PREMIÈRE PARTIE :
LE CONCEPT DE MORALITÉ
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Dans les Fondements de la
métaphysique des moeurs, Emmanuel Kant présente le
concept de moralité comme un bien universel19. Il s'adresse
à chaque être raisonnable et sert par conséquent de loi
dont la conscience sommeille en tous. Agir sans cette conscience, c'est agir
sans valeur morale. Nonobstant, il n'est pas rare d'observer que dans les
conduites humaines, la moralité semble perdre son universalité
dans la mesure où les hommes la réduisent à leurs
intérêts personnels et égoïstes. C'est dans cette
perspective qu'Emmanuel Kant soutient que la moralité est la condition
qui fait que l'homme est une fin en soi et en
même temps membre législateur du règne des
fins. Il incite alors l'homme à bien agir. Ce qui lui vaut
de placer la moralité au fondement de toutes ses actions pour le
triomphe de l'humanité.
En admettant l'existence humaine comme
l'accomplissement du libre arbitre, les hommes se
doivent d'être objectifs. Ce qui implique que
leurs actions peuvent et doivent se soustraire des mobiles sensibles
pratiquement constitués par l'hétéronomie. La
volonté étant emportée par les désirs, les
impulsions, les actions dont il témoigne ne portent aucune marque
distinctive d'universalité de la moralité. Or les exemples sont
censés porter la marque de maximes universalisables. C'est pourquoi,
même dans l'imitation des choses, de la nature ou du monde, les hommes se
doivent de privilégier la dimension morale et éthique qui les
associe au règne des fins. Il en va de
même pour l'habitude. N'est-ce pas cette façon de se conduire qui
confère et justifie raisonnablement l'idée d'universalité
de la moralité ? Si l'homme est doué de raison ne doit-il pas
avoir une volonté plus ferme et déterminante pour des actions
morales ?
19 Emmanuel Kant,
Fondements de la métaphysique des moeurs, Op.
cit., pp. 138-141.
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CHAPITRE I : L'UNIVERSALITÉ DE LA
MORALITÉ
En supposant l'universalité de la
moralité, c'est comprendre qu'elle constitue un principe d'action digne
de respect, susceptible d'échapper à toute contradiction, et
pouvant être appliquée partout, et en toutes circonstances. En
effet, l'universalité de la moralité s'explique aussi par le fait
qu'elle ne consiste pas à décrire seulement les croyances
communes au sujet des moeurs, mais qu'elle s'étend à tous les
êtres raisonnables en général et surtout à tous les
hommes en particulier.
De fait, nous avons la moralité qui suppose
l'accomplissement du devoir. Elle revêt d'une
certaine manière la spécificité qui confère
à l'homme toute sa dignité et sa grandeur d'esprit. Par la
raison, l'homme jouit d'une connaissance morale portée par un
pur respect de la loi pratique. De cette
manière, il est capable de comprendre, par celle-ci que la valeur morale
de ses actions ne réside pas dans les effets que l'on voit. Bien au
contraire, elle réside dans les principes intérieurs
selon lesquels elles sont accomplies. Comme l'affirme Emmanuel
Kant : « Et cependant, c'est dans cette volonté seule que le
souverain bien, le bien inconditionné, peut se rencontrer
»20.
Le fait de considérer la moralité et
l'expression de la loi morale, constitue une
manière de comprendre le caractère impératif de la
moralité dans les conduites sociales. De fait, il importe pour les
hommes de reconnaître l'importance de la moralité de toutes les
actions, qui doit être le simple traitement des êtres raisonnables
comme fin en soi21.
Ce qui signifie que les conduites humaines doivent être
absolument bienveillantes. Elles doivent témoigner de l'humanité
en nous partout et en toutes circonstances. Dès lors, que comprendre
humainement de la moralité et l'accomplissement du devoir ?
20 Emmanuel Kant,
Fondements de la métaphysique des moeurs, Op.
cit., p. 101.
21 Emmanuel Kant,
Fondements de la métaphysique des moeurs, Op.
cit., p. 150.
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1- La moralité et l'accomplissement du
devoir
De toutes les espèces vivantes dans la nature,
l'homme est le seul être vivant admis au stade d'humain. Ainsi, parler de
la moralité et l'accomplissement du devoir, c'est reconnaître
à l'homme la perspicacité des « lois de l'exercice de ses
facultés »22. Par là, on peut entendre la bonne
volonté qui lui permet de se laisser guider par la moralité
assortie d'une « forme de vie », à teneur impérative.
