucoup plus puissante
que celle de tous les autres mobiles que l'on peut évoquer du champ de
l'expérience62.
La pureté de la moralité exige une
certaine rigueur dans le choix des exemples pris dans le cadre de la formation
du jugement moral de l'individu. Il nous donne de comprendre que les exemples
d'actions de bonne volonté de façon générale, ne
doivent servir qu'à titre illustratif. Ce qui implique qu'ils doivent
constituer les raisons d'agir des hommes. Ils doivent témoigner
rationnellement de la possibilité de réalisation de la vertu dans
la vie sociale. L'apport des exemples d'actions de bonne volonté est
ainsi admis.
Pour donner plus de consistance et de
légitimité à la notion d'exemple
dans le champ de la bonne conduite, Emmanuel Kant nous
établit explicitement une distinction importante à propos de
cette dernière :
Le mot allemand Beispiel (exemple)
que l'on emploie communément comme l'équivalent du
mot (Exempel) n'a cependant pas la même
signification. Prendre un exemple de quelque chose (ein exempel
nehmen) et introduire un exemple (ein Beispiel
enfhüren) pour expliquer une expression sont deux
idées tout à fait différentes. L'exemple
(Exempel) est un cas particulier d'une règle
pratique pour autant que cette règle représente une action comme
praticable ou impossible. Au contraire l'exemple (Beispiel
n'est que le particulier (concretum)
représenté comme compris sous l'universel
d'après des concepts et ce n'est que l'exposition théorique d'un
concept63.
L'exemple peut être compris suivant deux
régimes. Selon le premier régime, il s'agit du recours qui sert
la fin de la méthodologie, par lequel on soumet progressivement la
faculté de juger de l'homme à des Exemples
de la légalité. Quant au second régime, il
concerne des exemples de la moralité. De cette
manière, nous avons des représentations belles
de ce qui est conforme à la loi
morale, puis des représentations sublimes
de ce qui est fait par pur devoir.
De plus, l'exemple permet l'établissement d'une
règle générale à travers un cas particulier de
cette règle. Il représente l'action comme praticable ou
impraticable. Mais ici, ce qu'il est possible de comprendre d'un point de
vue
62 Emmanuel Kant,
Fondements de la métaphysique des moeurs, Op.
cit., p. 119.
63 Emmanuel Kant,
Doctrine de la vertu, Op. cit., pp.
157-158.
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kantien à propos des exemples ou d'actions de
bonne volonté, emprunts de moralité, c'est qu'ils ne
représentent pas l'établissement d'une règle mais
l'invention d'un modèle pouvant constituer un véritable motif
pour l'accomplissement du devoir. C'est probablement d'une telle manière
que nous pouvons comprendre pourquoi le choix des exemples ou d'actions de
bonne volonté requiert beaucoup de lucidité et
d'intelligibilité en vertu de leur fonction pédagogique pour la
société. La volonté bonne y est
consacrée.
Le recours à des exemples ou des actions de
bonne volonté, voudrait que la conscience morale préside à
ceux-ci, de sorte qu'ils puissent porter en eux les traces de l'effort. Ainsi
à la lumière de la raison, se règlent et se construisent
les comportements liés à la vie publique. Dans la mesure
où ce que nous accomplissons dans le domaine de l'agir, est susceptible
de s'arracher une portée sociale. Dans la tradition grecque antique, les
hommes qui s'illustrent mieux de par leur courage, leur ténacité,
s'étaient vu adresser des éloges ou des cantiques qui les
élevaient comme des modèles pour toute la Cité. Cette
reconnaissance, importait pour les Grecs, d'autant plus qu'ils (ces
héros) incarnaient des idéaux dignes de la Cité
entière.
Les Grecs pouvaient trouver en ces hommes de
l'intérêt en raison de : « la moralité [Sittlichkeit]
et la certitude morale qui n'ont jamais cessé d'être
recommandées (...) de sorte que celui qui les possède ne peut
jamais se trouver désemparé, ou seulement inquiet
»64. D'un tel point de vue, il est possible de comprendre
à quel point l'exemple en lui-même revêt une dimension
pédagogique et instructive du point de vue sociétal. Les
conduites en société exigent de nous des comportements
décents et désirables ; en lesquels résident le
développement harmonieux et la conscience morale d'une appartenance
partagée à une société digne.
Au demeurant, les exemples dans la promotion de la
moralité dans tous les domaines de la vie, selon Emmanuel Kant, ne
peuvent être considérés que comme
64 Friedrich Schleiermacher,
Conférences sur l'éthique, la politique et
l'esthétique, Op.cit., pp. 218-219.
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des preuves devant inciter les hommes à agir
inlassablement dans l'intérêt de
l'humanité. En conséquence, la fonction
assignée aux exemples est essentiellement pédagogique et
provisoire. Leurs emplois exigent la conscience morale puisqu'il importe que
les actions de bonne volonté constituent une volonté bonne. Cette
dernière est caractérisée par le courage, la
fermeté et l'effort sans fin. En ce sens, les exemples doivent comporter
ces
vertus, puisqu'ils servent de preuves tangibles dans
la quête du Bien Suprême. À la lumière de ce qui
précède, en quoi consiste la moralité dans l'imitation et
l'habitude d'un point de vue kantien ?
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