2- La moralité et l'expression de la loi
morale
La moralité comme nous l'avons vu
précédemment trouve son origine dans la raison de l'être
humain. En effet, en postulant cette dernière en rapport avec la loi
morale, c'est tenter de comprendre comment se justifie l'influence de celle-ci
dans la conduite humaine. La raison, qui seule peut fournir des règles
refermant quelque nécessité, donne aussi la possibilité de
comprendre le respect que l'homme à tendance à exprimer par
humanité. Cette tendance, à observer de près se rattache
immédiatement à l'intelligence humaine. Elle constitue
l'expression de la loi morale en chaque être raisonnable. Dans la
compréhension de l'universalité de la moralité, la raison
pure pratique selon Emmanuel Kant permet à l'autorité la loi
:
Le respect pour la loi n'est pas un mobile pour la
moralité, mais il est la moralité même,
considérée subjectivement comme mobile, en ce sens que la raison
pure pratique en enlevant à l'amour de soi toute prétention
contraire donne de l'autorité à la loi, qui dès lors a
seule de l'influence.41
L'admission du rapport de la moralité et
l'expression de la loi morale apparaît compréhensible. Il est
tenable dans la mesure où la moralité représente la loi
elle-même. C'est elle également qui rend décisive la
raison, qui permet à l'homme d'assumer ses responsabilités. Elle
confirme davantage la lucidité de la conduite dans les rapports sociaux.
Cette possibilité pourrait s'expliquer par le fait qu'elle montre
rationnellement comment l'homme parvient à se décider en tant que
tel. La moralité renvoie à l'expression de la loi morale par
laquelle s'exprime indépendamment la volonté humaine. Elle exclut
toute dépendance extérieure et suppose que le «
caractère essentiel de la valeur morale des actions c'est que la loi
morale détermine immédiatement la volonté
»42.
De plus, il importe de noter que le siège de la
loi morale se trouve dans la raison pure pratique. Elle constitue «
seulement un énoncé sur quelque chose qui
41 Emmanuel Kant,
Critique de la raison pratique, Op. cit., p.
249.
42 Emmanuel
Kant, Critique de la raison pratique, Op. cit., p.
245.
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doit [Soll] arriver dans le domaine de la raison et
par cette dernière »43. Par conséquent, Friedrich
Schleiermacher reconnaissait ce point précis, selon lequel la loi morale
n'est rien d'autre qu'un fait [factum] de la raison.
Pour lui, l'homme doit réaliser ce fait dans le champ de la raison et
par elle. En plus, Emmanuel Kant soutenait bien auparavant que « la raison
pure est pratique par elle seule, et donne (à l'homme) une loi
universelle, que nous appelons la loi morale »44. En
conséquence, la loi morale est à comprendre comme une
représentation de la raison45 en vertu de laquelle l'homme
édifie l'humanité dans son élan de perfection.
La raison qui ordonne les conduites sociales, convainc
intérieurement la personne morale de ce qui serait convenable de faire.
Ainsi les hommes ont tendance à se soumettre volontiers à ce qui
est excellent et honorable. On comprend, dès lors que même si,
d'un côté, les intérêts tendent à influencer
les comportements, il importe d'y oeuvrer pour la sainteté de
l'humanité. :
La loi morale est, pour cette raison, un
impératif qui ordonne catégoriquement,
parce que la loi est inconditionnée ; le rapport d'une telle
volonté à la loi est la dépendance
désignée par le terme d'obligation qui signifie une
contrainte, imposée toutefois par la raison et
sa loi objective, à une action qui est appelée
devoir 46.
Dans cette considération, la loi morale
constitue remarquablement un fait humain. Dès lors, la moralité
considérée comme l'expression de la loi morale qui porte la
personne humaine au grand profit de l'humanité est, en
réalité, la source d'obligation morale dont elle ne peut se
départir humainement. Aussi parce que la constitution biologique de
l'homme lui donne le privilège de la raison qui lui impose de bien agir.
Elle est la faculté dirigeante et régulatrice de l'action. C'est
pourquoi, toute conduite humaine doit être portée par un souci de
traitement de l'humanité comme fin en soi :
43 Friedrich Schleiermacher,
Conférences sur l'éthique, la politique et
l'esthétique, trad. de l'allemand par Jean-Marc
Tétaz, Paris, LABOR ET FIDES, 2011, pp. 251-252.
44 Emmanuel Kant,
Critique de la raison pratique, Op. cit., p.
128.
45 Friedrich Schleiermacher,
Conférences sur l'éthique, la politique et
l'esthétique, Op. cit., p. 151.
46 Emmanuel Kant,
Critique de la raison pratique, Op. cit., p.