C'est dans ce type de vie que son existence s'illustre mieux et revêt
tout son sens. Selon Jürgen Habermas par exemple « les sujets jugeant
moralement ne peuvent normalement agir (...) que s'ils ont été
formés, dans des contextes de vie éthique, à être
des sujets moralement capables d'action »23.
De plus, la compréhension de la moralité
et l'accomplissement du devoir signifierait que la raison pure pratique de
l'homme en donne la possibilité. La capacité de
représentation et d'action repose sur la liberté. Elle voudrait
que la moralité soit au fondement des actions, desquelles l'on peut
juger extérieurement de l'état actuel de moralité. Or les
actions ne découlent que de la raison en nous. C'est ce qu'il y a de
plus élevé pour élaborer la matière de l'intuition
sensible et la ramener à l'unité la plus complète de la
pensée. Cette dernière compréhension pousse Emmanuel Kant
à noter ceci :
Il est tout à fait raisonnable de prescrire la
moralité sous le nom de devoir ; car tous les hommes ne consentent pas
volontiers à obéir à ses préceptes, lorsqu'ils sont
en opposition avec leurs penchants, et, quand aux moyens de pratiquer cette loi
; ils n'ont pas besoin d'être appris, puisque chacun sous ce rapport,
peut ce qu'il veut24.
Selon cette affirmation, l'homme en tant qu'être
doué de raison, doit constamment accomplir son devoir puisqu'il implique
la liberté. Il concerne aussi bien la moralité des actions,
devant être capable de témoigner de l'accomplissement du devoir.
Dès lors, qu'impliquerait l'accomplissement du
22 Emmanuel Kant,
Fondements de la métaphysique des moeurs, Op.
cit., 190.
23 Jürgen Habermas,
De l'éthique de la discussion, trad. de
l'allemand par Mark Hunyadi, Paris, GF-Flammarion, 1991, p. 37.
24 Emmanuel Kant,
Critique de la raison pratique, trad. de l'allemand
par Jean-Pierre Fussler, Paris, GF-Flammarion, 2003, p. 186.
25 Emmanuel Kant,
Doctrine de la vertu, trad. de l'allemand par Jules
Barni, Paris, Garnier Flammarion, 1994, p. 144.
20
devoir ? La raison, en tant que faculté propre
à chaque être humain quel qu'il soit ; ou du moins en vertu de sa
qualité d'être humain, nous démarque des animaux. La
reconnaissance de l'accomplissement du devoir d'un point de vue kantien,
impliquerait que l'homme doit cultiver sa propre perfection. Elle
équivaut au devoir de développer ses aptitudes intellectuelles et
morales, principalement, mais aussi physiques, sans lesquelles
l'accomplissement du devoir serait hypothétique. Pour cela, Emmanuel
Kant affirme que :
La perfection d'un autre homme en tant que personne
consiste, précisément en ceci qu'il est lui-même de se
proposer sa fin en vertu de son propre concept du devoir et il ya contradiction
à exiger que je doive faire vis-à-vis de quelqu'un (à me
l'imposer comme devoir) quelque chose que nul autre que nul autre que
lui-même ne peut faire25.
La perfection de l'homme implique qu'il reconnaisse
là où l'accomplissement du devoir s'impose. Ce qui signifie qu'il
doit pouvoir user de sa bonne volonté, en se demandant si l'on peut
vouloir que son semblable accomplisse des actions subordonnées à
l'injustice. Mieux, l'accomplissent du devoir exige que le sujet moral admet
des conduites capables de s'imposer à tous les êtres humains.
Autrement, il y a contradiction à exiger des autres d'accomplir des
actions portées par la subjectivité au détriment de
l'objectivité. La conscience de l'accomplissement du devoir est
libre.
De même, il est possible de noter que dans les
sociétés modernes, les peuples oeuvrent pour la sauvegarde de
leurs droits fondamentaux. Ce sont entre autres la liberté, la justice
et l'égalité. Il en va de même pour la survie des
sociétés, conditionnée par le respect du devoir. Dans
cette optique, toutes les bonnes conduites des citoyens à
l'échelle de la société sont ordonnées
rationnellement par le pur accomplissement du devoir. C'est ainsi que la
tendance à promouvoir l'humanité doit revêtir toute sa
sacralité. La conscience de la moralité dont les hommes sont
capables, implique l'accomplissement du devoir,
21
pouvant permettre « la facilité dans les
contacts, qui est une vertu »26. Elle nécessite «
Devoir et obligation (...) qui conviennent pour exprimer notre rapport à
la loi morale »27.