129.
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Agis de telle sorte que tu traites l'humanité
aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en
même temps comme une fin, et jamais simplement comme un
moyen47.
Ainsi, le devoir qu'Emmanuel Kant préconise est
d'oeuvrer à la fois pour la sauvegarde et le respect de l'espèce
humaine. La personnalité doit se confondre avec la loi morale, et c'est
la loi morale qu'il faut respecter chez soi et chez les semblables. La
recevabilité des comportements humains est tributaire de la
moralité qui y préside. La moralité, en tant que source
des valeurs doit être au fondement de toutes nos actions. Le traitement
que nous réservons aux êtres raisonnables doit être
compatible avec la rationalité de la moralité. Aussi parce que la
« loi morale est par elle-même un mobile, au jugement de la raison ;
et la prendre pour maxime, c'est être bon moralement »48.
Suivant ce principe, la rationalité du monde semble se mesurer au
degré de bienveillance dans les rapports interhumains.
Cette intelligibilité doit se
caractériser par des dispositions parfaitement humaines qui, cependant,
méprisent tout ce qui va contre la dignité humaine. La
malveillance serait de ce fait ce qui est moralement
répréhensible. En effet, l'homme doit avoir le souci de la
moralité de ses actions. Il doit se donner les moyens pour qu'elles
tiennent du point de vue anthropologique puisqu'il ne s'agit pas de se
représenter les lois morales, mais aussi vouloir leur effectuation dans
le monde sensible49. Pour ce faire, il doit établir par la
raison toute la nécessité de fonder la moralité sur des
principes rationnels et inébranlables50.
La raison en rapport avec la loi morale pour tous les
êtres raisonnables, créent la nécessité
morale. Elle constitue une contrainte, c'est-à-dire une
obligation morale. Toute action fondée en raison, implique qu'elle soit
représentée comme un devoir. Ce dernier traduirait, par
conséquent, notre
47 Emmanuel Kant,
Fondements de la métaphysique des moeurs, Op.
cit., p. 150.
48 Emmanuel Kant,
Religion dans les limites de la simple raison, trad.
de l'allemand par André Tremesaygues, Paris, PUF, 1946, p.
27.
49 Emmanuel Kant,
Fondements de la métaphysique des moeurs, Op.
cit., p. 121.
50 Ibidem.
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capacité à agir comme la divinité
en adoptant par là même une nature inaltérable. C'est
justement de cette manière que la loi morale traduit toute sa
pureté ou sainteté
indépendamment de toute influence extérieure. C'est
en ce sens qu'Emmanuel Kant ajoute que :
La loi morale est en effet, pour la volonté
d'un être absolument parfait, une loi de la
sainteté, mais elle est, pour la
volonté de tout être raisonnable fini une loi du devoir, de la
contrainte morale et de la détermination de ses actions par le
respect pour la loi et par la
vénération pour son devoir51.
L'expression de la loi morale, comporte un principe
objectif dans la volonté de tout être humain. Pour cette raison,
les dispositions morales nécessitent des impératifs capables de
servir de modèles pour notre conduite ainsi que celle de nos semblables.
Elles sont indépendantes. Elles sont caractérisées par une
loi de la sainteté et
déterminées par le devoir. En plus, cette tendance vers le bien
moral apparaît honorable pour l'humanité. L'homme exprime par elle
ce qui l'élève au dessus des autres espèces vivantes de la
nature : l'humanité. Cette tendance se donne à voir par des
comportements reflexes qui découlent de
l'intériorité de l'homme. Toute chose dans la nature agit
d'après des lois, mais l'homme n'est que le seul être raisonnable
capable d'agir « d'après la représentation des lois,
c'est-à-dire d'après les principes, en d'autres termes, qui ait
une volonté »52.
Tout principe moral établi avec soin doit
être susceptible de créer une influence positive sur le coeur
humain. Cette influence intérieure devrait être
considérée comme l'expression de la loi morale en tout être
humain. En ce sens, l'intégration des principes moraux dans la gestion
des affaires publiques peut être d'une importance capitale. Elle permet
de comprendre que les hommes, malgré leurs différences naturelles
ont en partage le sens de la loi morale. L'universalité de la
moralité considérée chez les êtres humains exclut
toute représentation divine ou extérieure. Elle impose, par
conséquent la bonne conduite. Que représente donc l'expression de
loi morale chez Emmanuel Kant ? En utilisant cette notion
51 Emmanuel Kant,
Critique de la raison pratique, Op. cit., p.
193.
52 Emmanuel Kant,
Fondements de la métaphysique des moeurs, Op.
cit., p. 122.