Par là, indiquer que la moralité est en
rapport avec l'accomplissement du devoir, c'est reconnaître qu'elle est
essentiellement humaine, et se nomme, par conséquent loi. Elle ne
signifie pas au sens large du terme un ensemble de règles
établies, mais qu'elle doit diriger nos actions en montrant les raisons
d'agir : « C'est pourquoi, il faut qu'elle soit le fondement des valeurs
»28. Elle doit, par conséquent, diriger les conduites
humaines dans tous les domaines de l'existence humaine.
Dans le domaine politique, les actions
découlant de la gestion du pouvoir politique incarner l'accomplissement
devoir. Ce dernier doit faire l'objet d'examen moral par les gouvernés
afin de décrypter et de dégager rationnellement la
moralité qui en découle. Cet accomplissement n'étant pas
nécessairement le résultat d'actions citoyennes
concertées, se révèle souvent comme l'expression ou non
d'un idéal préalablement passé à la lumière
de la raison. Puisqu' « il est toujours du
pouvoir de chacun d'obéir aux ordres catégoriques de la
moralité »29. Il s'ensuit que la moralité en
rapport à l'accomplissement du devoir au plan politique doit s'inscrire
dans l'intérêt des peuples. L'accomplissement du devoir prend
toute son importance.
De cette représentation, la moralité
conduisant à l'accomplissement du devoir, il apparaît aussi
compréhensible que la moralité, loin d'être un devoir qui
s'impose à l'homme de l'extérieur ou d'une divinité, se
présente à lui comme une raison suffisante d'agir. L'homme se
soumet à un commandement en lequel il aperçoit une raison d'agir.
Emmanuel Kant nous formule bien cette affirmation en ces termes : « Le
devoir est la nécessité d'accomplir une action par respect pour
la
26 Emmanuel Kant,
Anthropologie du point de vue pragmatique, Op. cit.,
p. 209.
27 Emmanuel Kant,
Critique de la raison pratique, Op. cit., p.
263.
28 Ralph Walker,
Kant, Op. cit., p. 25.
29 Emmanuel Kant,
Critique de la raison pratique, Op. cit., p.
186.
22
loi »30. En conséquence, la
moralité conduit à l'accomplissement du devoir dans la mesure
où c'est un principe universel valable pour tous les êtres
raisonnables.
Selon Johann Goethe la liberté du devoir en
lui-même, c'est d'« aimer ce qu'on s'ordonne à soi-même
»31. Dans ce cas, il s'agit de comprendre que la raison est
importante pour l'homme. Elle n'a pas pour objet d'ignorer que tout être
humain peut choisir d'être mauvais face à son devoir, mais de
l'exercer pour être en conformité avec l'humanité. Ce qui
justifierait le fait que nous sommes soumis à la discipline de la
raison. Elle doit, par conséquent, porter et diriger nos actions sans
cesse. Pour cette raison, l'accomplissement d'actions dignes de respect et de
considération de l'universalité de la moralité
paraît nécessaire. C'est cette nécessité morale qui
doit être considérée comme un devoir sur lequel se fonde
l'universalité.
En effet, la moralité résidant
uniquement dans une volonté indépendante de toute matière
de la loi, exprime l'autonomie. Cette dernière est la condition formelle
de toues les maximes. Dans cette logique précise, la raison pure
pratique, caractérisée par la liberté donne la
possibilité à l'individu d'agir moralement ou non32.
C'est avec la plénitude et l'unité de la raison que l'homme
décide d'accomplir toute action. Cette conception rationaliste implique
que le pouvoir d'exécution de la raison humaine demeure très
considérable. Ainsi, Hannah Arendt pense que l'homme possède
toujours, par le biais de la raison la possibilité d'agir comme il
l'entend. Rien en réalité n'influence l'accomplissement du
devoir.
C'est ainsi qu'il est possible de comprendre que
lorsque l'homme se trouve souvent dans une situation embarrassante, il peut
laisser entendre ceci : « Je vais y penser », « Donnez-moi le
temps d'y réfléchir ». Cette réflexion se
révèle d'une importance capitale pour lui car la moralité
portée par le devoir qui l'ordonne
30 Emmanuel Kant,
Fondements de la métaphysique des moeurs, Op.
cit., p. 100.
31 Rudolf Steiner,
Goethe et sa conception du monde, trad. de l'allemand
par André Tanner, Genève, Éditions Anthroposophiques
Romandes, 1985, p. 82.
32 Hannah Arendt,
Considérations Morales, trad. de l'anglais par
Marc Ducassou, Paris, Rivages, 1996, p.
34.
23
prime. La représentation de la moralité
et l'accomplissement postule une compréhension selon laquelle, il est du
devoir de tout être raisonnable de se conduire avec dignité. Tout
cela s'effectue indépendamment de toute influence extérieure.
C'est pourquoi l'agent soucieux de moralité doit se donner le soin de
murir ses actions avant de les exécuter. Elles
passent l'examen de la raison par respect pour la loi morale. Puisque la raison
est « la faculté cognitive, elle permet de savoir ce qui est bien
et ce qui est mal ; la vérité et l'erreur sont
considérées en premier comme des conditions de l'être
humain »33.
Tout être humain est capable d'entretenir le
pire et le meilleur. Ainsi, la conscience de l'accomplissement du devoir est
librement suscitée en chaque individu car elle répond à
une exigence morale ou à une absolue
nécessité34. La
moralité et l'accomplissement du devoir signifierait que l'homme trouve
toujours en lui-même de bonnes raisons d'honorer l'humanité. C'est
ainsi que dans la conscience de sa
dignité35, il doit
agir en faveur de ce qui l'édifie. C'est là
précisément qu'on peut comprendre l'homme dans son élan de
solidarité, d'assistance et même d'égal respect dont il
témoigne à l'endroit d'autrui. Il porte haut des valeurs dont la
validité est ordonnée à la lumière des attentes
humaines.
De plus, l'homme est un être doué de
raison. Par cette faculté en tant que « pouvoir des principes
(Principien) »36, il trouve, pour ainsi dire une raison
d'accomplir telle action et une autre de s'abstenir de telle autre. C'est ainsi
qu'il peut être compris comme étant le seul être capable
d'agir sous des lois morales dont il en est l'auteur37. Il est
remarquable que la moralité qui préside aux maximes de ses
actions ait acquis sa qualité morale que par le fait que chacun pourrait
y consentir comme à des maximes valides pour tous. Autrement
exprimé,
33 Herbert Marcuse,
L'homme unidimensionnel, trad. de l'anglais par
Monique Wittig, Paris, LES ÉDITIONS DE MINUIT, 1968, p. 149.
34 Emmanuel Kant,
Fondements de la métaphysique des moeurs, Op.
cit., p. 116.
35 Emmanuel Kant,
Fondements de la métaphysique des moeurs, Op.
cit., p. 120.
36 Emmanuel Kant,
Critique de la raison pure, trad. de l'allemand par
André Tremesaygues, et Bernard Pacaud, Paris, PUF, 1986, p.
255.
37 Rudolf Steiner,
Goethe et sa conception du monde, Op. cit., p.
82.
24
l'accord des actions avec les principes de la
moralité, suscite l'adhésion car l'accomplissement
du devoir est parfait.
La reconnaissance de la moralité en rapport
avec l'accomplissement du devoir nécessite une précision entre la
moralité et la légalité. À ce niveau, Emmanuel Kant
nous fait une distinction importante. Pour lui, la volonté morale doit
se déterminer. Il s'en suit que le « devoir doit être une
nécessité pratique inconditionnée de l'action (...), et
c'est seulement à ce titre qu'il est aussi une loi pour toute
volonté humaine »38. Ce qui revient à dire que la
moralité est un dépassement de la légalité puisque,
loin de s'opposer à elle, elle englobe quelque chose de plus. Cela
n'entache en rien la complémentarité de la légalité
et de la moralité car « l'acte moral accompli par devoir doit aussi
a fortiori être légal, conforme à la loi du devoir
»39. S'ils s'originent à la même source qu'est
le respect d'une loi de la raison pratique et qu'ils
ont en commun l'idée d'une obligation impérieuse qu'est
le devoir, ils restent fondamentalement distincts
quant à la motivation40 de cette obligation.
En définitive, la moralité et
l'accomplissement du devoir suggèrent une compréhension selon
laquelle tout être raisonnable est censé découvrir en
lui-même la raison qui doit créer la nécessité
morale. Le devoir en lequel réside la bonne volonté est
exigé pour le bien de l'humanité. Cette dernière doit
être élevée et honorée dans l'accomplissement du
devoir. La conscience de la moralité dont l'homme est capable doit
accompagner son existence pour des actions moralement acceptables. Le rapport
entre la moralité et l'accomplissement du devoir impliquerait aussi la
conformité à la légalité.
De cette complémentarité, s'affirmerait dignement
l'universalité de la moralité. Mais, n'est-ce pas cette
liberté qui traduit la loi morale en chaque être humain
?
38 Emmanuel Kant,
Fondements de la métaphysique des moeurs, Op.
cit., p. 144.
39 Mai Lequan,
La philosophie morale de Kant, Op. cit., pp.
150-151.
40 Simonne Goyard-Fabre,
Responsabilité morale et responsabilité juridique
selon Kant, Paris, in Archives de Philosophie du Droit, 1975, p.
8.
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