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de loi morale, Emmanuel Kant
voudrait réaffirmer davantage le caractère
impératif de la moralité dans les conduites
humaines. Ensuite il montre à quel point elle exige de l'homme la ferme
volonté, la conscience morale en toutes circonstances.
Si la moralité est admise dans un rapport
à l'expression de la loi morale, du moins comme une
représentation de l'homme, elle ne saurait revêtir le
manteau de la contrainte. Pour la simple raison que « le
respect pour la loi morale est l'unique et en même temps l'indubitable
ressort moral. Ce sentiment ne peut être porté à aucun
objet, si ce n'est pour cette raison seulement »53. En
conséquence, une telle affirmation pourrait se justifier dans la mesure
où le contenu des représentations est suscité par la
raison. Cette faculté en son usage pur vient confirmer
l'universalité de la moralité. Elle offre la possibilité
de comprendre que :
Les Idées ne permettent pas un usage
constitutif pour la connaissance, mais peuvent cependant, à titre
d'Idées régulatrices, ouvrir un horizon pour s'orienter dans la
pensée54.
L'immense intérêt que procure la raison,
comporte la production des Idées. Sans permettre nécessairement
l'usage constitutif de la raison, elles peuvent en outre offrir un chemin pour
la pensée. Dans cette logique, la moralité formulée en loi
morale revêt tout son sens d'autant plus que l'usage pur de cette raison
nous produit les concepts devant diriger notre esprit, notre façon
d'être et de nous conduire en société. La moralité
conduisant à l'expression de la loi morale, pourrait traduire la
volonté d'inciter les individus à ordonner leurs conduites
à la lumière de ces « Idées régulatrices
». On peut noter que le caractère impératif de la
moralité qui se dresse sous forme de loi morale constitue une
manière de donner plus de légitimité et de portée
humaine à cette disposition digne de l'intelligence humaine.
53 Emmanuel Kant,
Critique de la raison pratique, Op. cit., pp.
188-189.
54 Jean-Marie Vaysse,
Le vocabulaire de Kant, Paris, Ellipses
Éditions Marketing, 1998, p. 45.
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La représentation de toute idée pourrait
s'inscrire dans un élan de recherche de la perfection propre à
l'espèce humaine. Pour cette raison, le développement des
dispositions naturelles devient comme des défis, dans la mesure
où il est un être sociable. Cette sociabilité s'exprimant
différemment, complique davantage l'uniformité. D'où la
nécessité de se conduire seulement d'après des principes
identiques, pouvant devenir pour une autre nature, source d'harmonie sociale.
Dans cette recherche de perfection, abondent les idées,
considérées comme des formulations de la raison. La
définition de l'idée est, par conséquent, la recherche
d'un accomplissement dans l'expérience. En ce sens, Emmanuel Kant
écrit que « L'idée n'est rien d'autre que le concept d'une
perfection, qui ne s'est pas encore rencontré dans l'expérience
»55.
En outre, pour Johann Fichte, « le principe de la
moralité est l'idée nécessaire de l'intelligence, (...).
Le contenu de cette idée est que l'être libre doit [Solle] ; car
Devoir est qu'il doit placer sa liberté sous une loi
»56. Dans cette affirmation, la moralité se
révèle comme l'expression de l'intelligence humaine. En effet,
dans cet élan d'expression humaine, la considération de la
moralité comme loi morale signifierait que les êtres raisonnables
doivent discipliner leurs libertés et leurs conduites sociales par les
moyens humains possibles. La qualité d'être humain impose que
chaque homme agisse avec la conscience de la moralité qui est
nécessaire pour l'accomplissement du bien dans le monde. Dans la mesure
où la vie humaine ne saurait être menée sans
intelligence.
En somme, il convient de retenir que la liberté
caractérise de façon fondamentale la loi morale chez les
êtres raisonnables. Dans cette logique précise, la
responsabilité des hommes s'impose partout et implique la culture de la
raison dans le traitement de l'humanité. Il importe que la
moralité considérée en rapport avec l'expression de la loi
morale soit reconnue comme l'expression de
55 Emmanuel Kant,
Réflexions sur l'éducation, Op. cit., p
12.
56 Johann Fichte,
Système de la doctrine des moeurs d'après les
principes de la Doctrine de la science, trad. de l'allemand par
Paul Naulin, Paris, PUF, 1986, p. 175.
31
l'intelligence humaine57. De fait, on
pourrait également noter que seules de telles conduites dignes des
êtres humains contiennent l'affirmation de l'humanité qui
caractérise le genre humain. Cependant, la bonne volonté
suggère-t-elle immédiatement la moralité ?
57 Emmanuel Kant,
Critique de la raison pratique, Op. cit., p.
129.
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